Danser sur un cadavre [Pv Nara]

L'odeur ferreuse du sang chatouillait ses narines, son cœur brûlait encore de l'excitation du combat tandis que ses yeux contemplaient le triste résultat. Enfin triste, un autre peut-être serait affecté par autant de morts, seulement l'Ocertan n'en retirait tout au plus que le plaisir du travail bienfait. Ayant fini de nettoyer sa lame, il secoua rapidement tout son corps, puis entama la tâche peu ragoutante de rassembler les cadavres.

Le hasard du voyage l'avait emmené dans l'ancestrale forêt d'Inari, et il ronronnerait en ce moment même dans une auberge bien chaude si, perçant la beauté du crépuscule, des cris n'avaient pas cinglé sur sa route. Maho n'était pas le genre de personne à simplement ignorer l'adversité, bien au contraire. Ce fut tout excité qu'il s'approcha du tumulte, évoluant en ombre agile par le chemin des arbres, tombant nez à nez avec une minuscule clairière.
Virevoltant sur l'herbes teintées de sang, un jeune homme dansait au milieu d'une masse humaine. Ils devaient être au moins une douzaine, suffisamment armés pour s'élever au dessus de simples brigands, mais pas assez pour correspondre à des troupes régulières. Des déserteurs? Quoiqu'il en soit la meute, armée d'un mélange de lances et d'épées, assaillait sans pitié le jeunot, et il ne fallut pas plus que quelques secondes pour que Maho constata les blessures s'échappant du louveteau. Il bougeait certes comme un ninja, mais il manquait encore d'expérience. Heureusement si Jashin dominait le meurtre et le massacre, il prônait également l'honneur, une chose dont manquait clairement la meute humaine. Il n'en fallut pas plus à l'Ocertan pour se lancer dans la bataille, un sourire enjoué sur le visage.
L'effet de surprise combiné à sa dextérité en faisait une véritable calamité. Il commença tout simplement par atterrir sur l'un des zigotos, plantant sa faucille dans la gorge de son voisin avant d'achever celui qui lui servait de tapis. Véritable fauve dans la bergerie, Maho bondissait, tranchait, riait, se délectant de ces vies somptueusement offertes, alors que ses victimes ne comprenaient pas quel démon venait de leur tomber dessus. Car oui, l'exiguïté de la clairière interdisant la fuite, il ne laissa aucun survivant.

"Me...Merci…"

Fébrile, vacillante, une voix presque enfantine brisa la transe du moine, ne lui laissant que le temps de voir un sourire transpirant le sang, et une silhouette s'effondrer. Il eut tout juste le temps d'attraper le jeune homme, ou plutôt ce qui en restait. Dans ses mains il n'y avait qu'un cadavre, une vie prématurément fauchée. Maho ne pouvait plus rien pour lui, toutefois Jashin souriait à ceux tombés au combat, aussi comptait-il l'honorer.

Voici pourquoi l'Ocertan s'occupait à rassembler des cadavres. Le bois ne manquant pas, il avait rapidement bricolé un brasier, et il venait de balancer le dernier corps sur les copeaux de bois. Le jeune homme lui fut placé en face de l'édifice, et à défaut d'autre chose, Maho utilisa le sang des victimes pour tracer des sceaux rituels. Cela pouvait sembler barbare de l'extérieur, mais qui comprendrait ces runes sacrées y verrait l'ineffable beauté. Souhaitant honorer le jeune homme, le moine commença par allumer le brasier, offrant les vies impures à Jacin au nom du beau brun gisant au sol.

«   Seeloru korona, Afkis Miet Puin »¹

Des mots d'adieu dans la langue divine, une prière pour honorer le défunt guerrier. La voix forte et solennelle du prêtre s'échappait dans la forêt, s'emparant de l'écorce, des feuilles, et même du vent, transformant la petite clairière en un lieux de culte. Le moment arriva néanmoins où il dut conclure le rituel. Couvert de sang, le balafré se saisit du cadavre, le portant sans le moins effort, marchant lentement vers le brasier.

¹_{Enfant de l'épée, le divin te souris.}

Flûte:

Dame chance avait déjà transformé cette simple promenade en un délicieux massacre. Pourtant elle ne s'arrêta point. L'irritation d'être interrompu au milieu d'un rituel laissa subitement place à une exaltation fébrile. Nous avions tous une bonne centaine de fantasmes roupillant dans les méandres de notre inconscient, et aujourd'hui Maho se retrouvait enfin en face de l'un d'entre eux. Une exquise créature s'extirpa de la forêt, une blonde à la beauté glaciale, dont le kimono généreusement décolleté mettait en valeur un corps sorti de l'imaginaire d'un adolescent libidineux. Comme si ceci ne suffisait pas, l'Aphrodite matérialisa une faux à partir de son ombre, ajoutant à son sexappeal tapageur un vernis émocore propre à faire chavirer le petit cœur noir de l'Ocertan.

"Je.. Beubla, no pa… Eh… Oce..."

Une éloquence digne d'un puceau non sevré, à laquelle s'ajouta une mâchoire déboitée, et un regard à mi-chemin entre l'émerveillement d'une biche et l'excitation d'un alcoolique chevronné. Heureusement l'Ocertan tenait entre ses mains un cadavre, et il fallut bien qu'il manqua de le faire tomber pour reprendre ses esprits. Aussi le temps que son sang remontât de son bas ventre à son cerveau, la belle dut attendre une bonne trentaine de secondes avant une quelconque réponse. Analysant rapidement la situation, le moine comprit non seulement à quel point les apparences jouaient contre lui (et combien il désirait se plonger dans ce douillet corsage), mais également l'importance de ses prochains mots.
L'usage des ombres couplé à ses paroles trahissait l'origine de la demoiselle, et si ce jeune homme était également un Nara, il y avait fort à parier qu'ils n'étaient pas les seuls dans les environs. Ces derniers habitaient supposément les bois d'Inari, mais notre mort-vivant serait-il suffisamment malchanceux pour pénétrer par hasard dans leur territoire? M'enfin cette réflexion devra attendre, car une réponse devenait de plus en plus nécessaire. Prenant une profonde respiration, Maho fit de son mieux pour paraître sympathique, ce qui considérant son physique le faisait au mieux passer pour un cannibale rassasié.

"Du calme belle inconnue, je ne fais qu'honorer un guerrier tombé au combat. Conscient que ceci ne suffira pas, Maho déposa lentement le corps du Nara au sol, autant pour se montrer conciliant que pour libérer ses mains, dut-il échanger avec la terrifiante arme de madame. Je ne suis qu'un simple moine Osmiestiste faisant son devoir. Les bruits du combat ont attiré mon attention, et je ne pus rester impassible devant le spectacle d'un brave au prise avec la masse. Jacin sourit aux guerriers honorables, aussi dus-je m'assurer que ce jeune homme fut vengé, mais également qu'il profitât de rites funéraires digne de ce nom."

L'énoncé semblait sincère, seulement l'Ocertan savait fort bien qu'il en faudrait plus pour convaincre la kunoïchi. Après tout si les rites funéraires basiques étaient connus de tous, le rituel qu'il était en train de conduire restait l'apanage des seuls initiés. D'un autre côté, le kusarigama enroulé autour de sa taille lui était bien réel, tout autant que les multiples tatouages et cicatrices parcourant son corps.

"Je ne vous veux aucun mal dame Nara, mais Jacin ne m'autorise ni la couardise ni la fuite."

Ce n'était surement pas la chose la plus rassurante à dire, d'autant plus que le moine illustra ses propos en posant sa main droite sur le manche de son arme. Il ne souhaitait pas s'engager dans un combat inutile, seulement la diplomatie n'avait jamais été son fort. Il s'en mordrait pourtant les doigts si une si jolie créature venait à périr à cause de son manque de tact. Aussi malgré ce que lui dictait ses instincts, Maho se figea littéralement sur place, interdisant le reste de son corps d'adopter une posture défensive. Une main sur son arme était déjà suffisamment alarmante.
Il prit toutefois soin d'activer son sens mystique. Après tout il avait beau être de bonne foi, il se trouvait en face d'une Kunoïchi, Nara de surcroît, un clan réputé pour sa fourberie. Il était hélas trop expérimenté pour s'adonner au naïf optimisme des nouvelles générations.

