La morsure de l'hiver • ft. solo

« Il neige… »

Suspendant soudainement son geste, elle portait son regard sur les quelques flocons qui descendaient lentement, portés par une douce brise. Ses yeux se voilèrent légèrement ; l’hiver s’était abattu sans prévenir, elle ne l’avait pas vu arriver et voilà que les premières neiges tombaient… Presque par réflexe, elle expira par la bouche, s’attardant un instant sur la vapeur rendue visible par le froid comme si elle la découvrait pour la première fois. Qu’avait-elle fait, ces dernières semaines, pour ne pas se rendre compte qu’il faisait si froid… Et elle relevait une de ses mains autant rougie que glacée. Qu’avait-elle fait…

« Maman. »

Et comme un coup de poignard, le souvenir douloureux de jours (voire de semaines) d’errance lui revinrent en mémoire fatalement. La vie avait été si pressante depuis son arrivée à Uzushio ; elle n’avait pas eu un jour de répit, croyait-elle. Et puis, brutalement, tout s’était arrêté. Il y avait eu la disparition de Jirō, qu’elle n’était pas encore parvenue à éclaircir – mort ou fugue ? Mais ses souvenirs la torturaient. Il lui avait fallu faire son deuil, malgré tout, sans même savoir s’il avait véritablement rejoint les Dieux. Et, en même temps, il lui avait fallu lutter contre le flot d’émotions qui avait accompagné la découverte d’une lettre, adressée à son attention, signée de la main de son fils – si tant est qu’il ne s’agisse pas d’une nouvelle manigance des religieux du Myōshin-ji. Elle avait tenté vainement de ne pas se noyer, de mettre de l’ordre dans ce chaos et d’y trouver une lueur d’espoir et de raison, quelque chose à laquelle elle aurait pu se raccrocher pour s’en sortir. Vainement… Le mot était faible ; finalement, elle avait provoqué elle-même sa chute. Sa longue descente aux Enfers. Des jours durant, abrutie par ses propres illusions, si tant est qu’elle fût encore consciente.

Mais tout n’avait pas été vain, en réalité. A cette occasion, elle avait fait connaissance avec ce qui deviendrait l’une de ses plus grandes armes. Alors qu’elle devenait familière des ténèbres et des angoisses que celles-ci provoquaient, elle les avait peu à peu domptées pour s’en faire des alliées. D’abord, pour s’en servir contre elle-même, puis contre les autres. Ce n’était qu’après avoir passé plusieurs jours dans le noir complet qu’elle avait compris la puissance de telles illusions. Plonger le monde dans un monde si obscur que nul espoir n’était permis… Cette idée avait fini par la séduire autant que par la détourner de son désespoir. Elle s’était alors abandonnée, corps et âme – littéralement –, dans l’élaboration de cette technique, de la façon la plus optimale d’insuffler son chakra dans l’espace au meilleur moyen de produire le noir le plus pur.

Et puis, comme elle avait trop tardé à sortir de chez elle, et que peut-être quelqu’un s’était inquiété dans son entourage, on avait finalement frappé à sa porte. Mais qu’elle ne fut pas sa désillusion : retour de flamme très certainement mérité, compte tenu de la distance qu’elle instaurait avec les autres… On venait la chercher pour une mission, et non pas pour s’enquérir de son état. « J’irai. » avait-elle simplement dit, portant difficilement l’ordre de mission dans ses mains, comme si le simple fait de tenir un parchemin lui brûlait les doigts à présent.

Et elle y était allée. Puisqu’il n’y avait plus rien pour elle à Uzushio, puisque la vie lui avait arraché son premier amour et puisque son fils l’appelait par-delà l’Isthme du Gel, elle avait pris la route sans regret. Il lui fallait changer d’air, se vider l’esprit… Et, par-dessus tout, il lui fallait prendre sa revanche. C’était étrange mais, alors que sa vengeance aurait dû se diriger contre la vie elle-même, seule responsable de son malheur, elle envisageait plutôt de se défouler sur le premier venu, libérer sa rage et tout détruire sur son passage. Comme si semer le chaos dans la vie de ceux qui n’avaient pas connu semblable désespoir allait l’aider à panser ses blessures. C’était irresponsable et cruel, mais elle n’en avait plus rien à faire. « Devrais-je être la seule à souffrir ? » se demandait-elle, et la seule réponse que son esprit saccagé trouvait était bien évidemment négative.

« Ah, c’est vrai… »

Et à présent qu’elle se souvenait pourquoi l’hiver était arrivé si vite, sans qu’elle ne s’en rende compte, elle se sentait d’autant plus déterminée à faire couler le sang. « Misérables humains, vous êtes coupables. Vous m’avez déjà tout volé et, à présent, vous me volez même l’hiver. Il n’y a plus d’espoir pour vous. » murmura-t-elle doucement. Malgré elle, les larmes lui montèrent aux yeux et comme elle tenta de les retenir, sa vue se troubla. Elle manquait cruellement de sommeil et, avec lui, de discernement. Alors, à l’évocation de souvenirs pénibles, sa tristesse permanente se muait lentement mais sûrement en colère. Dans ces moments, elle devenait avide de violence.

Malheureusement, il n’y avait personne ici. Un frisson lui parcourut l’échine et sa main trembla légèrement. Devait-elle mettre un terme à tout cela ? Pourtant, elle ne pouvait pas se permettre d’agir de la même façon que lorsqu’elle avait craqué, chez elle, quelques jours auparavant. Elle ne pouvait pas se mettre elle-même dans un cauchemar, car elle avait à faire non loin. Et si on la trouvait dans un état lamentable, au bord de la route ? Elle était folle mais pas stupide.

Devant la frustration de la situation, elle céda cependant. Inspirant profondément, elle porta son regard redevenu glacial sur le ciel. Il neigeait encore ; les flocons continuaient leur descente inexorable et, au contact de sa peau, ils disparaissaient. C’était leur descente aux Enfers à eux… Tout ce qu’il leur manquait, c’était les ténèbres qui allaient avec. Alors, il y eut comme un flottement dans l’air, l’espace d’un instant elle eut l’impression que tous les minuscules cristaux de glace retenaient leur respiration, tandis que son chakra fusait dans tous les sens, sans la moindre retenue. « Voilà les ténèbres, mes amis. » pensa-t-elle, alors qu’elle sentait son énergie la quitter peu à peu et former, tout autre d’elle, un Genjutsu terrible à l’image de son désespoir.

Sa rencontre avec  ce Genjutsu, cela avait été une libération, son moyen d’exprimer toute la rancœur et tout le mal être dont elle faisait preuve maintenant. Elle l’avait subi, elle l’avait compris, et elle l’avait conquis.

Mais, ce jour-là, utiliser pareille technique n’eut pas vraiment le même effet salvateur que dans son appartement. Elle pensait libérer un peu de sa colère et de sa frustration en même temps que son chakra, mais elle rendait bien compte que tous ces flocons n’avaient rien d’êtres humains et cela n’était pas à eux qu’elle en voulait sinon aux Hommes. Se tournant de nouveau vers le chemin qui serpentait à ses pieds, elle soupira. Ainsi donc, il lui faudrait attendre d’atteindre le campement de ses ennemis…

Elle se remit en route.