Il était une fois, une promesse....

Cela semblait faire une éternité que Yuriko n'avait pas quitté le village pour rendre visite à ses parents. Son frère, Kyoshiro, avait déjà eu le loisir de s'y rendre pour leur présenter son fils et ainsi leur offrir quelques bonnes nouvelles. Si déjà, initialement, alors qu'elle n'était que jonin, elle avait eut quelques difficultés à se dégager du temps, cela paraissait encore plus difficile maintenant qu'elle était Nidaime. Toutefois, cela ne l'empêchait pas d'entretenir une relation épistolaire avec sa mère, Rina.... jusqu'à ce jour où elle s'était décidée à venir en personne. Cela lui fit une étrange impression de parcourir le chemin qui devait l'emmener à la demeure familiale, une ferme pittoresque, sans fioriture, des éleveurs de bétails comme l'on en trouvait modestement en territoire du Feu. Les Tadake avaient toujours été des gens simples, des terriens qui ne demandaient rien de plus au monde que de pouvoir vivre de leur métier. Ils n'avaient d'ailleurs jamais rien demandé à leurs propres enfants, ni même aujourd'hui.

Les souvenirs de la kunoichi guidèrent ses pas sans aucune hésitation jusqu'aux portes des terres parentales. Ce n'était pas des pâturages d'une grande superficie mais c'était assez pour le couple et en vivre convenablement. Lorsque son regard se posa sur ce paysage, une multitude de souvenirs sembla refaire surface, des souvenirs d'enfance, heureux comme triste parfois, mais qui étirèrent un sourire mélancolique sur le visage de Yuriko. Pour une raison obscure, elle se sentait un peu anxieuse. Cela faisait si longtemps.... Prenant une grande respiration, elle finit néanmoins par franchir le domaine et d'une allure d'apparence sereine s'avança, traversant les champs jusqu'à la porte de la maison. Une fraction d'hésitation la fit douter. Se raclant la gorge, elle se demandait si elle présentait bien. Le réflexe voulut qu'elle chercha à se recoiffer et épousseta ses vêtements comme si elle eut peur de se faire réprimander et puis, une voix familière l'interpella.

" Riko ? "

La jeune femme se retourna pour apercevoir sa mère. Elle tenait un panier dans lequel il y avait des œufs frais qu'elle venait sans doute tout juste de ramasser. Rina et sa fille se ressemblait un peu, bien que la mère fut plus petite de quelques centimètres. Elle avait aussi de long cheveux noirs mais les portait toujours relevé en un chignon légèrement négligé. Les traits de son visage avaient su resté fins malgré les traces du temps et de la fatigue de son métier, son teint était aussi naturellement plus hâlé à cause des travaux des champs. Peut-être était-elle aussi plus maigre, plus sèche mais le lien qui les unissait était assez évident. Lorsque le regard des deux femmes se croisèrent, ils s'embuèrent tout deux.

"  Mère. "

" Ma petite Riko, tu es vraiment venue. "

" Oui, Mère. Je te l'ai promis. "

Rina posa son panier sur le sol en ouvrant subitement les bras dans la direction de sa fille, n'osant pas faire un pas de peur de tomber sous le coup de son émotion. Yuriko sourit alors que des perles de larmes pointaient à l'orée de ses yeux. Abandonnant toute barrière, la kunoichi s'avança vers sa mère pour la serrer contre elle.

" Ma Riko... regarde... regarde quelle belle jeune femme tu es devenue ! "

" Je n'en ai aucun mérite, mère. Je ne suis que la porteuse de ton héritage. "

" Haha ! Mais qu'est-ce que tu dis là... "

Les deux femmes se tenaient les mains alors qu'elles s'observaient, heureuses de se retrouver, chassant par la même occasion toute la nervosité de Yuriko.

" Allez... rentrons vite. Tu as tellement de chose à me raconter. "

La kunoichi tendit la main pour porter le panier de sa mère, et son bras pour l'escorter dans sa demeure. Rien n'avait véritablement changé à l'intérieur, tout semblait à sa place comme dans ses lointains souvenirs. La seule nouveauté fut les portraits de Kyoshiro et Yuriko, de vieilles images que les deux jumeaux avaient fait faire lorsqu'ils furent devenus jonin pour montrer à leurs parents qu'ils étaient arrivés au bout de leurs ambitions... ou en partie. La photographie datait déjà de l'an douze et tout le chemin parcouru depuis l'époque la frappa. Déjà cinq ans avaient passé et pourtant, une vérité lui sauta aux yeux quand elle posa les siens dessus. Sa mère se rapprocha d'elle,  pris le cadre dans ses mains et sourit avec fierté.

" Vous êtes beaux tous les deux... bien que j'aurais préféré que tu souris un peu. "

Cela fit rire Yuriko.

" Kyoshiro a toujours été celui qui sourit. Mais la prochaine fois, je tâcherais de t'envoyer une nouvelle photographie où je sourirais. "

" Hahaha ! Cela fera plaisir à ton père ! Moi aussi d'ailleurs. On a toujours eu peur que tu ne sois jamais heureuse, même petite. Tu semblais faire la tête à chaque fois. Sauf quand ton frère réussissait quelque chose. Tu étais déjà si sérieuse. "

" J'étais si austère que cela ? "

" Hahahaha ! Austère ne serait pas le bon mot. Mais tu étais tellement têtue et tu voulais tellement trouver un remède pour ton frère. Contrairement à ce que tu crois, nous nous en faisions bien plus pour toi que Kyo. "

" J'en suis terriblement désolée Mère. "

" Désolée ? Mais non. Ne le soit pas. C'est cela d'être parent. D'ailleurs ton frère va bientôt en connaître toutes les joies avec mon magnifique petit fils. "

" Haha. Oui. Je dirais même qu'il vit déjà dans l'angoisse de bien faire les choses. "

" Exactement comme ton père. Haha ! "

Les deux femmes discutèrent longuement de tout et de rien, rattrapant à leurs façons le temps perdu.  Il vint ensuite le retour de son père, Shinshiro, avec qui l'émotion des retrouvailles fut tout aussi forte. Sous la pression parentale, Yuriko avait fini par accepter de dîner avec eux et de rester pour la nuit. L'instant qu'elle put passer en leur compagnie était une véritable bouffée d'oxygène, se rappelant ainsi des vieux souvenirs d'autrefois. Bien évidemment, elle en profita pour raconter quelques anecdotes au sujet de sa vie à Konoha et les nombreuses bêtises de son frère qui n'aurait jamais osé raconter lui-même.

Le lendemain matin, la kunoichi eut l'impression de revivre une de ses journées de jadis. Elle n'avait jamais aussi bien dormi, dans cette vieille chambre qu'elle partageait avec son jumeau. Allongée sur le côté, sourire aux lèvres, elle crut se revoir enfant. Elle voyait la petite fille qu'elle fut, déjà déterminée à en faire beaucoup et ritualisant ses matinées. S'attachant les cheveux, se tapant les joues pour se donner du courage, fronçant les sourcils de résolution.

" Kyo !!! Debout fainéant ! On doit aider papa ! "

Déjà autoritaire, déjà sur le dos de son frère. Kyoshiro n'avait jamais été un homme du matin, à moins de l'avoir décidé. Bien qu'ils furent jeunes, les deux Tadake tâchaient d'aider du mieux qu'ils pouvaient leurs parents. A l'époque, ils n'étaient pas si prospères, ils avaient connu la disette, avaient perdus beaucoup de bêtes à cause de la famine. La guerre avait laissé des stigmates que seuls le temps allaient réparer. Toutes les mains utiles étaient donc bon apprendre. De plus, Kyohiro, bien qu'aveugle, se refusait à ne pas participer, désirant être traité comme n'importe qui. Si au début cela fut la raison de quelques inquiétudes parentales, la détermination du fils Tadake eut raison de leurs angoisses... mais pas de celle de sa sœur. Yuriko était travailleuse mais bien plus anxieuse sur l'état de son frère que pouvait l'être leurs parents. Elle eut toujours trouvé particulièrement injuste qu'il n'eut pas la possibilité de regarder le monde comme elle. La petite fille qu'elle était ne l'acceptait pas, elle qui aimait ce frère plus que tout. C'était pour cette raison qu'elle demeurait constamment derrière lui, veillant, observant, prête à intervenir au moindre problème. Combien de fois était-elle intervenu pour lui ? Souvent. Peut-être même trop avec le recul. Kyoshiro lui en avait fait même le reproche car elle se mettait à son tour en danger au détriment de lui. Il ne supportait pas non plus l'idée que Yuriko puisse être blessée et encore moins à cause de lui. Le lien qui les unissait était particulière puissant, il ne s'était jamais brisé, malgré les divergences d'opinions, malgré les chamailleries... Finalement, la fillette cédait toujours face à la volonté de son frère mais mettait un point d'honneur à devoir être présente et l'aider. C'était pour cela qu'elle avait toujours suivi, c'était pour cela qu'elle était allée à Konoha et qu'elle était devenue shinobi...

… et médecin.

Yuriko finit par quitter son lit, reprenant les habitudes de l'enfance comme par un curieux mimétisme. Elle s'affaira naturellement à quelques travaux de ferme à la grande surprise de ses parents qui la grondèrent à ce sujet. Lorsqu'elle se décida de faire une petite pause, la kunoichi partie se perdre un peu en dehors du domaine. Elle retrouva l'endroit où aimait se rendre Kyoshiro quand il était petit, où il imaginait qu'il était seul et que personne ne l'espionnait. Bien évidemment, Yuriko était dans l'ombre. Toujours. Le savait-il ? Parfois elle pensait que oui, mais il ne lui en fit jamais la remarquer. Elle se contentait de le regarder, lui et sa force de caractère qui luttait pour ne pas demeurer impuissant face à son handicap. Il s'entraînait en secret pour palier sa cécité, essayant de renforcer ses autres sens, essayant de ne pas tomber, de ne pas avoir besoin de béquille pour avancer. La Nidaime se souvenait la terrible frustration qui l'avait habité, celle de se retenir d'intervenir et la culpabilité qui la rongeait d'être bien née. L'enfant de jadis en voulait presque au monde entier pour cette injustice.

D'un pas serein, elle s'approcha d'un arbre qui, étonnamment, portait encore les cicatrices que Kyoshiro lui avaient faites autrefois. Les doigts fins de Yuriko caressèrent l'écorce abîmée avec une manifeste nostalgie. Elle posa son front sur le végétal et ferma les yeux. Elle se revoyait, elle, une simple gamine pleine de colère mais résolue. Elle se voyait devant ce même arbre, tendre le bras et son poing fermé, le regard noir se faire une promesse à elle-même.

" Je deviendrais médecin. Je te rendrais tes yeux Kyoshiro. Je te le promets. Je réparerais cette injustice quoi qu'il m'en coûte. "

Un petit sourire naquit sur le visage de l'adulte qu'elle était devenue. Cette promesse, si lointaine, elle ne l'avait jamais oublié. Tout son parcours était né de là. Sa détermination. Sa volonté. Elle recula, laissant son bras tombé.

" Je tiendrais cette promesse... "

Elle en était capable, elle en avait les capacités aujourd'hui mais fallait-il encore que Kyoshiro en eut le désir.

" … mais le temps n'est pas venu de la tenir. "

Yuriko sourit alors qu'elle crut percevoir le spectre de l'enfant qu'elle avait été, elle tendit le bras, le poing serré, le visage résolue... elle n'avait jamais oublié.