Désarmée, mais pas sans défense • solo

« Hein ? Qu’est-ce que tu racontes ?
— Bah… Ça pourrait arriver, non ?
— Nan.
— Haha ! Comme tu veux, c’toi la boss. Mais bon…
— Mais bon quoi ?
— Ben, j’sais pas, moi ça me parait possible quoi. ‘fin j’te le souhaite pas, bien sûr. Mais si ça t’arrive, quoi… T’es pas comme Yu, c’est tout.
— Il a quoi, Yu ?
— Il a rien… ‘fin… C’que j’veux dire c’est que c’est un homme quoi. C’est son corps, l’arme. Il s’en fout de perdre son kusarigama.
— Bah moi aussi. J’sais me battre, hein !
— Avec une arme, ouais. Même moi j’te bats au bras d’fer, j’suis sûr.
— Mais genre… T’façon je perdrai pas Kūnwú. Vous avez les muscles, j’ai le cerveau, voilà. Y’a que les mecs qui perdent leurs armes bêtement comme ça.
— Yep, yep. En attendant, sans elle, t’es rien. Mais c’est juste mon avis. Si Yu t’a rien dit, c’est qu’il doit être serein. Moi j’dis juste que ça peut arriver, y’a de tout dans ce monde. Demande à l’autre gars, là, celui qui vient de Konoha, j’suis sûr qu’il pense pareil.
— Fumetsu ? Pff, tu parles, je l’ai eu comme un bleu, j’ai aucune leçon à recevoir de lui.
— Hmm… Tu l’as eu une fois, tu l’auras pas deux, si tu veux mon avis.
— J’veux pas ton avis. Aller, viens t’battre si t’es un homme !
— Haha ! »

Ichirō s’était remarquablement bien intégré, au sein de Lóng Shé. Wei le voyait discuter avec Yu, souvent, et elle se demandait bien ce qu’ils pouvaient se raconter… Peut-être était-elle un peu jalouse, parfois, parce qu’elle était celle qui l’avait ramené, qui lui avait offert ce job. Mais elle était quand même bien contente que Yu ait vu son recrutement d’un bon œil, et elle comprenait qu’étant deux hommes, ils avaient peut-être plus de choses à se dire qu’à elle. Après tout, ce n’était pas avec Fumetsu qu’il allait faire ami-ami ; le jeune homme avait bien compris qu’il valait mieux se tenir à distance du Konohajin – elle-même passait assez peu de temps seule en sa compagnie.
Assénant un coup de taille avec son arme, qui revêtait alors l’aspect d’une lance, elle frappait sèchement le pied du jeune homme. « Trop en avant, encore une fois ! » s’exclamait-elle, avec un sourire narquois. C’était sa vengeance, ah ! Il poussa un petit cri, fronçant les sourcils. Il voulut protester contre ce traitement injuste, arguant qu’il n’était pas comme eux, qu’il n’était qu’un simple civil qui ne manipulait pas le chakra, mais elle coupait court à la conversation : « Tu vas dire ça à nos ennemis ? Tu crois qu’ils auront la moindre pitié ? Aller, on recommence ! »

Aujourd’hui, ils s’entrainaient à la lance, donc. Il avait nettement progressé, c’était indéniable, mais Wei n’étant pas encore satisfaite ; elle avait découvert qu’apprendre à se battre à un homme ne manipulant pas son chakra avait un quelque chose de frustrant. Il était si démuni, parfois même face aux techniques de Bukijutsu les plus basiques, et elle n’avait pas une maitrise suffisante de son propre chakra pour l’aider à développer ses capacités sur ce plan. Peut-être que Yu ou Fumetsu sauraient s’y prendre, mais l’un manquait cruellement de temps et elle craignait que l’autre ne se serve du pauvre bougre comme d’un cobaye…
« Quand même… Tu pourrais au moins utiliser une lance normale. » Il était essoufflé, le torse luisant de sueur. « Ils ne devraient pas avoir Kūnwú, hein… Vu que tu ne vas jamais la perdre. » Elle fit la moue. Qu’est-ce qu’il pouvait être agaçant, parfois ! Mais elle devait admettre qu’il n’avait pas tort. Son argument se retournait malheureusement contre elle. Ne sachant trop quoi avancer pour conserver l’usage de sa lame, elle finit par soupirer bruyamment et la lâcher. « Très bien. Tu l’auras voulu. » Elle attrapa sans ménagement la lance qu’il lui tendait.

