Le temps passait doucement, les secondes défilaient avec lenteur, symbolisées par les bruits de l’aiguille d’une horloge bien réglée qui en régulait le cours au sein de cet espace clos. Le temps n’était pas à la pêche, ni à la cueillette, à la chasse où à toute activité qu’aimait Zenjuro. Précieusement, il tenait le livre qu’on lui avait offert en souvenirs de moments qui lui avaient réellement donné un déclic, que ce soit pour la lecture, mais par la même, de la rencontre et des moments qu’il avait passé avec celle qui avait prit le temps de venir à lui, de lui enseigner les rudiments de la lecture et de lui avoir permis de partager des moments qui n’avaient pas même aujourd’hui quitté ses souvenirs les plus vifs depuis qu’il avait posé pieds à Uzushio. Dans un lourd fracas, les gouttes de pluie venaient s’écraser sur les vitres bien isolées, donnant une tout autre ambiance à la Bibliothèque où il était venu se réfugier pour continuer à lire, une mélodie apaisante, que la bête qui vivait dehors ne connaissait que trop bien malgré le fait que l’instrument avait changé, passant des feuilles d’arbres où il pouvait se réfugier aux vitres cette fois-ci d’un endroit plus moderne, plus disposé à fournir le support nécessaire au borgne pour lui permettre de s’exercer à la littérature.
Le bruit des pages. Défilantes, l’une, puis l’autre. Le Vagabond s’appliquait et se permettait même de lire à voix basse depuis qu’on lui avait appris à coup de dictionnaire sur la tête le mot-clé de cet endroit, à savoir le « Silence », permettant à tout les adeptes de cette pratique de s’exercer, de s’adonner à cette pratique qui avait même réussie à happer l’ancien Pirate qui pourtant n’avait jamais tenu un seul ouvrage de sa vie, si ce n’est pour s’en servir de papier toilette de fortune, bien que peu confortable… Paragraphe après paragraphe, il avait cœur de réussir à lire chaque mot, plus compliqués les uns que les autres de son point de vue restreint en matière d’intellect littéraire. Vinrent les dernières pages de cet ouvrage qui était premièrement destinés aux enfants où dans ce cas précisément à un néophyte complet de la lecture, où Zenjuro dut redoubler de rigueur pour réussir à lire et passer les obstacles, pas à pas, ironiquement, la voie était la même, philosophiquement, que sa vie en elle-même ce qui lui arrachait un sourire tandis qu’il relevait ce défi d’un type complètement différent du sang, des guerres, de la mort.
« Mesdames, Messieurs, la Bibliothèque ferme ses portes dans un quart d’heure, je vous prie de vous y préparer, en vous souhaitant une bonne journée. »
L’annonce passait en faisant écho à travers les murs, les diverses étagères remplies de Livres de tout type qui composait ce sanctuaire du savoir qui accueillait en son sein une bête. La pluie semblait s’être calmée, la mélodie cessait et les premiers rayons du soleil qui perçaient le voile nuageux vinrent éclairer d’une manière nette la pièce où passaient les lecteurs qui rentraient chez eux. L’ancien survivant de « Nume » lui, son Livre rangé dans son Kimono prit directement la route du Port afin d’y retrouver le Rhum qu’il avait du quitter pour lire et sa barque qui l’attendait pour sa pêche de milieu d’après-midi. Sa marche était lente, détendue tandis qu’il slalomait entre les foules qui sortaient le bout de leur nez après cette averse qui avait formé plusieurs flaques et un terrain plus boueux que d’ordinaire à Uzushio qui pouvait tout de même se vanter d’avoir un climat relativement accueillant pour le Tourisme sans pour autant être aussi sec qu’à Suna et au Pays du Vent, que le Jonin n’avait jamais osé explorer, ayant une sainte horreur des chaleurs extrêmes et n’y étant absolument pas accoutumé.
