Sanada tirait avec difficulté le petit radeau de bambou qu'il avait mis des jours à construire, travaillant durant son temps libre, quand il arrivait à surpasser sa paresse.
Cela faisait déjà un petit moment que le jeune genin crapahutait en direction du quartier Miyamoto, le district aux mille ponts comme il aimait l'appeler.
Depuis sa première rencontre avec Rokuro et les bâtisses du clan, il était tombé sous le charme de cette partie du village. Les Maisons et les bâtiments ouvragés, les petits ponts aux toits fleuris, le doux bruit de l'eau qui s'écoule sur la pierre, chaque coins de rues du clan hanté marquait leur souci de l'esthétisme, comme si la bonté et la beauté n'étaient qu'une seule chose et que la splendeur de leur architecture illustrait leur rigueur moral et martial.
Quand il arriva au cœur du faubourg, il croisa deux membres de la garde d'Uzushio, heureusement pour lui, il les connaissait depuis qu'il passait le plus clair de son temps chez une des plus vieilles shinobis de leur clan.
- Que fais-tu donc avec ce radeau ? Demanda l'un des gardes d'un air suspicieux
- Rien..Dit Sanada le plus innocemment possible. Ce n'est pas un radeau, je ramène des bambous pour le jardin de Rokuro. Il avait trouvé cette idée sur le tas et ne s'en sentait pas peu fier.
- Ah, bon dans ce cas, on va t'aider, cela fait longtemps que je ne l'ai pas vu.
La mine de Sanada se décomposa quelques instants avant de redevenir faussement enjoué. Il ne savait pas comment se débarrasser de ces bougres, et si Rokuro le voyait avec cet amas de bambous et de ficelle, elle saurait assurément ce qu'il s'apprêtait à faire. Malgré toutes les excuses qu'il inventa en chemin, il fut contraint de taper à la porte de sa sensei, accompagné de ses deux garde du corps.
Celle-ci ne tarda pas à ouvrir, et avant même qu'elle ait pu dire un mot Sanada prit la parole.
- Je vous ramène le bambou comme prévu...
Il la regarda avec insistance comme pour invoquer sa clémence s'il savait qu'elle était sévère, il avait aussi conscience qu'elle n'était pas cruelle....Et ils ont voulu vous saluer, je vais les poser sous le saule. Dit-il en s'éloignant tandis que les soldats engageaient la conversation.
Il s'assit sous l'arbre qu'il affectionnait tant et alluma son calumet en attendant les remontrances de sa préceptrice.
Quand ils s'éloignèrent, il s'approcha d'elle avec un grand sourire pour tenter de l'amadouer.
- Je t'avais dit non.
- Mais c'est juste pour essayer, je ne le ferai qu'une fois.
- Non, c'est non.
- S'il vous plaît… Dit-il d'une voix lancinante comme s'il était soudain atteint d'une horrible souffrance.
Rokuro ne dit rien, depuis les mois qu'elle fréquentait le genin elle avait appris une chose. Malgré son dégoût de l'effort et du travail, c'était un garçon borné, qui ne lâchait pas facilement prise une fois qu'il avait une idée en tête.
Elle savait pertinemment qu'il allait rebrousser chemin aujourd'hui pour mieux tenter demain. Avec un sourire las, elle se contenta de lui jeter la corde qui servait à tirer l'embarcation.
- Mais je t'accompagne jusqu'au départ au moins.
- C'est que ça va grimper.
- Tu me prends pour un cadavre ? Je peux encore marcher jusqu'en haut de mon quartier. Merci.
Sanada ne voulait pas de conflit après la fleur qu'elle lui avait faite. Cependant, à voir Rokuro debout, immobile, s'écraser littéralement sur sa canne, seule barrière restante entre elle et le sol, on ne pouvait croire qu'elle réussirait l'ascension. Bougonnant contre le temps qu'il allait perdre, et le coucher du soleil qu'il ne pourrait voir, il se contenta de laisser sa professeure ouvrir la marche.
Sanada avait repéré l'endroit parfait il y a des semaines. Au bout d'un petit chemin recouvert par les herbes, il y avait un petit pont qui avait pour particularité d'être plat et presque à hauteur de l'eau qui courait inlassablement vers la place du quartier situé en contrebas.
Cependant, lorsqu'ils arrivèrent, un homme était déjà là.
Sanada n'eut pas de mal à le voir, même de loin.
L'individu semblait tout bonnement être un colosse et sa stature carrée en imposait déjà alors que ce n'était encore qu'une silhouette.
- Miyamoto Nori, Chef de la garde D'Uzushio, et l'un des meilleurs artistes martiales de notre clan. Dit la vieille en accélérant le pas.
L'homme portait un chapeau, le jeune genin ne pouvait encore l'observer correctement, car l'individu avait la tête vers le bas, comme si ses pensées s'animaient dans le petit torrent qui faisait mousser l'eau. Lorsqu'il leva les yeux, Sanada fut transpercé par les iris jaunes de l'homme, son nez fin et long affinait encore plus ses traits qui entouraient une fine bouche.
Malgré sa corpulence de brute, le visage du Miyamoto portait une certaine douceur, une harmonie agréable à l'œil.
- Nori, je te présente Masamune Sanada, mon seul élève en dehors du clan. Dit la vieille en saluant son frère d'armes.
Sanada s'inclina maladroitement, il n'aimait pas toutes ces cérémonies et ce protocole, les rôles et la bienséance, mais, face à un tel colosse, il ne voulait pas jouer le rebel.
S'il était vraiment chef de la garde, cela faisait une raison de plus de ne pas l'énerver. La situation ne semblait pas se présenter sous son meilleur jour, il ne fallait surtout pas l'empirer.
Après un petit silence, Rokuro reprit de plus belle.
- Notre cher Sanada s'est mis en tête de descendre notre quartier en passant sous les ponts avec ce radeau de fortune. Il prétend que cela sera drôle....
- ...Mais pas que ! Interrompit le genin. C'est aussi un excellent travail d'anticipation et de réflexe. Sans oublier l'endurance et la force pour pouvoir maintenir le cap malgré les remous. D'ailleurs, je suis sûr que Nori-sama est partant pour m'accompagner, comme cela, il travaillera avec moi et vous vous sentirez mieux en sachant que je suis en sécurité.
Se tournant vers Nori, il tenta son plus grand sourire avant de l'inviter à le rejoindre sur le radeau.
Il rêvait de cette descente depuis des semaines, il n'allait pas se laisser faire, et s'il devait voguer avec ce géant à l'air glacial, qu'à cela ne tienne !