Kūnwú avait beau être la réplique parfaitement d’une lance tout à fait normale, Wei trouvait qu’il y avait une grande différence entre les deux. Elle n’aimait pas la lance qu’Ichirō lui avait donnée. Elle lui semblait fragile, presque trop légère, mal équilibrée. Et celle-ci finit par lui donner raison, alors qu’elle se brisait malencontreusement lors d’un échange un peu retors. Avait-elle trop forcé intentionnellement ? Oui, peut-être… Elle ne l’admit cependant pas, lorsque le jeune homme l’accusa. Mais il ne se démonta pas pour autant, plaçant sa propre lance entre elle et son arme fétiche. « Pas de Kūnwú. Tu es mon ennemi, tu viens de perdre ton arme, c’est tant pis pour toi. » Crénom de nom ! Elle étouffa un juron.
Se battre au poing contre un mec qui maniait la lance – aussi nul soit-il –, c’était un véritable calvaire. Elle n’était déjà pas bien grande, manquant cruellement d’allonge contre des types comme Yu, alors contre une arme pareille… Elle se prit quelques coups sans retenue de la part du jeune gardien, ce qui eut le don de l’agacer. « Eh, fais gaffe quand même ! » cria-t-elle après un énième coup de hampe dans les côtes. Elle avait l’impression qu’il allait lui briser quelque chose à force. Ichirō la regarda, l’air un peu surpris. « Ben quoi ? Tu vas dire ça à nos ennemis ? »

Elle ouvrit la bouche, puis la referma, sans qu’aucun son n’en sorte. Qu’il était gonflé ! Incroyable ! Mais que pouvait-elle bien lui reprocher ? Il avait raison, une fois de plus. Enfin, elle avait raison, puisqu’il ne faisait que lui renvoyer son propos. Elle finit par lever la main, en signe de reddition. « Très bien, très bien. Alors, monsieur le génie des arts martiaux, dîtes-moi, qu’est-ce que je dois faire ? » Il éclata de rire, signe que l’ironie ne l’atteignait pas le moins du monde. « Ben, j’sais pas, fais des trucs de ninja ! »

Des trucs de ninja… Plus facile à dire qu’à faire, hein. Ils avaient fini par s’asseoir, les fesses dans la poussière de la cour, passant en revue les options de Wei. Que pouvait-elle faire sans armes ? Pas grand-chose. Elle savait marcher sur l’eau, parce que Yu le lui avait appris il n’y avait pas si longtemps, mais inutile de préciser que ça n’était d’aucune utilité en combat. Elle savait faire un Kanashibari ; ça n’était pas trop mal, mais bon passé l’effet de surprise, bof bof. Elle savait se déplacer très vite aussi… « Mouais. T’es pas vraiment un ninja, en fait ! » Il avait dit ça sur le ton de la rigolade, mais elle ne répondit pas. Il avait raison… Elle n’était vraiment pas douée pour le Ninjutsu, Yu s’était déjà arraché les cheveux maintes fois, et il n’y avait rien à faire… Elle s’accrochait au statut de shinobi désespérément, pour éviter une jolie cage dorée baptisée Jin, mais elle n’avait aucun don particulier et une maîtrise de son chakra plus qu’approximative. Elle soupira longuement. « Eh... Ça va aller, t’en fais pas… » On sentait qu’il aurait aimé ajouter quelque chose pour lui remonter le moral, mais lui-même n’avait aucune idée de ce qui pourrait apaiser sa souffrance. Il fit une tentative un peu hasardeuse :

« Chacun son style, tu sais… Tu seras t’être connue pour ça, après tout.
— Mouais, tu parles…
— Mais si ! Avec une lame, tu sais tout faire. Pas besoin de savoir déplacer une montagne avec ton chakra, tu pourrais simplement la trancher avec Kūnwú !
— Mon pauvre… T’es tombé sur la tête.
— Tu sais quoi, tu pourrais même la trancher avec n’importe quelle arme...
— T’es con ou tu l’fais exprès ? On réfléchit à ce que je peux faire si je n’ai plus d’arme…
— Ben oui, mais tu l’as ta réponse. Si t’as plus d’arme, t’en crées une. Comme ça, pas besoin de savoir faire tous ces trucs de guignols.
— Et tu crois que ça se crée comme ça, toi ? Je claque des doigts et elle apparait ? T’es vraiment…
— Bah écoute, si tu veux perdre ton temps à apprendre du Ninjutsu alors que ça te casse les couilles, bah vas-y. Moi j’te donne juste une solution pour que ce n’soit pas une perte de temps, c’est tout. »

Elle le considéra quelques instants en silence, indécise quant à savoir s’il était très con ou très sage. Finalement, elle décida de lui accorder le bénéfice du doute et se releva. « Ok, donc créer une arme… »

« Oh ! OH ! » Ichirō ne semblait plus tenir en place. Accroupi, la tête penchée vers l’avant, il pointait du doigt une aspérité sur le sol. Là, au centre de la pierre, quelque chose semblait sortir légèrement. Redressant la tête, il s’exclama à l’attention de la rouquine : « C’est peut-être pas une lance, mais au moins les ennemis pourront se briser l’orteil dessus ! » Elle ignora le trait d’humour, serrant la mâchoire, tandis qu’elle tâchait de maintenir le flux de chakra constant. L’effort faisait perler quelques gouttes de sueur sur son front, et elle soufflait avec force.
Voilà deux bonnes heures qu’ils s’étaient lancés dans cette folle entreprise. Cherchant quelques renseignements auprès des membres de l’organisation présents, elle avait découvert à cette occasion que Fumetsu partageait la même affinité primaire qu’elle. Cela n’était peut-être pas si surprenant pour un membre du clan Kamiko, ils devaient être proches de la nature, mais elle n’y avait jamais vraiment songé et sur le coup elle avait été étonnée. Forts de précieuses indications, ils avaient commencé cet entraînement un peu particulier, puisque seule Wei s’exerçait réellement, tandis qu’Ichirō se contentait d’admirer, d’encourager, voire de se moquer de temps à autres.
A vrai dire, sa présence était peut-être primordiale : elle aurait abandonné bien plus vite, s’il n’avait pas été là. C’était étrange, car elle n’avait pas l’habitude qu’on la motive de la sorte – les entraînements avec Yu n’avaient rien d’une partie de plaisir –, mais ça n’était pas pour lui déplaire.

Comme elle n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent pour ce qui était de la partie théorique, elle avait d’emblée embrayée sur la pratique. Mais l’angle d’attaque qu’ils avaient choisi s’avérait assez douloureux. Elle forçait comme une damnée, chargeant la roche de son chakra comme on chargerait une mule. Tout ça pour un résultat peu convaincant.
Voyant sa détresse, le jeune homme lui proposa de faire une pause. « Faut croire que les cailloux, ça pousse pas comme des arbres… » dit-il avec un sourire compatissant. Un pli soucieux barrait le front de la demoiselle, alors qu’elle but un peu d’eau qu’il lui tendait. Non, la roche ça ne poussait pas, effectivement. Elle pouvait en témoigner, il lui avait fallu beaucoup de temps et une énergie colossale pour la faire bouger d’un demi-pouce. Elle s’épongea le visage, contemplant la petite aspérité qu’elle avait réussi à créer.
« Tu sais ce qu’on pourrait faire ? » finit-elle par dire, après de longues secondes de silence. « On pourrait la casser. Ça prendrait moins de temps. » Les Jin faisaient ça, après tout – pas exactement eux, mais au moins leurs employés. Ils cassaient des cailloux, à longueur de journée, à la recherche de minerais. Et ils n’avaient rien de grands shinobis, aux dernières nouvelles. Le jeune homme la regarda avec un petit sourire. Oui, ça n’était pas une mauvaise idée. Sculpter, plutôt que de vouloir donner vie à une matière inorganique.

Ils se remirent au travail. Rapidement, Wei put confirmer ses premières hypothèses : il suffisait de très peu de chakra pour faire exploser la roche. Alors, en contrôlant un peu mieux le flux – mais le « un peu » lui prit encore quelques heures, pour être honnête –, elle put peu à peu maîtriser la force de l’explosion, de telle sorte qu’elle arriva également à maîtriser la forme que prenaient les brisures de roche. Alors, enfin, l’un des morceaux sembla assez long et assez pointu pour faire office de lance – et peut-être que d’autres bouts de roche plus grossiers auraient également fait l’affaire, mais elle était assez tatillonne en ce qui concernait l’équilibre de ses armes.
Elle testa les limites de l’arme Doton : quelques coups échangés avec Ichirō confirmèrent sa solidité, quoiqu’elle pût être améliorée encore. En revanche, elle ne tenait pas le choc d’un lancer. C’était problématique… Mais le soir tombait, à présent, et avec lui la fatigue se faisait ressentir. Elle pouvait déjà être fière de son avancée ; pour ce qui était des améliorations, ils verraient demain.