"Feuille de maté", "Riz fermenté", "Alcool", "Bière", ... Autant de soldats incapables de résister à l’assaut furieux durant les soirées alcoolisées que nous pouvions partager. Aux côtés de ce bordel, de nombreux bols ayant dû contenir quelques ramens. Dans certains, de la moisissure se développait. Au milieu, j'étais dissimulé sous une couverture, dans une bien étrange position : Les pieds au-dessus de moi alors que mon dos épousé l'assied du canapé.
J'étais à l'envers, quoi.
Hayato, dans la cuisine, préparait le repas... Je glandai, pourquoi ? Ce n'était pas mon tour de faire le repas. « Il y a des tours chez les Nozomo ! Sinon je me fais douiller ! » Soupirant, je fixais le plafond en tendant le bras. Un vague espoir de le toucher de ma position... L'appartement était petit, mais pas SI petit.
- Comment on en est arrivé là ? Une question innocente. - Là ? On voulait quitter le domaine et... - Non, non... Chez les Nozomo, je connais les grandes lignes, mais je ne connais pas les détails. C'était comment notre famille biologique ? La vie de Nomade. Je me posais parfois la question, souvent il n'était pas là alors j'oubliais. Parfois il était là, mais je n'osais pas. Les planètes étaient alignées : L'occasion et le courage.
Le grand dadais me surprit : Il décrocha de sa tambouille pour s'asseoir à côté de moi. Les planètes étaient aussi alignées pour lui, on dirait... « Qu'est-ce que j'ai fait ? »
- Je n’ai que peu de souvenir de notre vie, avant… Avant le clan. Quelques visages, quelques souvenirs, mais globalement tout me semble flou, c'était il y a longtemps. Si toi tu ne te souviens de rien, moi, c'est quasiment disparu. Je me rappelle que notre tribu possédait quelques animaux d’élevage et que je passais beaucoup de temps avec eux… Je suivais scrupuleusement ses paroles, me remettant droit sur le canapé, donc vraiment assis et pas avachi sur mon dos.
Le bougre avait toujours aimé les bêtes. J'étais plutôt fan également, un beau chien était toujours une joie à voir... Mais lui aimait beaucoup plus. Grossièrement, je m'en foutais de ces histoires d'animaux. Je voulais du croustillant, mais lui dire de se bouger de m'annoncer des détails plus sympa aller le braquer... Alors je le laissais continuer.
- Comme tu le sais, Hayato n’est pas mon prénom de naissance. Ce sont les Nozomo qui m’ont renommé ainsi. Avant, j'étais Humiya Imin. À vrai dire, on n'utilise surtout Hayato... L'autre nom, c'est un autre temps. S'en souvenir, c'est bien, mais je ne l'utiliserai plus. Peut-être cinq personnes sont au courant ? Voir moins à vrai dire. Je l'ai dit à Honoka, une fois. Son affirmation me rendit curieux : Des cachotteries avec la muette ?
J'étais presque jaloux, mais je ne pouvais m'en vouloir qu'a moi-même. Je ne disais rien sur mes coups de cœurs, comment pouvait-il le savoir ? Sans m’appesantir sur cela, je posai quelques questions.
- Oui, je sais quel est ton nom. Tu avais voulu me dire le mien, il y a longtemps... Mais à l'époque, ce n'était rien pour moi. À vrai dire, même aujourd'hui ce serait quelque chose d'impersonnel. C'était le cas : Pas de souvenirs, pas de visages d'un quelconque parent sauf Hayato. Bien sûr, rien ne me prouvait dans l'absolu que c'était mon frère, mais il fallait être sacrément farfelue pour s'inventer une fratrie avec un nouveau-né. À part Imin, bien sûr. Je ne sais rien... Juste la grande histoire de l'attaque, de l'essai d'échange de nos parents et ensuite on était chez les Nozomo. Je devenais « Yukio ». Je ricanai doucement. « Le garçon de la neige ». Ils sont cons parfois ! Je reprenais mon sérieux. On était nomade, ouais, mais on faisait quoi ? Les parents, à part être des vendeurs d'enfants pour sauver leur peau, comment étaient-ils ? On était nombreux ? Peut-être avions-nous des frères et sœurs, encore ?
Mon aîné prit un instant pour réfléchir : Ses souvenirs étaient vagues, il voulait répondre le mieux possible à mes questions.
- Je crois qu'ils étaient assez rudes : Une fois, on avait plus à manger, alors ils ont cuisiné le chien... Je fus un peu giflé par cette affirmation, avant de commencer à rire de tout cela ! "J'ai bouffé le chien ?" Sinon, on était peu nombreux, je pense une dizaine, mais je peux t'assurer qu'il n'y avait que nous deux. Ils ont fait des gosses car... Bah notre mère était tombée enceinte, c'est tout. On n’est pas vraiment les "enfants de l'amour."
D'une moue, je laissais entendre que... Bah, c'était comme ça. On était ce qu'on était, même si je me doutais bien qu'on ne vendait pas des enfants qu'on avait voulus ! Nous étions des pièces rapportées : Dans notre famille biologique, chez les Nozomo, à Suna...
- Je suis assez peu étonné, ouais. Jouant avec la couverture, j'essayais de dissiper un peu le malaise, l'ambiance lourde, qui s'était formé. Donc on a grandi dans le désert... On avait des chevaux, comme les Takeda ? Hayato hocha les épaules, il ne se souvenait pas de tout. Bien entendu.
"Des nomades plutôt pauvres... Et lent."
Ne sachant pas quoi ajouter à ce triste tableau, mon frère repartit faire ses pâtes... Avant cela, il mit un peu de tension dans ma conscience :
- Tu sais, "Yukio" n'est pas venu tout seul... Le nom vient de ton ancien patronyme, comme moi. Arquant un sourcil, je le suivis dans sa démarche vers la casserole. "Il veut que je lui demande mon prénom ?"
Je le voulais vraiment ? "Bouarf, au pire, je le sais, ça me fera une belle jambe... Cela n'implique rien !" Au fond, si je posais des questions, c'est que je voulais plus connaitre ma "vie" d'avant... Même si je ne savais pas vraiment qui était ce bébé, dans le fond. Moi ? Un autre ?
Une autre vie... Est-ce vraiment la mienne ?
- Pourquoi pas, tu as envie de me le dire de toute façon... Doucement, je gloussais. Des années qu'il avait cette information, il rêvait sans doute de me la refiler ! Le salaud ! - Yūkan.
Yūkan. Une consonance étrange, du bout des lèvres, je répétais ce nom qui me semblait inconnu. Yūkan Imin. Je cherchai des souvenirs liés à ce nom : Une voix ? Des images ? Même des odeurs ? Rien. Absolument. Je passais une bonne partie de la soirée, silencieux, à marmonner... Mon nom. Hayato me regarda bizarre, comme s'il avait fait une connerie en me révélant ce simple mot... Mangeant mes pâtes, je débitai des pensées au milieu de la sauce et des légumes.
Finalement, Yukio c'était pas si mal... Au moins, c'était à moi.
Sphinx. Yukio 021
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