La flamme de la liberté - solo

Récemment, Sachi avait découvert que sa relation privilégiée avec les flammes était plus qu’une simple prédisposition. Le feu, dans toute sa beauté, était un don divin que lui avait accordé le grand et unique Dainichi pour en faire son suprême partisan, le Prophète qui imposerait sa parole sacrée au monde des impies. Il y a quelques temps, il avait trouvé un carnet sur lequel étaient griffonnés les indications de nombreux mudra permettant, il l’avait compris, de développer davantage ce don divin. Ces techniques somme toute assez banale apparaissaient au saltimbanque comme la preuve qu’il était la réincarnation d’une dynastie d’élus choisis par la Grande Illumination pour effectuer son travail sur la Terre. C’était donc avec une ferveur sans précédent qu’il s’était attelé à l’étude de ces mudra, ce qui nous amène donc à l’entraînement d’aujourd’hui, alors qu’il voyage avec le Danzaemon vers le grand tournoi d’arts martiaux qui s’est ouvert autour du temple du bois bleu – une religion d’impies.

L’illusionniste du cirque légendaire s’était isolé sur le toit de la grande caravane qui les transportait afin de découvrir, dans un calme parfait, l’enchaînement des signes auxquels il aurait recours pour cette technique. D’après les indications quelque peu sommaires du carnet, cette technique, comme la précédente qu’il avait apprise, permettait d’invoquer une boule de feu. Toutefois, comme les mudra étaient différents, il en avait conclu que celles-ci devait avoir une nature différente, bien qu’il ignorât en quoi. Il le découvrirait en temps voulu.

Il avait choisi un début de matinée assez couvert pour pratiquer sa maîtrise des flammes, afin que la chaleur ne l’épuise pas trop. Il passa la première heure de sa journée à répéter sans cesse les mêmes mudra afin que ceux-ci deviennent un automatisme : rappelons que Sachi n’est pas un shinobi conventionnel et n’est pas encore pleinement habitué aux principes du ninjutsu, qu’il tend plus à considérer comme un don, comme de la magie, plutôt que comme un art qui se perfectionne à force de pratique. Pendant les premières dix minutes, il les répéta sans y ajouter de chakra afin de les mémoriser sans risque. Quand il n’eut plus besoin de réfléchir entre chaque geste mais que ses mains prirent le dessus sur sa mémoire, il put y ajouter la malaxation du chakra.

Heureusement pour lui, le hinin avait mené un entraînement très similaire il y a de cela quelques semaines, aussi il avait gardé quelques habitudes qui lui furent très utiles aujourd’hui. Pour cette technique basique, il n’eut donc pas besoin d’effectuer tout le travail de recherches préliminaires qui lui avait été nécessaire lors de l’apprentissage de la boule de feu classique. Il était extrêmement satisfaisant pour lui de constater qu'avec l'habitude, il avait grandement amélioré son niveau.

Ainsi, il obtint rapidement des résultats. D’abord, quelques flammes furieuses sortir de sa gorge mais prirent des directions absolument contradictoires, comme un ballon de baudruche semble lutter contre lui-même au moment de se vider de son air. Ce n’était pas bon, c’était même très mauvais ! Au moins, cette fois-ci il ne s’était pas brûlé la gorge et il était parvenu à créer des flammes dès le premier essai. Ses flammes, en revanche, il faudrait les dompter.

Il s’acharna de la sorte pendant au moins une heure supplémentaire sans parvenir à améliorer son résultat. Soit il obtenait des flammes plus faibles mais plus agglomérées, soit plus puissantes mais qui toujours s’échappaient dans tous les sens. Dans les deux cas, une technique comme celle-ci serait inutilisable en combat.