Spoiler:

Flûte:

Elle lui demanda de confirmer ses dires, cherchant sans doute à se convaincre qu'elle n'aurait pas à affronter ce mort vivant. D'un hochement de tête le suspect acquiesça, puis continuant dans sa lancée, il fit quelques pas en arrière, sa main toujours posée sur son arme. Tandis qu'elle observait le cadavre, lui admirait son arme magique, ne pouvant s'empêcher de penser que cette faux ténébreuse ferait une parfaite offrande à Jacin. Ce n'était en tout cas pas le genre d'outil que l'on attendait des discrets Nara, forçant donc à reconnaître qu'eux aussi pouvaient se donner en spectacle.

Le jeux de chat reprit son cours, et malgré sa beauté alléchante, l'inquisitrice ne parvenait pas à capter toute son attention. Après tout elle tenait une arme terrifiante, et tout comme il en était fasciné, Maho en était également préoccupé. Il ignorait tout du fonctionnement de ce jutsu, forçant ainsi son regard à faire des allers-retours entre madame et son outil funeste. Malgré tout son contrôle de soi il ne put empêcher sa main de serrer plus prestement le manche de sa propre faucille, se sentant forcément peu à l'aise alors qu'on l'interrogeait avec une faux ténébreuse entre les mains.

"Mon temple? S'exclama-t'il, ne pouvant cacher son étonnement devant ses mots. Comment avait-elle pu deviner son appartenance au Temple du Bois bleu? Non pas que les moines se cachaient, mais ce clan n'était pas particulièrement célèbre dans le Sekai. Ainsi donc vous connaissez le Temple du Bois Bleu? Vous m'en voyez flatté Dans ce cas vous devriez savoir que nous autres moines ne manquons pas de raisons pour voyager. "

Il aurait pu simplement lui dire qu'il revenait de l'Isthme du gel, cherchant à propager les bienfaits de l'Osmietisme. Seulement tout comme elle ne lui faisait pas confiance, il trouvait difficile d'être totalement sincère. S'il avait certes pris un risque en dévoilant son appartenance au Temple du Bois bleu, il espérait aussi que la réputation bienveillante de son clan servirait à adoucir les bords. Il n'eut cependant pas le loisir de la réflexion, que l'inquisition continua.

" Pour être honnête je n'avais pas remarqué qu'il s'agissait d'un Nara. Les possessions de ce jeune homme lui appartiennent dans la vie comme dans la mort, et je n'ai pas voulu souiller son corps en fouillant ses affaires. Au risque de me répéter, je m'apprêtais simplement à honorer sa mort. "

Il disait vrai, bien qu'il ne fut vêtu que de simples sous-vêtements, le reste des affaires du décédés se trouvaient soigneusement pliés non loin du brasier. Quand à son appartenance clanique, si Maho n'avait pas cherché à savoir, on pouvait aisément le blâmer d'avoir manqué les symboles tracés sur la veste du jeune homme. " Permettez que je vous emmène ses possessions." Pointant du doigt le brasier, l'Ocertan ouvrit lentement ses mains, les plaçant au dessus de sa tête, bien en vue, cherchant à prouver sa bonne foi. Puis lentement, sans mouvements brusques, il s'approcha du brasier et saisit la petite pile posée juste à côté. Il aurait pu laissé la demoiselle se servir, mais si il était depuis longtemps habitué à l'odeur de la chair brûlée, nul doute que ce ne fut point au goût de tous. Bougeant toujours avec la même lenteur, il retourna aux côtés de la Nara, posant le paquet au sol avant de faire quelques pas en arrière.

" Normalement j'aurais brûlé tout ceci avec le reste, en m'assurant toutefois qu'il n'y ait pas de parchemins explosifs cachés quelque part."

Les mains du moine avaient retrouvé une position normale, soit l'une d'entre elle posée sur son arme. Il s'était jusqu'alors montré conciliant, mais cette faux menaçante commençait à l'agacer. Les apparences jouaient contre lui certes, seulement pourquoi se serait-il donner tant de mal pour organiser un enterrement. Il était temps pour lui de montrer ses crocs.

