Coûteux porte-bonheur [Team Houou]

La voix du vieillard faisait écho dans ma tête comme une ritournelle et m'empêchait de me concentrer sur quoi que ce soit. Papy Jotaro, lui, me parlait mais il n'y avait rien dans ce qu'il disait qui parvenait jusqu'à ma conscience. J'étais aux prises avec des préoccupations bien à moi, toutes centrées autour d'une relique en miettes dans les ténèbres d'un manoir au bord de la désolation, bercé par les cris d'un typhon d'une rare violence. En dépit du temps qui avait passé, de mes efforts et de mes souhaits, le souvenir de ma mésaventure refusait de me laisser le moindre instant de répit, ne me quittait simplement pas. Je ne pouvais croire ce qui s'était passé, même après trois jours. Les deux petites tasses de porcelaine du Sage des six chemins, brisées à mes pieds, l'honorable Uzumaki qui avait fait sauter le plateau où elles reposaient paisiblement, entre mes mains, la malice avec laquelle il m'avait traité sans que je sache réellement pourquoi... Je crois que ce qui m'empêchait de passer à autre chose, c'était l'absence absolue de sens dans ce qui était arrivé. Je ne pouvais pas trouver d'explication, et donc verbaliser une excuse, de regret pas plus que de justification, aux agissements de Yorui-jii-sama et à la difficulté dans laquelle il m'avait placé.

Aujourd'hui je devais commencer ma première mission avec l'équipe du phénix et l'anxiété que j'avais en mon coeur d'affronter le regard de Haruka-san, sa bonhommie, sa confiance naturelle et, surtout, son ignorance de l'affront que j'avais fait bien malgré moi à son clan m'empêchait d'avaler le thé que Mamie m'avait servi il y avait déjà une demi-heure. D'ailleurs, peut-être savait-elle déjà ce qui m'était arrivé. Je soupçonnais le vieil homme d'avoir sur-le-champ été se plaindre à elle de mon exaction. J'avais appris après tout qu'il connaissait mon affectation à la charge de ma jeune cheffe et je ne pouvais que craindre l'immédiate exclusion de l'équipe. Aussi ce fut avec un étonnement contrarié que je la vis m'accueillir avec la même nonchalance que Minato-san et Hajoon. Quelque part j'avais espéré qu'elle sache déjà tout ce qu'il y avait à savoir, me passe un savon et m'envoie au bureau de Senkage-sama pour rendre compte de ma négligence. Au moins, j'aurais eu la punition que j'attendais pour me sentir expurgé de ma faute, mais il n'en fut rien. Je dus subir la rieuse figure de Haruka Uzumaki, rayonnante en cette matinée printanière. Je n'avais salué mes camarades que par un signe de tête et un léger sourire grimaçant sous la nausée que me provoquait mon hypocrisie.

Les questions de l'enseignante, après notre départ en mer, furent immédiatement prises en charge par mon ancien camarade de classe. Ses réponses étaient incomplètes. Non pas que je l'en blâme, je n'en savais pas plus que lui quelques heures plus tôt, mais j'avais passé la nuit à lire des parchemins de Papy à propos de Tanzaku et du Pays du Feu pour calmer mes nerfs. J'aimais me renseigner un maximum en amont de toutes mes tâches. Ainsi, je m'assurais de ne pas être totalement un boulet en accomplissant mon devoir de shinobi. Après tout, dans cette équipe, j'étais le maillon faible et cela ne devait pas porter préjudice à mes collègues. Minato-san était chûnin, Hajoon était genin depuis bien longtemps et Haruka-san était tout simplement épatante. Je devais me rendre utile à tout prix sans quoi ils s'apercevraient que ma présence était superflue, voire contraignante. Aussi, je me permis simplement d'ajouter timidement que Tanzaku avait fleuri durant la grande guerre des clans et que ses seigneurs s'étaient enrichis par le commerce des armes. On reconnaissait l'attractivité touristique de la cité comme l'un des atouts économiques majeurs du pays entier mais on soupçonnait grandement que les tripots et le marché noir étaient à l'origine de la plupart des fonds de commerce les plus populaires. Je me permis aussi de souligner qu'en conséquence, au-delà de faire pression sur les autres acquéreurs, il nous faudrait être attentifs à toutes les méthodes dissuasives auxquelles nous risquions d'être confrontés dès lors que nous nous serions posés en acheteurs sérieux. Nos concurrents seraient certainement prêts à aller loin pour ne pas nous laisser emporter notre prix et, quand bien même réussirions-nous à obtenir notre lot, tenteraient tout pour nous l'arracher au sortir de la vente. Enfin, nous ne savions rien de ceux qui seraient intéressés par ledit lot et nous devions donc mener un travail de recherche au préalable pour nous permettre, d'une part, de découvrir qui ils étaient, quelles étaient leurs motivations et à combien s'élevaient leurs fonds, de façon à estimer quel niveau de motivation nous devions démontrer devant eux pour mieux les décourager. Nous devions aussi savoir de quoi ils étaient capables, s'ils étaient associés à des shinobis et s'ils étaient en faveur ou non de l'alliance entre Konoha et Uzushio pour que, selon ces éléments, nous puissions adopter le degré de vigilance adéquat. Aussi, cette mission s'annonçait délicate et risquée. Comme l'avait dit le garçon aux cheveux folâtres, nous allions devoir être extrêmement rigoureux, mais également prudents.

La traversée fut assez longue pour moi jusqu'au continent. À mon anxiété s'ajouta l'amertume du souvenir. Celui de mère quittant l'archipel. Celui de père m'emportant avec lui dans une quête vouée à l'échec et à la séparation. Celui de Papy et Mamie me ramenant aux Tourbillons, désormais orphelin, seul et amnésique. Les remous de la mer et le vent iodé provoquaient en moi une mélancolie que rien ne pouvait estomper. Je ne pus me résoudre à parler à Haruka-san, même si j'aurais sans doute dû lui adresser mes excuses et lui exprimer toute ma honte de m'être retrouvé dans cette situation vis-à-vis de son clan, de notre village et de notre héritage à tous. Je songeai que j'aurais l'occasion de le faire plus tard et il me semblait que le pardon serait plus facile à obtenir si j'avais eu d'abord l'occasion de prouver ma valeur durant cette mission et de compenser la perte d'un artéfact précieux par l'acquisition d'un autre. Je fis donc mien l'objectif d'être un composant majeur de cette équipe, d'être les ailes du phénix que nous aspirions à former, et ce fut avec détermination que je posai le pied sur les terres du pays à la frontière duquel j'avais auparavant et, je l'espérais, pour la dernière fois, connu l'échec.

Allongé sur le lit de la chambre d'hôtel, je regardais sans les voir les lames du plafond. Mes yeux suivaient dans l'obscurité les lignes qui les espaçaient, de gauche à droite, de droite à gauche, en tâche de fond tandis que mes pensées étaient toutes entières centrées sur un chapelet de questions. Que pensait Haruka-san ? Nous avions mis en commun nos réflexions et elle avait écouté d'une oreille attentive la réflexion qui avait mûri dans nos esprits de jeunes apprenants tout en mesurant de son oeil observateur l'ampleur de notre anxiété. La mienne devait être palpable en dépit de mes efforts pour la taire, mais savait-elle seulement que la mission en elle-même n'était la source que d'une toute petite portion de cette peur noire qui proliférait en moi comme de la moisissure dans un marais pestilentiel ? Avait-elle la moindre idée de ma culpabilité ? Savait-elle la tourmente qui s'agitait dans mon cœur ?

Les mots s'abattaient sur moi à mesure que je parvenais, à force de réflexion, d'analyse, à identifier la nature de ma condition. Implacables. Si profondément précis, et exactement terribles. Je devais désorienter ma pensée, la courber, la briser pour l'exploiter ailleurs, là où j'avais quelque espoir d'en faire un atout plutôt qu'un poids. Le lot. Quel lot ? De quelle nature était-il ? Je savais si peu de choses à ce propos, Haruka ne se montrait pas transparente, ce qui était son apanage en tant que cheffe d'équipe. Pourquoi nous révéler ce que nous n'avions la maturité de comprendre ou de protéger ? En savoir trop, c'était augmenter les risques d'être la cible d'un enlèvement par les ennemis dont nous ne savions ni le nombre, ni l'identité, et par conséquent accroître la possibilité que la mission échoue. S'il fallait que nous manquions à notre devoir, je préférais ne pas être responsable. Pourtant ma curiosité était grande. Un secret entourait notre objectif qui recelait certainement un mystère en lui-même, en d'autres termes un secret dans un secret. Qu'est-ce qui pouvait être si « méga important » pour le village ? Ce devait être un objet, ou un ensemble d'objets, permettant soit d'acquérir une forme de prépondérance, militaire ou économique, dans le monde shinobi, soit de conserver la position de force que les Tourbillons avaient réussi à occuper dans la géopolitique du sekai.

Une chose était certaine : quelle que fût la nature de cet artefact, si d'autres groupes la convoitaient et décidaient d'y mettre plus de moyens que Senkage-sama, j'étais trop faible pour être confronté à ces opposants. J'étais peu expérimenté, peu entraîné et préoccupé par des ennuis d'ampleur considérable pour un garçon de mon âge. Qu'allais-je pouvoir faire s'il fallait tout à coup que l'on se batte ? Rester recroquevillé derrière Haruka-san ou Minato-san ou (l'humiliation inférée par cette perspective me causa de rouler sur le côté tant j'avais honte) Hajoon-kun, l'autre genin qui potentiellement était mon cadet de quelques mois ? Non, cela n'était pas une option que j'emprunterais. Plutôt mourir, littéralement. De toute manière, je ne manquerais à personne à part Mamie. J'allais me battre, coûte que coûte ; j'y étais résigné. pourtant, mourir me contrariait quelque peu. En dépit de mes ennuis avec le clan Uzumaki, je préférais tout de même me confronter à eux que risquer de ne pas les régler avant de disparaître définitivement. Quelle déconvenue, vraiment.

Je me redressai en sursaut. La voix provenait de la chambre derrière mon lit mais le mur était si peu isolé que j'avais cru être soudainement envahi par un étranger à la voix explosive, de toute évidence courroucé. J'attendis quelques instants, l'oreille aux aguets puis, rasséréné par le silence qui semblait avoir repris sa place dans l'établissement, je reposai ma tête sur mon oreiller de plumes.

J'eus un frisson en entendant un choc violent se produire contre notre paroi commune. J'avais pour voisin une brute épaisse visiblement. Le son reconnaissable d'un panneau que l'on faisait coulisser précipitamment suivit ce heurt puis, une fois encore, le silence. J'attendis sans faire un bruit. Une voix sourde se mit à parler à côté, peut-être celle de l'irritable personnage (mon oreille ne s'était pas encore habituée au calme). Je tentai de discerner les paroles qui semblaient provenir de la terrasse, en vain. Discrètement, je me levai et m'avançai à pas feutrés vers les fenêtres et fis glisser l'une d'elle de quelques millimètres pour réduire la sourdine qu'elles créaient. Ce que j'entendis me laissa coi.

Mon estomac se serra. L'évocation de Senkage-sama confirma ce que j'avais déduit en entendant parler des deux gosses (j'étais quelque peu vexé par le mépris de l'appellation). Ces hommes parlaient de nous. Notre arrivée à Tanzaku avait été remarquée.

Glacé par cette affreuse confirmation de mes craintes, je me redressai dans l'obscurité de ma chambre. Je devais avertir Haruka-san et les autres immédiatement : des hommes a priori féroces en avaient déjà après nous.

Une main se glissa soudainement par derrière et se plaqua sur ma bouche tandis qu'un bras mince mais doté d'une grande force enlaçait ma poitrine et mes deux bras. Mes pieds quittèrent le sol au moment où la voix du deuxième homme, brusquement à l'intérieur et non plus à l'extérieur, susurrait à mon oreille :

La fenêtre devant moi s'ouvrit doucement et laissa apparaître une grande silhouette fortement bâtie.

J'étais incapable de faire un bruit, incapable d'attraper ne fût-ce qu'un shuriken dans ma pochette. Avec une agilité surprenante, le grand personnage tout vêtu de noir me ligota et me bâillonna. En quelques secondes, je vis le monde se retourner tandis qu'on me mettait la tête en bas. L'air souffla sur ma chevelure lorsque mon porteur sauta par la fenêtre et je vis défiler les toits de Tanzaku dernière moi à mesure que l'on m'emportait dans la nuit vers une destination inconnue, impuissant et écœuré de ma propre sottise.