He is one, they are two [Solo]

Datenshi. Le nom scandé dans la nuit l’avait sorti de son sommeil désenchanté. Pour lui faire oublier ces nouvelles inepties oniriques qui le tourmentaient. Des rêves énigmatiques d’ombre et de sang. La réminiscence de quelques assassinats. Lui toujours au dessus de la victime. Mais sa conscience à l’extérieur de son corps.

Datenshi. Datenshi. La voix venait de partout et de nulle part à la fois. Prononcée d’une douceur éphémère pourtant rehaussée d’une fermeté implacable. Impossible de l’ignorer. Improbable qu’elle ne disparaisse. Ce n’était pas la première fois que cette voix le tourmentait. Et cette fois-ci, il ne pouvait plus y résister. D’un geste sec mais sans énergie, Nikkou écarta les draps de son tatami pour se relever doucement.

Datenshi. Datenshi. Datenshi. Hypnotisé par les ombres qui appelaient son nom d’une doucereuse et séduisante mélodie, le Chûnin se leva sans conviction ni envi. À mi-chemin entre le rêve et la réalité. Il ne pouvait ignorer leur appel. Il ne pouvait ignorer son appel. Il y avait trop longtemps qu’il essayait de l’oublier. De le cacher dans les affres de sa conscience. D’abord les rêves. Maintenant l’éveil. Il n’avait aucune limite. Il voulait sortir.

Dans cette transe trop proche de l’automatisme pour être un effort conscient, Nikkou entrepris de parcourir ses appartements modiques à la recherche de cette voix inconnue et connue à la fois. Rien. Il n’y avait que ce nom. Datenshi. Un appel. Une invocation. Un avertissement. Le Démon ne disparaitrait pas. Il ne serait pas vaincu. Et Nikkou devait plutôt lui trouver un moyen de s’exprimer. Avant qu’il ne soit trop tard. Avant qu’il ne choisisse d’inverser les rôles.

Il n’était pas loin. Nikkou pouvait le deviner. Le sentir. De son regard encore perdu, il le cherchait désespérément. Les yeux d’amande parcouraient de fond en comble ses appartements à sa recherche. Certain de le trouver dans un recoin de ses appartements. À le dominer de sa taille démesurée. À rire dans son coin d’un soubresaut de ses épaules faisant deux fois la taille du Uchiha. Et à l’observer de ses grands yeux rouges. Des trous sans fond d’un rouge électrique. Rien de comparable au Sharingan. Une fenêtre sur l’enfer plutôt que sur le cœur.

Mais rien. Pas la moindre trace de cette forme effilée mais si épaisse qui hantait ses cauchemars. Elle était encore tapie dans les ombres. Et ne demandait qu’à être révélée. À être libérée. Et Nikkou sous son emprise de forcer ses doigts à composer les mudras de son enfance. D’un nuage de fumée, le Chûnin révéla une forme plus sombre de son être. Des yeux rouges sanguinaires et un corps d’une blancheur immaculée surplombée de cheveux hirsutes d’un noir d’encre.

Da-ten-shi. Da-ten-shi. La voix était plus pressante. Plus demandante. Cette tentative de l’invoquer était misérable. Presque une insulte. Il voulait plus. Beaucoup plus. Les doigts tremblants d’une fermeté incohérente, les mêmes mudras furent alors composés. Mais le tribu demandé était bien plus grand. Et pour respecter le vœu des ombres, Nikkou ajouta une plus grande quantité de chakra dans la transfiguration.

L’influx de chakra permis alors de défier l’humanité. Et d’atteindre la monstruosité. L’énergie déforma ses apparences, se jouant de la réalité au profit d’une image encore floue. Une peau légèrement bleuté invoquée des tréfonds de son subconscient. Le visage plissé par des airs démoniaques. Et le rouge sanguinaire de ses yeux prenant une teinte plus orangé. Un feu ardent brûlant dans les tourments d’une sombre forge.

