Faire tomber les masques [PV Shirogane Wataru]

Le comble pour une muette était d'être conviée à une réunion de son clan et de se trouver incapable de communiquer pour faire la moindre remarque, ni suggestion. Non mais que j'en avais l'intention, non pas que j'avais un désir particulier de m'exprimer, mais il fallait comprendre que cela pouvait être assez frustrant de se contenter d'être uniquement une spectatrice. De tous les manières, même si j'avais pu parler, je ne l'aurais certainement pas fait. Je laissais toujours mon père s'exprimer pour nous, pour notre défense et tous les sujets que ce genre d'évènement pouvait concerner. C'était déjà la cas autrefois je crois. Mon intuition me disait que cela avait toujours dû me barber. J'avais peut-être pris un coup sur la tête mais visiblement, cela n'avait rien changé à mon caractère.

Je ne me rappelais pas de la moitié des visages qui se trouvaient parmi les convives. Aucun ne faisait échos à mes souvenirs. Yukio - mon père - pensait que peut-être cela pourrait m'aider. Mais lorsque j'étais entrée dans la salle, j'avais rapidement senti le poids des regards et une tension désagréable. Ils avaient peur de quoi, bon sang? A m'observer en chien de faïence? La plupart d'entre eux était bien plus aguerris que moi et je ne pouvais même pas me vanter d'avoir retrouvé ne serait-ce que la moitié de ma force d'antan. Cela faisait presque cinq année maintenant que j'étais tombée, trois que je m'étais réveillée. J'avais été déchue et j'étais une ombre. Ils avaient encore des doutes? Ces vieux sales vivaient dans un passé qu'ils se refusaient d'oublier et dans la parano. Ils devraient prendre exemple sur moi. Ils seraient au moins un peu moins tendus. Et puis j'étais une Shirogane. Mon père leur rappelait à chaque fois. Cela les détendait sur le moment puis ils ne faisaient plus attention à moi. Comme moi d'ailleurs.

Je ne sais pas trop combien de temps la réunion du clan dura, ni même l'objet de l'invitation. Je n'avais pas écouter une seule seconde. Je m'étais simplement assise autour de la table, distraite, à dessiner sur mon calepin des caricatures des gens présents ou bien des croquis de marionnettes qui me venaient en tête. Je supposais que j'avais un problème de concentration manifeste au point qu'au bout d'une heure, j'écrivis quelques lignes sur mon carnet que je montrais à mon père.

" Je me tire de là. Ça me saoule. Je vais fumer dehors. "

Ne cherchant pas le moins du monde à me faire discrète, je reculais ma chaise en prenant bien le soin de la faire grincer sur le sol. Une nouvelle fois, tous les regards se tournèrent vers moi et je me permis de faire un salut "désinvolte" qui irrita un peu mon père.

" Excusez-là mais elle ne se sent pas bien. Elle doit prendre l'air. "

Quel menteur tu fais papa! Mauvais au possible. Mais je lui posais ma main sur l'épaule pour le remercier et je quittais nonchalamment la pièce pour retrouver enfin l'air libre. Le bon air de suna.... que je pollue rapidement en allumant une cigarette. Une bonne bouffée et je poussais un soupir qui en disait long sur ma fatigue momentanée... avant que je ne remarqua la présence d'un autre Shirogane.

J'arquai un sourcil à sa vue parce qu'il était entièrement maquillé et portait un masque. Je me demandais ce qu'il y avait en dessous? Cachait-il la laideur de ses traits ou bien c'était un complexé social? En réalité, ça me faisait une belle jambe mais je n'arrivais pas à deviner son âge. Ni son sexe d'ailleurs. Un drôle de type. Peut-être qu'il pensait la même chose de moi?

Je restais stoïque quand l'étrange Shirogane s'approcha de moi. Mes yeux le suivaient dans son avancée alors que je cherchais à percevoir quelque chose derrière les trous qui servaient d'orbite à son masque. C'était un peu frustrant de ne pas voir réellement celui qu'on avait en face mais je me devais aussi de respecter son choix. Aussi... bizarre soit-il. Et je ne parlais même pas du reste. Il fallait dire que dans la "famille", on avait tous des goûts un peu particulier. Généralement, c'était nos marionnettes qui en étaient les reflets, lui, il avait fait le choix de tout porter sur lui. Définitivement un original. Respect. Pas beaucoup serait prêt à assumer.

Je crachais un rond de fumée quand il se décida à me poser une question à laquelle je répondis par un petit sourire en coin, et un hochement affirmatif de la tête. Et pour ne pas le laisser dans le brouillard total, je cala ma cigarette entre mes lèvres avant de chercher dans une de mes poches mon petit carnet de "discussion". Je saisis le crayon que j'y avais accroché pour ne pas le perdre et commença à gribouiller.

" Merdiquement ennuyeuse. "

C'était l'effet que me faisait les réunions des vieux du clan. J'avais beau savoir que cela avait son importance mais même avec mes trente balais, je n'avais pas la maturité nécessaire. J'étais prêtre à concéder que j'étais un peu une feignasse. Surtout pour le côté bureaucratie.

Ne laissant pas en plan mon camarade, je lui montrais les raisons de mon manège avec le carnet. Je portais mon bandeau de shinobi autour du cou et je le souleva légèrement pour lui montrer qu'il y avait un grand bandage autour de ma gorge. Une façon comme une autre pour lui dire que je ne pouvais pas parler autrement. Je repris donc mes écrits.

" Honoka. Et toi tu es? "

Mes yeux mauves ne le quittèrent pas. J'espérais qu'il quitta son masque pour se présenter mais je pouvais sans doute me brosser. Ma curiosité, je devrais l'assouvir à un autre moment ou d'une autre manière.

" Cela te dirait de te rendre autre part? "

Je ne nous imaginais pas rester là, comme deux paumés à attendre que papa et maman décida enfin du menu de ce soir. Autant que nous marchions un peu, que nous nous dégourdîmes les jambes ou qu'importe pourvu que ce soit loin de ces vieux chiffons. Je n'étais pas encore au fait de tout ce qui s'était produit dans la famille, et du coup, je ne connaissais que très peu les "cousins". De savoir que je n'étais peut-être pas le seul mouton noir, il y avait quelque chose de rassurant bien que, je ne le lui souhaitais pas non plus. Si j'avais été la seule, cela aurait été tout aussi bien. Parce que derrière mon visage de poupée, je ne désirais pas le mal pour les autres. J'étais pas une sainte non plus cependant. Fallait pas rêver.

J'essayais de sourire à nouveau en espérant qu'il accepta mon invitation pour... pour nul part en fait. Peut-être qu'il aurait une idée en chemin. Peut-être que j'aurais une illumination également. On verrait bien où nous conduise nos pas de marionnettiste. C'était pas comme si on manquait de rue à Suna.

" Si ma clope te gêne, tu me le dis. "

Juste au cas où ce serait ce qui l'agacerait. Je prenais les devant. Pas sûr qu'il osa me dire que oui, mais il attendra à minima que je finis celle qui était en train de se consumer. Et moi, en tant que bonne fifille polie, je me ferais violence pour ne pas enchainer avec une nouvelle. Parce que oui, j'avais aussi des manières.

Wataru. C'était comme cela qui se présenta. J'avais enfin un petit nom à coller à ce visage de Tengu. Pendant quelques secondes, alors que je finissais ma cigarette, je me contentais de l'observer dans mon silence imposé alors qu'il m'expliqua par des gestes qu'il avait faim et qu'il m'invitait carrément à manger. J'étais tombée sur un bon numéro. En plus d'échapper à une réunion pourrie, j'avais droit à un repas gratuit. La journée n'aurait pas été aussi mauvaise que je ne l'aurais cru. Pour inviter une inconnue à bouffer, soit c'était quelqu'un de bien, soit il avait des arrières-pensées, chose qui dans les deux cas était un peu galère à savoir parce que je ne pouvais croiser que son regard. Je me contentai donc de sourire et d'agiter la tête pour dire que c'était bon pour moi et que je le suivrais.

Je ne cacherais pas que j'étais clairement une opportuniste. Les mauvaises langues diraient que c'était parce que j'étais une Kaigan à la base. Après tout, c'était de notoriété publique que les gens de ce clan se servait par la force, je devais donc avoir cette tare dans le sang. Personnellement, je dirais plutôt que j'étais une épicurienne. Je ne voyais pas pourquoi je devrais cracher à la figure de la chance si elle me tombait dessus. Il fallait bien que la roue tourna un peu, non?

En tout cas, cette route nouvelle que j'empruntai me conduisit directement chez Wataru, un modeste petit appartement tout ce qu'il y avait de plus chaleureux. Alors que lui commença à poser ses quelques affaires, il se mit rapidement à la cuisine sans rien dire. Moi, je demeurais quelques instants devant le pas de la porte à fureter du regard un peu partout. Je me demandais s'il venait ici souvent. Cela n'en avait pas l'air et pourtant, c'était toujours plus chaleureux que chez moi. D'ailleurs, ce qui me captiva de suite, ce fut la vue. Le chanceux pouvait mater le désert de chez lui. J'avais malheureusement pas ce luxe et j'aurais bien aimé.

C'était avec le sourire que je me dirigeais directement vers son balcon. Je ne cherchais même pas à proposer mon aide, déjà parce que je n'aimais pas cuisiner, et aussi parce qu'il ne me l'avait pas demandé. J'étais l'invitée après tout. Du coup, l'air extérieur me poussa à sortir une autre clope de ma poche à tabac que je me pressa de sortir. Je me contentais de patienter en regardant les dunes de sable au loin avec en guise de fond sonore le bruit des champignons que l'on faisait sauter à la poêle.

Pour quelqu'un de l'extérieur, Wataru et moi devions passer pour des excentriques, même pendant le repas. Je m'étais assise en face de lui et j'avais déposé à côté de moi mon carnet pour parler, au cas où. J'y joignis rapidement mon bandeau de shinobi qui me pendait au cou. Il risquait de m'emmerder pour manger. Lui... lui il conserva son masque et son costume. Au départ, je l'avais regardé avec de gros yeux. Pas avec un regard qui le prenait pour un dingue mais parce qu'il allait surtout galérer. Il devait avoir un sacré complexe... Jusqu'à ce qu'il céda finalement. Ma première surprise. J'allais enfin voir quelque chose d'humain. La seconde, c'était que ce qu'il avait cuisiné était vachement bon, au point que je ne laissais même pas un seul grain de riz dans mon bol.

Le meilleur, ce fut quand je le vis sortir une bouteille. Là, il me prenait par les sentiments. Je lui offris un grand sourire et saisis le verre afin qu'il me servit sans modération. Un repas. A boire. C'était jour de fête ma parole. Mais avant même de lever ma coupe, je pris mon carnet pour écrire quelques mots.

" Tu cuisines bien. Merci pour le verre. "

A cet instant, je me pressa de boire avec délice la liqueur offerte. Cela me réchauffa le gosier rapidement, autant que le risotto si gentiment préparé. Conservant mon mutisme, je posais mes yeux sur lui, toujours avec ma curiosité en tête d'essayer de voir ce qu'il y avait derrière tout ce rouge. Cependant, je savais que ma persistance pourrait peut-être le mettre mal à l'aise alors je tendis mon verre afin de lui demander si je pouvais en avoir un autre, et glissa un autre mot.

" Belle vue. "

Je pointais du doigt sa fenêtre sur le désert. Ce chanceux.

On disait toujours que le goût de saké n'était jamais le même en fonction de la coupe et la compagnie. Pour cette fois, avec mon congénère peinturluré, je pouvais me satisfaire en me disait que c'était pas dégueu du tout et que même le second verre gagnait en intérêt. Bon, fallait dire aussi que j'étais pas une femme bien difficile, surtout quand c'était gratuit. Lâchant ma curiosité pour simplement tourner mes yeux sur le désert, je me laissais bizarrement bercer par la vue des dunes. C'est Wataru qui me tira de mes songes en m'empruntant mon carnet pour se mettre à écrire dedans.

Quand je vis les mots inscrits, je haussais les épaules. C'était.... bizarre, mais pourquoi pas. Il fallait dire qu'il y avait beaucoup de gens qui se sentait mal à l'aise avec le fait que j'étais plus foutue d'aligner un mot. Généralement, comme pas grand monde connaissait le langage des signes, ça les gênait de rester eux-mêmes alors que moi j'avais été privé de ma voix. Sauf que personnellement, ça me gênait pas d'écouter. Je me rappelais à peine de la tonalité de mes propres sons, je pouvais à peine meumeuner des mélodies - sans que cela ne devint foncièrement horrible. Écouter les autres, c'était un peu comme profiter de la musique. Parfois, cela pouvait être très chiant et d'autres fois agréables.

" Fais comme tu veux, si c'est ce que tu préfères. Mais ça risque de devenir emmerdant pour toi. "

Mon regard appuyait mes propos. Moi, j'avais bien évidemment pris l'habitude parce que j'avais pas le choix, mais s'il s'imposait ça pour être sur un même pied d'égalité, c'était inutile. Je ne m'en offusquerais pas. Bon avec le recul, peut-être que c'était aussi plus facile à cause de son masque. Causer là-dessous, ça devait pas être évident et il devait suffoquer. Et dire qu'il avait mangé son riz avec ça sur le nez. Fallait être un sacré timide.

Par contre, je pouvais pas m'empêcher d'avoir un petit sourire quand je m'attardais sur sa question. C'était pas le genre d'interrogation qu'il était bon de me poser, mais je me retins parce qu'après tout, on appartenait au même clan. J'allais pas provoquer un "cousin".

" Prendre un autre verre. Fumer une cigarette et si tu veux, aller faire un tour. "

Mes goûts étaient aussi simples que mes centres d'intérêts. Mais puisqu'il m'avait demandé ce que je voulais, autant être honnête.

" Les trois en même temps, c'est possible aussi. "

Sur ces paroles écrites, je me permis de me servir un autre verre que je bus cul-sec. Je posais la coupelle et le regardais avec un sourire en coin, avant de prendre mon carnet pour gribouiller dessus.

" Correction. Deux en même temps. Faudrait pas gâcher le saké. "

Par contre, j'étais pas certaine que qu'on était bien frais pour une sortie mais qu'est-ce qu'on en avait à faire. On était dans notre domaine et personnellement, j'en avais rien à carrer de ce que pouvais penser les autres de moi. Sans compter que les viocs étaient peut-être toujours en train de se chamailler à leur réunion.

J'étais quasi certaine de pouvoir affirmer qu'à cet instant précis, aucun des deux Shirogane qu'on était faisait preuve de bon sens. Je ne savais plus à combien de verres nous étions, mais on était frais, il n'y avait pas à dire. Je proposais qu'on prît l'air - même si on avait un coup dans le nez - et mon camarade le prit au mot, se saisissant de la bouteille de saké, me laissant deviner aussi un clin d’œil complice sous son masque de Tengu. Je le vis se lever et je le suivis avec nonchalance avant de l'apercevoir grimper sur la balustrade de son balcon. Autant vous dire que je le regardais avec des yeux ronds comme des billes. Il nous faisait quoi? Il pensait voler?

Nope. Au lieu de ça, il me fit la surprise de vouloir grimper le long du mur pour aller se percher sur le toit. Pourquoi pas? Je me contentais de hausser les épaules et de lui emboîter le pas sans rien dire - et c'était facile pour moi... tout comme la grimpette. J'étais peut-être un peu pompette mais il me fallait bien plus pour faire n'importe quoi. Une fois là-haut, j'eus le plaisir de découvrir une vue qui m'apporta rapidement le sourire, un petit coin de paradis où on pouvait mater le désert tranquillement et en plus, on avait le confort de vieux coussins miteux. Que du bonheur pour la femme simple que j'étais.

Je me tournais donc vers le désert, plongeant mes yeux violines sur l'horizon en prenant le temps de m'allumer une cigarette. Une main sur la hanche, la clope serrée entre les doigts, je soupirais longuement un rond de fumée, sans trop me rendre compte que mon compère était prisonnier de ses émotions et des vapeurs de saké. Je finis néanmoins par me tourner vers lui et m'effondrer lourdement sur un des coussins, croisant les jambes et acceptant le saké nouvellement servi sans me faire prier.

Seulement, j'eus pas le temps de boire le verre qu'il me posa la fameuse question. Que m'était-il arrivée? Si je savais! Le pauvre diable. Je ne pouvais que lui répéter ce que mes médecins avaient conclus en ramassant ma carcasse à moitié agonisante. Du coup, je posais ma coupelle sur le sol, je coinçais ma clope entre mes lèvres et je commençais à gribouiller mon carnet le plus simplement du monde.

" Tu vas être déçu, je me souviens pas. Mais je peux te dire ce que les docs m'ont dit. "

Je lui tendis mon premier papier avant de continuer à gribouiller un second.

" J'étais visiblement partie en mission avec mon équipe, on est tombé dans un guet-apens. J'pense que les gars, ils aimaient pas Suna. "

Je m'arrêtais quelques secondes, le temps de cracher un peu de fumée.

" On m'a brisé trois côtes, les mains, une jambe, ma marionnette et mon katana. J'ai eu aussi un traumatisme crânien, j'ai failli perdre mon œil. "

Je soulevais légèrement des mèches de mes cheveux pour lui montrer les deux grandes balafres qui me décoraient la tronche.

" J'avais beaucoup de blessures défensives, sans doute que j'ai affronté un épéiste, j'ai eu droit à une lame dans les flancs. Et du poison apparemment. Cela ma brûler les cordes vocales et la peau. "

Je savais pertinemment que j'étais une sacrée miraculée. N'importe qui aurait dû périr mais mon père m'avait dit que j'avais une volonté de vivre phénoménale. Personnellement, j'étais pas convaincue par son argument. Moi, j'étais persuadée que j'avais plutôt une forte volonté à vouloir claquer mais que ça foirait à chaque fois. J'avais perdu mes camarades et j'avais même pas la jouissance de pouvoir dire qu'on avait éclater nos ennemis puisque aucun autres corps que les nôtres n'avaient été trouvées. Sans compter qu'apparemment, une vie pas prévue avait aussi été perdue...

" Les risques du métier, il parait. Mais c'est con, il parait que j'avais une voix de rossignol, j'aurais pu te chanter une chanson. "

Je fis un petit sourire après avoir tendu mon bout de papier et je levais mon verre de saké pour le vider. Gloire à moi et ma carrière ratée de chanteuse. Une fois tout ingurgitée comme s'il s'agissait de l'eau, je lui fis un petit signe en désignant son masque pour lui montrer que je voulais savoir à mon tour, pourquoi il portait ce machin sur le visage.

Je ne savais pas pourquoi mais j'avais l'impression que le jeune Tengu appréciait ma franchise. Il avait été curieux, il avait eu sa réponse, satisfaisante ou pas, c'était la seule vérité que je connaissais. La longue liste de mes blessures.... et sans doute l'imagination des médecins qui peut-être en avaient rajoutés afin de tenter d'expliquer ou d'imaginer quels genres d'adversaires j'aurais pu rencontrer. Puisque j'étais avec une équipe de shinobis expérimentés, c'était forcément des adversaires de même nature. Ceux qui détestaient le plus Suna, c'était les Kaigan. Donc par simple déduction, je m'étais peut-être fait éclater la tronche par des cousins, voire même peut-être de la famille plus proche encore. L'ironie était vache. Mais qu'est-ce qui avait fait qu'on ne me donna pas le coup fatal? C'était un mystère. Les Kaigan n'étaient pas connus pour faire dans la pitié et mon dernière opposant devait forcément savoir que j'étais encore en vie... ou bien il était assez cruel pour me laisser agoniser ignoblement. Une possibilité après tout.

Toujours étalée sur mon bout de coussin, j'enchaînais les verres que me remplissaient mon jeune ami, et les cigarettes aussi. Basculée un peu en arrière, j'avais le regard rivé vers le ciel, pensive... pensive mais sur du vide, soyons clair. Lorsque j'avais autant de gramme d'alcool dans le sang, on ne pouvait pas dire que j'étais douée de grandes réflexions mais au moins, le temps me semblait passer plus vite... jusqu'à ce que le Shirogane se redressa pour se poster devant moi.

Par politesse, je me redressais légèrement et j'attendis. Longtemps. Plusieurs minutes. Peut-être était-ce ce qui lui fallait pour se lancer. Ouais. C'était un timide, obligé. Là, il m'écrit sur mon carnet qu'il voulait à son tour raconter sa propre histoire et je haussais les épaules en guise de réponse. Il avait le champs libre et je ne l'obligeais à rien. J'étais douée pour écouter, à défaut de causer. Par contre, je m'attendais pas à ce qu'il se mit à chanter. Autant je fus surprise quand il se redressa et me tourna le dos, autant ce fut encore plus étonnant de l'entendre pousser sa petite voix. Cela me fit sourire.

Seulement, plus la chanson avançait dans le texte, plus j'entendais comme des petits vibratos dans le son. Il... sanglotait? Là, il ôta son masque et le lança en arrière. Par réflexe, je le rattrapais et alors que j'écoutais toujours sa chanson, j'observais la chose entre mes mains. Je me permis même de le retourner pour voir ce que ça faisait de le porter, avant de finir par le poser à côté de moi. Il devait vraiment étouffer avec ça à longueur de journée.

Je me roulais une nouvelle clope quand il commença à parler, m'expliquant que son vieux pépé avait eu une merde équivalente à la mienne sauf que lui, il ne s'était jamais réveillé. Je comprenais la frustration... enfin, en une façon. Je l'avais vu dans l’œil de mon père, le soulagement quand il était venu me voir et constater que j'étais revenue parmi les vivants. Alors, imaginer dans quel état il avait été pendant toute l'année de mon coma... cela devait ressembler un peu à ce qu'éprouvait Wataru. Cela me faisait sincèrement de la peine pour lui.

Je finis par me relever à mon tour et je me postais à côté de lui alors qu'il serrait fortement la rambarde du toit. Je tournais mon visage vers lui et put enfin voir le vrai petit minois de Shirogane et bien qu'il ruisselait de larmes, je finissais par saisir le pourquoi du masque. Une protection pour que le monde ne voit pas qu'il était bouffé par la colère? Par la peine? Les deux? J'étais pas psy mais je supposais que c'était peut-être quelque chose de ce goût-là. Je farfouillais aussitôt dans mes poches pour prendre un mouchoir - propre pour la précision - puis je me saisis du menton de Wataru pour l'obliger à me regarder. Là, j'essuyais ces larmes.

" Pas... seul... "

Deux mots. Deux sons sortis de ma bouche comme ils purent. Une voix brisée mais pas totalement morte. Comme moi. C'était aussi ma façon de lui dire qu'il était pas obligé de porter son fardeau en solo. Une fois ces joues séchées, je tentais de faire un petit sourire en coin et lui donnait le mouchoir. Je le troquais contre mon carnet sur lequel je repris mes habitudes.

" Te laisse pas bouffer par la colère sinon tu pourrais devenir comme un de ses salopards à qui tu veux la peau. "

D'ailleurs, c'était ce qu'on me reprochait le plus ou plutôt ce qui attirait la suspicion sur mon cas. J'étais pas dans la rage, j'étais pas dans la haine non plus malgré ce qui m'était arrivée et je n'avais pas chercher à trouver mes bourreaux. Pourquoi? Parce qu'ils ne m'auraient jamais rendu ce qu'ils m'avaient pris. Alors pourquoi perdre encore mon temps à courir derrière des enfoirés qui m'en avaient déjà bien fait gaspiller? Vous emballez pas cependant, j'étais pas philosophe, seulement pragmatique. Ce qui n'était pas le cas de tout le monde puisque apparemment, on trouvait pas ça normal d'en avoir rien à cirer. Du coup, j'étais bizarre ou bien dans la magouille, une traîtresse. Faudrait être maso pour avoir accepté de se faire casser la gueule comme moi pour tromper tout un village, non?

" Mais empêcher que cela arrive à d'autres, c'est bien. Deviens fort et va péter la bouche de ces connards. "

Je lui présentais mon carnet et leva en même temps le pouce en guise d'encouragement. Bah quoi? J'étais pas sa mère, vous croyez pas que j'allais lui dire de rentrer sagement à la maison, non?

Je ne savais pas trop quoi faire de la gratitude du jeune Tengu, mais je lui souris. Peut-être que le saké commençait aussi à faire son office après tout. J'étais à combien de verre déjà? Je n'avais pas tenu les comptes mais ce n'était pas si grave. Alors que le silence s'était lentement installé entre nous, je pointais mon regard fatigué par la vie sur le paysage qui se dessinait sous mes yeux. Les dunes. Le désert. Son sable aux couleurs ocres qui dansait au rythme du vent. J'avais toujours trouvé l'image hypnotisante et apaisante alors que derrière cette façade, il y avait aussi une certaine forme de cruauté dans la mort que le désert pouvait offrir aux imprudents et malchanceux. Cela avait été le cas de ma mère, et cela avait failli être mon sort. Terrible punition de la part de mon clan d'origine qui nous avait jugé indignes de rester mais tout de même sacrifiables à Shukkaku afin qu'il puisse éventuellement se repaitre de nous. Pas de bol. Le projet avait été compromis. Merci papa Shirogane.

Wataru me ramena rapidement à la réalité lorsqu'il entama un petit discours aux sous-entendus politiques. Changer le clan? Dégager les vieux croûtons qui nous dirigeaient? Techniquement, je ne pouvais qu'abonder dans son sens. Certes, les vieux avaient de l'expérience mais ils avaient la fâcheuse tendance à s'enfoncer dans leurs habitudes et à ne pas accepter le changement ou d'évoluer. Tant que les choses "fonctionnaient", fallait pas modifier les choses. Les jeunes grandes gueules ne connaissaient rien de la vie et leurs avis ne comptaient pas. C'était pour ça que la plupart du temps, leur réunion me faisait grandement chier. J'avais l'impression de toujours entendre les mêmes sornettes et j'y trouvais pas réellement ma place. Déjà, parce que j'étais entre deux âges. D'autres part, parce que je représentais un cas particulier de par mon sang et mon accident. Bref, pour beaucoup, j'étais une sorte de sous-Shirogane. Mon opinion était souvent prise comme une offense ou peu digne d'intérêt. Bon... il se pouvait que je "disais" pas les choses de manières conventionnelles ou avec diplomatie, mais le fond demeurait le même.

Lorsque je croisais les yeux de Wataru et que nos deux visages se firent face, je distinguais dans l'éclat de son regard une sincère détermination mais surtout qu'il guettait une sorte de réponse de ma part. Je lui souris et posa ma main sur son épaule.

" Oui. "

Bon, on aurait clairement du chemin à faire... surtout moi pour rattraper tout ce que j'avais perdu. Mais ce petit bonhomme me plaisait bien et il avait un bon esprit. Je ne pouvais pas lutter et je désirais sincèrement faire preuve d'une certaine gratitude envers le clan des Shirogane. Ce n'était pas parce que je ne faisais pas l'unanimité que je manquais de savoir vivre. Dans le pire des cas, j'agissais aussi pour faire la fierté de mon vieux qui était la seule personne que j'avais en haute estime.... et je ne savais pas pourquoi, je trouvais l'idée de foutre les boules au clan des Serika assez grisantes. Genre, ils avaient une sacré opinion d'eux-mêmes alors si les Shirogane devenaient plus populaires ou plus puissants... Je voulais bien voir leur tête.

Énoncer de cette façon, il était clair que je courrais pas après de réelles bonnes intentions ou plutôt pas aussi nobles que mon camarade. Cela ne m'empêcherait pas pour autant de lui filer un coup de main au besoin et je lui montrais aussi que je ne comptais pas lui mettre des bâtons dans les roues. Pas le genre de la maison.

" Je sais pas si je te serais utile mais l'idée de faire chier les vieux tocards du clan me plaît et je peux faire ça pour un ami. "

Je lui tendis mon papier tout en souriant pour lui exprimer la véracité de mes propos. Puis dans un même élan, je repartis m'étaler sur les vieux coussins en cherchant la bouteille des yeux. Elle était passée où bon sang? Je me tournais vers lui et lui mimant un coup à boire. Fallait qu'on fêtât ses nouvelles résolutions... ou plutôt que cela en devint le parfait prétexte. Chasser les larmes et retour à nos plus beaux sourires.