D'avisés conseils [Ft. Yuriko-sensei]

Dans les méandres du monde, il fallait accepter que l'on ne pouvait pas avoir le contrôle de tout. Bien que cette vérité avait tout de quoi être particulièrement frustrante, elle n'en demeurait pas moins une réalité. On ne contrôlait pas tout. Point. On ne pouvait choisir le destin de ceux qui nous entouraient, on ne pouvait empêcher ou s'empêcher soit-même de s'éprendre de quelqu'un, on ne pouvait pas retenir une situation qui nous échappait, on ne pouvait pas empêcher des enfants de commettre des erreurs. Il fallait accepter et avancer. Mais même Yuriko était la plus à même de dire que le discours était plus facile à tenir que de le mettre en pratique. La preuve en était quand on lui informait que sa plus jeune élève, Toka, avait été emmenée urgemment à l'hôpital du village.

Le plus enrageant? C'était que malheureusement, elle n'en avait été informée que tardivement car elle n'était pas dans les environs. Cela aussi était un risque à prendre. Être capable de tourner le dos en faisant confiance à la raison de ceux qu'on laissait derrière mais.... visiblement, Toka était encore une enfant et les enfants avaient cette fabuleuse capacité à commettre des bêtises déraisonnables.

Ce fut donc après avoir pris quelques renseignements auprès de ses collègues sur la situation qu'elle se décida à rendre visite à l'adolescente. Elle toqua simplement à la porte et entra silencieusement dans la chambre. Toutefois, elle ne souriait pas. Elle n'en avait pas envie. Toujours muette et prenant une expression sévère, elle s'approcha calmement du lit de la jeune fille et l'observa de sa hauteur.

" Je viens d'être informée de ce qu'il s'est passé. "

Pour la première fois, la voix de Yuriko était sèche et autoritaire. Cela sentait évidemment le sermon.

" Tu as pris le risque d'apprendre une technique bien trop avancée pour toi au prix de mettre ta vie inutilement en danger. Es-tu fière? Es-tu fière du risque encouru? "

La kunoichi regarda toujours avec un air inquisiteur son élève.

" Pour être un bon shinobi, il est bon de connaître ses limites actuelles. Qu'aurais-tu gagné si par malheur tu avais trop abîmé ton système circulatoire? Tu aurais été incapable de pratiquer la moindre technique, tu ne serais même plus capable de devenir la grande kunoichi que tu espères. "

Elle continua à froncer les sourcils en observant l'adolescente clouée dans son lit. Yuriko se sentait en partie responsable car elle avait l'impression de ne pas lui avoir assez dit de faire attention, de ne pas trop se précipiter.... et en voilà le résultat qui heureusement ne finit pas dans la tragédie. Mais lorsqu'elle croisa le regard peiné de la jeune Toka, la jonin soupira et serra brusquement la genin dans ses bras.

" Pourquoi es-tu donc si pressée, Toka-san. Tu es jeune et tu auras tôt fait d'apprendre. Ne met pas ta vie en danger par orgueil. "

Sa voix s'était naturellement radoucie et elle caressa la tête de cette dernière de façon maternelle. son inquiétude était réelle, et le fait qu'elle aimait beaucoup cette petite aussi également.

La plupart des personnes qui observaient Yuriko de loin imaginait une femme inaccessible, fermée, peut-être même condescendante de par ses manières raffinées. On la devinait sévère, peut-être austère d'une certaine manière. Elle était capable de se montrer rude, cinglante et impitoyable. Le regard qu'elle avait adressé à sa plus jeune élève donnait ce ton.... jusqu'à ce qu'elle céda à son côté maternaliste, prenant la fillette dans ces bras.

Cette dernière pleurait à chaudes larmes dans le creux des bras de son professeur, tentant vainement de donner des explications à son comportement. Yuriko se doutait parfaitement que Toka se sentait toucher dans son orgueil, mais aussi par la peur de décevoir. N'était-elle pas encore une enfant après tout? Bien qu'elle possédait toutes les aptitudes d'un shinobi, son esprit demeurait celui d'une adolescente de treize ans qui n'avait pas encore toute la maturité nécessaire pour se rendre compte de l'impact de ses choix. Il fallait néanmoins que la leçon soit dure. C'était ainsi qu'elle en sortirait grandie.

" Que je sois fière de toi? "

A ces mots, elle prit la genin par les épaules et la regarda dans ses yeux noyés par les pleurs. Elle passa une main chaleureuse sur sa joue, essuyant ses larmes ruisselantes.

" Mais je suis déjà fière de t'avoir comme élève voyons. Je le serais bien plus encore si tu parvins à atteindre les objectifs qui sont les tiens. Par la raison, et non par l'orgueil. "

Yuriko soupira en secouant la tête négativement.

" Qu'est-ce qui a pu te faire croire que de mettre ta vie en danger de cette façon puisse me satisfaire...  Je te l'ai pourtant dit, n'est-ce pas? Je t'accompagnerais et je t'aiderais dans ton accomplissement, et cela prendra le temps qu'il faut. "

La jeune femme recula pour s'assoir sur le tabouret tout près du lit, tout en ne quittant pas son attention de la fillette. La jonin était toujours agacée par l'idée d'avoir été prévenue si tard mais aussi en colère contre elle-même de ne pas avoir compris que Toka était si ambitieuse. Peut-être aurait-elle dû la tempérer bien avant afin d'éviter ce drame. Heureusement que dans ce malheur, rien de définitif était arrivé.

" Néanmoins, les médecins m'ont indiqué que tu ne t'étais pas blessée de manière irrémédiable mais que tu avais été chanceuse. "

Yuriko avait appris que c'était l'intendante elle-même, Haruka Senju, qui avait concédé à apprendre une technique trop puissante pour la genin. Elle trouvait cela étonnant qu'elle eut accepté. Ce n'était pas très... judicieux. Toutefois, elle savait que Toka avait son petit tempérament, peut-être l'avait-elle convaincu qu'elle en était capable avec tant de détermination que même une Senju s'était pliée face à sa volonté.

" Je suis honorée que tu désires devenir comme moi, tu sais. Je ne m'attendais pas à une telle preuve d'estime. Seulement, il m'a fallu beaucoup de temps pour en arriver là et de la patience. Il t'en faudra tout autant. Tu comprends? "

La jeune femme tendit la main vers le visage de son élève pour lui effacer les autres larmes qui perlaient sur ses joues.

La kunoichi se tenait toujours assise sur le tabouret aux côtés de l'adolescente, posant sur elle un regard un peu inquiet, un peu en colère mais aussi chaleureux. Derrière le masque de froideur qu'elle arborait continuellement, ce masque de poupée de porcelaine qui offrait l'impression que l'on ne pouvait l'attendre, se cachait simplement une femme qui avait à cœur de protéger ce qui lui semblait important. Les seules personnes capables de découvrir sa véritable personnalité, bien au-delà de son apparence, n'étaient autre que son frère et par la force des choses ses propres élèves. Dans les deux cas, ils étaient sa famille et comme dans toutes les familles il y avait toujours une personne qui agissait comme une mère protectrice. C'était un peu son cas. Être dans l'ombre et veiller. Tel était le rôle qu'elle s'imaginait posséder.

Essuyant les dernières larmes de Toka, la konohajin se contenta de la regarder alors qu'elle voyait une nouvelle lumière briller dans son regard enfantin. Comprenait-elle le danger qu'elle avait pris? Elle se le demanda quand elle écouta le discours de la jeune fille, plus assuré que ses mots anciennement saccadés de pleurs. Que pouvait-elle lui dire? Que pouvait-elle faire face à son ambition évidente? Yuriko enseignait que l'échec n'était qu'une partie de la vie, un bout d'expérience qu'il fallait apprendre à utiliser pour se relever et aller de l'avant. Il lui était donc impossible de la convaincre de laisser tomber. Cela reviendrait à mettre en cause tous les adages qu'elle tentait d'inculquer. Mais est-ce que cela était raisonnable? Sans nul doute que non.

Lorsque la genin finit, la kunoichi poussa un soupir qui montrait qu'elle s'avouait en partie vaincue par son poignant plaidoyer. Toutefois, cela ne signifiait pas qu'elle la soutiendrait sans appréhension.

" Je suis tout à fait à même de comprendre ta frustration. Je suis également fière de voir que tu n'en es pas abattue et que tu es prête à te relever mais.... cela me parait un peu rapide, ne trouves-tu pas? "

La jeune femme laissa échapper un nouveau soupir.

" Une femme raisonnable te dirait qu'il te faudrait attendre pour retenter ta chance, qu'il te faudrait gagner en expérience et en force pour faire face à la difficulté de ton entreprise... "

Peut-être deviendrait-elle une jeune femme amère si Yuriko le lui refusait? Mais n'était-ce pas aussi une leçon? Toutefois, dans l'équation, elle devait compter également sur l'intendante de Konoha qui était une femme digne de confiance. Si elle avait obtenu ce poste, c'était sans nul doute parce que l'on voyait en elle une personne sage et avisée.

" ... mais je suppose que je ne l'étais que peu à ton âge, bien que d'une manière différente. Si je présume que tu continues ton apprentissage aux côtés de Haruka-sama, cela devrait me causer qu'un moindre soucis alors... nous dirons que je t'accordes exceptionnellement d'aller au bout de ta quête. "

La jumelle des Tadake n'aimait guère trop l'idée, mais que faire face à tant de détermination et d'obstination. Est-ce que cela n'aurait toutefois aucune conséquence? Loin de là. Toka avait fauté, il fallait qu'elle le comprit, bien au-delà des blessures qu'elle s'était infligée par son manque d'expérience.

" Néanmoins, je ne t'accorde que cet écart. Si je conçois tout à fait que tu as le désir d'apprendre, je n'enseigne pas la précipitation. Je ne tolèrerais pas une autre bêtise de cette nature. Et si cela devait se reproduire... "

Yuriko afficha un air un peu plus grave.

" ... je me verrais dans l'obligation de te conseiller un nouveau professeur qui pourrait t'enseigner avec des méthodes correspondant plus à tes attentes. "

Il ne s'agissait pas là de menace et le ton de la jeune femme n'en était pas teinté. Toutefois, un travail d'équipe réclamait de la confiance, l'éducation de la patience... et de la sévérité.

Le poids de l'admiration pouvait être lourd et bien que Yuriko ne cherchait pas spécialement à l'attiser en son élève, elle savait que cela pourrait comporter quelque danger. Toka était jeune et cherchait visiblement un modèle auquel se raccrocher. Pour la kunoichi, c'était un honneur véritable bien que dans sa modestie, elle ne pensait sans nul doute pas en être digne. Néanmoins comme elle cherchait à l'expliquer, elle était prête à sacrifier le lien privilégié qui était le leur, celui du maître et de l'élève, si elle désirait encore s'entêter de cette façon avec si peu de prudence. Vouloir apprendre était une bonne chose mais il fallait le faire avec parcimonie.

Assise tout prêt de l'adolescente, elle la regardait, toute penaude, comprenant sa faute. Mais en saisissait-elle l'étendue? Sans doute puisque cela l'avait conduit dans ce lit d'hôpital. Se radoucissant un peu plus, la kohonajin soupira et se saisit de la main de Toka, la serrant chaleureusement.

" Je n'ai aucun désir d'en venir à une telle extrémité mais si j'ai le devoir de t'accompagner afin que tu deviennes une puissante shinobi, ce n'est pas pour te voir périr bêtement parce que tu t'es montrée trop zélée. "

Puis, le silence retomba simplement et ce fut au tour de la jeune genin de reprendre la parole. Là, elle fit un aveu bien étrange à la jeune femme. C'était une conversation un peu ésotérique et parler de rêve n'était pas dans ses habitudes - encore moins ces interprétations. Pourtant, il était assez facile de se rendre compte que cela perturbait l'adolescente.

" Mmmm... je vois... "

Yuriko croisa les jambes et prit une mine plus pensive, montrant qu'elle réfléchissait à comment expliquer une telle chose et d'une manière qui pourrait rassurer son élève.

" Je suppose que ton subconscient essaie de te dire simplement que tu as trop demandé à ton corps et ton esprit. Le fait que tu imagines que tu as les symboles encore encrés sur tes doigts prouvent que son apprentissage te marquera comme une cicatrice. Ce qui en soit n'est pas plus mal si tu en tires une leçon. "

La jeune femme finit par regarder la jeune Toka avec un léger sourire, toujours chaleureux dans le but de lui apporter son soutien et de lui prouver qu'elle ne devait y voir un mauvais présage.

" Au final, je pense que tu as surtout besoin de beaucoup de repos pour te remettre  de cette épreuve, et de réfléchir un peu. Quelle jeune femme souhaites-tu devenir... et non pas celle que tu désires copier. Car je suis sure que par toi-même, grâce à tes propres talents, tu pourras de venir une grande kunoichi. Seulement, une graine ne devient pas un grand arbre en un jour. "

Yuriko déplia lentement ses jambes avant de se lever, puis finit par se redresser calmement. Maternellement, elle s'avança vers la jeune fille et lui baisa le front.

" Il te faut dormir un peu à présent si tu souhaites te rétablir vite. "

Un dernier sourire et la jonin prit la direction de la porte, avant de se tourner une dernière fois.

" Tu finiras par trouver ta voie, ne t'inquiète pas. "

La jeune femme disparut, laissant le soin à ses autres collègues médecins de prendre la relève. Quant à elle, elle devrait prendre un peu le temps pour revoir ses enseignements et une manière de mieux se faire comprendre par un esprit aussi exalté que la jeune Toka.