Harder Better Faster Stronger - Entrainement

An 10 -

Le marché Uzujin débordait d'activité.

Ça et là, des commerçants haranguaient les passants, faisant de grands tours de bras et clamants les propriétés exceptionnelles de leurs produits. Il y avait cet homme au village balafré, taciturne, qui battait le fer de son marteau produisant des gerbes d'étincelles, supporté par sa fille hurlant à qui veut l'entendre les propriétés exceptionnelles du fer issu des montagnes de la foudre. Il y avait ce maraîcher au visage arrogant, qui semblait se moquer des passants aux visages émerveillés par les odeurs dégagés de son étal aux fruits exotiques. Il y avait cette troupe d'artistes, concentrés dans leur danse et musique ancestrale, entourés par une foule perplexe et fascinée. Il y avait ces deux femmes s'affrontant sur un ring de fortune, tentant d'aller remporter le prix d'un tournoi improvisé sur le tas et encadré par deux gardes Uzujins réquisitionnés par des badauds.

Bref. Ca chantait, ça dansait, ça riait, ça criait, ça vivait. On sentait que la fête du printemps arrivait.

Une jeune fille se promenait parmi les étals, l'air malicieux. Elle avait réussi à obtenir une dragée orientale de la part d'une marchande touchée par sa face angélique, et elle se laissait maintenant porter par la foule, locale émerveillée par toutes ses splendeurs d'un autre monde. Tout, dans les odeurs, dans les sons, dans l'ambiance, ne pouvait que la faire rêver. Ses prunelles d'enfant se teintaient de toutes les émotions du monde à chaque nouvelle découverte, et les passants ne pouvaient s'empêcher de sourire en la croisant.

Hum.

Presque tous les passants.

Car un vieil homme la regardait avec un air courroucé. Il était impressionnant, dépassant d'une tête tous les visiteurs et arborant une balafre partant de son arcade sourcilière droite pour se finir sur sa joue. Les bras croisés, il semblait tel un roc, inamovible. Ses muscles impressionnants dissuadaient n'importe qui de le bousculer, à moins que ça ne soit sa veste au riche tissu qui arborait un symbole lourd de sens.

L'Octogone et les trois barres. La symétrie parfaite et l'unité. La rigidité et la rigueur.

Miyamoto.

Le géant s'approcha de l'enfant, et se saisit d'elle dans la stupeur générale. Sa barbe et ses cheveux longs valsèrent quand il se baissa et remonta aussi sec, tenant la jeune fille sur son épaule comme on porterait un baluchon. Ses tempes grossissant sous l'effet de la colère, il quitta le brouhaha du marché, insensible aux protestations de l'enfant ainsi qu'à ses coups ridiculement faibles.


"Si tu veux assumer tes fugues, fais le sérieusement."

Telles furent les premières paroles qu'eut Miyamoto Ryukai à l'intention de Miyamoto Aya, après qu'il l'ait lancée un peu brutalement au milieu de la cour est du domaine. La jeune fille se releva un peu pour s'assoir, considéra un instant l'idée de fondre en larmes mais le regard intransigeant du vieil homme l'en dissuada complètement. Il était glacial.

"Tes autres professeurs te laissent peut-être faire ce que tu veux, mais ne t'y habitue pas avec moi. Mon rôle est de faire de toi une guerrière, pas une poète cultivée ou je ne sais pas quoi. Tant que tu seras toujours une pleurnicheuse, je ne te laisserai jamais tranquille. Et encore moins..."

Il s'avança vers la jeune fille et approcha son visage d'elle, chuchotant :

"sécher mes cours. Me suis-je bien fait comprendre ?!"

Aya n'était pas comme ses frères et sœur. Si le vieux croyait lui faire peur, il se trompait lourdement. Pleine d'ardeur, elle répondit instantanément, rugissant :

"Je suis pas une pleurnicheuse ! J'ai pas peur de toi, et j'ai pas besoin de ton cours. Je suis mille fois plus une guerrière que n'importe qui au dom..."

Un éclair passa dans les pupilles de Ryukai et il lui asséna une gifle.

C'était la gifle la plus magistrale que la jeune fille avait pris de sa vie. Elle l'envoya valser sur plusieurs mètres, et la fit faire plusieurs roulades sur elle même. Sa tête sonnait. Elle avait l'impression qu'un buffle venait de l'avoir chargée. Elle hurla de douleur, et des larmes se mirent à couler sur ses joues.

"DEBOUT ! LES GUERRIERS NE PLEURENT PAS, ILS ENCAISSENT !"

Le vieil homme attrapa le bras de la jeune fille, et la remit violemment debout.

"Tu es faible. Un vrai homme n'aurait jamais flanché sur une gifle comme ça. Regarde toi, tu es pathétique. Tes coups sont ridicules, et ton physique l'est tout autant."

Il recula légèrement, dominant la jeune fille de toute sa taille.

"Fais moi tomber."

Aya mit quelques secondes à comprendre la demande de son professeur, encore un peu sonnée par la vitesse à laquelle les évènements avaient évolué.

"Co... comment ?"

"Fais moi tomber. C'est ta première tâche."

De l'an 10 à 11 -

La petite vie d'interdits d'Aya avait vite évolué. Si elle n'avait pas de gros problèmes à sécher la plupart de ses cours, elle ne pouvait jamais échapper à Ryukai.

Peu importe ses plans, ses idées, il la retrouvait toujours. Alors, il l'attrapait, il la jetait dans la cour est, et il se plantait debout. Puis, de ses yeux bleus incisifs, il la regardait en croisant les bras. Et il attendait. Alors, si les escapades de la jeune fille furent nombreuses dans les premières séances, elle arrêta bien vite de le faire, comprenant l'impossibilité de la tâche.