Quand vint onze heures, il eut une petite faim, aussi il rejoignit le reste de la troupe le temps de manger une miche de pain trempée dans la sauce qui restait du ragoût de la veille. Il eut à cette occasion une discussion très instructive avec l’un des illusionnistes avec qui il partagerait la vedette lors des représentations accompagnant le tournoi. Celui-ci lui fit comprendre que Sachi, en s’attachant trop à ce qu’il avait appris lors de son précédent entraînement, empêchait sa nouvelle technique de se déployer sous la forme qui la rendait si particulière. « Tu sais, chaque technique est différente. Elles sont comme les humains : si tu ne leur laisses pas leur liberté, elles t’obéiront, certes, mais elles ne seront jamais épanouies. »

Cette explication, en apparence banale, bien-pensante et franchement tirée par les cheveux, prit pourtant immédiatement tout son sens dans l’esprit de l’artiste. Lui qui appréciait la liberté mieux que tous les autres hommes, lui qui n’en faisait qu’à sa tête, il devait faire la même chose avec sa technique !

La première étape pour cela était de faire une sieste bien méritée sur la terrasse. Se prélasser un peu sous le soleil de midi – sa peau était continuellement calcinée par les effets du soleil sur son teint si pâle qu’il n’était plus à une brûlure près. La deuxième étape fut de monter de nombreux seaux d’eau sur le toit, dans le cas où les choses tourneraient mal et qu’il démarrerait un incendie sur la précieuse barraque du Danzaemon.

Quand il fut de nouveau là-haut, il put reprendre l'entraînement. En temps qu'artiste et homme de scène, il était facile pour lui d'adopter de nouveaux comportements, d'abandonner le carcan de pensée dans lequel il s'était efforcé de réaliser sa technique pour repartir de zéro. Maintenant qu'il connaissait les mudra, qu'il avait pris l'habitude de les effectuer et d'y ajouter son chakra, et surtout maintenant qu'il ne cherchait plus à reproduire la même boule de feu qu'autrefois, il sentit des flammes nouvelles lui parcourir la gorge pour fleurir ensuite comme les bourgeons au printemps.

Il enchaîna les tentatives durant une heure supplémentaire, ce fut tout ce dont il eut besoin. Les bourgeons fleuris devinrent de plus en plus imposants, de plus en plus denses et de plus en plus chauds. Ces flammes étaient réellement des flammes divines, et lui était plus qu'un homme pour réussir à les faire sortir de son gosier. Quand il fut satisfait de la boule de feu qu'il était capable de produire - plus contractée que celle qu'il connaissait - il positionna en face de lui quelques caisses en bois pour lui servir de cibles d'entraînements (précisons que jusque-là il s'était évertué à ne cibler que le ciel, à la fois pour embrasser son dieu et pour ne pas brûler son embarcation).

Les boules de feu qu'il parvint à produire, avant de brûler la caisse, réussir à la faire reculer de quelques mètres. C'était intéressant, à vrai dire il n'avait jamais songé à cela. Utiliser le feu non pas pour sa chaleur, mais pour la puissance de son souffle. Il ne faisait nul doute que c'était une technique qui lui serait bien utile, d'autant plus qu'elle était rapide et facile d'exécution.

Alors qu'il effectuait une danse de la joie pour couronner son succès, il fut tiré de son triomphe par les cris des quelques équilibristes qui s'entraînaient de l'autre côté du toit : "Au feu ! Au feu ! Hey Sachi, réveille toi ! CA CRAME SACHI BON SANG REVEILLE TOI QU'EST-CE QUE TU FOUS VIEUX TARE !"

Et l'illusionniste, dans un rire qui semblait sans fin, qui lui montait jusqu'aux oreilles, jeta les quelques seaux d'eau qu'il avait amenés pour éteindre les flammes divines qui étaient sorties directement de ses entrailles, flammes qu'il dédiait à la gloire de son dieu. Pour la gloire de Dainichi, il était devenu le Prophète flamboyant, et il observait sa création crépitante s'évaporer dans les airs en déformant la réalité.

Technique à apprendre: