En 1500-2000 Mots, raconte-nous un de tes premiers entraînements avec Yu. Alors que tu semblais tout louper, comment vas-tu faire pour regagner la force pour devenir plus forte? De plus, tu te souviens du discours de ta famille et tu dois réussir à avancer à aller de l’avant…
Ce jour-là n’avait rien de particulier ; c’était un jour comme les autres, Wei s’était réveillée tard comme à son habitude et avait refusé de sortir de son lit avant que le soleil ne soit bien haut dans le ciel. On lui avait servi son déjeuner dans sa chambre, ce que l’un de ses frères n’avait pas manqué de souligner, constatant l’absence de sa plus jeune sœur à table. Mais Wei s’en fichait, elle était une princesse et on lui pardonnait tout. La benjamine des Jin vivait sa vie comme elle l’entendait, pleine d’innocence et d’insouciance. Il suffisait qu’elle ait une petite mine attristée, qu’elle s’excuse gentiment auprès de sa mère, et on passait l’éponge. «
Regardez comme elle est mignonne ! » disait-on sur son passage. Oui, résolument, elle était la Dauphine du royaume des Jin.
Le seul qui semblait encore résister à son charme d’enfant douce et malicieuse, c’était Yu, son précepteur. Maître et ami depuis sa naissance, il prenait son éducation avec un tel sérieux que, finalement, il était bien le seul à la réprimander lorsqu’elle se montrait capricieuse. Mais Wei ne lui en voulait pas ; ils se connaissaient depuis toujours, ils vivaient ensemble et la douce savait que le jour où elle aurait besoin de lui, il serait là. C’était d’ailleurs le seul sur qui elle pouvait vraiment compter. Les autres, dans le fond, ils s’en fichaient de ses problèmes d’enfant gâtée. Ses frères et sœurs ne témoignaient d’aucun intérêt pour la gamine, préférant se concentrer sur leur voie – cette fameuse compétition fraternelle dont personne ne parlait à voix haute mais dont tout le monde avait conscience. Wei, plus jeune qu’eux, ne comprenait pas encore bien les tenants et les aboutissants de cette concurrence parfois malsaine. Yu aussi éludait la question, la plupart du temps, mentionnant simplement l’organisation complexe de la famille. Chacun avait un rôle, mais Wei ne savait pas encore quel serait le sien.
Elle voguait donc tranquillement à ses activités lorsque Yu vint la chercher dans sa chambre, en début d’après-midi. Ce jour marquait un nouveau tournant dans son éducation et elle s’en rendrait compte bien assez tôt. De fait, l’homme avait retardé autant que possible l’éducation martiale de la jeune fille, mais il ne lui était plus possible de reporter encore l’échéance. Ce délai avait été stratégique. Pour lui, il s’agissait de repousser autant que possible l’épreuve finale ; pour elle, il s’agissait de lui laisser le temps de gagner en maturité avant ce jour fatidique. Néanmoins, si Wei n’était encore qu’une enfant, aussi bien physiquement que mentalement, elle s’était montrée jusqu’alors très rigoureuse dans son apprentissage. Aussi, personne ne se doutait, à l’époque, que la difficulté ne viendrait pas directement du manque de maturité de l’enfant, sinon de ses capacités intrinsèques.
[…]
«
Stop ! J’en ai marre… —
Fais un effort.—
Je dois vraiment apprendre tout ça ? C’est trop dur… En plus, ça va me servir à rien.—
Qui es-tu, Wei, pour juger de ce qui te servira ?—
Quoi ?—
Quel est ton rôle au sein de cette famille, Wei ? Quel avenir tu as, toi, la benjamine ?—
Je… Je sais pas moi ! C’est toi qui sais tout !—
Alors fais ce que je te dis. »
Les larmes aux yeux, la voix tremblante, Wei détourna le regard furieusement. Elle détestait ces discussions. Elle détestait se disputer avec lui. Mais elle n’y pouvait rien, quand elle n’y arrivait pas, quand quelque chose lui résistait... Ah, elle voulait abandonner ! Mais lui, il insistait et elle, elle se mettait à pleurer. Elle renifla, retenant tant bien que mal ses larmes. N’importe qui aurait cédé, mais lui il ne cédait jamais. Il restait de marbre face à ses pleurs. Zhao Yu, l’homme au cœur de pierre. Elle se redressa finalement, essuyant discrètement la goutte qui perlait au coin de son œil et lança, sur un ton un peu énervé : «
Alors, remontre ! »
Laissant échapper un petit soupir, l’homme se releva lui aussi et joignit les mains. Il se relançait alors dans une explication qu’il avait déjà donnée une bonne dizaine de fois cette après-midi-là, mais il faisait preuve d’une résilience incroyable, n’omettant aucun détail de son exposé. Le chakra… Wei écoutait distraitement ; tout ça ne l’intéressait pas. Dès la première explication, elle avait compris ce que Yu voulait lui enseigner. Son problème, ce n’était pas tant la théorie, sinon la pratique. Il disait que tout être était pourvu de chakra, mais que seuls quelques élus étaient capables de le maîtriser à la perfection… Et elle, visiblement, ne faisait pas partie de ces élus. Cela ne la dérangeait pas, à vrai dire, elle n’en avait pas grand-chose à faire d’être la meilleure, la première, l’Élue des Dieux. Sa condition lui suffisait : elle faisait bien ce qu’elle voulait, dans l’immense demeure des Jin.
«
Tu m’écoutes Wei ? » La voix rocailleuse de son maître la rappela à l’ordre sèchement. Elle émergea brutalement de son rêve d’enfant gâtée, tentant tant bien que mal de raccrocher à la démonstration. Elle hochait la tête, fronçant légèrement les sourcils, comme pour lui signifier qu’elle était
très concentrée. Mais il ne fut pas dupe. Son regard se posait sévèrement sur le petit bout de femme qui luttait visiblement pour ne pas rêvasser. Il inspira profondément, comme pour se donner du courage ; jamais elle n’avait été aussi dissipée. Histoire, littérature, géographie, cuisine… Elle, qui avait été une élève sage et assidue pour toutes ces matières, n’accrochait pas à cette histoire de chakra. «
Tu seras punie, si tu n’y arrives pas avant ce soir. » dit-il alors simplement, et la petite Wei laissa échapper une exclamation. Punie ?! Mais à quoi bon apprendre à manipuler le chakra ! Punie… Comment pouvait-il la punir pour quelque chose qu’elle n’arrivait pas à faire ?! Elle n’en revenait pas. De rage, elle envoya un coup de pied dans le caillou le plus proche. «
Jamais ! » De nouveau, elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Le ton montait rapidement, mais elle trouvait cela injuste. «
J’ai pas besoin de chakra ! Je suis très bien comme ça ! » Et comme elle n’arrivait pas à retenir ses larmes, cette fois-ci, elle partit en courant.
Elle ne voulait pas être vue dans cet état. Elle savait bien ce qui se dirait, dans son dos, entre ses frères et sœurs. Ces gens-là aimaient la voir pleurer, ils se sentaient supérieurs. Alors, elle avait détalé le plus loin possible de la demeure, s’enfuyant dans le domaine, un endroit où personne n’irait la chercher. Et elle s’était recroquevillée là, derrière un rocher, comme une petite boule.
Que Yu veuille la punir pour son incompétence la blessait énormément. Elle ne comprenait pas de quoi il l’accusait. Croyait-il vraiment qu’elle le faisait exprès ? Pourquoi souhaitait-il à ce point qu’elle réussisse les exercices ? Bien sûr, elle ne pouvait pas comprendre, car Yu ne se confiait pas à elle sur ces sujets. Pas assez grande, pas assez mature…
«
Ne pleure pas, Wei. Tu es plus jolie quand tu souris, tu sais ? » Son cœur ne fit qu’un bond dans sa poitrine. Yu l’avait suivie, à bonne distance, et il se tenait devant elle, l’air toujours aussi impassible. Mais il lui tendait la main. Elle le regarda, interdite. Que voulait-il encore ? «
Je ne veux pas y retourner… » répondit-elle faiblement, détournant le regard. Il eut un mouvement que l’enfant ne sut pas interpréter, puis il s’assit à ses côtés. «
J’ai compris. » finit-il par dire, rompant l’étrange silence qui s’était installé entre eux. «
Demain, je te présenterai quelqu’un. » Elle se retourna vers lui. «
Tu… Tu vas m’abandonner, parce que je n’y arrive pas ? » Il eut un rire et elle se rendit compte que de la naïveté de sa question. «
Ah, si je pouvais me débarrasser de toi, tiens ! » dit-il sur le ton de la plaisanterie, ce qui eut pour effet de tirer une moue boudeuse à la petite. Quel grossier personnage, ce Yu !
Cela dit, il avait réussi à attirer son attention, avec cette rencontre mystérieuse… Et elle finit par accepter de rentrer – non sans s’assurer auparavant qu’elle échapperait à la punition promise.
[…]
Le lendemain, comme convenu, la rencontre eu lieu. Néanmoins, ce ne fut pas sans déception que l’enfant constata qu’il ne s’agissait que de l’une de ses tantes. «
Je connais ma tante ! » eut-elle envie de répliquer, lorsque le précepteur introduisit la dame auprès de la gamine. Néanmoins, pour une raison qui lui échappait, tous deux (sa tante et Yu) faisaient comme si elle était une étrangère. Consternée, Wei les regardait faire leur petit cinéma sans comprendre.
Certes, la tante en question n’habitait plus dans le domaine familial mais…
Oui, évidemment, elle était liée à une autre famille maintenant, mais…
Ah, bien sûr, le mariage avait permis de négocier un accord avec l’autre famille, mais…
«
Mais ! » finit par s’agacer la petite, foudroyant du regard les adultes qui ne faisaient que lui couper la parole dès qu’elle essayait de nuancer ce qu’on lui disait. «
Mais le lien du sang, hein ? Vous en faîtes quoi ? C’est ma tante, pas une étrangère ! » Instantanément, le regard de la dame s’adoucit et Wei crut y voir une lueur de tristesse. Son sourire s’était évanoui, tandis que la petite s’insurgeait qu’on la traite comme une inconnue. Yu voulut prendre la parole, mais la dame le devança. «
Le lien du sang, Wei, perdure, bien sûr. Dans nos cœurs, dans nos veines, en nous. Mais ce qui fait des Jin une si grande famille, ce n’est pas le fait que les Jin partagent le même sang, c’est ce qu’ils font, ce qu’ils accomplissent. Considéreras-tu mes enfants comme appartenant à ta famille ? Et eux, qui crois-tu qu’ils privilégieraient, s’ils avaient à choisir entre leur père et toi ? Le lien du sang a ses limites, malheureusement. Seuls comptent les actes ; ton rôle, ta fonction, au sein de la famille. » Elle eut un sourire, mais ses yeux trahissaient l’immensité de sa souffrance. «
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y a qu’une seule lignée, chaque génération. Une descendance maîtrisée, sans mélange de sang, pour que les enfants n’aient pas de conflit de loyauté. » Mais, pour Wei, quelque chose clochait encore. Elle tenta d’avancer un argument contre le discours de son aînée. «
Ça ne justifie pas qu’on te traite comme une étrangère. Ce que tu fais, c’est pour la famille, tu l’as dit toi-même, l’accord négocié… » Elle fut coupée dans son élan par la dame. «
Wei… Je ne suis pas à l’origine de cet accord. Je n’ai pas négocié. Je n’ai pas signé. Tout ce que j’ai fait, mon seul acte de loyauté envers cette famille, mon accomplissement, cela a été précisément de renoncer à en faire partie. »
Cela eut l’effet d’un coup de poignard, dans le cœur de la rouquine. Les mots de sa tante la transpercèrent sans ménagement, la ramenant brutalement sur terre. Elle éprouvait une peine immense pour cette femme qui, par dévouement envers sa famille, avait renoncé à ses droits. Mais, plus profondément encore, elle était terrorisée par son propre sort. Etait-elle vouée à finir comme cette belle dame au regard nostalgique ? Wei voulait se rassurer, se disant qu’elle ne craignait rien, mais d’un autre côté… Que savait-elle faire ? Que pouvait-elle apporter ? La vérité était dure à encaisser.
Lorsque la dame quittait finalement le domaine des Jin, pour rejoindre sa propre demeure, Wei avait encore les poings serrés et le visage fermé. Elle s’était murée dans un mutisme équivoque et Yu finit par lui demander si ça allait. Alors, plongeant son regard dans celui de son maître, elle répondit simplement, résolue : «
Apprends-moi à me battre. »