Contemplations aqueuses

Inspirer profondément...
Puis expirer.

La respiration était à la base de tout. Sans régularité, ni concentration, elle ne serait qu’un corps frappant dans le vide inutilement, malgré sa force, malgré sa technique. S’il y avait au moins une chose qu’elle pouvait encore accorder à Yamamoto, c’était bien son insistance sur l’importance de la respiration.

Inspirer profondément la pureté de l’air…
Puis expirer l’impureté du corps.

Elle sentait l’oxygène s’insuffler dans son être, passer le long de ses voies respiratoires, longer le fond de sa gorge, pénétrer ses poumons tandis que ce qui restait de mauvais en elle empruntait le chemin inverse, quittant ses lèvres d’un souffle sifflant dans le vent. L’action se répétait de nouveau.

Inspirer profondément la tranquillité environnante...
Puis expirer les craquements maladroits des branchages.

Ses pensées devaient être acceptées telles quelles, puisqu’elles n’étaient que cela, après tout. Des pensées vagabondant dans son esprit, inévitables. Des pensées qui s’envoleraient bien assez tôt pour sentir à nouveau le chemin de sa respiration.

Inspirer profondément la délicate odeur boisée,
Puis expirer le parfum piquant de la présence humaine.

Setsuna tiqua, perdant le fil de sa concentration alors que de nouvelles pensées envahissaient son esprit. Qui cela pouvait-il bien être ? Un ennemi ? Le hasard n’était pas aussi cruel avec elle pour tromper la vigilance des veilleurs de Konoha. Un promeneur ? Probable, la forêt ne lui appartenait guère et l’endroit, même isolé, pouvait se trouver en proie à des villageois égarés ou bien à des personnes ayant goût pour le paysage bucolique. Elle n’avait guère à se soucier de cette présence, et son attention se reporta sur sa respiration.

Inspirer profondément la magnificence colorée de la forêt de Konoha.
Puis expirer… Cette foutu tête de naze doublé d’un bon à rien traînant dans les parages à l’épier comme d’une bête curieuse.

Son regard bleuté cibla le misérable squelette de chair d’une véhémence doucereuse. La forêt ne lui était pas moins interdite qu’à n’importe qui, évidemment. Mais à le voir ainsi l’observer, elle, sereinement à quelques mètres de lui, les pieds bien à plat sur l’eau.

Une chance que cela se faisait d’une facilité déconcertante et que le moindre trouble ne venait à tromper sa vigilance, sans quoi sans doute se trouverait-elle à boire la tasse par négligence. Cette idée ne lui venait même pas à l’esprit.

Finalement, elle retrouva une posture moins rigoureuse à l’entraînement, marchant d’un pas lent jusqu’à celui qui s’avérait être son nouveau camarade, ce Uchiha au faciès de la défaite sans effort.

« - Qu’est-que tu regardes comme ça ? » Maugréa-t-elle à son encontre alors qu’elle venait de retrouver une distance correcte pour discuter d’une voix distincte.

Dans l’obscurité relative que les feuillages denses des arbres de la forêt de Konoha étendaient sur leurs branches, deux paires d’yeux luisaient faiblement, se fixant avec intensité. Shishio sentit une goutte de sueur, amenée là par la pression plus que par le soleil de janvier, couler lentement le long de sa joue, s’approchant lentement de son menton. Sa respiration était mesurée, contrôlée, calculant chaque inspiration, chaque expiration, pour qu’aucune ne soit suffisamment forte pour briser le statu quo dans laquelle son vis-à-vis et lui s’étaient enfermés. Il déglutit difficilement, resserrant imperceptiblement ses mains sur la branche qu’il tenait pour garder son équilibre. Lentement, il contracta les muscles de ses jambes, poussant sur ses appuis - avant de lâcher ses mains d’un seul coup, se détendant comme un ressort et fondant sur sa cible en un seul bond d’une vitesse inouïe.

Le capricieux chaton qu’il était chargé de retrouver pour le compte de la vieille dame qui tenait le magasin où il achetait toutes ses armes fut trop lent pour échapper à cette attaque surprise. Avec un miaulement désarçonné, il sentit les mains du genin se refermer autour de son corps, le pressant contre son torse pour lui couper toute échappatoire. Malgré ses feulements et ses tentatives pour se débattre, Shishio tint bon, coinçant le petit félin sous son bras.

“Et maintenant, Seigneur Moustache, toi et moi allons sagement rentrer au village et tu vas retrouver ta maîtresse. Et cette fois-ci, j’espère qu’elle me paiera avec autre chose qu’un bonbon à la fraise…”

Il enferma le chat dans le sac qu’il portait en bandoulière, ne le laissant que passer la tête par la fermeture éclair pour lui permettre de respirer et tourna les talons, se déplaçant tel un funambule sur la branche pour reprendre la direction du village. Il n’avait sauté d’arbre en arbre que quelques minutes quand la rivière qui traversait les bois attira son regard - ou plus précisément, une personne qui se tenait au beau milieu du couloir aqueux.

Se laissant tomber au sol, Shishio s’approcha lentement entre les buissons pour mieux observer la silhouette qui se tenait sur l’eau. Ses yeux s’ouvrirent légèrement plus grand quand il reconnut Senju Setsuna, la dernière recrue de l’équipe 4. La demoiselle avait rejoint les rangs des disciples de Yurikô lors de leur dernière mission, attirant bien vite l’attention de Shishio - après tout, il n’y avait que trois personnes dans ce village à qui il devait être prêt à confier sa vie à tout moment en mission. Posant un genou au sol pour rester à l’abri du buisson, il l’observa un instant. La jeune fille se tenait debout sur l’eau comme s’il s’agissait d’une bande de terre ferme ; adoptant une posture méditative, ses épaules se soulevaient lentement à un rythme régulier, marquant chaque inspiration et chaque expiration. Bien malgré lui et sans vraiment s’en rendre compte, le jeune Uchiha commença à suivre le rythme de la demoiselle - il inspirait et expirait avec elle, ressentant avec un pincement désagréable les cicatrices de ses côtes s’étirer à chaque respiration.

Ce moment flottant, pendant lequel sa curiosité l’avait poussé à imiter la jeune fille, prit fin bien vite ; ouvrant les yeux avec un air mécontent, elle fit quelques pas dans sa direction. Il se pressa de se relever, ne tentant pas à se retrouver agenouillé devant elle - d’après son expérience, cela facilitait les coups de pied en plein visage. Rougissant légèrement, embarrassé d’avoir été ainsi surpris par la jeune femme, il bafouilla à la recherche d’une explication.

“Je- euh… Je poursuivais le… Le chat…” Il se tourna pour lui montrer le sac en bandoulière, pour découvrir que la fermeture s’était élargie et que, à part quelques poils et une vilaine griffure sur sa joue gauche, il n’y avait pas la moindre trace de chat dans ce sac. “... Eh merde, cette sale bête ferait un ninja redoutable.” maugréa-t-il à mi-voix.

Il fit volte-face, regardant de nouveau Setsuna dans les yeux - avant de les baisser aussitôt, trop gêné pour soutenir le regard bleuté.

“... Je t’ai vue sur l’eau et ça a piqué ma curiosité, voilà tout. J’ignorais que tu connaissais la… La technique pour marcher dessus.”

« - Le chat ? » fit-elle écho à Shishio en haussant un sourcil.

A l’expression blasée qui fermait son visage, il pouvait être assuré de comprendre qu’elle ne le croyait absolument pas. Et, même si la curiosité lui fit suivre la direction du regard de Shishio, qu’elle ne fut pas sa non-surprise de voir qu’il n’y avait rien de plus qu’un sac un peu crasseux par les attentions félines probablement issues d’un autre moment que celui-ci.

Il se moquait d’elle, en plus de l’épier. Et son regard ne se fit que plus dur encore lorsqu’il osa trouver à nouveau son contact visuel.

Setsuna ne pouvait vraiment pas voir ce mioche en peinture.

Shishio, en plus d’être un Uchiha, était le genre d’individu à qui on avait envie de donner des baffes à longueur de journée. Mais pour quelle raison ? Avait-il un physique s’y prêtant ? Non, c’était cette aura qui émanait de lui. Le genre d’aura attirant les pires d’entre les hommes à lui montrer une affection brutale. Son regard fuyant, son corps recroquevillé sur lui-même, sa voix tremblante. Il donnait l’impression d’être coupable d’exister, coupable d’un acte qui saurait donner raison de le corriger.

Mais le corriger à quoi exactement ?

Elle n’en savait rien. Mais sa simple présence ne pouvait que lui arracher un grognement de dégoût devant lui. Il puait la défaite. Elle avait presque honte de se trouver dans la même équipe que lui, de devoir le regarder tous les jours, de devoir le protéger. Il ne serait qu’un poids à porter plus qu’une réelle aide.

Parce que c’était un Uchiha, mais pire que cela : c’était un Uchiha qui transpirait l’inefficacité et la capitulation. Rien de pire pour une équipe.

Et ses aveux, comme attendu, vinrent briser sa réflexion.

« - Eh bien, maintenant tu le sais, félicitation l’voyeur. » grogna-t-elle

Setsuna se moquait bien de le voir tenter de faire la conversation avec elle. Elle n’avait ni l’envie, de façon générale comme avec lui, d’entamer une conversation chiffon dont beaucoup profiterait pour lécher les bottes des autres. La genin aurait eu tout le temps de voir l’ampleur des aptitudes de ses coéquipiers lors des entraînements ou en leur posant la question dans le cadre des réunions d’équipe.

Actuellement, cela ne ressemblait qu’à une perte de son temps personnel. Surtout pour quelqu’un qui n’avait rien de mieux à faire de sa journée qu’à venir la voir piétiner sur l’eau.

« - A présent, si tu pouvais au moins faire semblant d’être un vrai genin en apprenant ce que les mots “discrétion” et “silence” veulent dire, on y gagnera tous les deux : toi à faire ce à quoi on te forme, moi à profiter de ma tranquillité. »

Elle fit volte-face, sa longue chevelure flottant légèrement dans son dos, s’apprêtant à ces mots à retrouver le centre du point d’eau.

Extrêmement mal à l’aise sous le regard perçant de Senju Setsuna, Shishio faisait passer son poids d’une jambe sur l’autre comme un enfant pris la main dans le sac, qui ne savait trop que faire pendant qu’il se faisait gronder. Bien qu’elle n’ait rejoint l’équipe 4 qu’après lui, le jeune Uchiha avait bien vite compris que sa coéquipière n’était pas le genre de personnes contre qui il pouvait se défendre. Elle était indéniablement plus talentueuse que lui dans les arts ninja et n’aurait aucun mal à lui infliger une sévère correction si elle décidait de le faire ; à bien des égards, son comportement lui rappelait celui de certains membres de son clan, qui haïssaient tant la simple vue du garçon qu’ils avaient décidé de lui faire payer son existence-même, en le frappant et en l’insultant à chaque occasion. Cette idée faisait se nouer sa gorge ; pendant quelques jours, son arrivée dans l’équipe de Tadake Yurikô avait provoqué chez lui l’illusion de s’être échappé de sa condition de souffre-douleur, de mouton noir, mais il était vite revenu sur Terre. Setsuna n’était, à vrai dire, que l’une des multiples raisons de sa désillusion. Bien sûr, elle le terrifiait, mais c’était tout relatif comparé à ce qu’il vivait avec les Uchiha ; lorsqu’il servait encore dans la milice privée du clan à l’éventail, il craignait chaque jour un peu plus pour sa vie. Il avait accumulé les cicatrices, non pas à cause des périls affrontés en mission, mais à cause des sautes d’humeur de ses camarades et de ses officiers supérieurs, qui voyaient en lui un exutoire, jamais un partenaire. Setsuna avait clairement plus de retenue que ces hommes et Shishio se savait en relative sécurité avec elle ; il était bien capable de voir qu’il n’y avait pas chez elle la profonde malice ou la sensation d’impunité qui avaient poussé les Uchiha à s’en prendre à lui avec tant de véhémence. La simple existence de Yurikô le protégeait des blessures les plus sérieuses.

Non, ce n’était pas la peur de la douleur qui déprimait autant Shishio depuis qu’il était sous les ordres de sa nouvelle tutrice. C’était simplement la réalisation qu’il avait des années de retard sur les camarades avec qui il risquerait sa peau en mission. Qu’il s’agisse de Toka ou de Setsuna, les deux jeunes filles étaient très loin devant lui en termes de compétences, de courage et de discipline. Lui n’était qu’un trouillard sans atouts réels, tandis que Setsuna bénéficiait du surpuissant Mokuton de son clan et que Toka était déjà une experte de l’art délicat des sceaux - tout en étant plus jeune que lui, pour nommer la cerise sur le gâteau. Lui… Il portait sur son dos l’emblème d’un clan de guerriers talentueux, inventifs, froids et redoutables, qui faisaient frissonner les ennemis de Konoha dans tout le Sekai, mais il ne savait rien faire de plus que lancer des shurikens - et encore, pas si bien que ça. Il était bien incapable de faire face à Setsuna, ou de lui répondre quand elle le regardait ainsi de haut et l’envoyer paître avec la subtilité d’un éléphant dans un magasin de porcelaine : pour la simple raison qu’il ne pouvait s’empêcher d’être d’accord avec elle.

Tandis qu’elle tournait les talons, le laissant planté là avec la simple consigne de rester silencieux pour ne pas la déranger, il tomba en position assise. Rien que d’être resté debout en face d’elle, il en avait eu les genoux tremblants et les jambes ramollies. Sa propre faiblesse l’emplissait de dégoût ; il n’était même pas fichu de se tenir en face de l’une de ses camarades plus de quelques secondes sans se casser la figure.
Pliant ses jambes en tailleur, il reposa son coude sur l’un de ses genoux, plaçant son menton sur sa paume dans une pause faussement décontractée. La voie pour s’enfuir était relativement simple ; il allait prétendre qu’il observait discrètement l’entraînement de Setsuna pendant quelques minutes et, quand il se sentirait prêt à se lever sans vaciller, il repartirait en quête de ce satané chat qu’il devait ramener au village avant qu’un ours ne le dévore comme casse-croûte.

Malgré sa simplicité et son efficacité, ce plan ne lui convenait pas le moins du monde. Une sensation d’insatisfaction lui tordait les boyaux tandis qu’il envisageait déjà sa fuite. Prendre ses jambes à son cou maintenant, éviter la confrontation avec Setsuna, c’était aussi accepter la situation pour ce qu’elle était. Il voyait de nouveau les deux chemins s’étendre devant lui, comme lorsqu’il avait affronté Akira, ou lorsqu’il avait demandé de l’aide à Senju Daiki ; le chemin confortable, sur lequel il n’avait que la honte et les insultes à affronter, et l’autre. Depuis aussi loin qu’il s’en souvenait, l’autre chemin lui avait simplement semblé être un chemin trop difficile pour ce qu’il était, un sentir sinué et criblé de dangers mais, après l’arrivée de Tadake Yurikô dans sa vie, il commençait à remarquer un point commun chez tous ces ninjas nettement plus forts que lui : ils empruntaient le chemin le plus difficile.

Est-ce qu’il y a seulement quelque chose, au bout ? Lui qui était moins talentueux qu’eux, avait-il la moindre chance de suivre cette voie sans y laisser la peau ? Est-ce que ça en vaut la peine ? Tu vas simplement te ridiculiser une fois de plus. La seule chose qui varie dans ta médiocrité, c’est l’audience à laquelle tu l’exposes.

Shishio en était encore à se disputer avec lui-même, à se fustiger mentalement, convaincu qu’il serait prêt à prendre la fuite bientôt, quand il se rendit compte qu’il se tenait debout sur la berge, les pieds au bord de l’eau, en face de Setsuna. Qu’est-ce que tu fous ? Il s’inclina bas devant elle, son corps presque à angle droit. Tu vas en prendre une, crétin.

“Apprend-moi à marcher sur l’eau, s’il te plait !” s’exclama-t-il.

A défaut d’avoir du charisme, il se montrait au moins docile.

Setsuna n’avait que faire de le voir s’installer près du point d’eau à l’observer faire. Mais, à cause de cette gourde de Shishio, méditer fut une activité qui lui semblait moins bien attrayante qu'il y a quelques minutes. Sa gaucherie naturelle l'énervait.

Placée au centre du point d'eau, il fallut au moins deux grandes inspirations pour faire le vide dans son esprit. Les yeux clos, ses mains se refermèrent dans la posture du tigre et, d’entre ses lèvres pincées, un murmure s’évapora à la manière des mouvements de l’eau sous ses pieds.

- Mizu Bunshin no Jutsu.

Devant elle, à un mètre de sa position, un cercle d’eau s’éleva soudainement par une force invisible. L’eau se solidifia, se structura et se modela sous les yeux des deux genins jusqu’à ce qu’une copie carbone de la Senju prenne place. Celle-ci posa alors un regard sur Shishio, une expression narquoise, presque taquine en salutation orgueilleuse en signe de salutation. T'imaginais-tu réellement que savoir marcher sur l'eau soit la seule chose qui nous différencie toi et moi ? Pensa-t-elle.

L’instant d’après, les deux Senju se mirent en garde ; deux reflets face l'un devant l'autre, eux-mêmes copiés par la réflexion de l'eau. En signal du début du combat, la chute d’une feuille emportée par le vent jusqu’à glisser sur l’eau.

Et le premier coup porté vint de la Setsuna aqueuse. La jambe à quelques centimètres du visage de son adversaire bien que retenue par la main de la véritable Setsuna. S’enchaînèrent rapidement les jeux de jambes et les défenses par des jeux de paume de l’autre. Bien vite, même si l’on pouvait croire que Setsuna se contentait de s’entraîner à parer, le moindre instant d’inattention empêcha de distinguer de nouveau qui était la Senju, et qui était son double.

Soudain, au bout des quelques minutes après les débuts de cette danse électrisante et brutale, la voix de Shishio s'éleva dans l'environnement. La concentration de Setsuna se brisa et le coup de pied qu'elle se prit dans le bassin coupa sa respiration un instant, le coup la forçant à reculer de quelques pas en arrière. Sa main se posa sur son bas-ventre, cherchant à atténuer dans ces secondes de pause le choc d'une attaque contre elle-même qu'elle ne sut esquiver.

Ridicule.

Les Setsuna retrouvèrent une posture détendue, interrompue par la surprise de la demande du genin.

La Setsuna, placé dos à Shishio, tourna simplement la tête vers lui, son regard torve roulant en sa direction tandis que l’autre, plus détendue, se contentait d’une pandiculation avant de laisser échapper un rire goguenard.

- Moi ? Apprendre à un toquard comme toi à marcher sur l’eau ? Quelle idée, est-ce que tu as seulement cru que t’allait m’amadouer en courbant l’échine ?

Elle ne bougeait pourtant pas, se contentant de narguer Shishio, l’autre, en revanche, s’était approchée d’un pas décidé vers lui, l’expression colérique. Arrivée à son niveau, elle tira sa chevelure, le forçant à redresser la tête pour la regarder dans les yeux.

- J’t’ai pas dit de la boucler ? T’as cru quoi exactement, qu’on était pote et que tu pouvais passer ton temps à venir me casser les pieds ?

Elle ne supportait absolument pas son attitude, ni ses manières, ni même sa simple présence. Il se moquait littéralement de sa tronche et l'idée même qu'il l'ait vu se prendre une attaque d'elle-même l'enrageait au plus haut point.

Tu veux apprendre, tête de naze ? Demande à un vrai instructeur. J’suis pas là pour perdre mon temps avec un naze comme toi qui baissera les bras à la première difficulté.

Elle le relâcha, la sensation même de toucher sa chevelure lui donnait l’impression d’agripper un chat errant infesté de maladie. Elle se pencha pour glisser une main dans l’eau comme pour la nettoyer. Son regard toujours tourné vers lui, elle secoua sa main devant lui, jetant le surplus d’eau sur son visage pour lui rafraîchir les idées.

J’ai pas que ça à foutre. Alors va chouiner et faire ton petit numéro à quelqu’un qu’à besoin qu’on lui lèche les pieds, tu veux ?

- Ha-ha, bien envoyé, moi-même ! Tu m’as bien entendu ? Allez, chu, chu ! Reprit l’autre Setsuna en mimant d’un geste de la main de partir.

La genin espérait que cela suffirait à reprendre son entraînement sans être ennuyée de nouveau par les jérémiades de Shishio.

Uchiha Shishio était hébété devant la joute rapide des deux Setsuna qui se tenaient debout sur l’eau de la rivière. Il était suffisamment intimidant d’observer l’originale en pleine action, tant chacun de ses mouvements lui rappelait à quel point elle était plus forte que lui malgré leurs âges proches ; la technique de clonage de la Senju multipliait cette sensation d’infériorité déjà présente par deux, faisant à Shishio l’effet d’une main qui poussait sur son crâne pour l’enfoncer encore un peu plus dans les marécages de ses complexes. C’était excessif ; il y était déjà profondément embourbé sans cela. Setsuna était la représentation-même de l’inquiétude dévorante qui hantait Shishio depuis qu’il avait rejoint l’équipe de Yurikô : en intégrant une cellule bien plus proche, bien plus intime de l’armée de Konoha, il était d’autant plus confronté à sa faiblesse et au retard qu’il avait pris sur les autres ninjas de son âge. Son niveau n’avait qu’à peine changé depuis les bancs de l’académie, où il était déjà loin d’être le meilleur ; face à l’aisance dont Setsuna faisait la démonstration dans sa manipulation de l’eau et le combat au corps à corps, il ne se sentait pas plus gros qu’un insecte.

Malheureusement pour lui, même la plus inutile des mouches peut produire un bourdonnement agaçant pour les humains. En osant formuler sa requête insensée, il s’était fait source de distraction pour sa coéquipière, mais pas pour le clone de celle-ci ; il lui causa un instant de flottement, l’ouverture d’une faille dans sa garde, dont l’adversaire aqueux tira immédiatement profit pour lui asséner un violent coup de pied à l’abdomen. Le garçon n’eut pas le temps de présenter ses plus plates excuses pour sa distraction que la Setsuna toute d’eau formée interrompit ses pensées avec une première pique narquoise, s’étirant comme un chat satisfait d’avoir effrayé la souris, laissant une longueur d’avance au rongeur avili pour que le poursuivre soit un jeu qui aurait au moins le mérite de l’amuser. Le garçon était bien incapable de savoir si elle cherchait à l’énerver pour qu’il finisse par avoir un mot plus haut que l’autre, justifiant dès lors tout ce qu’elle pourrait lui faire subir en retour comme “une juste punition”, ou si elle se payait simplement sa tête par goût de la chose. Il n’avait, là encore, pas le luxe de considérer les motivations profondes de la seconde Setsuna, car la première fut bien moins patiente envers le garçon.

Plutôt que de se moquer de lui, elle se rua sur Shishio avec une vitesse qui ne présageait rien de bon. Le garçon grimaça de douleur quand la main se saisit de ses cheveux pour le forcer à se redresser et à la regarder droit dans les yeux, mais il ne chercha ni à se dégager, ni à riposter ; il avait choisi de suivre la voie du suppliant, il était celui qui demandait l’aide de Setsuna. Il n’aurait pas en sus l’audace de jouer les petites natures à la moindre expression de colère de la part de sa coéquipière ; il était bien décidé à encaisser tout ce qu’elle lui enverrait au visage. Pour une fois dans sa vie, il ne baissa pas les yeux, soutenant sans faille le regard bleu qui le transperçait comme une lame qui fouillerait dans son coeur ; malgré ses poings et ses dents serrées, ses genoux tremblant, il fit de son mieux pour garder une expression neutre et calculée, ne lâchant pas la Setsuna originale du regard - à la fois dans une tentative désespérée de lui montrer qu’il ne fuirait pas, mais aussi de peur d’oublier laquelle était la vraie s’il osait ne serait-ce que cligner des yeux.

“Tu crois que je ne le fais pas déjà ?” Comparée au ton agacé de Setsuna, scandalisée que cet idiot ait seulement osé lui demander de l’aide, la voix de Shishio avait des inflexions incroyablement douces. Pourtant, ses sourcils froncés, presque ridicules sur son visage enfantin, ne laissaient pas le moindre doute quant à son sérieux et sa sincérité. “Je sais que je suis un irrémissible raté, Setsuna. Ou un tocard, une tête de naze, un pleurnichard, tout ce que tu voudras. Mais, blâme le ciel pour cela, je suis aussi ton coéquipier.”

Il prit une longue inspiration, sachant pertinemment qu’il terminerait cette journée avec quelques côtes fêlées - au mieux - s’il n’était pas suffisamment convaincant. Son masque extérieur, calculé, montrait un jeune homme serein et sûr de lui, mais à l’intérieur, son coeur battait la chamade et il sentait la peur de se faire frapper grandir à chaque seconde.

“Et ni toi ni moi n’avons le pouvoir de réorganiser nos équipes. Donc je vais le rester un moment, que tu le veuilles ou non. Cela signifie que, tôt ou tard, un moment viendra où ta survie dépendra de ma capacité à être efficace en mission. Tu penses que je ne suis pas allé voir un véritable instructeur ? Je supplie tous ceux qui ont la malchance de croiser mon chemin de m’apprendre un petit quelque chose que même un raté comme moi serait capable de mettre à profit en mission. Je ne te demande pas l’impossible, Setsuna ; je sais que je ne serai jamais un ninja digne de ce nom et que la meilleure chose que je puisse faire de ma vie, c’est de la donner pour sauver quelqu’un d’autre, dont la valeur pour le village est plus importante que la mienne. S’il y a la moindre chance que savoir marcher sur l’eau me permette un jour de prendre une technique à ta place pour te permettre de continuer à marcher vers l’avenir resplendissant qui t’attend, alors je ne peux que refuser ton refus. Tu peux m’insulter et me frapper autant que tu le souhaites, je ne te laisserai à ta thébaïde et tes entraînements solitaires qu’une fois que tu m’auras appris à marcher sur l’eau.”

La vitesse à laquelle il avait débité cette tentative désespérée de la convaincre, mariée à la chamade folle que battait son coeur, avait suffi à l’essouffler légèrement, le stress et le soleil de janvier faisant couler une goutte de sueur sur son front.

“Alors on va passer la journée à se regarder dans le blanc des yeux et à se balancer des évidences au visage, ou tu comptes m’apprendre cette foutue technique ?”

Setsuna s’était enfermée dans un mutisme, une expression imitée de près par son clone en arrière-plan. Il n’y avait rien à répliquer ou à reprendre dans les propos de Shishio, sa logique implacable dans les raisons qui le poussaient à s’incliner docilement devant elle aurait pu satisfaire n’importe qui d’un hochement entendu, même pour une femme aussi solitaire que Setsuna qui ne rechignait pas à l’idée qu’un faiblard puisse encaisser à la manière d’un bouclier humain ce qui pourrait potentiellement apporter un avantage certain à la Senju lors de mission difficile. Setsuna n’était pas une âme charitable et ne considérait pas le sacrifice comme d’une atrocité à éviter. Si cela pouvait permettre à des personnes au niveau à se confronter contre une menace, c’était un mal nécessaire.

Shishio et Setsuna pouvaient au moins s’admettre silencieusement être d’accord sur ce point.

Mais là où elle s’agaçait à en avoir la gorge nouée, c’était dans le regard insistant qu’il s’efforçait de figer sur la Senju. Un regard rougeoyant déterminé tant par l’idée de convaincre que par celle de prouver qu’il ne craignait son attitude. Mais au passage rapide sur le reste du corps, on ne pouvait pas ne pas voir les tremblements de son corps. Un faux-courageux. Constata-t-elle, satisfaite d’avoir trouvé ici des preuves suffisantes pour apaiser le trouble qui chatouillait ses nerfs les plus enfouis, en excitant d’autres bien plus présentable aux yeux de tous.

Sa voix se fit plus caverneuse et son regard plus perçant. Elle profitait de sa taille et de sa force pour l’attraper par le t-shirt, le soulevant de peu les pieds ne touchant plus le sol.

- Je vois que tu es plutôt impatient de commencer. Alors autant passer directement à la pratique, ne nous attardons pas sur la théorie, c’est barbant et on apprend bien plus en expérimentant.

Son sourire mauvais n’envisageait absolument rien de bon ; à peine avait-elle conclut sa phrase qu’elle donna un coup de genoux dans l’abdomen de Shishio, un coup visant à déstabiliser au premier abord, mais plus puissant qu’elle n’aurait dû réellement le faire sous l’irritation qu’avait provoqué Shishio à soutenir son regard. C’est pourtant l’expression amusée de la clone d’eau qui marquait la satisfaction de punir l’Uchiha de son impertinence, et, d’un pas sur le côté, elle esquiva l’envolée de Shishio vers le centre du point d’eau, là où la profondeur ne permettait nullement de trouver pied.

Le regard des deux Setsuna, l’une d’une expression blanche, l’autre d’une expression narquoise observaient avec insistance leur élève de fortune. Le clone profitait des premières remontées de Shishio pour lui clamer la consigne suivante :

- Tu ferais mieux d’apprendre à te contrôler rapidement si tu ne veux pas mourir noyé.

Car c’était là l’énoncé qui permettrait à la Senju de faire disparaître ce semblant de courage dans le regard de son coéquipier à son égard. Il comprendra bien vite au bord de la panique qu’il n’aurait pas dû insister de la sorte et que sa nullité ne lui apporterait que des ennuis ; associé à cela la crainte qu’il aurait à de nouveau ennuyer la Senju avec des complexes et des complaintes dont elle se moquait éperdument.

Les bras croisés, Setsuna compta le nombre de remontées de Shishio dans des clapotements misérables. Une, deux, trois.. Les remontées prenaient plus de mal à se faire sous la fatigue, la panique ou la douleur, qu’importe. Elle ne bougea pas.

- C’est le moment de le remonter, non ?
- Pas encore.

Setsuna ne donna aucun crédit à son clone, les yeux plissés, perdu dans ses pensées et cette insupportable sensation qui lui prenait les tripes. Pourquoi avait-elle ce sentiment que son regard avait quelque chose de différent à celui des autres ?

- Je devrais le remonter maintenant là.
- Non.

Il devait comprendre qu’il n’était pas de bon augure de la prendre de haut ni même de lui parler comme il le faisait. Sans doute irait-il se plaindre à Yurikô-sensei ou à l’école directement que la Senju l’a lancé dans l’eau et que son incapacité à remonter de lui-même avait suffit à lui donner l’impression qu’elle était responsable d’une quelconque manière de son incompétence. Qu’il se plaigne si ça lui chante, elle s’en tirerait probablement avec une punition et retournera ensuite à ses occupations.

- Et maintenant ? Il va vraiment se noyer si je ne fais rien.

Elle quitta bien vite ses pensées, réalisant rapidement que son petit jeu était allé bien trop loin qu’elle ne devait le faire. Setsuna s’élança en foulée sautillante jusqu’au centre du point d’eau et d’un dernier saut, tête et mains en avant, elle laissa son chakra s’évaporer contre ses pieds pour plonger dans l’eau comme il était attendu que les choses soient. Les yeux plissés, elle repéra dans le flou le corps de son camarade qu’elle empoigna et remonta au plus vite à la surface. Leur tête sortant de l’eau, elle joua de sa maîtrise pour utiliser l’eau comme d’un rebord pour elle jusqu’à ce que son chakra n’illusionne de nouveau les lois de la physique. Maintenant l’adolescent par le poignet, elle fut bien vite soutenue par son clone pour lui faire regagner la terre ferme.

Un instant de doute la força à s’assurer que le cœur battait toujours, puis, une fois son soupir ne trouva écho dans le soupir de la clone, elle retrouva sa contenance brutale et gifla l’Uchiha pour l’extirper de sa perte de connaissance.

À nouveau debout devant lui, Shishio pouvait apercevoir la clone le fixer d’une expression blanche et la véritable Setsuna dont le sourire narquois trahissait le sentiment d’avoir donné un avant-goût de ce qu’il coûtait de la chercher.

Il n’était pas prêt, toussait-il donc.

Oh, elle non plus : la Senju vit son camarade se relever avec une détermination sotte à retrouver le chemin de la rivière. Là où elle s’était assurée qu’il ne retrouverait pas le goût de lui demander quoi que ce soit, il persistait. Là où elle espérait que sa baignade au fond de l’eau lui fasse ravaler sa soudaine détermination, il clamait le début d’un second round. La véritable Senju clignait des yeux, la seconde s’époumonait :

- Eh ! Ne croit pas que je vais passer mon temps à te ramener à la surface !
- Quel imbécile…

Mais elle ne tentait à aucun moment de l’en dissuader davantage, il se lasserait de lui-même à la première difficulté et, lorsqu’il comprendra que ses efforts sont à la limite du minable, et qu’il en aura assez de la voir s’amuser de son entraînement ridicule, il partirait tout aussi vite. Dans le cas contraire, sans doute chercherait-elle elle-même un autre point d’eau où méditer. A nouveau, Setsuna croisait les bras, regardant Shishio se démener dans son action désespérée, mais concentrée. Si de son point de vue ses actions restaient incertaines, elle ne pouvait que constater d’un haussement de sourcil entrevoir quelques réflexes qu’elle n’imaginait pas apercevoir avant qu’on ne lui ait remontrer l’exercice à plusieurs reprises. Etait-il seulement réellement un débutant ? se moquait-il d’elle ? La Senju était prête à parier qu’il s’agissait-là d’un racontars qui prétendait ne pas savoir agir correctement pour mieux aborder ses camarades. Ridicule.

Cela n’était qu’une hypothèse, bête et facile, mais qui ne tardait pas à titiller la patience de la Senju ; un rien qui suffirait certainement à l’abandonner à son propre sort tandis qu’elle trouverait refuge ailleurs.

Et à l’exercice du saut pour vérifier la teneur de sa stabilité sur l’eau, il effectuait un nouveau plongeon. Un ignare parmi les sots.

La Senju récupéra au rebord de la rivière ses affaires, accrochant sa sacoche à la taille avant d’adresser un nouveau regard au centre du point d’eau. Ses sourcils se froncent, elle serre les dents : voilà que Shishio le chien mouillé se dressait dans son champ de vision, sur l’eau. Sa sacoche retrouva le sol, elle jaugea son camarade un instant, comptant les secondes. Dix… Vingt… Trente… Il devait définitivement se moquer d’elle.

- Hmpf, ne te réjouit pas, ce n’est pas une technique bien difficile.

Une réaction puérile, sans doute, qui trahissait une certaine amertume de croire : soit qu’il soit un menteur, soit qu’il soit un génie. Choisissez votre Némésis, dirait-on. Elle posa son regard sur son double aqueux, intimant sans difficulté à cette dernière de s’approcher de lui. Sans doute qu’une petite bousculade suffirait à lui remettre la tête dans l’eau.

Tenir sur l’eau est simple, voyons combien de temps tu vas pouvoir le rester.

La clone passa une main dans ses cheveux, un fin sourire narquois se figeait sur ses lèvres avant qu'elle ne trouve une posture combative.

- Alors Shi-chiot ? Prêt à retrouver la tête sous l’eau ?