DATENSHI. DATENSHI. DATENSHI. L’appel était plus fort. Demandait beaucoup plus. Sous peine d’un désastre éminent. Le Démon réclamait sa place. Les signes incantatoires toujours maintenus, la nouvelle forme démoniaque continua d’insuffler plus de chakra. Invoquant plus clairement la forme tapie dans son subconscient. Le Henge n’était plus suffisant pour exprimer la noirceur de ses ambitions. L’esprit devait dépasser la seule forme humaine pour s’approprier l'univers cauchemardesque.

Et Nikkou de se laisser aller à cet appel. De cesser toute tentative d’oubli de ses cauchemars pour les embrasser d’un abandon libérateur. Il devait libérer son esprit des contraintes de la réalité. Et accepter l’inconscient. La forme du Shinobi s’assombrit pour devenir une ombre plus vorace et s’élargir dans l’espace pour mieux l’englober. La forme était plus large.  Plus haute. Trop démesurées pour prétendre à l'humanité. Dominant la forme du pauvre shinobi pour révéler l’image invoquée. Et affiché ce que Nikkou refusait d’accepter. Deux appendices de plumes d’encre émergeant de ses chairs comme un amalgame de couteaux tordus. Deux ailes déformées de l’Ange déchu. Datenshi.

”Technique acquise”:

La forme de l’Ange déchu continuait de s’afficher dans les ombres sans pudeur. La forme énorme s’éclipsant au détour d’un coin tourné trop rapidement. Le bruit de deux ailes cassés tranchant l’air lorsqu’une porte était fermée trop rapidement. La lueur des deux yeux de feu brillant lorsque ses yeux se fermaient trop rapidement. Au moindre moment de faiblesse. Il lui apparaissait. Pour le narguer de sa présence incontournable. Pour lui rappeler qu’il ne pouvait se débarrasser de lui.  

L'apparition n’avait pas suffi. L’invocation insuffisante. Il voulait plus. Il avait goûté à la liberté et refusait de retourner de se tapir dans l’inconscient du shinobi. Non, il voulait avoir sa voix. Et Datenshi n’était pas prêt à retourner dans les ombres. Préférant menacer l’intégrité psychique de son autre lui plutôt que d’accepter l’oubli. Et Nikkou de n’être que la victime des soubresauts existentiels d’une entité cauchemardesque.

“Il n’est pas réel – je le suis…”

Les deux mains du shinobi se plaquèrent sur sa bouche devant les paroles honnies. Non. Il ne pouvait lui laisser cette place. Il ne pouvait lui laisser sa place.

“Je rêve, je suis trop fatigué… – non, je suis là.”

Il ne pouvait l’ignorer. Il avait parlé. Il avait eu sa voix. Il était lui. Paniqué, le regard du Uchiha se porta sur la droite et sur la gauche. Personne aux alentours. Aucun témoin de cette possession inattendue. De cette traversion de sa personne au profit d’une autre personne…non d’un véritable monstre.

Il se rappelait le nom murmuré dans la nuit. L’hymne à ce démon des cieux disparus. Datenshi. Datenshi. Datenshi. Cette voix fatiguée. Connue et inconnue. Sa propre voix. Utilisée par autrui. Il avait tenté de l’ignorer. Avait fait semblait qu’elle venait d’ailleurs. Mais il était bien celui qui avait prononcé ce mot. Qui avait invoqué ce nom. Depuis combien de temps était-il donc ainsi possédé? Comment ce démon pouvait-il prendre le contrôle de sa voix? De sa personne.

L’éphèbe ne pouvait l’accepter. Il était Uchiha Nikkou. Datenshi était autrui. Et il ne lui céderait pas la place. Pas plus que sa parole. Maintenant qu’il le concevait, il se refusait à se laisser ainsi contrôler.

“Je refuse, je ne te permettrai pas. Je… – que penses-tu pouvoir...”
“TAIS-TOI – Jamais.”

