Une matinée, parfaite. Isolée à l’écart du monde dans les ateliers, Raion danse. Autour d’elle, tout n’est que tissus et fils dont elle guide les pas avec douceur. Elle qui, le plus souvent, affiche une moue boudeuse et contrariée, la voici souriante et enjouée. Elle dicte un rythme soutenu, sifflotant pour se donner du cœur, alors qu’elle s’affaire à retourner l’endroit comme un bulldozer. Les couleurs exécutent un balais complexe, parfois prise par la couturière, d’autres fois jetée à la volée comme si leur simple vue l’horripilait. La soie et la flanelle se salue au détour d’une bobine de coton, tandis que le symbole du clan se tisse délicatement dans la doublure du vêtement en cours de création. La symphonie des matières se suspend lors de quelques secondes de vérification pour la chef d’orchestre Kamiko. Une main sûre attrape avec soin puis dépose le grand final sur une pile, l’autre repart dans le ballet infini de la confection des tenues.
La bonne humeur règne, malgré les nombreuses têtes de la branche création cachée derrière les portes. Fuyant en masse l’atelier de peur de subir le courroux de la directrice, les autres artistes attendaient bon gré mal gré qu’elle daigne leur libérer la place. Ils l’avaient trouvée là à l’aube, furetant dans les bons de commande à la recherche d’une activité à son goût pour tromper l’ennui de la bureaucratie, et la nouvelle avait aussitôt circulé comme un vent de panique. Qui avait donc été en tort, durant les derniers mois ? Y’avait-il tant de retard, pour que la chef en personne les maudissent par sa seule présence ? Les plus jeunes tremblaient encore à l’idée de subir la colère, si célèbre, de la Kamiko. Les anciens eux, blasés par l’habitude, se contentait d’attendre sagement leur tour en rouspétant. Et pourtant, personne n’avait jugé utile d’entrer pou si mettre, malgré tout. Les moments, rares, de cette représentation stylistique avait un air de rituel et chacun prenait l’occasion comme une étude de ce talent si particulier de Raion.
Bientôt, après une, peut-être deux, bonnes heures de travail, la jeune femme prend enfin une pause. Elle s’assoit tranquillement sur une table en fixant ses créations de l’œil, pensive. En avait-elle assez vraiment ? La petite robe tulle-cachemire n’était-elle pas un peu trop chaude ? L’hiver reviendrait vite, mais les enfants grandissaient à toute allure aussi. Au bout d’une intense minute de réflexion, elle se contente finalement d’un soupir et d’un haussement d’épaule. Avant d’anticiper les commandes, il fallait qu’elle vérifie si les modèles convenaient et, surtout, si les tenues confectionnées juste avec les mesures suffisaient et il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir.
Raion empaquette les tenues toute neuves et file à toute vitesse, sous les soupirs soulagés de ses subordonnés qui peuvent, enfin, commencer leur journée. La jeune femme se traverse le domaine avec une certaine tranquillité, relaxée d’avoir pu prendre quelques heures pour se consacrer à son amour de la mode. Un luxe qu’elle n’avait, malheureusement, plus toujours le temps de s’offrir mai au combien salvateur pour la totalité de l’effectif de la branche création. Après tout, si la si lunatique Kamiko était de bonne humeur, ils pouvaient travailler en paix sans se faire houspiller. N’était-ce pas ça, la définition du bonheur ?
Il faut quelques minutes à la chef de clan pour finalement arriver devant la petite maison familiale et peut être autant pour se décider à toquer à la porte. Un sourire nait, sur les lèvres de Raion, lorsque la porte s’entrebâille. Elle ne laisse qu’à peine le temps à son interlocuteur de réagir que déjà, elle lui tend les vêtements. L’œil amusé, elle observe la stupéfaction qu’elle occasionne par sa simple présence. Est-ce que cela allait semer la zizanie ? Est-ce que la rumeur de son tempérament était parvenue jusqu’à cette paisible maisonnée ? La jeune chef de clan présente ses respects, tout sourire.
« Bonjour, je viens pour les essayages. » Raion fait alors mine de réfléchir, avant de d’énumérer les enfants un par un. « Eiko, Hiro et pour le finir notre très cher Hayato. Tout est là. »
Une liste courte qui détonnait, étrangement, avec l’épaisseur des paquets. La vérité, derrière cet afflux, était que Raion s’était perdue, un court instant, dans l’imaginaire. Un égarement qui avait causé non pas trois tenues, mais belle et bien facilement le triple par personne, si ce n’était pas plus pour la petite Eiko.