Passant d’abord par la maison en bois de son vieil ami pêcheur, Zenjuro obtint sa barque pour la pêche qui n’était depuis le temps réservée qu’à lui lors de ces occasions et on pouvait même affirmer sans trop de mal qu’elle lui appartenait, sans pour autant être sa propriété même si elle avait fait les quatre cents coups avec le borgne qui en se remémorant tous ces souvenirs laissaient échapper un rire que personne n’entendait. La Taverne du Port, la seule, l’unique pouvant accueillir celui qui était sûrement son meilleur client et aussi par la même le pire fouteur de bordel que l’archipel connaissait à ce jour, c’est à peine s’il avait quasiment tué plus de mille personnes qui avaient voulu lui marcher sur le pied et pénétrer sa zone de sécurité le protégeant d’inconnus. Tonnelet en main, le Jonin se mit en route vers sa barque lorsqu’il aperçut de loin en arrivant un enfant qui se tenait quelques mètres devant lui. Haussant un sourcil de prime abord, il poursuivit sa marche tranquillement en le fixant du regard par moments, se demandant ce qu’un enfant pouvait bien faire par ici.
Le temps passe. Les aiguilles tournent. Bien rapidement, tu n’arrives plus à te concentrer tant la fatigue commence à l’emporter. Et tu as faim. Plus que faim, même. Encore une fois, tu pourrais dévorer un sanglier si tu en avais un sous la main. Pire encore… UN OURS ! Hélas, tu es bien trop faible pour pouvoir chasser une aussi grosse bestiole par la seule force de tes mains (vu qu’on ne peut pas dire que tes… que nos techniques soient les plus offensives et destructrices au monde). De fait, tu vas devoir te contenter d’un repas pris sur le pouce. C’est qu’il commence à se faire tard, surtout pour un petit garçon comme toi ! Il réside néanmoins un problème de taille. Tu es dans une partie d’Uzushio que tu ne connais pas vraiment comme ta poche, contrairement au centre-ville (notamment le quartier commerçant). Aussi ne peux-tu pas vraiment savoir où tu peux aller manger ce soir. Vu l’heure qu’il est, tu sais pertinemment que tu ne pourras pas atteindre ton restaurant préféré avant sa fermeture. Tu dois donc trouver autre chose, et vite. Il est hors de question que je dépérisse à cause de tes bêtises. Si encore tu me laissais le contrôle de temps à autre, je ne dis pas. Mais en ce moment c’est quand même quelque chose de compliqué, pour être tout à fait honnête.
Bref, tu sors de ta cachette (pourquoi étais-tu venu ici, déjà ? Ça n’a aucun sens quand on y regarde), entre deux tonneaux remplis de poissons puants, et commences à gambader ci et là. Hélas, tu ne trouves rien qui te semble réellement appétissant. Les rares échoppes que tu croises proposent toutes la même chose : du poisson, du poisson, encore du poisson. Tu pourrais faire un effort, et tu y as même pensé, mais outre les menus qui ne t’attirent pas, leurs mines semblent tout aussi déplorables. Il y a plein de grandes personnes louches qui te regardent d’un œil mauvais, quoi que tu fasses, peu importe où tu marches. Tu n’as pourtant jamais pensé que le port serait un endroit si particulier, pour ne pas dire malfamé. La fatigue l’emporte et tu le sens de plus en plus. Sans parler de ton estomac qui crie famine et t’inflige de satanées crampes. Le stress et la panique commencent ensuite à s’installer, à s’instiller en toi, alors que tu croises une jolie madame. Une adulte ! Penaud, timide et craintif, tu t’approches d’elle et tires tout doucement sur sa robe, comme pour attirer son attention. Et quelle robe, d’ailleurs. Heureusement que tu n’es qu’un enfant… ou malheureusement. Tout est relatif par rapport à sa réaction, j’imagine…
« C’est cinquante… Oulah non, j’fais pas dans les gosses ! Hors de ma vue ! Se met-elle à te gronder, hurlant et te crachant sa fumée au visage. »
