Au clair de la Lune - PV Akira

C’était une nuit sans nuage, un de ces nuits claires où la lumière de la lune et des étoiles englobe le monde d’un scintillement onirique sans aucune obstruction. Belle et ronde, la pleine lune éclairait le domaine du clan à l’éventail, y rendant la navigation facile. Ces nuits-là étaient les favorites de Shishio : quand tout le clan reposait en silence, inconscient de ce qui se passait dans leurs propres rues, il était libre de s’approprier les lieux. Il y vivait alors comme les autres le faisaient en plein jour, laissant ses pas le guider à travers les rues étroites, entre les maisons silencieuses. Un petit sourire serein, presque narquois, s’affichait alors sur son visage. Exister en ce lieu, sous le nez des membres du clan qui lui reprochaient sa naissance, c’était une petite revanche qu’il ne pouvait s’empêcher de savourer.

Cette nuit-là, cependant, il avait choisi de ne pas s’égarer dans l’une de ses pérégrinations nocturnes. Il sortait de chez lui comme à son accoutumée, mais cette fois-ci il avait un objectif, une destination. Se glissant à travers sa fenêtre pour ne pas réveiller ses parents, il atterrit silencieusement dans la rue, sans que ses semelles n’émettent le moindre son. C’était bien là sa meilleure application de sa formation de ninja : il avait une capacité non-négligeable à faire le mur. Il se devait d’être plus discret encore que d’habitude : s’étant armé de son attirail shinobi, il pouvait ressembler à un assaillant nocturne pour quelqu’un qui ne le reconnaîtrait pas du premier coup. L’éventail bicolore était bien visible sur son dos, mais il préférait ne pas prendre de risques : si l’on découvrait qu’il se promenait ainsi au milieu de la nuit, les Uchiha les plus déterminés à lui faire payer son héritage ne tarderaient pas à lui tendre des pièges.

Calme dans sa solitude, il se déplaça donc d’ombre en ombre, ne s’attardant jamais plus de quelques instants à la lumière de la lune. Il connaissait ce trajet par coeur, comme le reste du petit domaine ; il y avait fait de nombreuses patrouilles au cours de sa carrière dans la police militaire et connaissait donc les itinéraires de celles-ci. Concentré, Uchiha Shishio évita donc sans peine les endroits à risque, filant à travers les propriétés du clan pour atteindre un petit terrain d’entraînement, un peu à l’écart des habitations.

Lorsque le soleil était haut dans le ciel, ce terrain servait principalement aux jeunes Uchiha de l’Académie, ou aux Genin, qui voulaient comparer leurs talents à l’abri des murs du clan. Il ne s’agissait pas d’un entraînement au sens pédagogique du terme, mais plutôt de multiples compétitions plus ou moins violentes : Shishio n’y avait jamais brillé, et on l’y avait souvent traîné de force. Les pieds sur la terre battue, il frissonna tandis que les mauvais souvenirs de ces “joutes amicales” lui traversaient l’esprit. Il secoua la tête pour chasser ces distractions inutiles ; s’il avait pris la peine de venir s’entraîner à l’abri des regards et au coeur de la nuit, ce n’était pas pour que des sévices passés lui fassent perdre sa concentration maintenant.

Il s’approcha doucement des trois larges piquets de bois plantés au centre du terrain vague. D’une taille proche de celle d’un homme adulte, ils offraient de très bonnes cibles d’entraînement au shurikenjutsu ; c’était sur ce bois qu’il avait maîtrisé, après de longues heures d’entraînement et des flots de sueur, les quelques techniques de lancers dont il pouvait se vanter. Il posa sa main sur les troncs grossiers, tentant de s’imprégner du fugitif sentiment de réussite qui l’avait traversé, la première fois qu’il y avait planté avec succès une volée de shuriken en ligne droite.

Tandis qu’il fouillait son esprit à la recherche de motivation, le visage de sa tutrice, Yurikô, lui apparut. Il eut un petit sourire, rassuré à l’idée qu’elle serait sans doute fière de savoir qu’il redoublait d’efforts pour s’améliorer et être un membre digne de l’équipe 4 de Konoha. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il faisait, bien sûr ; le concept-même d’un entraînement secret n’était pas de s’en vanter devant son professeur pour réclamer son approbation. Mais savoir qu’elle serait satisfaite si elle le savait… Eh bien, cela l’encourageait, tout simplement.

Après s’être échauffé en courant autour du terrain et en plantant de multiples kunaïs dans les trois piquets de bois, il grimpa sur le tronc central et s’assit en tailleur à son sommet. Son équilibre était à peine stable ; en position de méditation, il ferma les yeux et joignit ses mains : les doigts entrelacés, paumes vers le ciel, ses coudes reposant sur ses cuisses. Ne brisant sa position que quelques instants pour tracer de rapides signes pour malaxer son chakra, il reprit bien vite cette pose. Concentrant son attention sur les kunaïs fichés dans le bois autour de lui, il marmonna entre ses dents serrées :

“Sôshûjin…”

En réponse à son appel, les lames se soulevèrent une à une, venant flotter autour de son corps comme autant d’appendices mortels, prêt à filer à son ordre - cinq de chaque côté de lui. Une goutte de sueur apparaissant sur son front, il tâcha de calmer sa respiration, sentant son énergie diminuer progressivement tandis qu’il se forçait à maintenir les armes en place.

Bien évidemment, entre son équilibre, sa technique et ses yeux fermés, il était si concentré qu’il ne voyait absolument rien de ce qui pouvait bien se passer sur le terrain d’entraînement dans lequel il se trouvait. Confiant que tout le monde dormait à cette heure-ci, il n’avait pas pris la classique précaution d’un piège à l’entrée.