Alors, elle essaya de l'affronter directement. Certes, il était large, mais personne n'était invincible. Une fois, elle lui fonça dedans, essayant de le plaquer comme si il s'agissait d'un sport, mais il ne bougea quasiment pas. Au contraire, il se saisissait d'elle par la taille avant de la re-balancer loin de lui, dans la cour. Mais la Miyamoto était têtue, et acharnée.

Alors, ce vieux crouton voulait lui pourrir la vie ? Alors, il l'empêchait de faire ce qu'elle voulait en la capturant quoi qu'elle fasse ? Il était juste là, dans sa cour, à la toiser avec son petit air imperturbable. Oh, il allait voir ce qu'il allait voir ! Elle devait le faire tomber, non ? ALORS ELLE LE FERAIT TOMBER !

Ainsi, inlassablement, elle le chargeait, il l'attrapais, et la jetais. Encore, et encore, et encore. Les bras d'Aya se couvrirent de bleus, ses vêtements se trouaient et ses jambes se couvraient de plaies à force de tomber dans les gravillons, mais la rage de la jeune fille ne s'en trouvait que décuplée. Elle chargeait, chargeait, chargeait...

Mais cela ne marchait pas.

Elle dût se rendre à l'évidence : Si cela aurait pu marcher contre des adversaires de son niveau, lui, il était trop fort. C'était juste une punition, alors ? On la forçait à rester dans cette foutue cour pendant des heures, et elle n'avait aucun moyen de faire tomber son bourreau pour qu'il l'a laisse ?

Après ce qui lui semblait être le milliardième échec, au lieu de le charger une nouvelle fois, la jeune femme vacilla en se relevant et se laissa tomber. C'était trop pour elle. Entre chaque séance, les cicatrices de ses jambes ne cicatrisaient pas toutes complètement, et à force de se rouvrir elle avait le plus grand mal à rester stable sur ses deux jambes. Ses appuis la lâchaient complètement.

Ses appuis. La lâchaient.

Ses appuis.

Le regard de la jeune femme descendit légèrement. Du visage froid du vieil examinateur, il passa sur son torse musculeux pour finalement s'arrêter sur... ses deux jambes fermes.

Une lueur passa dans les yeux de Ryukai. Aurait-il souri ?

Technique apprise:

An 11 - Matin de janvier.

Deux combattants se font face.

A droite, une jeune fille aux cheveux ébène et au regard mauve. Ses yeux reflètent toute sa passion et sa rage. Vêtue d'un bout de tissu fin lui dissimulant sa future poitrine et d'un pantalon souple mais troué malgré le froid de ce matin d'hiver, son feu interne lui procurait suffisamment de chaleur. Ses pieds nus dans la neige laissaient de petites empreintes, mais elle ne se laissait pas déstabiliser par les flocons tombant doucement autour d'elle. Tout dans sa posture et son attitude reflétait son envie de triomphe.

A gauche, le vieil homme irradiait la puissance et l'expérience de son âge avancé. Il était tout aussi, si ce n'était plus, dénudé que l'enfant qui allait l'affronter, mais il avait les bras croisés et ses yeux ne quittaient pas ceux de la jeune fille, la mettant au défi d'oser l'attaquer. Mais il savait pertinemment qu'elle franchirait cette appréhension que toute personne normale aurait eue face au colosse, comme elle l'avait toujours fait par le passé. Il l'attendais.

Elle hésitait un peu, tournant légèrement autour du grand Miyamoto. Depuis des mois et des mois, elle avait essayé de porter ses attaques sur le seul point qu'elle avait compris comme sensible pour réussir à renverser cette montagne qui lui servait d'adversaire : ses jambes. Mais elles étaient comme des troncs d'arbre fermement plantés dans le sol, que rien ne pourrait jamais faire vaciller. C'était comme tenter de vider l'océan avec un gobelet, ou souffler plus fort que le vent. Une tâche impossible.

La Miyamoto sourit.

L'assaut commença. Elle se baissa soudainement pour faire quelques pas rapides vers l'homme, avant d'asséner une série de coup sur son abdomen pour tenter ensuite d'abattre son genou sur sa jambe droite. Il para les coups sans grande difficulté, et le coup de genou ne le fit pas flancher. Au contraire, si la jeune fille ressentait une grande douleur dans son genou, lui s'avança d'un pas pour se saisir d'elle, et l'envoya valser au loin.

Elle se réceptionna, et se remit en garde.

Elle bondit, glissant en retombant au sol sur la neige mais se releva aussitôt, arrivant de nouveau au contact du vieil homme. Gauche, droite, gauche, se baisser, se relever, gauche encore, coup de poing, de pied, attrapage, lancer.

Nouvel échec.

Elle sentit ses pieds flancher sur sa réception, mais elle tint bon. N'avait-elle pas appris à souffir, cette dernière année ? Une nouvelle fois, elle se lança de toutes ses forces sur son professeur, qui, une nouvelle fois, repoussa son assaut avant de mettre son étreinte impossible à briser sur sa taille. Elle allait encore s'envoler une nouvelle fois !

Prise de panique, elle essaya de se dégager, mais cela n'eut pour seul effet que de la faire glisser sur la neige. Elle tomba sur les fesses, et ses jambes vinrent faucher celles de son professeur.












Il trembla.











Tout se figea. La chute de la Miyamoto, la jambe de son professeur, les flocons autour d'eux, l'étendue de neige blanche, le vent, le soleil, la température. Tout s'arrêta pendant une micro seconde. Seul le cœur de la jeune femme battait encore.

Il avait tremblé !