Révulsé par le tabac, tu te mets à tousser et frotter tes yeux qui te brûlent à cause de la toxine ainsi recrachée. Là, ce n’est plus le stress qui s’empare de toi, mais bel et bien le désarroi et un semblant de désespoir (tu restes un brin mélodramatique, tout de même). Les larmes te montent alors que tout le monde te dévisage. Il y a même un vieux marin (qui pue l’alcool à des kilomètres) qui commence à te piquer ton bonnet vert et tente de l’enfiler. Non sans surprise, ça ne lui va pas (en même temps vu sa sale gueule difforme…), aussi le fait-il tourner autour de son doigt. Attristé et apeuré, tu tentes néanmoins de récupérer un de tes rares points d’ancrage avec la réalité (et le réconfort), sautant de toutes tes forces, réprimant tes geigneries, les bras tendus vers le haut. Mais rien n’y fait. Même si je n’ai pas forcément ton affect ou ton empathie, ça me fait mal de « te voir comme ça », je l’avoue. Je ne peux pas non plus rester là, assis dans ta tête à ne rien faire alors que tut e fais maltraiter. D’un côté, c’est « positif », pour moi, qu’une telle situation arrive ; trop occupé à te rattacher à ce que tu aimes, tu en oublies de complètement barrer ton esprit, me permettant par la même de défaire les quelques verrous. Là, tu craques complètement et ton regard semble vide, comme si tu étais tombé dans les pommes. Mais que nenni !
A mon tour de jouer. Un rictus vient déformer mon visage tandis que le type me regarde, désabusé et incrédule. Même dans son état il est en mesure de déceler ce changement ? Intéressant. Je fronce les sourcils, adoptant l’air le plus menaçant que je suis capable d’avoir et farfouille dans mes poches afin d’en sortir deux scalpels. Un dans chaque main, j’utilise mes connaissances claniques et médicales (pour ne pas dire chirurgicales) pour lui asséner quelques coups brefs, rapides, mais pourtant discrets. Incapable de se mouvoir, le vieil alcoolique n’a d’autre choix que de se laisser choir contre le mur le plus proche alors qu’une forte hémorragie interne le frappe, insidieuse et pernicieuse. Pris de convulsions et de violentes toux, voilà qu’il se met à cracher du sang, me fixant avec son regard de merlan fris. Là, je laisse mes armes s’égoutter doucement, laissant quelques traces carmines à mes pieds.
« Tu vas me rendre mon bonnet maintenant, n’est-ce pas ? Demande-je, calme, un sourire tout aussi serein (et donc malsain) au visage. Le pauvre ne semble plus capable de parler non plus. Est-il mort ? Peut-être. Je ne sais pas et je n’en ai cure. De fait, je reprends mon dû et me coiffe avec avant de finalement ranger mes armes. Et que cela te serve de leçon… si tu parviens seulement à y survivre, lui susurre-je à l’oreille après avoir pris le soin de vérifier que personne ne s’était rendu compte du spectacle. Fort heureusement, les quelques hommes présents étaient bien trop occupés à marchander les services de chair de la femme qui m’avait rabroué juste avant. »
Maintenant que j’ai récupéré mon petit chapeau vert (ridicule), je peux reprendre ma route et chercher de quoi me sustenter. Et par pitié, autre chose que du poisson ou qu’un vieux bouiboui dans ce maudit quartier rouge. Je ne dois pas oublier que j’ai l’apparence d’un pauvre gosse de douze ans. Et ça, des fois, c’est quand même compliqué. Peu de temps après, je finis par me retrouver proche des embarcations, là où les pêcheurs viennent d’habitude louer une barque (ou une barge, voire un petit catamaran de pêche justement). S’il y a effectivement des personnes qui viennent gagner leur repas du soir ici, je devrai trouver mon bonheur. Même si c’est du poisson… je saurai faire un effort. On ne peut pas spécialement dire que j’ai forcément le choix, de toute façon. Soudain, au lointain (quelques mètres, tout au plus), j’aperçois une énorme masse qui me fixe. Un homme, en fait. Le con doit au moins faire deux mètres… Autant dire que je dois bien bouger ma nuque pour pouvoir capter son regard. Alors que j’avance vers lui, il arque un sourcil et s’avance de même. Mon visage reste neutre jusqu’à ce que j’arrive à sa hauteur et que je ressente… le mal qui l’entoure. Non, je ne le juge pas. Mais un type qui a tué (et pas qu’une fois, si vous voulez mon ressenti), on le remarque à son regard et à ce qu’il dégage. Et là, très concrètement… Même moi je suis refroidi à l’idée de tenter quoi que ce soit contre lui.
« Vous avez l’air de connaître le coin… et pas que, n’est-ce pas ? Je continue de fixer son regard avec insistance, c’est presque gênant. J’ai terriblement faim... est-ce que vous accepteriez de m’épargner et de me montrer où je pourrai me nourrir sans risque de me faire asperger de cyprine ? »
Un petit Lutin. La manière de fixer cet enfant qui lui arrivait littéralement à la cheville en se faisant mal tellement un il était minuscule avait changé. Il était juste de dire que Zenjuro depuis peu s’adonnait aux plaisirs de la lecture mais restait Zenjuro tout de même, ne pouvant alors se contenter que d’ouvrages destinés aux plus jeunes, si ce n’est aux enfants de l’âge du gosse qui paraissait droit devant lui. Dans l’un de ces ouvrages, le Borgne était arrivé à un passage où un gentil Lutin vert de petite taille proposait de distribuer le bonheur dans le cœur des gens pour rendre le Monde meilleur, une histoire banale, simple, mais un personnage qui avait assez marqué le Jonin pêcheur pour y retrouver certains de ses traits chez le petit enfant. Il n’en fallait pas plus pour transformer le regard sévère du Voyageur en une mine plus décontractée dirons-nous, et pour preuve, alors que le petit être lui demandait de quoi le nourrir, il eut en réponse un rire incontrôlé de la part de Zenjuro qui dut s’asseoir sur le tonneau qui l’accompagnait toujours pour parvenir après deux minutes à se contrôler. Son œil entouré de cicatrices se posa sur le petit Vert avec insistance, suivi d’un haussement d’épaules, il n’avait que faire d’un mioche… mais quelque chose n’allait pas avec cette apparence enfantine… du sang.
« Dis moi l’gosse, qu’es’tu fais par ici ? T’sens l’sang, y s’passé un truc ? ». L’arrivée du Borgne en ces terres lui dictaient de ne pas trop se méfier de l’apparence juvénile des êtres qu’il pouvait être amené à croiser, et tandis qu’il lui demandait cela, ses sens éveillés le faisait paraître plus imposant qu’il ne l’était d’ordinaire, cette fois, il était prêt à tuer. Pour autant, il se ravisa en voyant sa petite mine et surtout, il pouvait voir qu’il avait beaucoup marché et prit le p’tit gars littéralement par le col avant de le soulever et le posa sur son épaule droite. « Accroches toi l’ptiot, on va t’chercher ça ! C’quoi ton nom ? Moi c’Zenjuro. ». Il initiait la prise de parole, considérant malgré un enfant comme un enfant et essayait de se rendre humain, de la manière qu’il pouvait c’est-à-dire d’une bien médiocre manière, mais le gamin était venu à lui, et mine de rien n’avait pas cherché à l’éviter, allant jusqu’à défier son regard. Quelque chose en lui plu à l’Epéiste qui le garda sur son épaule et remonta la rue que son protégé du jour venait de dévaler pour tomber sur lui. Il ne fallait pas cinq minutes pour trouver l’endroit où habituellement était servi de la bonne nourriture en échange de quelques pièces, c’était un restaurant peu connu des personnes habitant principalement la Ville et ne restaient généralement jamais au Port, préférant les grandes Rues du passage menant aux Commerces d’Uzushio.
« Oh, Saeko ! Boug’ton cul et vien’m’servir à bouffer ! » beugla le Borgne accompagné cette fois. Quelques secondes passèrent où les deux visiteurs purent entendre le simple mouvement des flots agités par un vent venant du large tandis que les derniers rayons du soleil commençaient à faiblir et laissaient au loin paraître les lumières de la Ville. Tout ce spectacle fut interrompu par des bruits sourds suivi de lourds pas et une porte qui s’ouvrait à eux, donnant sur une plantureuse demoiselle d’une trentaine d’année bien en formes mais d’un visage qui pouvait aisément démontrer son caractère hargneux. Comme à son habitude, elle se jeta sur le Jonin avec l’intention de l’envoyer voltiger quelques mètres plus loin, mais cette fois seulement, le pas solide du balafré semblait ne pas accepter cette salutation trop énergique, cette dernière apercevant sur le dos du Sauvage un enfant au visage doux, qu’elle fixa quelques secondes avant de tomber de rire en voyant cette scène surréaliste. « Oh bordel, Zenjuro, tu gardes des mioches maintenant ?! J’en peux plus aidez-moi ! » Zenjuro continuait de fixer la demoiselle qui essayait tant bien que mal de retenir ses larmes et rompit sèchement cette farce. « On a faim, t’peux n’filer à manger ? J’t’paye demain. » « Oui, oui je rigolais, suivez-moi. » assura-t-elle avant de laisser entrer les deux affamés, le Shinobi aussi avait faim et à peine entré, se précipita avec Haiko sur son dos jusqu’à le déposer à table, et s’asseoir en face de lui, séchant la bouteille de Rhum qui traînait sur la table de la demeure de Saeko, une demeure simple mais bien rangée, humble comme l’argent qu’elle tirait de sa vie ici mais assez confortable pour en rester chaleureuse. L'hôte de demeure revint rapidement, grognant après Zenjuro pour sa bouteille et leur servit respectivement un jus d'orange et une choppe de Rhum, accompagnés d'un succulent Couscous, une spécialité de sa terre natale que le Borgne aimait plus que tout, le dîner était servi.
Si, de prime abord, le géant face à moi a pu me sembler peu… commode, force est de constater qu’il a vite changé d’expression en s’approchant de moi. Pourquoi ? Parce que je ressemble à un petit lutin ? Bah, ça reste vrai donc ça ne me surprendrait pas. Mais il n’a pas l’air ultra conventionnel non plus… Il se balade avec un tonnelet accroché à l’épaule et une canne à pêche… Alors que, pourtant, il a cette dégaine, cette sensation, ce regard intérieur… tous ces trucs typiques du type qui a tellement de sang sur les mains que même les salles de l’académie ne suffiraient à placer tous ses cadavres et squelettes. Du coup, j’avoue être un peu surpris de le voir… attendri ? Ce n’est pas forcément le meilleur mot, mais l’idée est là. Alors à ma hauteur, je peux remarquer qu’il sait pour le sang. Déjà, je n’ai pas eu le temps de me nettoyer et en baissant le regard je remarque que ma manche droite est légèrement tâchée. Pas beaucoup, mais il faut croire que cela suffit pour qu’un sanguinaire le remarque. C’est bien ma veine… Aussi, comme pour tenter le tout pour le tout (et éviter de crever de faim), je lui fais comprendre qu’il serait bien apprécié qu’il m’emmène quelque part où je pourrai manger. Au début, il s’est seulement cantonné à me demander ce que je peux bien faire ici et s’il s’est passé un truc puis… prêt à tuer, il se ravise encore une fois. Et me chope par le col. Pour me mettre sur son dos. Surpris, j’arque un sourcil, mais je m’accroche. Il semble avoir un bon fond, tout de même.
« Je me suis… perdu… Et il y a un vieil alcoolique qui m’a piqué mon bonnet et qui a refusé de me le rendre. J’ai dû… Je marque une légère pause alors qu’il commence à s’élancer. C’est qu’il est rapide le type, je prends le vent en pleine tronche et dois le lâcher d’une main pour éviter de perdre à nouveau mon bonnet. C’est dangereux. J’ai dû sévir, terminé-je. »
Puis il se présente et, cinq minutes plus tard, nous voilà arrivés devant un restaurant… qui ne semble pas payer de mine. Mais puisqu’il semble habitué, je vais juste lui faire confiance. Ai-je seulement le choix, de toute façon ? Non. Pas le moins du monde. Hélas. Que c’est pénible d’être si faible… et si jeune. Et d’avoir si peu le contrôle, accessoirement. A peine rentrés, je fais en sorte de descendre de son épaule et reste près de sa jambe alors qu’il apostrophe une certaine Saeko. Mon sourire s’étend : une femme !!! Quelque chose qu’il est bon de noter, d’ailleurs… Si je ne suis qu’une personnalité de Haiko, je reste tout de même bien plus mature que ce dernier. C’est comme si j’avais grandi à sa place… et bien plus rapidement, au passage. De fait, j’ai probablement une perception du monde bien différente que celle d’un gosse de douze ans… et des besoins qui vont avec. La plantureuse au visage hargneux semble néanmoins nous dévisager, comme éprise d’une curiosité maladive, presque malsaine. Est-ce que le voir accompagné d’un mioche était si surprenant ? Apparemment, oui. Ce dernier reste néanmoins sérieux et interrompt la farce de la bien en chair d’un ton sec, insistant sur le fait qu’on a faim. Pour le coup, je ne peux clairement pas lui donner tort. Elle nous intime alors de la suivre, ce qu’on fait… alors qu’il me remet sur son dos. Bon bah… j’ai trouvé mon taxi intra Uzu, apparemment. Puis il me dépose à table.
Là, je balaie l’endroit du regard. Si l’extérieur ne paie pas de mine, l’intérieur détonne et dénote avec l’ambiance générale du port. Il ne semble pas y avoir d’alcoolique pernicieux, de marin pègre ou de matelot bien heureux d’avoir volé le bonnet d’un mioche. Le tout est bien rangé et humble, bien que tout de même chaleureux. Il n’y a pas à dire, ça change de ce que j’ai à la « maison »… Il y a aussi quelques photos de famille, probablement la belle et son père, à en juger les rides sur le faciès du bonhomme. Zenjuro, quant à lui… s’enquille la bouteille de rhum qui était restée posée jusque là sur la table. L’hôtesse revient rapidement, grogne après lui pour son méfait – ce qui m’arrache un rire cristallin – avant de nous servir une chope de rhum (pour lui) et un verre de jus d’orange (pour moi). Ensuite sont déposées, face à nous, les assiettes qui vont nous permettre de vivre jusqu’au prochain jour. Et par tous les kamis ce que ça sent bon ! Des légumes, de la viande avec une bonne sauce et de la semoule… Ahhhh, un vrai repas de roi. j’en ai déjà l’eau à la bouche ! Même si je n’ai jamais mangé un plat de ce genre, je reste certain que cela va être délicieux ! Aussi sens-je le tout en fermant les yeux, profitant de ce doux spectacle pour mes narines avant d’offrir mon plus radieux sourire à la dame.
« Merci beaucoup, Saeko-chan ! Je joue sur mon côté enfantin pour le côté familier, je suis sûr qu’elle ne m’en voudra pas. Enfin, je regarde Zenjuro et lève mon verre de jus d’orange pour trinquer avec lui. Moi, c’est Haiko. Omura Haiko ! Je ne suis qu’un petit Genin qui s’est perdu, comme vous l’avez remarqué… encore merci à vous, monsieur. Sans vous j’aurais très probablement fini détroussé… ou empalé avant même d’avoir pu trouver de quoi me mettre sous la dent ! Maintenant que les présentations sont faites, je peux boire une gorgée de mon jus et reposer mon verre sur la table avant de m’attaquer à mon assiette. Bon appétiiiiiiiiiiiit, clamé-je, vraiment enthousiaste et satisfait de cette rencontre. »
Le repas chaud servi, le petit être se rua d’abord à tâtons, avant de vraiment prendre ses couverts et attaquer le plat qu’avait préparé Saeko et qui n’était pas vraiment originaire d’Uzushio. Saeko était une femme pour le moins secrète et mystérieuse qui ne dévoilait pas ses origines au grand nombre et personne ne l’avait jamais suspecté d’être étrangère. Dans les faits, il s’agissait d’une Nukenin qui avait trouvé refuge clandestinement dans le Village d’Uzushio dans un premier temps après s’être exilée de son clan puis elle eut la chance de pouvoir ouvrir un modeste restaurant, qui contentait cependant même les palais les plus fins et critiques de l’archipel. La viande fraîchement saisie dans les forêts, aromatisée d’assortiments d’épices très difficilement trouvables dans les archipels environnantes, des légumes de qualité qui fondaient dans la bouche à chaque bouchée : Le Couscous faisait sa fierté et la renommée de sa cuisine. Zenjuro riait aux éclats en la voyant s’énerver pour sa bouteille et lui montra son tonneau de Rhum en lui donnant autorisation de se servir et se contenta d’écouter le petit Lutin que Saeko prit sur ses genoux pour l'aider à bien manger, égaré du Port lui citer son nom et les raisons de leur rencontre plus qu’improbable.
La Bête dans un certain sens, aurait pu ignorer cet enfant et le laisser errer dans les ruelles dangereuses, mais, en voyant le regard du petit encore frais, empli du crime qu’il venait de commettre pour récupérer son bonnet, lui rappela le petit Homme qu’il fut lui-même, autrefois. Bien que moindre, ce petit sentait l’odeur du sang à plein nez et pour quelqu’un comme le Jonin qui eut passé sa vie trempée dedans de la tête aux orteils, il lui était relativement facile d’établir ce constat, chose qui le troubla un peu vu la manière relativement confortable dont le Lutin vert était vêtu, montrant qu’il avait bien une famille, où un Clan. L’Epéiste se contenta de vider une autre choppe de Rhum, et claqua sur la table son précieux, vidé du saint nectar avant de jeter un œil à Haiko. « C’rare d’voir des gosses s’perdre ici, j’vais t’raccompagner chez toi dès qu’t’auras fini d’bouffer, f’toi plaisir surtout ! ». Un rire échappa au borgne aux joues légèrement rougies par les bons trois litres de Rhum qu’il s’était enfilé en un temps relativement court, avant de se faire interrompre par une pique qui ne manqua pas de lui arracher un hoquet. « A condition que t’aies de quoi me payer Zenjuro, j’te rappelle que ton ardoise est déjà bien salée mon lapin ! ».
« Zenjuro, je ne sais pas si tu es au courant mais... il semblerait que tes conneries t’ont attiré des ennuis, les personnes que tu as délogées de chez moi ont fait appel à des mercenaires, pour te tuer, la rumeur traverse le Port même à cet instant. Sois prudent. ». Le regard de Saeko se faisait plus grave, s’exprimant au borgne d’une manière qui différait complètement de celle d’ordinaire. Une histoire qui remontait à quelques mois alors. Un groupe de Shinobis appartenant au clan de la Dame, voulant surtout faire tarir la mine d’information qu’elle était censée être et ce à tout prix. Un regard, un soupir, le Borgne se rappelait parfaitement de ces durs à cuire qui avaient bien failli le tuer la dernière fois mais ils avaient fait l’erreur de briser son tonneau de Rhum dans leur démarche, provoquant la fureur sans limites de l’alcoolique. « Y sont encore vivants c’cons ? J’m’en occup’rai après. » Trahissant du regard des ondes meurtrières qui traversèrent la pièce tant leur crime avait été grand puis orientant son œil valide vers la petite bouille dont la bouche était encore pleine de semoule et de bons légumes, Zenjuro esquissa un sourire et lui décoiffa les cheveux d’une manière assez brute, mais affectueuse, sortant de son Kimono sa pipe qu’il remplissait d’herbes avant de l’allumer et d’en tirer une latte, sous les yeux de Saeko qui ouvrit la fenêtre pour limiter l’action de la fumée. « J’vais t’ramener chez toi, l’endroit est dang’reux, vaut mieux pas trainer. » Se redressant du haut de ses deux mètres, le géant remercia Saeko pour l’assiette désormais vite et reprit son Nodachi en le remettant sous sa ceinture de Kimono et enfilant ses Geta avant de revenir siffler un verre de Rhum.