Une voix, qui ne présageait rien de bon, résonna dans le terrain d’entraînement, faisant sursauter Shishio. Les kunaïs en lévitation tombèrent avec un fracas métallique sur le sol tandis qu’il ouvrait les yeux et se redressait sur le tronc, prêt à s’enfuir pour échapper à d’éventuels poursuivants. Il resta immobile en découvrant un garçon seul ; il ne connaissait Uchiha Akira que trop bien. Dans la foule des Uchiha hautains qui l’avaient regardé avec mépris toute sa vie, lui rappelant en permanence que son existence-même était un péché aux yeux du clan, il était parmi les plus vocaux. Sans doute avait-il voulu compenser quelque chose ; bien que les deux jeunes adolescents sortent de la masse parmi les Uchiha aux yeux noirs et aux cheveux de jais, Shishio ne se démarquait pas autant qu’Akira. Ils auraient pu subir les quolibets constants ensemble, si Akira n’avait pas, très jeune, décidé de faire payer à Shishio sont métissage, s’attirant ainsi la faveur des autres petites brutes du clan à l’éventail.

Parmi les membres du clan, Akira était sans doute celui que Shishio avait le moins envie de croiser dans la nuit. Il avait bien sûr peur de se faire frapper, mais surtout que ses sorties nocturnes soient ébruitées, lui arrachant pour toujours ses chances de profiter du domaine en toute tranquillité. Les dents serrés, il avala difficilement sa salive. Tous les muscles tendus, il était prêt à s’enfuir d’un seul bond, au moindre geste menaçant venu du garçon aux cheveux argent. Pourtant, plutôt que de le fustiger ou de l’attaquer, l’autre genin semblait décidé à simplement lui… Parler ? Comme à un être humain ? Shishio haussa un sourcil, ne pouvant s’empêcher d’être sarcastique face à cette approche : c’était une grande première, surtout comparé au mépris auquel il s’était habitué.

Respirant doucement, il se rassit sur le piquet de bois, écoutant ce que le garçon avait lui dire. Malgré son étonnement, c’était encore la moindre des choses ; il était désormais un ninja de Konoha, comme lui, les deux étaient donc camarades. Il lui devait bien une oreille attentive… Pour quelques secondes au moins. Il tiqua en entendant Akira lui parler de ses nouveaux coéquipiers ; il s’était tellement réjoui à l’idée de s’éloigner du clan pour se lancer dans sa carrière de ninja de Konoha auprès de nouvelles personnes qu’il en avait complètement oublié que les Uchiha faisaient aussi partie du village, même s’ils s’y mêlaient rarement. Il ne pourrait jamais s’échapper complètement de l’emprise du clan à l’éventail, malgré tous ses efforts pour s’en éloigner autant que possible.

“Je te remercie de ton inquiétude, Akira.” Une part de Shishio avait envie de rugir, de traîner dans la boue le jeune garçon qui parlait ainsi de son équipe, se permettant de les juger et de les prendre de haut comme il avait pris Shishio de haut toute sa vie. Mais répondre par la violence, c’était la garantie de finir la tête dans le table et le corps couvert de bleus ; il n’était pas si brave que cela. “Mais il est inutile de t’en faire pour mon intégration à l’équipe 4. J’aurai tout le temps de juger de leur caractère au cours de mes missions avec eux. Qui plus est…” Il sentit un frisson lui parcourir l’échine, tandis qu’il marquait une pause. Bien malgré lui, il s’était rebiffé en parlant ; il s’était laissé aller à son agacement passager et, avec un petit sourire poli, son regard en disant long sur l’absence de sincérité dans sa courtoisie, il finit par terminer : “Tu m’excuseras si je ne te considère pas comme une référence en la matière. Je ne me souviens que trop bien de la façon dont a fini ta première équipe en tant que Genin.”

La pique était partie, il était trop tard pour la ravaler à présent. Enhardi par la sensation d’être sur son fief, dans la nuit, Shishio était allé trop loin ; parmi ses tortionnaires, les plus impulsifs n’auraient pas attendu plus de provocation que cela pour le passer à tabac. La lâcheté reprit bien vite le contrôle du corps du garçon, cependant ; réalisant son emportement, il se figea, contractant tous ses muscles, se préparant inévitablement à l’impact de la contre-attaque d’Akira, que celle-ci soit physique ou verbale.

Shishio se mordit l’intérieur de la joue quand la voix d’Akira fusa à travers la nuit. Comme il s’y attendait, il n’en fallait pas plus à l’autre Uchiha pour se mettre en colère et riposter immédiatement à sa pique à peine dissimulée. Malgré sa peur constante de se faire blesser par le genin aux cheveux d’argent, il ne pouvait s’empêcher de tirer une certaine satisfaction de le voir ainsi s’énerver ; s’il faisait pâle figure à côté de lui en termes de capacités, cela ne l’empêchait pas d’avoir la langue tout autant aiguisée quand il se permettait de répondre. Contre un autre de ses tortionnaires, il aurait sans doute préféré s’excuser platement et espérer que la violence ne soit que de courte durée ; mais Akira, non-content d’avoir insulté un membre de la nouvelle équipe de Shishio, tapait particulièrement les nerfs du garçon. Ils auraient pu supporter la haine du clan côte à côte, être amis face à l’adversité ; après tout, si Shishio était bel et bien un demi-Uchiha, Akira souffrait encore plus de ses différences physiques avec le clan. Il avait souvent entendu, au détour d’une conversation, des rumeurs sur son illégitimité prétendue, affirmant que ses cheveux argent et ses yeux bleus ne venaient pas de l’enceinte du clan et d’un hasard génétique inexpliqué, mais bien d’une tromperie - et d’un ô combien haï métissage.

L’Uchiha sans Sharingan serra les dents en remarquant que les yeux d’Akira étaient devenus rouges. Il compta deux tomoe avant de fixer son regard sur le torse de l’adolescent ; regarder un utilisateur de leur héritage dans les yeux n’était jamais une bonne idée, à moins d’en avoir un soi-même, et encore… C’était malheureusement quelque chose qu’il ne pouvait pas nier : comparé à son adversaire du soir, il ne tenait pas la route, ni en tant qu’Uchiha, ni en tant que ninja. Il n’avait pas ses compétences et n’avait certainement pas ses yeux. Si le combat devait éclater, il se ferait sans doute remettre à sa place en quelques coups. La voix nasillarde qui vocalisait chacun de ses doutes, au fond de son esprit, ne se fit pas prier pour le lui rappeler. Fuis tant que tu le peux, ou supplie le à genoux si besoin. Non, pas cette fois. Tu vas juste te faire blesser… Il convoqua mentalement l’image d’une Yurikô souriante pour se rassurer. En se permettant de prendre de haut l’équipe entière de Yurikô, en les mesurant et en insultant l’une d’entre eux, c’était envers cette femme qu’Akira avait manqué de respect. Et même si Shishio devait cracher du sang et mordre la poussière pour en payer le prix, il refusait de laisser passer ça.

Sans doute Akira espérait-il faire mal au genin en lui rappelant sa faiblesse, mais il ne dit rien que Shishio ne savait pas déjà : il était à des siècles de pouvoir égaler la voix nasillarde qui résonnait constamment dans l’esprit du demi-sang, ses insultes sonnaient creux en comparaison. Le raté savait qu’il était bien loin derrière les autres, qu’il n’était qu’un poids mort. Mais Yurikô avait décrété que ce n’était pas une raison pour le laisser en arrière et que ça ne le privait pas d’une place au sein de l’équipe 4. Si Akira espérait que la violence de ses mots avaient la moindre chance d’écailler la confiance qu’avait Shishio en ceux de sa tutrice… Il allait aux devants d’une sérieuse déception.

Malgré toute sa résolution, Shishio n’avait pas la vitesse de réaction nécessaire pour éviter la première attaque fulgurante d’Akira. Celui-ci, tapant du pied sur le sol, fit s’en soulever de multiples bouts de bois et des cailloux qui s’étaient accumulés là au fil des ans, les projetant à grande vitesse, presque comme des shuriken, vers Shishio. Celui-ci, martelé par les projectiles divers, tomba en arrière, derrière l’épais tronc qui lui avait servi d’assise tout ce temps, hors de vue d’Akira.

Retombant sur ses pieds d’un salto, il fit un pas en arrière, bien décidé à ne pas perdre l’avantage de sa couverture immédiatement. Se campant sur ses appuis, il traça plusieurs signes de sa main et, bien vite, les kunai qui étaient tombés au sol quand Akira l’avaient surpris se soulevèrent de nouveau dans les airs. Sôshûjin ! Intima-t-il mentalement, propulsant à l’aveugle les dix lames là où Akira se trouvait juste avant que Shishio ne tombe en arrière.

Reculant d’un nouveau pas, il joignit ses mains pour malaxer son chakra, en appelant à la seule technique élémentaire qu’il possédait - puisqu’il affrontait un utilisateur du Sharingan, il ne pouvait pas se permettre de laisser les yeux de celui-ci mener la danse.

“Fûton - Reppûshô !”

La bourrasque de vent partit en ligne droite, englobant les troncs de bois. S’il s’en servait, comme à son habitude, pour augmenter la vitesse de déplacement et la force de pénétration de sa volée de kunai, elle avait ici pour intérêt principal de soulever le sable et la poussière qui recouvraient le sol du terrain d’entraînement, provoquant un important nuage de poussière qui encombrerait la vue des deux belligérants.

 

Récapitulatif combat:

En raison du nuage de poussière qu’il avait soulevé pour tenter de réduire l’avantage non-négligeable du sharingan que possédait Akira, Shishio n’était pas en mesure de voir les résultats de sa première attaque sur son adversaire. En revanche, lorsque le garçon aux cheveux argent surgit du nuage de poussière, dos aux troncs coupés qui ornaient le centre du terrain d’entraînement des Uchiha, le manque de visibilité ne fut plus un problème. Notant la proximité désagréable de son adversaire, Shishio voulut reculer de plusieurs pas, mais à peine en avait-il fait deux que le flux d’électricité libéré par son adversaire le rattrapa, le stoppant net dans sa course. Il serra les dents, sentant la douleur infligée par le courant électrique traverser tout son corps - ce qui n’avait rien, mais alors rien d’agréable.

Malgré l’étourdissement que lui infligeait l’attaque, il parvint à lever l’un de ses bras, levant deux doigts de son poing, les yeux fixés non pas sur Akira mais sur le parchemin explosif qu’il avait accroché au tronc central, juste à côté de lui. À travers ses dents serrées, il maugré avec autant de volume qu’il le pouvait :

Action Cachée Activée

“Katsu !”

Le sceau inscrit sur le petit bout de papier, à quelques centimètres à peine de son adversaire, détona aussitôt, provoquant une puissante explosion qui engouffra les trois troncs et le corps de l’Uchiha au Sharingan. Aussitôt son corps libéré du flux électrique qui l’avait tenu en place, Shishio envoya une volée de trois shuriken dans le nuage de fumée qui ne s’était pas encore dissipé. Il est plus fort et plus rapide, si je lui laisse le moindre répit, c’est fini pour moi ! Joignant aussitôt ses mains, il prépara un nouveau Sôshûjin, réunissant de multiples kunai autour de lui, volant de chaque côté de son corps. Concentrant son chakra, sentant déjà la fatigue grimper en lui au vu de son enchaînement téméraire de multiples techniques, il s’élança dans la direction d’Akira, courant aussi vite qu’il le pouvait tout en maintenant les kunai en vol.

“Qu’est-il arrivé au fossé immense qui me sépare des autres, Akira ? Je pensais que tu pourrais m’écraser avec une seule main, avec de telles paroles !”

C’était bien la première fois de sa vie que Shishio se permettait de répondre ainsi à ceux qui le tourmentaient. L’effet que Yurikô avait eu sur lui était-il si instantané que cela ? S’était-il si vite attaché à l’équipe 4, à ces camarades qu’il ne connaissait que de nom, qu’une si petite insulte l’avait poussé à se rebeller pour la première fois ? Plus encore que cela, à vrai dire, c’est la réussite de son piège qui avait le plus enhardi Shishio. Il s’attendait à ne pouvoir que vainement riposter, l’espace de quelques secondes, avant de mordre la poussière sous les coups d’Akira. Pourtant, lorsque celui-ci s’était approché pour l’électrocuter, il s’était fait surprendre par l’explosion comme n’importe qui. L’idée folle qu’il avait ses chances poussait Shishio à continuer de se battre, jusqu’à ce qu’il doive admettre que son envolée soudaine n’était qu’une désillusion folle.

Lorsqu’il arriva au contact, il sauta, ses pieds à hauteur de la tête de son adversaire, pour tenter de lui infliger deux coups de pied en plein visage tandis que, de ses main, il déclenchait l’assaut de ses kunai flottants, provoquant cette volée à bout portant cette fois-ci.

 

Récapitulatif combat:

Les attaques de Shishio fonctionnaient ! En se jetant sur Akira, il l’avait atteint avant que celui-ci ne puisse s’écarter et lui avait asséné deux puissants coups de pied sautés en plein visage, le blessant sérieusement avec son attaque de kunais à bout portant. Ses yeux noirs plantés dans les yeux rouges, il en avait oublié la prudence, sentant la chaleur rassurante de l’arrogance envahir sa poitrine. Les mains se plaçant sur les armes disposées dans les poches accrochées au creux de son dos, il était prêt à continuer son enchaînement d’attaque avec une nouvelle danse mortelle, désireux de faire payer à Akira tout ce qu’il avait subi depuis tant d’années. Avant qu’il n’ait le temps de dégainer ses lames pour le blesser, cependant, la fumée de l’explosion l’entoura brusquement en un tourbillon opaque, provoquant chez lui un mouvement de recul. Lâchant ses armes, il se saisit du col haut de sa tenue et le plaqua contre son nez et sa bouche pour ne pas respirer la poussière qui avait été soulevée par l’explosion et, de l’autre main, se couvrit les yeux pour les protéger.

Lorsque le tourbillon se calma enfin, il n’y avait plus aucune trace d’Akira sur le terrain d’entraînement. Shishio haussa un sourcil en le cherchant du regard, perplexe. Une bombe de fumée pour couvrir sa fuite…? Il avait bien remarqué qu’il était en train de prendre l’avantage dans le combat, mais celui-ci n’était pas écrasant au point de provoquer l’abandon de l’autre genin, qui lui était nettement supérieur - enfin, il le pensait, du moins. Rangeant ses armes, il tourna sur lui-même à plusieurs reprises, cherchant la moindre trace de son adversaire sur le terrain, mais rien ne s’offrit à sa vue. En revanche, lorsqu’au troisième tour son regard tomba à nouveau sur l’entrée du terrain, un homme adulte s’y tenait. Il plissa les yeux pour tenter de reconnaître l’intrus, faisant carburer son cerveau à toute vitesse pour chercher une bonne justification pour l’état du terrain. Ses pensées s’arrêtèrent net, cependant, lorsqu’il reconnut son père, marchant à grands pas dans sa direction. Il se figea sur place, pétrifié, n’ayant jamais vu l’homme se déplacer aussi rapidement dans sa direction.

“Nous ridiculiser par ta faiblesse ne te suffit plus, Shishio ? Tu attaques des membres du clan au milieu de la nuit, à présent ?
- P-père, je…
- SILENCE !”

Un frisson terrifié parcourut l’échine de Shishio. La voix de son père avait résonné à travers la nuit comme un coup de tonnerre, provoquant chez lui un mouvement de recul qui manqua de le faire tomber en arrière. Il sentait déjà les larmes s’accumuler dans ses yeux, bien qu’il fit de son mieux pour ne pas les laisser couler sur son visage. Pendant quelques instants, il avait été tellement obnubilé par l’idée de battre son adversaire qu’il en avait perdu de vue la froide vérité de ce qu’il faisait - il attaquait gratuitement un camarade du clan et un autre ninja de Konoha. De tout ce qu’il avait fait pour amener la honte sur sa famille, il venait de battre un record.

“Tu étais une erreur depuis le début, Shishio. J’ai eu le malheur de croire qu’un enfant qui n’avait que la moitié de notre sang pourrait un jour me rendre fier… Un jour devenir un ninja… Mais tout ce que tu es, tout ce que tu as fait, n’est que source d’humiliation pour moi et pour le clan dans son ensemble. Tu n’es pas digne de porter le symbole de Konoha sur ton front ou celui des Uchiha sur son dos. Tu n’es pas digne de te dire mon fils. J’ai fini de me fatiguer à te laisser chaque fois plus de secondes chances - c’est fini !”

Le père de Shishio leva la main haut dans le ciel, paume ouverte. Le genin ne connaissait que trop bien ce geste - son père, l’un des seuls Uchiha à ne l’avoir jamais frappé, à ne jamais l’avoir insulté, allait franchir cette limite. Le garçon avait passé tant d’années à espérer que le silence parental se briserait un jour… Et pourtant, maintenant que l’échéance était atteinte, maintenant que son père explosait enfin, il aurait tout donné pour revenir à la quarantaine émotionnelle habituelle. Fermant les yeux pour anticiper la gifle, il tomba finalement en arrière, assis au sol, quand bien même celle-ci ne l’atteignit jamais. Une autre voix s’était faite entendre, arrêtant le coup au vol.

“Aketora-san, frapper votre fils ne mènera à rien.”

Shishio rouvrit lentement les yeux avec un regard plein d’espoir. Quelques mètres derrière son père, Tadake Yurikô se tenait debout, plus belle que jamais, la lumière argentée de la lune flattant ses traits délicats et sa peau de porcelaine. Un petit sourire naquit sur le visage de Shishio, persuadé que sa formatrice était venue le sauver. Dans un élan de gratitude, il commença :

“Yurikô-sensei…
- De toute évidence, peu importe les coups qu’il reçoit, Shishio ne sera éternellement qu’un incapable. Certaines personnes n’ont simplement pas les talents naturels pour devenir ninja… Ou quoi que ce soit d’autre. Ne perdez donc pas plus votre temps avec lui. Quant à moi… Je suis certaine que Maître Hokage ne tardera pas à me fournir un élève véritablement prometteur pour compléter mon équipe.”

Si l’apparition de son père avait terrorisé Shishio, celle de son professeur avait fait quelque chose de bien pire. Il sentit, physiquement, son coeur se briser. Les larmes qu’il avait retenues jusque là ne mirent pas plus de temps à inonder ses joues, tombant à grands flots sur ses mains serrées. Voulant se relever en tendant une main suppliante, il trébucha et tomba au sol, face contre terre. Il glissa ses bras jusqu’à sa tête, s’agrippant les cheveux, à deux doigts de les arracher en une vaine tentative d’extérioriser sa douleur ; repliant les genoux, il n’était plus qu’une masse informe et sanglotante au milieu du terrain d’entraînement des Uchiha quand le Genjutsu d’Akira se dissipa. Son moral entièrement sapé, il ne remarqua même pas la foule effrayante de clones du garçon qui l’entourait ; de toute évidence, il n’était plus en état de se battre.

Pendant ce qui lui sembla être une éternité, Shishio gisa sur le sol du terrain d’entraînement des Uchiha, son corps vautré secoué par les sanglots qu’il peinait à contrôler. Le combat était terminé et il l’avait perdu, il n’y avait pas le moindre doute possible à ce sujet ; toute l’arrogance qu’il s’était trouvée en voyant ses attaques fonctionner contre Akira avait fondu comme neige au soleil et, en un échange de regards, celui-ci l’avait ramené sur Terre. Shishio avait beau savoir que ce qu’il avait vécu n’était rien de plus qu’une illusion, la peur provoquée par celle-ci était bien réelle. Ce qu’il craignait le plus, hein… Il tâchait de réfléchir à ce que cela impliquait. Sa plus grande peur au monde, ce n’était rien de plus que cela : que son père finisse par perdre patience ou que sa sensei finisse par le voir pour ce qu’il était réellement, un raté sans avenir. Autrement dit, deux éléments vers lesquels il se dirigeait inévitablement, et ce malgré tous ses efforts pour s’extirper de cette carapace de faible dans laquelle il avait été enfermé dès la naissance. Les excuses d’Akira ne voulaient pas dire grand chose face à cette perspective ; le jeune homme ne lui avait donné qu’un avant-goût de l’avenir, la seule réponse possible à toutes ses tentatives pour devenir meilleur que ce qu’il était.

Les yeux ouverts mais le regard perdu dans le vide, Shishio s’abandonna un long moment au désespoir. Du coin de l’oeil, il vit Akira s’installer contre un arbre, attendant sans doute que le jeune garçon soit prêt à se relever. Qu’attendait-il ? Continuer le combat ? C’était inutile ; le demi-sang avait été remis à sa place de la façon la plus efficace qui soit. Le peu de confiance en lui qu’il s’était efforcé de bâtir au cours des dernières jours, dans une vaine tentative de plaire à Tadake Yurikô et rattraper son retard sur ses coéquipiers, s’était effondrée comme un château de cartes. La simple idée de se présenter à nouveau devant elle lui faisait honte, à présent. Comment t’as pu seulement espérer que tu aurais ta place parmi eux ? T’es un raté, Shishio. Arrête de l’oublier. En sentant le goût du sang envahir sa bouche, il réalisa qu’il s’était mordu la lèvre inférieure jusqu’à l’ouvrir. Se relevant lentement, il commença par s’asseoir, les yeux fixés sur le cratère laissé par l’explosion de son parchemin explosif, au centre du terrain d’entraînement. Levant une main jusqu’à son visage, il tâcha d’essuyer le sang qui coulait de sa lèvre et les larmes qui avaient roulé sur ses joues. Ses côtes lui faisaient mal ; le début d’hyperventilation que l’illusion avait déclenché chez lui avait ravivé des vieilles douleurs, là où les officiers de la police militaire Uchiha l’avaient frappé à répétition au cours de ses deux années passées à leur merci. Il pouvait sentir ses mouvements tirer sur ses cicatrices et, l’espace d’un instant, il eut peur de les rouvrir. D’une simple pression sous ses bras, il s’assura que ce n’était pas le cas ; il n’y avait là qu’un mélange peu ragoûtant de sueur et de poussière, pas de sang. Il fut légèrement soulagé : il aurait été compliqué de trouver un médecin qui ne poserait pas de questions à cette heure de la nuit. Et aller voir Yurikô… Eh bien, c’aurait été pire que tout. Surtout après ce qu’il avait vu ce soir.

Il adressa un regard en coin à son cousin, s’efforçant de ne pas trop se faire remarquer tandis qu’il le faisait. Il n’avait pas l’air arrangé, non plus ; il était couvert de son propre sang, que les innombrables coupures et égratignures que Shishio lui avait infligées avaient fait couler. Cela avait quelque chose d’ironique ; des deux, Akira était de loin le plus blessé. La furie du demi-sang l’avait sévèrement amoché, et pourtant c’était bien lui qui ressortait vainqueur de ce combat, ne serait-ce qu’en forçant le forfait de Shishio. Le garçon aux cheveux rouges était quelque peu surpris que son adversaire n’ait pas profité de son immobilité pour le frapper tant qu’il était au sol et lui rendre coup pour coup ; il aurait été fort gonflé de sa part d’appeler ça un coup bas, après l’enchaînement surprise qu’il lui avait infligé. À voir le sang d’Akira teinter la terre battue d’une couleur écarlate, Shishio se sentit bien idiot. Il se permettait de se plaindre de tout ce que son clan lui avait fait subir mais, à l’instant même où il avait oublié sa faiblesse, il s’était permis de faire la même chose : attaquer son propre sang avec toute la violence dont il était capable. Les deux formaient une belle paire d’Uchiha, quoiqu’en disent les anciens qui voyaient une menace dans leurs cheveux de couleurs différentes.

Shishio poussa un long soupir, avant de rompre le silence qui avait duré depuis qu’il s’était effondré, presque une demi-heure plus tôt.

“Je suis désolé de t’avoir blessé. C’était stupide de t’attaquer avec tout ce que j’avais.”

Le ton était sec, mais le pas était fait. Les yeux toujours tournés vers le sol, Shishio avait fait une vague tentative de réconciliation après leur joute incontrôlée. Malgré la lourde sensation d’angoisse que l’illusion subie faisait peser sur sa poitrine, il s’était finalement décidé à accorder aux excuses d’Akira un peu de foi. Il savait très bien que c’était sans doute un choix idiot ; peut-être même qu’il offrait au genin encore plus d’armes pour le faire souffrir à l’avenir en s’ouvrant ainsi. Mais c’était là le problème, avec l’espoir : il était très dur d’y renoncer, plus encore pour un jeune garçon aussi naïf que Shishio.

“Tu… Tu crois que…” Les joues chauffées par l’embarras de poser une question pareille, Shishio tourna la tête vers la droite, offrant au regard d’Akira le dos de celle-ci. “Tu crois que tu pourrais m’apprendre à résister à un Genjutsu ? Au… Au cas où ça m’arriverait en mission… Tu sais…”

Shishio eut un léger soupir rassuré en entendant les excuses maladroites d’Akira envers lui. Il n’aurait pas vraiment su dire pourquoi, mais constater que son cousin était tout aussi mal à l’aise que lui à cet instant rendait la situation moins anxiogène. Tout cela pouvait toujours être un piège pour se venger des coups subis, bien sûr, mais tant que le jeune garçon se forçait à faire confiance à son homologue, il ne pouvait y voir que plus de points communs entre eux. Avec une pointe d’amertume, il se fit la remarque que ce genre d’échanges était ce qu’il aurait voulu avoir avec lui des années plus tôt, à l’époque où les moqueries et les attaques commençaient à peine ; il aurait voulu qu’Akira fasse front avec lui, ou au moins lui serve d’échappatoire une fois le regard des autres éloigné. Cela étant dit, mieux valait tard que jamais, et les vieilles rancunes semblaient bien fragiles sous la lueur de la lune. Ses yeux lui brûlaient toujours, mais savoir qu’il avait rendu coup pour coup rendait sa défaite plus facile à accepter. Quant à ce qu’il avait vu pendant le Genjutsu… Il n’en tenait simplement pas Akira comme responsable. Celui-ci l’avait juste forcé à regarder quelque chose qu’il voyait déjà, en un sens. Shishio se blâmait bien plus lui-même pour ce cauchemar qu’il ne blâmait son cousin.

Il eut une petite moue déçue en essuyant le refus d’Akira de l’entraîner - ou plus précisément, le report. Sur le fond, il aurait été difficile de protester : il s’était écroulé au sol, complètement brisé, en encaissant l’un des Genjutsu les plus basiques imaginables. Il était naturel que l’utilisateur du Sharingan ne pense pas Shishio en état d’encaisser d’autres illusions, d’autant plus qu’avec son rythme d’apprentissage habituel, il était quasiment certain qu’il subirait illusion sur illusion pendant de longues périodes avant de commencer à faire le moindre progrès. Il se garda bien de montrer sa déception à Akira, cela dit, et se contenta de hocher doucement la tête, acceptant de reporter l’entraînement - l’essentiel pour lui était qu’une telle défaite ne lui arrive pas en mission, jamais. Il pouvait se pardonner la honte d’avoir fondu en larmes au milieu du terrain d’entraînement alors qu’il était celui qui avait rendu le combat aussi sérieux, mais jamais il n’accepterait d’avoir l’air aussi ridicule devant son équipe, d’autant plus alors qu’ils comptaient sur lui. L’idée de les mettre en danger à cause de ses propres échecs suffisait à le rendre nauséeux.

Il eut un petit rire cynique en entendant les compliments d’Akira, se retournant vers lui avec un éclat presque espiègle dans les yeux.

“Quand t’es aussi nul que moi, t’apprends à compenser, c’est tout.” L’espace d’un instant, il eut presque l’air fier de sa propre ingéniosité - puis l’impression disparut aussi vite qu’elle était venue, laissant à nouveau à la place de Shishio un garçon à l’air abattu et aux yeux ternes. “J’ai eu de la chance de me tenir sur les troncs quand tu m’as attaqué en premier… Et de la chance que tu me fonces dessus en ligne droite. Tu parles d’un stratège…”

Malgré son obstination à refuser ainsi tous les compliments qu’on lui faisait, par habitude, il ne pouvait s’empêcher d’avoir un petit sourire aux lèvres. Même après ce qu’il venait de vivre, entendre que Yurikô serait fière de lui, ça lui faisait bien trop plaisir pour qu’il le cache proprement. Se levant doucement, il déplaça lentement ses bras et ses jambes, faisant bruyamment craquer ses articulations engourdies par les longues minutes vautrées au sol.

“On se retrouve ici, demain, à minuit pour l’entraînement ? Il est sûrement mieux pour ta réputation auprès du reste du clan que tu ne sois pas vu en train de m’aider à m’améliorer… Et je serais plus à l’aise en travaillant loin de leurs yeux et de leurs oreilles.”

Sur le papier, Shishio savait qu’il partageait une grand-mère avec Akira mais, contrairement à celui-ci, il ne l’avait jamais rencontrée. Lorsque, 15 ans plus tôt, Uchiha Aketora était revenu de la bataille contre le clan Chinoike avec une femme étrangère sous un bras et un enfant demi-sang sous l’autre, il s’était retrouvé bien obligé de couper les ponts avec l’essentiel de sa famille : si sa force lui garantissait qu’aucun Uchiha n’aurait le cran de se moquer ouvertement de lui ou de l’attaquer pour ses choix, ses proches ne cachèrent pas leur dégoût pour le sang impur qu’il avait amené au sein du clan. Le père de Shishio n’était pas le genre d’hommes à s’émouvoir de ce genre de situations : il était fier et puissant et, même excommunié par sa famille et écarté des hautes instances du clan, il resta parfaitement stoïque. Pour un observateur extérieur, à vrai dire, cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Ce shinobi-là n’avait pas honte de ses décisions et, surtout, il était très amoureux de sa femme, qu’il n’aurait répudiée pour rien au monde.

Aussi, Shishio ne put s’empêcher d’être surpris en entendant la proposition d’Akira. Après tant d’années, il en avait presque oublié que sa famille au sein du clan ne s’arrêtait pas à ses parents ; la mère du genin aux cheveux d’argent était sa tante et, par conséquent, la vieille femme chez qui il vivait désormais était leur grand mère… À tous les deux. Le demi-sang restait perplexe ; l’aïeule accepterait-elle la visite de ce petit fils inconnu au sein de son foyer ? Après tout, puisqu’il ne lui avait jamais parlé directement, la seule chose qu’elle devait savoir de lui… C’était simplement sa colossale liste d’échecs et les multiples humiliations qu’il avait subies et fait subir au clan en en portant le nom et les armoiries. Nul doute que leur première rencontre, si elle devait avoir lieu, serait pour le moins mouvementée.

Cependant, alors qu’il s’apprêtait à refuser, estimant que cette nuit avait déjà eu sa dose de réunions familiales, son estomac le trahit, poussant un lourd grognement dans la nuit. Il n’y avait pas trente-six façons le dire - Shishio mourait de faim. Difficile de refuser une invitation à manger alors qu’il en était presque au point de s’écrouler en se relevant, tant l’entraînement et la courte joute qui avait suivi l’avaient affamé. Surtout qu’à une heure pareille, les chances qu’il doive croiser leur grand-mère étaient assez faibles… Il soupira avec un air gêné, réalisant bien que sa réponse était évidente avant même qu’il ne la prononce à voix haute.

“Heh… J’aurais du mal à refuser… Et puis après t’avoir bombardé de kunai, la moindre des choses est de t’aider à panser tes blessures. On aura l’air fin si tu te retrouves avec une infection.”

Marchant lentement vers Akira, Shishio prit une grande inspiration. Il avait beau dire le contraire, repartir de zéro avec son cousin serait loin d’être simple. Le demi-sang  ne se souvenait que trop bien des insultes, des moqueries, des humiliations et de tous les autres types d’attaques ; il en avait bavé, pendant ces dix dernières années, et l’Uchiha aux yeux bleus était responsable d’une bonne partie de tout ce qu’il avait encaissé. Il ne suffisait pas de dire quelque chose d’aussi stupide et naïf que “je suis désolé” ou “je te pardonne” pour pouvoir faire table rase. Peut-être que simplement en avoir envie, c’est déjà un début…

Traînant son corps encore endolori jusqu’à l’arbre contre lequel Akira était adossé, Shishio eut l’impression de soulever des poids de plusieurs tonnes en levant sa main droite pour la lui tendre, prêt à l’aider à se relever. Le demi-sang n’était pas exactement en état de porter son cousin, mais au moins lui permettre de se remettre sur ses pieds sans trop d’efforts… C’était déjà pas mal.

“Je te suis.”

Shishio ressentait un étrange sentiment tandis que les deux jeunes adolescents remontaient silencieusement les rues du domaine du clan Uchiha. Il savait pertinemment que personne ne pouvait les voir, aussi exposés à la lumière lunaire fussent-ils ; à une heure aussi avancée de la nuit, plus personne n’était debout pour observer l’affrontement nocturne de deux Genin. Même dans le très policé clan à l’éventail, aucune surveillance n’est constante ; les mains dans les poches, gardant un oeil inquisiteur fixé sur son cousin, Shishio savait pertinemment qu’ils étaient aussi “cachés” qu’il était possible de l’être au sein d’un village caché. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de visualiser la scène depuis un point de vue extérieur ; il se demandait bien ce que diraient ses parents, ou même sa tutrice, en le voyant marcher ainsi à côté d’un de ses ennemis de la veille, l’esprit et le corps meurtri par une joute déraisonnée et déraisonnable. Son comportement de cette nuit n’avait aucun sens, et il en avait cruellement conscience ; rien de tout cela n’était logique. Rien de tout cela ne ressemblait à la façon d’être du lâche, du timide, du défaitiste Uchiha Shishio. Et pourtant, régulièrement, ses sandales venaient s’appuyer contre le sol de pierre des rues du domaine et, à chaque pas, il continuait de surveiller le claudiquement d’Akira. Qu’est-ce qui m’a pris…?

Il haussa un sourcil en découvrant la maison de leur grand-mère commune. Il avait du mal à se faire à l’idée qu’il allait enfin la rencontrer ; il savait qu’elle existait, bien entendu, mais son père ne lui avait jamais parlé d’elle. Quand Aketora était revenu à Konoha avec une femme sous un bras et un fils sous l’autre, ses rapports avec le clan s’étaient rapidement détériorés, au point de frôler l’excommunication. Contrairement à son fils, Uchiha Aketora était un homme fort et décidé ; il n’avait jamais hésité une seule seconde à faire face au clan à l’éventail pour défendre son droit d’épouser la femme qu’il aimait, malgré son jeune âge à l’époque. De la même façon, il n’avait jamais porté l’oreille aux conseils de ceux qui suggéraient qu’il laisse “son étrangère et son bâtard” sur un rocher plat au coeur de la forêt du pays du Feu pour les abandonner à leur sort avant de se trouver une épouse digne de ce nom. De façon générale, il était suffisamment fort pour que la plupart des hargneux restent loin de lui et ne se permettent pas de le critiquer en face ; la plupart des attaques se faisaient dans son dos. Shishio savait qu’il avait coupé les ponts avec sa mère quand le demi-sang n’était encore qu’un nourrisson, et il connaissait suffisamment son père pour savoir que celui-ci était bien trop fier pour refaire un jour un pas vers la famille qui l’avait regardé de travers pour ses choix.

En enlevant ses chaussures, suivant les pas d’Akira, Shishio ne put s’empêcher de ressentir une certaine pression dans sa poitrine. Comment réagiraient ses parents s’ils savaient qu’il s’était rendu ici ? Comment sa grand-mère réagirait-elle en voyant ce petit-fils étranger sous son toit si elle se réveillait ? L’esprit porté tout entier vers ses préoccupations, le jeune garçon n’accordait qu’une maigre attention aux troubles d’Akira tandis qu’il tentait maladroitement de réchauffer leur dîner tardif. Leur grand-mère apparut dans la pièce comme un fantôme, sans s’annoncer ni leur adresser la parole, se contentant de réchauffer proprement le plat. Muet, bouche bée, Shishio la regardait faire avec un air presque fasciné, découvrant le visage de cette aïeule dont il ne connaissait que l’existence. Pendant un moment, il crut qu’elle allait simplement l’ignorer entièrement, avant qu’elle ne s’arrête pour lui proposer d’emménager chez elle. Surpris par la proposition, le Genin resta muet une fois de plus tandis qu’elle remontait se coucher à l’étage, complètement abasourdi par ce qui venait de se passer.

Il lui fallut de longues secondes pour se ressaisir, après quoi il leva les yeux vers Akira.

“Non… C’est la première fois.”

Manifestement remué, il se saisit du bol que lui tendait l’autre garçon, l’agitant entre ses mains sans trop savoir qu’en faire pendant un moment. Prenant une longue inspiration, il finit par ajouter :

“Je… C’est très gentil de sa part, mais je ne cherche pas à partir de chez moi. C’est l’un des seuls endroits du domaine, voire du village, où je ne risque rien, je ne ferai pas une croix dessus de sitôt.”

Ne sachant trop quoi dire de plus, il baissa la tête vers son bol et commença à manger pour justifier son silence.

“Je ne connais pas les détails,” marmonna Shishio entre deux bouchées. La vitesse à laquelle il engloutissait le bol de curry trahissait tout à la fois sa gloutonnerie habituelle et la faim dévorante que le combat contre Akira avait provoqué chez lui. Son dîner remontait déjà à plusieurs heures et, entre son entraînement solitaire et la confrontation imprévue, il avait demandé bien trop à son corps pour ne pas le récompenser avec cette collation ensuite. La cerise sur le gâteau ? Manger lui donnait tout à la fois une raison de garder le regard baissé et lui évitait de devoir parler. Suite au malaise qu’avait déclenché le passage de leur grand-mère, Shishio avait la sensation que lui comme son cousin étaient reconnaissants de pouvoir éviter une conversation trop intense. Mais puisque l’autre Uchiha lui avait posé une question, la moindre des choses était de répondre.

“Ce que je sais, c’est que mon père a coupé les ponts avec sa famille proche et l’essentiel de ses relations au sein du clan quand j’étais encore un bébé. Je ne lui ai jamais posé la question directement.” Il avala pensivement une nouvelle cuillère de curry. “C’est quelqu’un de très fier. Il n’est pas du genre à faire le premier pas pour arranger les choses quand il se brouille avec quelqu’un… C’est un trait assez récurrent, dans notre clan, j’imagine. Je sais juste que tu es le fils de sa soeur et que nous avons une grand-mère commune… Mais il n’a adressé la parole ni à l’une, ni à l’autre depuis une petite quinzaine d’années.”

Cela n’avait pas aidé l’intégration de Shishio au sein du clan, d’ailleurs ; avant même d’être le faible et la honte du clan, il était un demi-sang et le fils d’un paria. La force d’Aketora le protégeait des critiques mais, dans beaucoup de familles Uchiha, l’exemple de Shishio était donné comme la preuve irréfutable que le métissage avec des personnes extérieures au clan amenait toujours un désastre. Si même quelqu’un d’aussi fort que le grand balafré avait produit un pathétique couard comme Shishio, c’était bien la preuve que les gènes Uchiha n’étaient pas faites pour être salies et souillées en les mélangeant à d’autres, n’est-ce pas ?

Écoutant la proposition d’Akira, il hocha doucement la tête en terminant son bol, s’essuyant la bouche du revers de la main.

“Je t’en remercie,” commença-t-il, toujours aussi mal à l’aise à l’idée d’être redevable envers son cousin. “L’essentiel pour moi est de ne plus être aussi vulnérable face au Genjutsu. S’il y a autre chose que je peux apprendre dans le processus, c’est tout bénef’.” Il gardait le regard fixé sur son bol, maintenant vide, trop hésitant sur la façon dont il devait se comporter pour regarder Akira droit dans les yeux.

“Ne t’inquiète pas pour les câlins, je ne m’attendais pas à en recevoir.” Il finit par reposer son bol pour relever la tête vers son camarade. “Je… Je suis épuisé, pour être parfaitement honnête. Je ne vais pas tarder à rentrer me coucher. Disons… Qu’on se retrouve demain, sur le même terrain d’entraînement, une heure après le coucher du soleil ?”