Il se saisit d'elle pour la lancer de nouveau, et elle rata sa réception, roulant encore sur quelques mètres. Elle se releva aussi vite que l'éclair, plus fébrile que jamais. En ce matin, le colosse avait flanché !

Elle repartit à l'assaut. Elle essaya de le faucher. Il résista. Pas assez fort. Elle vola.


Elle repartit à l'assaut. Elle essaya de le faucher. Il résista. Toujours pas assez fort ! Elle vola.


Elle repartit une nouvelle fois à l'assaut. Au moment de le faucher, elle se redressa afin d'être en appui sur seulement sa jambe gauche et, de sa jambe droite, elle vint asséner un violent coup de droite à gauche. En pivotant sur elle même.

Elle toucha la jambe droite, puis la jambe gauche. Le vieil homme trembla, trembla...

Et tomba.

Il se retrouva par terre, aux cotés de son apprentie. Pour la premières fois depuis des mois et des mois, alors que son grand corps laissait une marque profonde dans la neige, il se fendit d'une parole. Une parole si simple, mais qui avait tellement de valeur pour la jeune fille qui jamais n'oublierait cet instant.

"Bien joué."

Technique apprise:

An 11 - Matin de janvier. Encore.

Il était toujours là, toujours le même jour.

Aya s'était présentée au cours plus par habitude que par réelle envie, s'attendant à ne pas trouver son vieux professeur. Après tout, elle avait accompli sa tâche, non ? Elle devait être libre maintenant ?

Mais voulait-elle vraiment être libre, désormais ? Elle avait tant souffert, tant enduré, pour au final arriver à son objectif pourtant si simple, tout ça pour que ça se finisse maintenant ? Elle était devenue plus forte, plus ingénieuse, plus motivée, et avait réussi là où elle pensait ne jamais réussir, tout ça pour que ça se finisse MAINTENANT ?

Alors, elle était retournée dans cette satanée cour est. Et il était là. Tout aussi dur et froid que d'habitude. Cette froideur qu'elle avait appris à apprécier et à respecter avec le temps. Et pourtant, elle sentait dans son regard une lueur différente de celle qu'il avait l'habitude d'avoir en la regardant. Elle ne saurait dire ce en quoi elle consistait, mais elle ne put s'empêcher d'en ressentir une certaine fierté.

C'est alors que sa voix grave et profonde se fit entendre.

"La dernière fois, tu m'as fait tomber. C'était bien. Tu as fait tomber un ennemi qui ne se défendais pas, et qui ne bougeais pas."

La dernière phrase vint faire frisonner la jeune fille. Elle sentit son cœur se glacer d'horreur en réalisant à quel point il disait vrai. Il s'était laissé faire. Et pourtant il lui avait fallu presque une année entière d'efforts pour réussir à un exercice si simple. Elle baissa les yeux un instant avant de les remonter de nouveau sur son professeur, le voyant sous un jour nouveau.

Il était terrifiant.

"Seconde tâche. Fais moi tomber."

Le professeur pris une inspiration, et décroisa les bras. Il recula légèrement sa jambe droite, et pris une posture martiale, un bras devant et un bras derrière, les jambes fléchies.

Et la Miyamoto compris alors que la seconde tâche serait encore plus impossible que la première.

An 11 à 12 -

Se battre contre un ennemi qui vous surclasse totalement, c'est une sensation indescriptible.

On est comme face à une tempête, impuissant et tellement chétif par rapport à l'ampleur de la montagne que l'on doit faire flanchir. On essaye d'avancer dans les éléments déchainés en se cramponnant aux quelques rares prises que l'on peut trouver, mais le vent implacable qui s'abat sur nous est inhumain. On manque de chuter, on perds tous ses repères, tous ses appuis, mais pourtant la détermination reste intact.

La Miyamoto essayait de gravir cette montagne. Ses yeux mauves luisaient d'une rage de vivre plus intense que jamais, et elle endurais toute les épreuves que le destin mettait sur son chemin. Elle subissait les tempêtes de plein fouet, chancelant mais tentant de stopper le vent glacial qui l'assaillait par ses bras croisés devant elle. Elle virevoltait dans les blizzards les plus obscurs, tournoyant et ripostant vers cet ennemi invisible mais implacable, tentant par sa simple vitalité d'endurer le déchaînement de nature qui s'abattait sur elle. Mais, partout ou elle allait, une chose la suivait en permanence. Des plus hauts pics des plus grandes montagnes aux abîmes profonds débordant de lave mortelle, elle ne pouvait jamais échapper à cette apparition qui la traquait en permanence.

Les deux yeux bleus glacés.

Aya n'était plus la maîtresse de son entrainement. Elle n'était plus celle qui réfléchissait, celle qui planifiait. Elle n’avait plus qu'un seul but en tête : survivre. Dès qu'elle osait porter le moindre coup à son professeur, sa réplique se faisait sentir et balayait tous les acquis de la jeune femme comme des fétus de paille devant l'ouragan qu'il était.

Alors, ils se mettaient à danser. C'était une danse brutale et cruelle, une danse faite de chocs et de douleur. Mais c'était la danse la plus exaltante que la Miyamoto avait jamais eu l’occasion de rencontrer ! Les bals, les danses traditionnelles ou les danses d'usage pour toute femme ayant un rang supposé aristocratique pouvaient aller pourrir en enfer ! C'était ça que la jeune fille avait envie de danser, danser et danser encore, jusqu'à la toute fin de son existence. En ces brefs instants, elle ne vivait que pour danser face aux éléments, et pour sentir plus que jamais sa vie si fragile se faire violenter comme jamais face aux plus noires abimes. Mais c'était dans les moments les plus noirs, ou la flamme de sa vie semblait se réduire le plus qu'elle se mettait à luire comme un phare venant éclipser l'obscurité.

Alors, elle se relevait. Et elle retournait danser.

Qui sait combien de mois passèrent ? Qui sait combien de coups la jeune fille prit, et combien elle ne réussit pas à porter à son vieux professeur ?

Cela avait-il seulement une importance ?

Car, un jour, la jeune fille finit par entrevoir une lumière dans l'obscurité. Elle vit un affaiblissement dans le vent, un peu de chaleur dans le blizzard. La montagne avait-elle baissé ? Les abimes étaient-elles moins profondes ? La douleur était moins présente, et elle semblait maintenant capable de pouvoir penser.

Malgré tout le déchainement de violence dont elle était la cible, elle était désormais capable de percevoir son environnement. Etait elle vraiment en train de subir la morsure acérée d'un typhon ? Non ! Elle était dans un duel. Elle le voyait. Et, si elle le voyait...

Elle pouvait se battre.

An 12 - Après midi pluvieux d'automne.

Un petit comité d'épéistes, à l'abri sous le porche non loin, observaient la rencontre avec intérêt. Si tous savaient qu'Aya et Ryukai s'affrontaient régulièrement depuis le début de l'entraînement de la jeune fille, il était devenu une habitude pour certains fiers Miyamoto au temps précieux bien trop utilisé de se détendre en observant leurs passes martiales. L'un d'eux, une femme d'une quarantaine d'année inquiète pour la santé des combattants, se proposa d'aller les interrompre pour leur signaler de s'abriter, mais un homme au regard fier l'arrêta bien vite. Il sentait que quelque chose pourrait arriver.

Un sourire carnassier se dessina sur les lèvres de la jeune fille.

Ses pieds nus boueux ne gênaient en rien ses mouvements, et la pluie ne venait que galvaniser les muscles tendus de la Miyamoto. Comme toujours, son vieux professeur lui faisait face, l'air grave. Ses cheveux volaient au vent, et sa longue barbe n'était plus qu'une serpillère sale, couverte de la boue soulevée par leurs impacts.

Peut-être en son for intérieur était-il impressionnée par l'évolution de sa protégée, qui en l'espace de quelques années était passée d'une cible facile à une combattante décente capable de résister à des assauts intenses, mais il ne le laissait pas paraître. Tout aussi capable que la jeune fille soit, il lui manquait toujours un océan d'expérience et de connaissances pour espérer vaincre un maître de taijutsu. Alors, il se tenait là, lui apprenant la réalité du combat par la meilleure et seule façon de le faire, une façon plus ancienne que le monde lui même.

L'expérience.

En un éclair, la Miyamoto s'élança. Elle avait expérimenté un grand nombres d'approches, mais elle s'était toujours heurtée au mur implacable qu'érigeait son professeur. Peu importe ses feintes, sa précision, sa créativité, elle se retrouvait toujours au même point.

Une souris face à un éléphant.

Mais aujourd'hui, elle était inspirée. Peut-être étais-ce la météo, ou peut-être étais-ce dans l'air, mais elle avait une idée. Une idée si simple qu'elle lui avait échappé, mais qui pourtant plus elle y pensait, plus elle lui semblait être une évidence.

Ryukai, lors du début de la seconde tâche, avait bien précisé qu'il se défendrait. Mais, à quoi bon ? La première tâche lui avait appris qu'en ciblant intelligemment les bons endroits, elle pourrait trouver des failles. Mais, alors, pourquoi devait-elle se creuser les méninges à essayer de réitérer l'enseignement de cette première tâche ? Depuis toutes ces années, son corps et ses compétences s'étaient renforcées. Devait-elle encore chercher à cibler ?

Défendre. Il avait dit qu'il se défendrait.

Elle n'était pas assez forte pour passer sa défense.

Alors elle ne devait pas la passer.

Elle devait s'en servir.

Au moment d'enchainer avec un combo classique, la Miyamoto recula légèrement... Et tourna sur elle même. Très très vite.

Et elle hurla à plein poumons en déchainant un coup de pied de toute sa force contre la défense de son éternel adversaire.




Une exclamation retentit dans l'assemblée d'épéistes.




Le maître avait glissé. Des sillons s'étaient formés dans la terre, là ou il se tenait quelques mètres auparavant. Il était toujours debout, mais la violence de l'impact l'avait fait glisser dans la terre meuble de quelques mètres.

Incrédule, la Miyamoto se réceptionna tant bien que mal, regardant pendant quelques secondes ses pieds, comme surprise de sa propre force. Ryukai baissa ses bras avant de reprendre sa pose habituelle.

Mais, Aya en jurerai, une lueur d'espoir dansait dans ses pupilles.

An 12 - Soir humide d'automne

C'était arrivé une fois.

Peu importe la puissance qu'Aya mettait dans ses coups, jamais elle ne réussit à dépasser l'exploit qu'elle avait accompli. Il bougeait, il bougeait ! Mais pourtant ça restait insuffisant.

Mais cela ne décourageait pas la jeune fille, et encore moins la foule de Miyamoto qui avait grossi depuis le début de l'après midi. Oh, qu'ils étaient ravis de voir une petite pousse de leur grande pépinière commencer à s'épanouir pour devenir une fleur magnifique ! C'était l'illustration de leur méthode millénaire, la démonstration de leur savoir implacable. L'effort et la rigueur payait enfin. Certes, la rigueur d'Aya n'était absolument pas négligée, mais elle faisait partie du deal. C'était le cours des choses.

Mais qu'il était satisfaisant de le voir en œuvre.

Car la jeune Miyamoto n'abandonnait pas. Non, non et non ! Pas après avoir tant avancé. Elle y était, au bord du précipice. Le colosse était acculé et ne pouvait plus reculer, il ne lui restait plus qu'à tomber !