La tête reposée entre les mains et les yeux remplis d’eau, Nikkou refusait d’ouvrir la bouche. La mâchoire fermement close. Les dents prêtes à céder. Incapable d’accepter que Datenshi avait gagné sa voix…

Depuis des jours, Uchiha Nikkou n’avait donc prononcé mot. Enfermé dans ses appartement, replis dans un coin de son appartement. Un collègue l’avait trouvé des jours plus tard. Les yeux cernés par le manque de soleil. Et complètement muet. Il avait refusé de répondre à toute question de son interlocuteur qui, devant son corps atrophié et ses tics avaient cru bon de l’amener à l’hôpital.

Devant tous les spécialistes, il avait refusé de parler. Trop effrayé qu’il ne soit pas celui à saisir l’occasion pour s’exprimer. La peur d’être découvert comme l’hôte d’une telle aberration. Et la terreur de savoir qu’il avait perdu son combat. Les Eisei-Nin du village ne voyaient rien d’anormal. Pas plus que les Moines du Temple du Feu. Le seul problème apparent était qu’il refusait de parler.

Dans un mutisme toujours sans brèche, Nikkou fut mis sous sédatif pour lui permettre de retrouver ses forces. À son réveil, les différents spécialistes Eisei-Nin avaient été remplacés par un docteur bien différent. Il avait abandonné les tests physiques que les autres médecins lui avaient faits subir. Tous les jours, il venait tout de même voir son nouveau patient pour discuter et lui poser des questions. Toujours doux. Toujours patient. Et toujours sans réponse.

“Tu sais...il y a un moyen par lequel tu peux t’exprimer sans parler.”

L’intérêt piqué au vif, Nikkou releva pour la première son regard vers cet étrange docteur aux techniques sans effet. Avait-il vraiment compris que ce n’était pas qu’il ne pouvait pas parler, mais qu’il ne voulait pas parler.

“Tu peux projeter ta voix grâce au chakra.”

Il s’était prononcé les lèvres fermées, un simple sourire venant plisser ses vieux yeux gris. La voix avait raisonnée dans toute la pièce.

“Les sons sont produits par la vibration de tes cordes vocales qui sont transportées dans l’air. Mais tu peux projeter ces ondes sur un autre medium: ton chakra. Il te suffit de projeter ton chakra pour porter ces vibrations plutôt que d’utiliser le médium de l’air.”

L’explication était simple. Après un bref hochement de la tête, le soigneur lui fit une démonstration des quelques mudras nécessaires. Rien de bien compliqué pour un maître du Sharingan. Peut-être était-ce donc sa solution. Lui donner sa propre voix. Aussitôt, Nikkou tenta de dégager son chakra de tout son corps pour créer un nouveau médium et ouvrit la bouche pour parler.

“Je...”

La voix avait quitté sa gorge comme à l’accoutumée. Et il se tut immédiatement. Il avait senti aussitôt l’intention de l’autre venir le hanter. S’approcher de la réalité pour être prêt à intervenir.

“Tu dois projeter ton chakra à la source même de la voix: ta gorge.”

Évidement. Projeter son chakra dans toutes les directions par l’ensemble de ses tenketsu étaient sans effet ou utilité. Lorsqu’il se préparait à un saut extravagant, son chakra était dégagé dans ses jambes. Lorsqu’il activait son sharingan, son chakra investissait ses nerfs optiques. Et lorsqu’il crachait les flammes des Dragons Uchiha, il investissait ses poumons de chakra. La technique du ventriloquisme devait évidemment partir de sa gorge.

Le Uchiha muet fit donc quelques signes simples tel que montrés et concentra son chakra dans sa gorge. Il laissa l’énergie envahir sa gorge et recouvrir ses cordes vocales pour s’imprégner de leurs fonctions. De la même manière que la première fois, Nikkou laissa enfin se chakra filer, emportant avec lui le lien avec l’origine de sa voix.

“Je suis là.”

La voix était caverneuse. Venue d’outre-tombe pour résonner de ses échos sombres dans la réalité. Datenshi. Plus réel que jamais. Avec sa propre apparence et sa propre voix. Ils n’étaient plus un. Mais deux. Une nouvelle incarnation de la folie Uchiha.

Technique acquise: