Aujourd'hui est un jour particulier. Le temps est passé si vite que je ne m'en suis presque pas rendu compte. Peut-être que d'ailleurs, je me trompe de jour ? Je n'en sais rien. Ma seule certitude est ce rêve qui m'a rappelé le jour que nous étions. Mais aussi son visage.
J'ai du mal à m'extirper de mon lit. L'appartement dans lequel je vis est encore plongé dans la pénombre et seuls quelques reflets arrivent jusqu'à moi, me faisant plisser l'oeil qui déjà a du mal à s'ouvrir. Doucement, je me lève, enfilant mon manteau pour préserver mon corps du froid de cette maison de glace dans laquelle le Clan vit depuis dix-sept longues années. Mes pas me traînent en dehors, dans les alcôves gelés qui parsèment la grotte dans laquelle nous sommes arrivés en ce jour de tempête. On pourrait croire qu'il est étrange que je repense à tout cela aujourd'hui, mais personne ne s'en souciera vraiment je crois.
Mes pieds me guident à travers les chemins milles fois empruntés, là où la Colère, tout comme la Mort dansent dans mes souvenirs, me rappelant aux Pêchés de mon être. Une réminiscence qui chaque fois me lacère un peu plus le cœur, et encore plus depuis que j'ai dû faire face à la rage de Toshiro. Son amertume à mon égard est légitime, et aussi violente qu'elle puisse être, je la comprend. Sans doute que, j'agirai de la même manière si je devais voir le visage du meurtrier qui m'a enlevé mon petit frère... J'aimerai avoir le courage de lui présenter mes excuses, mais d'un autre coté, gît en moi encore la rancœur envers ces personnes qui, en ce temps-là, n'ont pas réussi à calmer la Haine et l'Envie de Vengeance qui ont fini par consumer l'âme des plus jeunes. Peu le conçoivent ainsi, considérant qu'une vie ne vaut guère un œil... Si seulement ils pouvaient s'imaginer à quel point ils se trompent. Qu'en ce jour, ce n'est pas qu'un œil qu'ils m'ont retiré, mais ce qu'il y avait de plus beau en moi...
Et alors que mes sombres pensées tournoient encore vers les plus sombres heures de mon existence, je me surprend, comme à chaque fois, à arpenter le même chemin sinueux. Celui qui mène là où pour moi, tout a commencé. Cette falaise, je pense m'y rendre tous les jours lorsque je le peux, mais rare sont les fois où le soleil se lève. Mais, j'ai encore du temps devant moi, la Lune n'a pas encore terminé sa course, il me faut être patient. Une peine bien maigre lorsque mon regard se pose sur le reflet de l'astre nocturne sur la surface du Lac Gelée, que la brise fait doucement onduler alors que dansent les quelques végétations sur le rivage. Une douce vision, qui prend tout son sens en ce début de journée.
« Je me rends compte que je viens ici tous les jours, et pourtant... Jamais je ne te parle. Peut-être parce que je sais ce qu'il y a au pied de cette falaise ? Je ne sais pas et ça n'a pas vraiment d'importance, non ? Je voulais te remercier. Je crois n'avoir jamais eu le courage, ni le temps de le faire vraiment. Sans doute que j'étais trop jeune pour me rendre compte de ce que tu as fais pour moi... »
C'est vrai. Je ne crois pas avoir jamais dis son prénom après qu'on ait jeté son corps dans ce gouffre sans fond. Je me demande si d'autres Chinoike savent ce qui se trouve en bas. Peut-être suis-je le seul à y être tombé ? Cela ne m'étonnerai pas vraiment. J'ai toujours été... différent. Une particularité qui n'a jamais été vraiment bien vu de leurs parts, et qui, aujourd'hui encore, m'expose à nombres de remontrances. Qui a-t-il de mal à être...anormal ? Je ne l'ai jamais compris. Pourtant j'ai joué le jeu qu'Etsu m'a demandé de jouer, sans rechigner, ni demander quoi que ce soit en retour. Au final, ne suis-je pas devenu comme eux ?
« Beaucoup de choses ce sont passés depuis que tu m'as laissé... Des bonnes, des mauvaises. Je ne sais pas vraiment par quoi commencer, ni même si tu y vois un quelconque intérêt... Mais je suis devenu Ambassadeur du Clan. Etonnant n'est-ce pas ? Quand on se rappelle comment je refusais de me battre à l'époque... J'ai fini par céder. C'était soit ça, soit mourir... Parfois, c'est dur. J'ai un peu l'impression de pas vraiment être à ma place... »
Je m'arrête un instant pour regarder le reflet de l'éclat de la Lune sur les hauts monts. Une image des plus familières et qui, malgré son immense beauté, m'a toujours donné la sensation d'être dans une cage. Et maintenant que j'y pense, une question étrange me vient. Où est la différence, entre la grotte dans laquelle j'ai cru qu'on m'avait enfermé pendant trois années, et cette liberté, close entre quelques montagnes... La prison est certes plus grande, mais ils continuent à agiter les clés de la serrure enfermant mon âme.
« En vrai, parfois... Je me demande si ça n'aurait pas été mieux que tu ne me retrouves pas. Je sais, c'est un peu puérile comme manière de penser mais... Tout aurait été si simple. Ou peut-être pas ? Peut-être que dans une vie ou dans l'autre je suis voué à devoir me battre pour une cause qui, malgré mes promesses, m’indiffèrent ? Tu dois être folle de rage à m'entendre parler comme ça... Excuse moi... »
Non, la vraie raison est plus simple, et aurait peut-être dû créer un émoi plus important. Mais c'est une vieille rengaine de laquelle j'ai du mal à m'extirper. Comme si en m'enlevant mon œil gauche, l'on m'avait retiré mon insouciance. Mais alors que mes pensées divaguent encore, j'entends que s'approche une vieille dame, pour qui mon affection est immense. Dans le silence, elle arrive et se pose à mes côtés.
« Je pensais bien te trouver ici Tsumi. »
En attendant mon prénom, un souvenir de mon rêve me revient et me fait sourire bêtement.
« Il y a treize ans qu'elle est morte... Je voulais lui rendre hommage pour tout ce qu'elle a fait pour moi... Vous saviez que je ne me suis pas toujours appelé Tsumi ? » « Ah bon ? » « Non... Ce prénom m'a été donné selon une vieille histoire d'horreur que l'on compte encore aujourd'hui aux enfants pour qu'ils soient sages... Vous devez la connaître je pense... » « Hm... en effet... »
Je sens que la température est entrain de monter. Parcourant l'horizon du regard, les prémisses de ce nouveau jour commencent à éclairer le ciel tandis que je n'arrive pas à empêcher mes larmes de couler. Je repense à tous les moments passés à ses côtés. Aux moments de joies, comme ceux de colère. Elle aurait très bien pu me laisser là, près de cette rivière, avec le sifflement du vent et le crépitement de la paille qui s'embrase. Mais non. Ce n'était pas elle. Pas cette femme qui a fait demi-tour pour venir s'enquérir d'un bout de vie qui aujourd'hui, malgré les tourments et les obstacles qui parsèment sa vie, se lève fièrement devant l'abrupte falaise, pour sourire aux premiers rayons de ce nouveau jour qui lui caresse le visage. Merci Yomi... Pour tout ce que tu as fait pour moi.
« Joyeux anniversaire Maman... »
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Dans un lointain passé, réside le souvenir d'une femme tenant en ses bras un enfant, dont les yeux la contemplaient avec tout l'amour du monde. Et dans un murmure, elle le serra dans ses bras, les liant l'un à l'autre, jusqu'à ce que la mort les sépare...
« Je vais t'appeler... Kitai... »
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