Elle fit un bon impressionnant, droit vers Ryukai. Elle tourna une fois. Elle tourna DEUX fois. ELLE TOURNA TROIS FOIS. ELLE TOURNA QUATRE FOIS. ELLE TOURNA CINQ FOIS !

"TOOOOOOOOOOOOOOOOMBE !!!!!!!!!!!!!!"

Le pied frêle de la jeune fille atterrît droit sur la garde de Ryukai, qui avait croisé ses deux bras. Le choc fut si puissant qu'une détonation se fit entendre, et une gerbe de boue fut propulsée à très grande vélocité sur l'assemblée qui s'exclamait à chaque action. Ils furent obligés de fermer les yeux...

Pour les rouvrir sur un Ryukai au sol.

Et une Aya debout.

Elle hurla sa joie, et tous hurlèrent avec elle. Une foule d'épéistes vinrent l'entourer, se saisissant d'elle pour la porter en célébration. L'enfant était sur un nuage, réalisant à peine l'exploit dont elle avait été l'auteur. C'était un truc de fou. C'était. Un truc. De fou.

Un homme cependant, aux cheveux sombres et aux yeux océan, vint s'accroupir auprès du vieux Miyamoto qui s'était redressé avec difficulté. De nombreuses petites contusions s'étaient accumulés sur les membres noueux du maître, mais les deux hommes cachaient assez mal leur satisfaction.

"Vous m'aviez pas menti. Elle a tout le potentiel d'être une grande maîtresse de la terre."

L'homme plus jeune ne répond dit rien, mais son regard fier se tourna vers Aya qui était en pleine célébration.

En cet instant, il était fier d'être son père.

Technique apprise:

1er jour de l'An 13 - Aurore Crépusculaire

L'homme qui faisait face à Aya n'était pas son professeur habituel.

Il était bien plus jeune, d'une vingtaine d'années, et avait un sourire hautain qui débordais de confiance en soi. Il était fin et élancé, et sa musculature semblait avoir été sculptée par un artiste talentueux. Il était grand, mais pas aussi grand que Ryukai. Ses cheveux ébènes, typiques du clan Miyamoto, étaient suffisamment courts pour qu'il puisse les laisser libres mais suffisamment longs pour que des mèches puissent venir jouer sur son visage. Ses yeux verts en amande reflétaient une ardente passion, ainsi qu'une rare ardeur.

Il n'était pas massif, il n'était pas titanesque. Il n'était pas vieux, et n'avait pas l'air d’avoir vécu toutes les guerres du monde. Mais il dégageait le même sentiment de puissance que la jeune fille avait pu ressentir irradier de son vieux professeur.

Ils se firent face en silence quelques instants, la lumière rougeoyante du soleil venant à peine de se lever venant colorer leur peau d'une teinte orangée tandis qu'un léger vent venait soulever leur cheveux et vêtements. Les yeux de l'éphèbe parcoururent le corps de d'Aya avec un intérêt mal dissimulé, et finalement il s'exclama :

"Ça doit être toi. Oui, c'est toi, c'est sur !"

Il croisa les bras, avant de continuer à parler sur un ton plus calme.

"Le vieux ne peux plus assurer ton entrainement. Tu as franchi les deux étapes essentielles à tout apprenti qui essaye de toucher le firmament des arts martiaux. Tu as appris assez pour vaincre n'importe quel plouc en combat rapproché."

Il marqua une pause, et les yeux verts se plantèrent dans ceux mauves de la jeune fille.

"Et beaucoup jugeraient cela suffisant."

Nouvelle pause. Il fit un grand sourire.

"Tu dois pas avoir l'habitude qu'on te parle comme ça, hein ? Le vieux était pas bavard, c'est sur ! Mais moi, je fonctionne différemment. Je trouve pas ça suffisant !"

Il serra le poing, brandissant le bras en l'air.

"Le jour ou tu rencontreras quelqu'un qui aura été formé aux bases de l'art martial, tu vas galérer. Le jour ou tu rencontreras un maître, tu vas te faire démolir. Le vieux t'as appris à cogner, et à encaisser. MAIS C'EST PAS SUFFISANT !!"

Il ouvrit ses deux bras en grand.

"Je te propose un truc. La troisième et dernière tache de tout entrainement Miyamoto, la tache ultime. Mais sache que c'est extrêmement difficile, et j'en sais quelque chose."

Il forma un 4 avec ses doigts.

"Nous sommes 4 à avoir réussi. Moi, le vieux, et deux autres. Cette tâche fera de toi une véritable combattante, une maîtresse de la terre. Mais tu peux échouer ! Tu peux y passer 20 ans de ta vie sans jamais la réussir ! C'est un défi presque impossible, un défi qui te fera souffrir et douter de toi même. Tu vas cracher du sang, tu vas te faire pousser dans tes derniers retranchements !"

Il ferma ses bras, et, toujours avec un grand sourire, posa une simple question.

"Alors, est-tu prête à relever le défi ?"

Le cœur de la jeune fille battait plus fort que jamais. Elle n'avait pas raté un seul mot du discours du nouveau venu. Peut-être étais-ce sa beauté absolue, la puissance qui résonnait dans chacun de ses mouvements, ou la dangerosité de la tache qu'il présentais, mais les joues d'Aya rosirent comme jamais. Elle pouvait entendre ses tempes battre. Elle était plus prête que jamais.

"Je vais pas baisser les bras ! J'y arriverai !"

Le sourire de l'homme devint encore plus grand, et il éclata de rire. C'était un rire cristallin, comme un rire d'ange venu tout droit des cieux. le soleil vint se mettre dans sa nuque, l'illuminant comme si ses cheveux venaient de s'enflammer. Son rire finit par faiblir, et c'est alors qu'il pris position.

Une posture d'attaque. Elle ressemblait beaucoup à celle de Ryukai, mais ses mains étaient un peu plus incurvée. La jeune fille se mit également en posture, ce qui sembla amuser l'éphèbe.

"TACHE NUMÉRO 3, DERNIÈRE TACHE...

FAIS MOI TOMBER !"

Et il s'élança.

De l'an 13 à 14

Miyamoto Shiro, tel était son nom. Shiro n'était pas issu d'une branche Miyamoto aussi riche et aristocrate que celle d'Aya, mais il avait prouvé sa valeur au clan tout entier en atteignant le 3eme cercle lors de ses 20 ans, nomination qui se fit sans grand mal malgré la précocité d'une telle promotion devant les exploits qu'il avait déjà accompli.

Et en combat, il n'était pas bon. C'était un génie.

Il n'enseignait pas comme Ryukai enseignait. Si le vieux sage était un monolithe de silence, brut et puissant, Shiro était un vrai félin. Il jouait avec la jeune femme, ne pouvant s'empêcher de souligner ses erreurs avec un ton moqueur.

"Trop lente, trop lente. Trop lente. Trop lente ! Encore trop lente, haha. Ettt trop lente."

Elle pouvait l'entendre répéter cette phrase encore et encore, si bien qu'elle s'était gravée dans sa tête et qu'elle l'entendais même dans ses rêves. Trop lente ! Mais en même temps, il était si rapide... C'était toujours pareil.

Il chargeait et disparaissait, pour réapparaitre en dehors du champ de vision de la jeune fille. Sa vision basculait, et en un rien de temps elle se retrouvait les quatre fers en l'air. Elle ne parvenait pas à le suivre des yeux ! C'était ahurissant.

Un soir, alors qu'elle haletait au sol, il était venu s'assoir à coté d'elle. Il ne semblait pas éprouver du remords à l'envoyer violemment au sol en boucle, bien au contraire. Son espèce d'étincelle de joie ne semblait jamais le quitter, même quand il accomplissait les plus basses besognes.

"Tu t'es trop habituée au vieux. Il était tout dans la puissance et la force. Combattre un type comme lui et un type comme moi, ça n'a rien a voir. On a pas le même profil ! C'est comme si tu devais tout reprendre à zéro, au final."

Un autre jour, il avait dit juste avant d'envoyer Aya faire un nouveau vol plané :

"Au final, t'as un peu le même profil que moi. Tu pourra pas devenir une golgoth comme le vieux. Faut que tu te trouves un autre atout. Et ça peut être la vitesse ! Maaaais t'es trop lente."

Trop lente. Trop lente. Trop lente.

Elle ne voyait que des bribes de son adversaire avant qu'il ne la touche. Trop lente.

Quand elle sentait le contact dans son dos, elle savait qu'elle avait perdu. Trop lente.

Dès fois, le vieux venait observer en silence. Il s’asseyait, et ses yeux glacés se fixaient sur la jeune fille sans jamais la lâcher. Il restait ainsi quelques minutes, et il repartait. Cherchait-il à évaluer ses progrès, à constater sa faiblesse effective devant ses nombreux échecs ? Même Shiro ne le savait. Et, de toute façon, si il le savait, il n'en aurait pas informé la jeune apprentie.

Elle n'avait pas encore prouvé qu'elle méritait de le savoir.

An 14. Matin d'automne.

Depuis quelques séances, la genin avait eu une inspiration. Elle était incapable de dire si elle était sur la bonne voie, et ce n'était surement pas le génial Shiro qui allait l'éclairer. Il ne faisait que se moquer, taquiner, asticoter, mais sans jamais donner vraiment d'indices. En un sens, il était tel Ryukai, respectant de fait l'ancestrale loie du combat.

Apprends par toi même.

Et c'est bien ce que la jeune fille comptait faire.

Cela faisait des mois et des mois que le vieux professeur n'était pas venu, et Aya était sure que c'était de déception. Elle ne faisait que se faire rosser encore et encore, sans jamais pouvoir ne serai-ce que riposter ! C'était une voie sans issue.

Tout était toujours pareil. Il était là, il n'était plus là. Sans un bruit, sans un geste annonciateur, il était derrière la Miyamoto. Encore, et encore. Elle ne POUVAIT pas le suivre.

Alors, ignorant la légère pluie qui s’abattait sur ses épaules, elle se mit en garde dans un craquement de feuilles mortes qui bruissaient sous ses pieds.

Et elle ferma les yeux.

Un grand rire provint de l'endroit où se tenait Shiro.

"Tu crois vraiment que ça va arranger ton cas ?! T'es pas fichue de voir où je vais avec tous tes sens, alors arrête ça tout de suite !"

Mais Aya sourit, et garda les yeux fermés. Elle commençait à connaître le fier Miyamoto. Et, même sans le voir, elle pouvait l'entendre dans sa voix.

Il exultais.

"Très bien. Comme tu voudras."

Woosh. Un léger bruit, une pression dans son dos, et là voilà qui s'envole.

"Tu vois ! T'y arrivera pas comme ça !"

Elle n'arrivait pas mieux à le suivre des yeux, c'était une certitude. Et elle était très loin de pouvoir ne serai-ce que le toucher.

Mais elle l'avait entendu.

Ce bruissement d'air, fugace. Cette pression. Elle l'avait senti. Et si elle sentait, elle pouvait riposter. Finalement, étais-ce là la clef ?

An 14 - Soir d'Hiver

C'était la clef. C'était la clef. C'était la clef. C'était la clef.