" Ne pensez-vous pas qu'il est temps de ranger cette arme? Je comprend votre méfiance, mais vous devez sans doute comprendre qu'il n'est point agréable d'être interrogé dans l'ombre de pareille ustensile."

Si son interlocutrice était agréable aux yeux, on ne pouvait hélas pas dire la même chose de ses propos. La Nara eut certes l'amabilité de dissiper sa faux, mais rien dans son attitude ou dans ses piques ne démontrait une once de sympathie. Au contraire, on critiquait non seulement son apparence, mais également son Dieu. Il était vrai que bien trop d'adorateurs de Jashin tombaient dans le fanatisme, seulement les shinobis étaient-ils vraiment bien placés pour parler de morale? Meurtres, mensonges, tortures n'étaient que les plus doux de leurs apparats, et l'Ocertan retint trop tard le rire s'échappant de ses entrailles.

" Je ne m'excuserai pas de mon apparence, d'autant plus qu'il est assez cocasse qu'une Kunoichi, membre du célèbre clan Nara de surcroît, brandisse la bannière de la morale. "

Il aurait très bien pu laisser couler son mépris, cependant il venait tout de même d'aider un des membres de son clan, et jusque là il s'était montré fort courtois. Elle avait beau prendre des grands airs, les Nara faisaient partis des clans les plus fourbes du Sekai, ce qui n'était pas une mince affaire face à une myriades d'assassins et voleurs surentraînés. De plus si elle connaissait le Temple du bois bleu, elle devait savoir qu'il rendait hommage aux cinq divinités Osmietiste, Jacin inclus.
Cependant, Maho ne comptait pas mettre de l'huile sur le feu. Il avait déjà suffisamment signalé son agacement, et si la demoiselle acceptait de mettre de l'eau dans son vin, nul besoin de se prendre le chou. Quittant son ton souriant pour un soupir, le moine montra alors une face plus sérieuse, un mince filet d'abattement venant attristé son aura.

" L'opinion publique est loin d'être la meilleure conseillère... Je suis né comme ça vous savez, est-ce donc un crime d'être différent?"

Une ouverture sans doute inattendue au vu de la situation, seulement Maho restait un moine. Enseigner lui était devenu naturel, et sil pouvait transformer cette malheureuse rencontre en une élévation de l'âme, pourquoi pas? Il serait évidemment partant pour élever également leurs corps, seulement il s'agissait d'un désir à l'opposé du divin.

Des excuses ? Voici bien quelque chose auquel il ne s'attendait point. D'abord décontenancé qu'elle saisît sa perche, la surprise se transforma en contentement, relaxant ses sourcils et adoucissant sa mâchoire, tant que faire se pouvait.

" Les rumeurs hein... Je crains que nous n'ayons guère le temps de toutes les abordées."

Quand bien même son ton se voulait se voulait riant, le moine ne mentait pas. De nombreuses monstruosités suivaient le culte du Dieu sombre, et si certaines étaient méritées, beaucoup restaient l'oeuvre d'une minorité, ou d'esprits fantasques. S'accroupissant, Maho se saisit d'un kunaï, d'un geste lent et calculé, puis traçant le symbole de Jashin sur le sol.

" Vous connaissez le Temple du bois bleu, et je vois que vous tentez d'utiliser le véritable nom du Dieu sombre, j'imagine donc que vous connaissez les bases de l'Osmietisme. Êtes vous cependant au fait du penchant contraire des divinités ? Prenons Karo par exemple, patron de l'amour et de l'art. £egok-Karo, cela vous inspire-t'il quelque chose? "

Alors qu'il disait ceci, l'Ocertan termina son diagramme. D'un côté il y avait les cinq divinités classiques, et de l'autre leur côté obscur. Puis, un à un, il commença à écrire leurs attributions. Catastrophes incontrôlables, troubles psychologiques et animaux dangereux pour £egok-Cinsei, maladies, destructions et pourriture pour £egok-Amenko, manipulation, mort et traitrise pour £egok-Mino, dépravation, perversité et idées détournées pour £egok-Karo et enfin, honneur, chefs et samouraï pour £egok-Jacin.
Rangeant son Kunaï, Maho laissa à la Nara le temps d'examiner ses connaissances, curieux de voir ce qu'elle en tirait. Jacin était certes lié au Meurtre et à la guerre, mais il n'avait pas l'appanage de la violence.

" Toute chose, toute idée possède par sa seule existence l'essence même de son contraire. La justice de l'intelligence est la sagesse . Le sage n'est pas celui qui sait beaucoup de choses, mais celui qui voit leur juste mesure."

Elle l’écoutait avec attention, et pourrait-on même dire, plaisir. Bien qu’il pouvait faire honneur à son aspect de démon meurtrier dans les bonnes conditions, l’Ocertan appréciait tout autant que ses confrères une discussion éclairée. La lumière vacillante de cette nuit tombante aidant, le Kaice relâchait sa garde au fur et à mesure de la discussion, enchanté que cette princesse hostile se transformât en oreille attentive.
Ceci dit si elle ne pouvait apercevoir son visage dans sa position actuelle, la cascade blanchâtre formée par ses cheveux se déroulant sur sa face alors qu’il était accroupi, la belle sentit bien l’étonnement du moine. Ne serait-ce que par son immobilité parfaite, ou alors par le silence un peu long qui précéda sa réponse.

" Voici deux questions particulièrement pertinente. Si personne ne peut prétendre comprendre totalement les raisons du divin, on peut toutefois tenter d’y essayer notre esprit limité. L’explication la plus simple serait qu’un Dieu prônant l’honneur ne saurait mentir sur sa véritable nature. Contrairement aux autres, il affiche clairement les ténèbres de son culte, afin que ceux qui le suivent le face en pleine conscience. Pour ma part, j’aime à penser que Jacin fait cela par amour. "

Alors même qu’il prononça ses mots Maho se releva, révélant un sourire d’une douceur paternelle. Il imaginait bien que ses propos pouvaient aisément passer pour le verbiage d’un idéaliste fanatique, seulement jusqu’alors personne n’avait su lui prouver le contraire. Quand on connaissait l’autre face des Dieux, Jashin ne semblait pas si mal.

" En concentrant sur lui la crainte et la haine, Jacin permet aux autres de luire, bien qu’ils soient au final tout aussi coupables que lui. "

Une brise ponctua la phrase du balafré, lui emmenant au passage une touche bienvenue de pragmatisme. Il était un Ocertan, il ne pouvait pas se permettre ce sourire béat d’adolescente amoureuse. Ajoutant donc un brin de malice à sa face, Maho reprit son air légèrement moqueur, même si dans ce cas il s’agissait d’avantage d’autodérision qu’autre chose.

" Quand à mon choix, vous m’imaginez vraiment servir un autre Dieu ? Dit-il d’un ton amusé, dévoilant d’un geste régalien les multiples cicatrices parcourant sa peau. Disons que j’ai une prédisposition à être séduit par un Dieu qui n’hésite pas à prendre les traits d’un monstre. Le Sekai est un endroit violent, embrasser cette violence est bien plus salutaire que l’ignorer."

Si il appréciait l’extrême attention de la demoiselle, il fut plutôt perturbé par sa génuflexion. L’idée qu’elle se moquait de lui traversa intensément  son esprit, seulement une telle sincérité se dégageait de la Nara, qu’il décida de faire un saut de foi.
Il ne fut point déçu. Le physique du Kaice pouvait plaire à quelques hurluberlus, mais la majorité restait intrigué, sinon dégoûté par celui-ci. Il s’en était accommodé, mais au fond de lui restait ancré une frustration. Voir de l’admiration dans les yeux d’une femme si belle passait un baume sur une blessure qu’il croyait refermée. Il ne pouvait le montrer, mais elle devait bien le sentir. Son ton était plus doux, son regard moins hostile, le terrible Ocertan faisait le beau face à une donzelle...

" Si vous pensez que c’est une bonne idée pourquoi pas... Je devrais peut-être m’occuper de ce brasier avant non ? "

Difficile en effet d’oublier le barbecue de chair humaine qui prenait place à quelques mètres. Le bois était placé de façon à ce que le brasier s’essoufflât seul, seulement tenait-il vraiment à se retrouver, au beau milieu du clan Nara, à expliquer pourquoi leur très chère forêt dégageait d’énormes volutes de fumée ? Marchant jusqu’au feu, Maho resta un moment silencieux, invoquant en lui même la bénédiction de son Dieu, avant de modeler les étranges mudras de son clan.

«   Kiom se Kioe »

Il scanda ses mots d’une voix claire et cérémonieuse. Deux géantes mains spectrales s’extirpèrent du sol, luisant d’une lumière solaire. Elles se refermèrent avec la douceur d’une mère sur le brasier, se liant dans un geste qui n’était pas sans rappeler une prière. Il semblait que les Dieux eux-mêmes s’emparaient des corps, emportant les âmes dans le monde souterrain, éteignant au passage les flammes rituels.
Une fois la cérémonie terminée, le prêtre se rapprocha du cadavre restant. La Nara prit alors la parole, effectuant des présentations bien nécessaires, balayant au passage l’animosité qu’elle s’était donnée tant de mal à installer.

En entendant son lien avec le chef du clan, Maho ne put que remercier que cette rencontre ne fut point dramatique. Il ne craignait aucune représailles sur sa personne, mais à n’en point douter le Temple du Bois bleu aurait eu bien des ennuis si un des Ocertan avait brutalisé une des proches d’un chef de clan.
L’autre information eut toutefois plus d’effet sur le Kaice. Bien-sûr qu’il connaissait les Arpenteurs, ces derniers comptaient d’ailleurs de nombreux moines dans leur rang, et pas seulement des disciples de Mino. C’était toutefois la première fois qu’il rencontrait un des leurs qui ne faisait pas parti de son Temple. Comme quoi il ne s’agissait pas que d’une bande de vieux pompeux et arrogants.

" Et bien dame Nara si tel est le cas, il faut absolument que vous veniez au Temple du bois bleu. Nos portes ne sont pas ouvertes qu’aux adeptes de la foi Osmietiste. Je suis sûr que vous avez déjà rencontré quelques disciple de Mino dans votre ordre non ? "

Laissant les possessions du mort aux soins de Towa, Maho chargea le corps sur ses épaules, prenant soin par égard pour la demoiselle à ne pas le brutaliser. Récupérant de sa main libre sa besace de voyage, il l’enfourcha tant bien que mal autour de son épaule, puis il se dirigea aux côtés de la Nara, un sourire aux lèvres (ou quelque chose qui s’en approchait).

" Quand à moi je me nomme Kaice Maho, enchanté ! Je suis l’intendant actuel du Temple du bois bleu, Ocertan de Jashin, Haut-prêtre et gardien de la foi Osmietiste. Un léger rire succéda sa présentation, puis il reprit d’une voix moins cérémonieuse. Pardon pour l’abondance de titres, l’habitude j’imagine... Je veux bien vous accompagner, mais je ne souhaite pas manquer de respect à votre clan. Je ne fais guère une bonne première impression, et je ne souhaite pas vous attirer d’ennuis. "

Spoiler:

Dire que quelques minutes plus tôt la Nara le menaçait avec une faux ténébreuse. Le Sekai était décidément un endroit plein de surprise ! Heureux que son invitation fut agréablement reçue, Maho se réjouissait non seulement en tant qu’homme, mais également en tant qu’intendant. Le Temple du bois bleu se devait plus que tout autre clan d’assurer son image. Bien que féroces, les moines n’égalaient pas vraiment la puissance brute des autres shinobis, et bien qu’ils pouvaient compter sur l’aide des Gurain, des alliés supplémentaires ne seraient pas un luxe !
L’Ocertan se laissa donc guider par Towa, lui laissant sans arrière pensées son sac de voyage. Les moines ne s’attachaient de toute façon pas aux choses matérielles. Les présentations terminées, elle mentionna avec ce qu’il interpréta comme de la résignation, son chef de clan.

" Effectivement je ne l’ai jamais rencontré... "

Il n’eut toutefois pas le temps de finir sa phrase qu’elle reprit la parole. Maho sentait bien qu’il y avait quelque chose avec ce mystérieux Shika, mais il n’était pas sûr s’il s’agissait de désapprobation, ou de quelque chose de plus subtile. Un amour à sens-unique, une amitié avec bénéfice? Mieux valait rester à l’écart de ceci.
L’obsession avec les cerfs ne manqua pas de le faire sourire, puisqu’il s’imagina tout de suite l’Ocertan de Shinsei sortir une diatribe poignante sur l’égalité du monde animal. Lui personnellement n’en avait rien à faire, mais il était reconnaissant à sa guide de lui signaler cet étrange coutume. Aussi chez les Nara il pouvait se balader avec un cadavre des leurs, mais chasser du cerfs, JAMAIS !

