Regarder un autre horizon [PV Masamune Sanada]

Le soleil s'était levé il y avait déjà quelques heures. Yuriko se tenait là, droite, mutique, à contempler l'horizon de ses sombres pupilles noires. Son regard paraissait éteint, malgré le reflet de l'océan dans le fond de ses yeux. Immobile comme une statue de sel, elle attendait en silence que l'Uzujin qui devait l'escorter vint à sa rencontre pour prendre le bateau vers les îles de l'Est. À ses pieds, deux grandes valises en guise d'uniques effets personnels pour le bref voyage qu'elle s'octroyait. Après un très bref échange avec sa hiérarchie et à ses relations amicales entrevues avec Meyo Tsuri, elle avait obtenu une dérogation spéciale pour lui permettre de se rendre à Uzu. Officiellement, sa présence ne permettrait d'enrichir les relations entre les deux nations. Officieusement, la taciturne Tadake avait besoin de chasser les ombres de son esprit au travers d'un autre pays.

Bien qu'elle n'était plus Hokage, elle n'en demeurait pas moins une jonin et possédait toujours le titre de chef de son clan. Elle n'oubliait pas ses responsabilités et elle savait qu'elle devait trouver la force, le courage et les moyens de se reprendre. Aussi forte était sa volonté, un cœur brisé ne pouvait se remettre aussi aisément de ses blessures et le dernier coup de lame qui lui fut donné avait brisé l'espoir qui avait réussi à s'immiscer.

Sobrement vêtue d'un kimono noir portant le symbole des deux carpes koï du clan Tadake, elle patientait en silence. Les quelques badauds matinaux l'observaient, non sans discrétion. Certains savaient qui elle était, qui elle avait représenté, mais la contournait comme si une aura les empêchait de l'approcher. D'autres se demandaient s'il s'agissait bien de la même personne. Aucun sourire, aucune attention, juste un visage figé et absent. Elle avait également un peu maigri, ses traits semblaient fatigués.

Il fallait dire que l'eisen-nin s'était cloîtrée dans son domaine pendant des semaines, peu après sa démission, pour endurer sa peine loin des regards et parce qu'elle se savait malgré tout assez lucide pour reconnaître qu'elle n'était plus apte à prendre des décisions importantes. Lorsqu'elle eut appris la disparition d'Hayato, son monde s'était à nouveau écroulé. Elle avait pleuré, tant pleuré qu'elle n'eut plus de force à donner à la colère. Elle prit même peur lorsqu'un jour, un coupe-papier à la main, une sombre pensée l'avait effleuré. Et si tout s'arrêtait ? Il ne lui aurait fallu qu'un geste, si facile, si tentant, animé par un honteux désespoir. Mais qu'auraient-il
Lui. Ce petit brin de bonhomme qui apprenait à doucement marcher sur ses deux jambes, lui qui était un bout de son frère disparu, était une raison suffisante pour qu'elle trouvât le moyen de se battre à nouveau. Yuriko ne pouvait décemment l'abandonner. Mais les murs de son domaine l'étouffaient, elle qui n'avait de cesse de lire et relire les lettres de son amant perdu. Elle s'emprisonnait dans la mélancolie et c'était pour cette raison qu'elle fit le choix d'entreprendre un voyage vers un village qui l'éloignerait de tout ce qu'elle connaissait.

" Madame. On m'a chargé de vous dire que le bateau que vous devez prendre est prêt. "

Sortant de ses rêveries, Yuriko se tourna vers un jeune marin, qui, en s'approchant avec un peu de timidité, avait même pris le soin de retirer son chapeau. La jeune femme le salua d'un mouvement de tête polie.

" Je vous remercie pour la commission. Vers quel quai dois-je me diriger ? "

Ce fut alors qu'il pointa du doigt le navire qui l'attendait.

" Souhaitez-vous que je porte vos bagages, Madame ? "

La konohajin agita alors négativement la tête.

" Merci de votre bienveillance, mais cela ne sera pas nécessaire. "

Sa voix était un peu froide, mais toujours empreinte d'un peu de douceur, montrant que celle qu'elle avait toujours été, demeurait là. Elle était juste... fatiguée. Elle se baissa alors pour prendre ses deux malles et se dirigea vers le bateau désigné. Un nouveau départ. Un nouvel horizon.