La jeune fille avait cousu un bandeau rudimentaire qu'elle s'était mit sur les yeux afin de résister à la tentation de regarder son adversaire. Ainsi, dès que l'entrainement débutait, tout l'univers d'Aya disparaissait pour ne laisser place qu'à l'obscurité.

Et pourtant.

Cette obscurité très violente, la Miyamoto avait petit à petit appris à la dompter. Elle n'était plus aussi perdue, aussi déboussolée qu'au début. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle commençait à discerner de mieux en mieux son adversaire.

C'était comme si elle entrevoyait une présence. Elle ne le voyait pas venir, mais elle le sentais. Il se passait quelque chose, quelque chose qui venait troubler le calme de l'obscurité interne d'Aya. Et Shiro ne faisait que la conforter dans son hypothèse, à sa façon, bien sur.

Trop lente. Quand le Miyamoto lui disait ça à chaque erreur, elle pensait simplement qu'il lui reprochais son manque de vitesse et qu'elle devait s'améliorer. Mais le maître d'art martial continuait cependant à lui rabâcher le même reproche. Trop lente. Trop lente.

Tu es trop lente pour te battre comme tu veux te battre.  

Alors, Aya s'était accrochée par pur défi, mais elle dût accepter son erreur. Il était juste trop rapide pour elle. Mais avec le bandeau, c'était différent.

Aveugle.

Voilà ce qu'il disait. Aveugle, aveugle. Pas stupide. Pas qu'elle se trompait, pas qu'elle suivait une mauvaise méthode. Non, elle était aveugle.

Alors il ne lui restait qu'a réussir à ouvrir les yeux.

Elle se mit en posture. Le froid lui paraissait encore plus mordant que d'habitude sous ses pieds nus, mais elle se gardait bien de faire des commentaires. Elle sentait ses jambes plus fatiguées que jamais, et ses muscles mis à rude épreuve encore et encore qui réclamaient du repos, mais elle devait faire abstraction. ELLE DEVAIT FAIRE ABSTRACTION !

C'était si difficile. Chaque pas, chaque mouvement lui rappelait la réalité de son corps de jeune fille qui était martelé par ses professeurs quand il ne l'était pas par son père. Sans les miracles Omura, elle serait déjà en miettes, mais pourtant elle n'avait pas le droit de se plaindre. Comment aurait-elle pu ?

C'était sa destinée, son fardeau. Sa vie, et son cauchemar. Sa façon de toucher la liberté, et sa prison.

Elle était les écorchures d'Aya. Elle était les muscles fatigués d'Aya. Elle était le corps amoché d'Aya. Mais elle était le moral inébranlable d'Aya.

Et elle avait besoin de silence.

Tout devint noir.

***

Plus noir que jamais ça n'avait été noir. Plus rien ne venait troubler son être intérieur. Elle avait l'impression d'être face à un lac obscur, parfaitement calme.

Elle entendit un bruit. Une goutte tomber dans l'eau. Une autre, une autre, encore une autre.

Elle le sentit. Elle le sentit plus fort que jamais, plus intensément que jamais. IL ÉTAIT LA !

***

L'attaque de Shiro venait de tout droit. Elle était simple mais brutale, sans grande finesse mais d'une vitesse ahurissante. Comme pour ce qui lui semblait être la millième fois, le poing du maître s'abbatit droit sur la Miyamoto...

Et le temps s'arrêta.





La Miyamoto croisa les bras, et bloqua le coup.





Shiro écarquilla les yeux, alors que la violence de son coup fit reculer la jeune fille de plusieurs mètres, la faisant creuser des sillons dans la terre. Il se figea, et retint son souffle. Elle vacilla un instant, d'un coté, de l'autre. Mais elle resta debout.

Le maître s'approcha, l'air grave. Délicatement, il vint lui oter son bandeau, et la lumière vint faire pleurer la jeune fille dont les yeux n'étaient plus habitués au soleil. Pour la première fois depuis qu'ils s'étaient rencontrés, Shiro ne souriait plus.

"Tu n'auras plus besoin de ça maintenant. Tu viens d'apprendre un truc basique pour tout grand amateur de tai, mais c'est ce qui sépare parfois le novice du maître. Ce truc..."

Il recula, et asséna un crochet surprenant et rapide droit sur la joue de la jeune fille, qui réussit à le stopper avec sa main.

"C'est l'instinct."

Et, sur ce, il s'en alla, écartant délicatement la main d'Aya pour venir lui caresser une dernière fois la tête avant de partir avec un dernier geste d'au revoir.

Et plus jamais la jeune fille ne revit Shiro.

Technique apprise:

An 15 - Printemps Orageux.

"Pour devenir maître, faut faire tomber maître. T'as déjà rencontré Ryukai et Shiro, tu as potentiel. Mais je préviens tout de suite, tu peux pas me faire tomber. Des 4, je suis meilleur."

Les yeux noirs de Nobuyoki vinrent se poser droit dans ceux d'Aya, avec une expression terrifiante. Il n'était ni froid ni enjoué, au contraire se dégageait de lui une colère sombre. Il ne sera pas patient, il ne sera pas sympa. Il sera aussi dur que l’obsidienne de ses prunelles.

"Ryukai t'as appris les bases. Shiro t'as ouvert les yeux. C'est bien."

Il enleva le haut de son grand kimono pour dévoiler des bras noueux et musclés. Il devait être dans la trentaine, mais il avait encore un profil différent des deux autres maîtres. Il était à mi chemin entre la vélocité fatale de shiro et la puissance de Ryukai. Il semblait plus équilibré, et plus solide. Il semblait juste... meilleur.  

Il n'était pas d'ici. L'adolescente n'avait pas osé lui demander d'où il venait, car sa peau plus basanée et son nom un peu exotique ainsi que son accent le désignaient comme un étranger, mais elle soupçonnait que Nobuyoki n'hésiterais pas à la casser en deux si il la jugeait trop impertinente.

Elle ne put s'empêcher de se demander pourquoi il n'y avait que dans cette matière qu'on s'amusait vraiment.

"Je pas avoir beaucoup de temps avec toi. Je vais t'apprendre. Pas à résister, pas instinct, pas tout ça. Non, moi, je vais t'apprendre à te battre."

Il disait ça très sérieusement, et la jeune fille sentit un frisson courir le long de son dos. Enfin, ils y étaient. Après toutes ces années à effleurer la discipline, enfin, elle touchait du bout des doigts la véritable essence des arts martiaux.

"Ton objectif simple. Toi m'attaque, aussi fort que tu peux. Moi essaye de contrer. Si je contre, c'est nul. Si je contre pas, c'est bien. D'accord ?"

L’adolescente hocha la tête plusieurs fois. C'était clair comme de l'eau de roche ! C'était même un peu trop simple... A croire que le grand maître la sous-estimais. Elle se mit en posture, et Nobu fit de même. Elle nota de légères différences avec celles des autres maîtres, mais pourtant ne se remit pas en question. Elle planta ses yeux dans ceux de l'étranger, alors que le tonnerre se fit entendre.

De toutes ses forces, hein ?

Se souvenant du coup qui avait ébranlé Ryukai, elle se mit à tourner plusieurs fois sur elle même, avant d'asséner un violent coup de pied droit dans son maître. Se dernier décolla du sol avec la Miyamoto qui ne réprimait pas son sourire...

Attendez.

Avec la Miyamoto ?

Il s'était saisi de son pied.

Avec une force impressionnante, il vint la faire tourner avant de l'envoyer droit sur le mur d'enceinte de la cour. Elle vint s'y écraser avec un râle, alors que le maître atterrissait de nouveau en son milieu avec délicatesse.

"Nul."

Et la Miyamoto compris que, une fois de plus, sa tâche s’annonçait complexe.

An 15 - Été chaleureux

Pour ne pas changer, l'adolescente du prendre son mal en patience et apprendre à la dure. Si Nobu était un professeur difficile, il avait le mérite de dire ce qu'il pensait, sans aucun à priori. Quand ça ne fonctionnait pas, il le disait. Quand c'était stupide, il le disait. Quand c'était mal fait, il le disait.

Mais il disait aussi quand c'était bien. Et, pour la première fois depuis le début de son entraînement, la Miyamoto entrevoyait une solution. Ça n'était pas inatteignable. En fait, tout son entrainement avait servi. Elle pouvait prévoir les coups de son adversaire, certes pas avec une grande précision mais elle les sentait venir. Quand elle frappait, elle frappait de toute ses forces, avec le force qui avait permis de faire tomber Ryukai.

Mais, pourtant, elle n'arrivait pas à trouver de bon coups capables de surprendre l'inébranlable maître de la terre. Il était prévoyant et lucide, et il n'hésitait pas à envoyer Aya au tapis dès que l'occasion s'en présentait. Peut-être même qu'il y prenais un malin plaisir.

L'adolescente ne se laissait pas abattre pour autant. Elle avait connu tant d'épreuves difficiles, tant de déboires, que ses échecs actuels lui semblaient bien moindres par rapport à ce qu'elle avait connu.

C'était possible.

"Au final, t'as un peu le même profil que moi."

Shiro. Il était là ? Le cœur de la jeune femme rata un battement, et elle perdit toute sa concentration, n'esquivant pas un violent coup de son professeur. La jeune fille entendit 26 chandelles, mais elle secoua la tête pour laisser son regard vagabonder dans la cour intérieur. Non... elle avait du rêver.

Elle aurait pourtant juré avoir entendu la voix cristalline du génie de la vitesse.

...

Bingo.

Elle était trop lente. Trop lente pour Shiro.

Le professeur impassible leva un sourcil en remarquant l'expression de la jeune femme. Avait-il cogné un peu trop fort ? Ou bien avait-elle une idée derrière la tête ?

En un éclair, Aya se retrouva au corps à corps du maître. Il tenta de se saisir d'elle, mais elle esquiva. Se glissant hors de sa portée, elle se re-propulsa vers un autre angle d'attaque. Une fois de plus il tenta de la repousser. Une fois de plus elle esquiva.

Elle glissa sur le sol en esquivant, passant sous les bras du maître du tai, et vint lui asséner une série de coups de pieds.

Le temps se ralentit.

Elle vit les grandes mains de son sensei venir s'approcher de sa jambe pour se saisir d'elle.

Elle accéléra.

Elle accéléra si vite que sa jambe semblait floue, et il était dur de ne serai-ce que la visualiser.

Il était dur de la suivre du regard.

Elle crut entendre, au loin, un rire enjoué.

"Bien. Bien !"

Bien vite, le maître trouva un contre et envoya la jeune fille bouler au loin. Mais il hochait la tête, approuvant l'initiative pour la première fois depuis leur rencontre.

"Bien, très bien ! Toi réussir. Une fois. Très très bien."

Il se remit en position.

Le sourire fier de l'adolescente fondit comme neige au soleil, comprenant l'horrible vérité.

Elle avait atteint l'objectif attendu.

Qu'elle passe la défense du maître était prévu. Ça n'était pas une étape à franchir, comme tous ses précédents entraînement, non, non. C'était normal. En voyant la posture de Nobu, son courage fléchit légèrement. Avait-elle seulement les capacités d'atteindre le niveau qu'on attendait d'elle ?

Le maître fronça les sourcils, l'invitant à venir d'un geste de la main, et balayant tous ces doutes.

Car lui, Ogodai Nobuyoki, ne doutait plus d'elle.

Technique apprise: