Grandir dans la misère ne fut pas toujours facile à accepter pour le bouffon maquillé, comme pour aucun de ses semblables. Les eta, qu'ils soient artistes de rue, tanneurs ou bourreaux, s'étaient organisés dans sa région en petites associations, parfois appelées mafia, qui se réfugiaient dans l'illégalité pour rapporter des revenus supplémentaires. Beaucoup d'enfants, comme lui l'avait fait dans sa jeunesse, étaient forcés à voler dans les marchés ou directement dans les fermes pour nourrir leur famille ou leur employeur. Pour cela, ils développaient un sens de la discrétion très développé et Sachi avait toujours été particulièrement doué dans ce domaine.

Depuis qu'il avait éveillé sa maîtrise du chakra, il avait en effet découvert une affinité particulière avec l'art de l'ombre, de la discrétion et de la fourberie. Il lui arrivait d'ailleurs toujours de s'en servir pour voler car, même s'il pouvait maintenant avoir une nouvelle source de revenue en rendant des services à des nobles paresseux, il préférait toujours vivre de ses spectacles. Bien évidemment, cela ne suffisait la plupart du temps pas à combler son estomac, mais au fond, telle était la vie d'un artiste dans ce Sekai !

Toujours dans cette veine, il s'était aujourd'hui lancé un défi. Il venait de terminer sa mission avec l'Ocertan de Jashin, rencontre fort agréable par ailleurs, et souhaitait passer encore un peu de temps à Futami avant de rejoindre son acolyte Maïka. Il s'était rendu dans l'un des villages principaux de cette région peu dense et avait entendu que, le prochain dimanche, se tiendrait un grand marché présentant toutes les spécialités de la région. Des marchands venant des quatre coins de la zone viendraient négocier leurs produits dans cet évènement annuel. C'était une occasion parfaite pour exprimer sa nostalgie et retomber dans les vices de l'enfance. Le marché serait organisé sous forme circulaire, avec trois cercles concentriques partant du centre du village jusqu'aux quartiers résidentiels, si l'on pouvait appeler ça ainsi. Il avait pour objectif de voler un item dans chaque boutique de l'îlot central.

Pour cela, il devait maîtriser l'art de la furtivité à la perfection. Il avait déjà remarqué qu'il était capable de devenir invisible aux yeux de tous à la condition de ne pas bouger. Pour réussir son défi, il aurait besoin d'améliorer cette compétence. Ainsi, il pourrait se déplacer d'échoppes en échoppes sans qu'une âme ne puisse affirmer avec certitude qu'un saltimbanque comme lui eût passé un jour par cette ville.

Quand le jour arriva, le marginal était prêt. Il activa d'abord son mode furtif pour faire du repérage sans se faire remarquer. On le voyait, bien sûr, mais personne ne semblait faire attention à lui malgré son apparence si particulière. Personne ne pouvait se méfier ni même s'imaginer qu'un type dégageant si peu de choses pouvait être un shinobi. C'était là que résidait leur erreur. Il put donc analyser la disposition des différentes échoppes : parmi ses cibles principales, l'une vendait des pommes caramélisées, une autre des petites pièces de bois à l'effigie d'esprits de la forêt et, enfin, la dernière proposait des chapeaux traditionnels régionaux. Rien qui ne l'intéressait, donc, mais l'exercice s'annonçait amusant.

Il composa une courte série de mudra puis, immobile au milieu de la foule, sembla disparaître complètement de l'esprit des passants. Il était comme recouvert d'un voile d'ombre. On pouvait le voir, bien sûr, mais seulement si l'on faisait attention à lui. A moins d'être directement à sa recherche, sa présence en ces lieux était parfaitement illusoire. Il tenta de se déplacer doucement, très doucement. Un pas après l'autre, il essayait de maintenir son chakra le plus stable possible. Pour s'aider, il avait gardé avec ses mains la position du dernier signe incantatoire.

Quand il arriva devant la première boutique, pourtant, le vendeur de pommes l'interpella directement.

- Bonjour mon bon monsieur ! Vous voulez m'acheter une pomme ?

Surpris et abattu, l'artiste se retira doucement en contemplant son échec. Il fallait recommencer. Pour se faire oublier un peu, il décida de changer de cible et se posta devant l'ensemble de chapeaux à plumes pour analyser les habitudes des vendeurs. Un bon méfait, en effet, ne reposait pas uniquement sur la furtivité, il fallait également saisir le bon moment, l'instant où la vigilance était au plus bas.

Technique à apprendre :

Il crut enfin voir la faille, quand le commerçant fut occupé avec un client qui lui nécessitait particulièrement d'efforts pour être satisfait. C'était une aubaine pour le voyou, qui composa à nouveau les mudra pour se fondre dans la masse. Une fois encore, il maintint la dernière position de ses mains et ne relâcha sa concentration à aucun moment. Après une bonne minute passée à franchir les deux mètres seulement qui le séparaient de la boutique, il était finalement proche d'un petit chapeau en laine rouge, dont une longue plume brune lui sortait du derrière. Il leva sa main pour s'en saisir mais, au moment où il arrêta son mudra, il réapparut à la vue de tous. Alors qu'il avait les doigts agrippés à la plume, on lui hurla dessus.

- Eh, toi ! Ôte tes sales pattes de ma marchandise, ou j'appelle les autorités ! Oh, non, tiens, je vais même les appeler tout de suite. Gardes, à moi !

Sachi courut comme un dératé à l'approche des gardes. Non, il ne pouvait pas compromettre sa mission maintenant ! Il avait déjà fait de grands progrès, puisqu'il était parvenu à approcher le stand sans être repéré. Il l'avait fait extrêmement doucement, certes, mais il avait ce feeling que ressentent parfois les shinobi qui lui dictait qu'il était proche du but. C'était un axe qu'il pouvait encore améliorer et il le ferait. Toujours dans le cercle central, il retourna du côté du marchand de pommes qui, même s'il lui avait fait une impression bizarre la première fois, ne le soupçonnait pas d'essayer de le voler.

Il recommença une nouvelle fois sa démarche et se fondit parfaitement celle des autres visiteurs. Pour ne pas se faire avoir cette fois-ci, il maintint la même concentration qu'à sa tentative précédente et sa même vitesse de déplacement. La seule différence, cette fois, c'était qu'il n'avait pas prolongé son mudra. S'il parvenait à se déplacer de cette manière, il aurait donc les mains libres et éviterait toute mauvaise surprise. Il s'en approcha doucement, sans faire le moindre bruit et parvint à s'emparer d'une des pommes caramélisées qui servaient d'exposition. Il partit au pas lent en direction de la seconde échoppe, bien déterminé à accomplir son objectif.

Toujours concentré, il prit le temps de glisser le fruit sucré dans son sac sans même le croquer. Il n'avait en réalité aucune intention de le manger, puisque tout le plaisir reposait dans le frisson de l'acte et non dans la récompense. Il se rendit compte que, progressivement, il s'habituait à cette nouvelle étape de furtivité. Il parvenait à se déplacer de plus en plus fluidement et allait désormais à l'allure d'une personne âgée en bonne santé. Il se déplaçait donc moins rapidement qu'un homme moyen, mais la différence était déjà très nette comparée à la première fois.

Dans le second stand, il déroba habilement un petit renard aux oreilles tombantes sculpté dans le bois. C'était une jolie pièce, mais que son copain d'enfance Ren aurait pu tailler en deux minutes dans n'importe quel morceau de bois mouillé. Il n'y avait rien d'impressionnant et donc, peu d'intérêt à ce cambriolage. Tant pis, il se réconforterait sur la dernière échoppe.

C'était l'heure de vérité. Maîtrisait-il ce qu'il avait cherché à apprendre ? Encore une fois, le trajet lui parut plus évident que la première fois. Il avait maintenant adopté l'allure d'un homme normal et s'était plus que jamais perdu au milieu de la foule. Il était un client comme tant d'autres, auquel on ne prêtait aucune attention et qui ne faisait retourner aucune tête. C'était d'ailleurs un sentiment bien inhabituel pour l'envoyé de Dainichi.

Tandis qu'il s'approchait de nouveau du chapeau à plume tant convoité, il fit défiler une musique épique dans son esprit. L'un des avantages d'avoir une ouïe aussi développée que la sienne, c'était qu'il était capable de reproduire presque n'importe quel son à la fois par sa bouche, mais également dans sa tête. Dans son imagination se jouait alors un immense orchestre dont le rythme guidait ses pas vers l'objet de son délit. C'est sur un refrain triomphant qu'il parvint à l'attraper à pleine main, à le positionner sur sa tête puis à s'enfuir calmement, en passant juste sous le nez du vendeur qui l'avait menacé juste avant.

Il avait réussi, il l'avait fait.

Quelques pas plus tard, son charme prit fin et on entendit le vieux chapelier s'écrier : "LUI ! ATTRAPEZ-LE !" Oups...

Il partit en courant et en riant, agitant le couvre-chef sous le nez de ses poursuivants.

Technique à apprendre :