" Et ben je connais un certain disciple de Shinsei qui aurait bien des choses à dire sur cette coutume. Sauriez-vous par hasard d’où vient cette discrimination positive ? "

Son ton jovial était franc et honnête, le Kaice n’ayant pas pensé une minute que ses propos pouvaient être offensant. Il cherchait simplement à faire la conversation, et à éviter de reluquer de façon trop évidente la charmante créature qui marchait devant lui.

Pour un clan dont le nom ameutait tant de ténèbres, l'origine des Nara était plutôt poétique. De par son éducation, le moine était déjà entraîné à chasser les raisonnements binaires. Ceci dit il était toujours agréable d'entendre une histoire confortant ses idées. D'ailleurs l'idée ne lui vint même pas de douter l'authenticités de ce conte. Après tout dans un monde où l'homme malaxait le divin, qu'il y avait-il d'exceptionnel à un cervidé sauveur d'homme ?
Il pensait encore à cette chouette légende lorsqu'elle posa sa question, l'arrachant de sa rêverie aussi surement qu'un saut d'eau glacée. Pendant quelques secondes l'image du sévère Zetsu envahit son esprit. Rêche, puissant, robuste, l'Ocertan de Shinsei lui inspira un fou rire impromptu. Rien que l'idée du rugueux sermon qu'aurait énoncé son collègue lui fit monter les larmes aux yeux, forçant son interlocutrice à attendre qu'il reprit son souffle.

" Désolé pour ça… C'est juste que mon collègue peut être un peu intense sur le sujet ! Disons qu'il vit comme insulte les cultes, contes ou légendes idolâtrant un animal ou un plante en particulier. Tous les enfants de Shinsei sont égaux. Il sortirait surement une diatribe sur le sujet. "

Qui l'eut crut qu'un jour le vieux Zetsu lui causerait un fou rire ?! Au moins permit-il à Maho de montrer un côté inédit de sa personne. Il reprit toutefois rapidement contenance, se rappelant non sans gêne qu'il portait en ce moment même un cadavre.
Heureusement sa compagne de route ne sembla pas s'en offusquer. Son appartenance aux arpenteurs n'était décidément pas une coïncidence. Sa curiosité avait apparemment affranchi toute ses barrières, et c'était là une vision magnifique. Il y avait effectivement plusieurs dizaines de parchemins dédiés à Jashin au Temple, mais étrangement rien ne lui venait à l'esprit. Après un
" Ehhhhhh " plutôt long, son cerveau rattrapa enfin son retard.

" Il y a cela huit cent ans, dans un monde désormais oublié, deux villes, Athènes et Spartes, combattirent pour la dominance de l'entièreté du monde Grecque. De leur affrontement et rivalité naquit un des plus grand empire que le monde ait jamais connu, repoussant à des sommets inégalés la philosophie, l'art, et la science."

Il fit une petite pause, non seulement pour reprendre son souffle, mais pour observer les réactions de la demoiselle. Cette histoire était souvent contée aux aspirants trop hâtifs à former des jugements. Aussi analysait-il la moindre réaction de la Nara, et la patience n'étant pas son fort, il s'empressa de lui presser la main.

" Quelle est la différence entre un tyran et un vertueux suzerain ?"

Comme on pouvait si attendre, la Nara lui offrît une réponse convenue. Il ne pouvait pas la blâmer, puisqu'en réalité elle n'avait pas tout à fait tord, seulement vu sa curiosité intellectuelle, il avait espéré que sa morale fut un peu moins manichéiste. Elle sembla toutefois percevoir qu'il y avait anguille sous roches, et l'Ocertan ne se fit pas prié pour éclairer sa lanterne.

" Il s'agit là d'une anecdote pour les jeunes adeptes. La guerre, le massacre, et les autres déferlements de violence sont souvent jugés maléfiques, alors qu'ils sont un des piliers de l'évolution de l'homme. Le bon roi tout comme le tyran construit son autorité par le sang, et l'empire vertueux ou maléfique ont en commun la multitude de cadavres ayant cimenté leurs hégémonies. Tout comme la mort est essentielle à la vie, la guerre est un des moteurs de l'Histoire. "

Il n'avait jamais été bien doué pour faire la morale, et malgré son rang d'Ocertan, le Temple regorgeait de prêtres dévoués à Jashin bien plus éloquents que lui. Le Kaice répondait d'avantage au profil du soldat que de l'érudit, mais il espérait toutefois que la force de sa foi et son expérience lui permettaient de ne pas trop se ridiculiser. Après une petite pause, il reprit la parole, sa voix trahissant malgré lui son manque d'assurance.

" Quand à savoir qui est le preux ou l'infâme, il ne s'agit hélas souvent que d'un point de vue."

Alors qu'ils produisaient ces mots, une bâtisse émergea de la forêt, et bien qu'il ne vit pas le symbole de clan de l'Ombre, il pouvait déduire sans mal qu'ils s'approchaient du domaine. Malgré la sympathie nouvelle qu'il éprouvait pour sa (très) charmante guide, il activa toutefois sa sensorialité. Elle restait une Kunoïchi, et même s'il se doutait bien que sa force ne lui serait pas très utile au beau milieu d'un clan de ninjas, au moins ne se laisserait il pas abattre sans combattre.
Plus ils s'approchaient du domaine, et plus son pas se fit hésitant, car malgré la présence de Towa, il restait un étranger portant le cadavre de l'un des leurs. Il s'arrêta finalement dès qu'il aperçut un symbole du clan. Une goutte d'inquiétude perturbait son visage jusqu'alors calme et souriant. Même sa voix se fit plus discrète, comme s'il eut peur d'être entendu.

" Es-tu sûre que ma présence ne posera pas problème ?"

Vu qu'elle l'avait invité à venir, l'Ocertan posa cette question par pure politesse, il ne s'attendait pas à ce que sa guide partagea ses doutes. Pour le coup il s'arrêta net, cherchant dans les yeux de Towa la réponse qu'elle se refusait de lui donner. Comment ça elle lui laissait le choix ? Il ne connaissait pas du tout les Nara, et le peu qu'il venait d'expérimenter lui disait qu'ils pouvaient se montrer sacrément méfiants ! Il avait réussi à résonner la kunoïchi, mais que se passerait-il s'il si le reste de clan se montrait moins compréhensif ?
Déplaçant pour quelques secondes son focus de la belle demoiselle au bâtiment visible au lointain, le prêtre porta ensuite ses yeux vers le ciel. Une longue bouffée d'air, voici tout ce dont il avait besoin pour calmer son esprit, chassant ses pensées pour laisser place aux paroles du divin. Le Temple du bois bleu était certes un clan de shinobi, mais il s'agissait avant tout d'un haut lieu de l'Osmietisme. Honorer les cinq divinités et propager leur religion restait le principal focus de ces moines surentrainés. Aussi il n'y avait pas d'hésitation à avoir.

" Et bien si le choix me revient, je vous suivrai volontiers dame Nara. "

L'inquiétude passagère s'effaça avec un simple sourire, tandis que l'Ocertan repris sa marche. Les siens n'avaient que très peu de contacts avec les Nara, et en sa qualité d'Intendant, s'il pouvait faire bonne impression sur ce clan légendaire, il ne pouvait décemment pas refuser pareille offre. Pour le reste il avait suffisamment confiance en ses capacités pour marcher vers un camps probablement hostile. Dans le pire des cas, il offrirait à Jashin un combat digne des légendes !
Tandis qu'ils se rapprochaient du camps, la bâtisse étant rejointe par une autre, s'incarnant en ce qui semblait être un poste de garde, Maho s'arrêta de nouveau. Ajustant le cadavre chargé sur ses épaules, il se posa docilement contre un arbre, interpellant sa compagne de route d'une voix calme mais ferme.

" Au vu de la situation, vous devriez contacter les votre seule. J'attendrai ici, venez me chercher, ou m'éconduire, selon la réponse de votre clan.

"