Guerrière paranoïaque, tu as perdu ton fils il y a de cela plusieurs années.
En 1500-2000 mots, raconte comment tu vis actuellement cette séparation et comment tu comptes réagir face à ton sentiment de solitude.
Quelques exclamations joyeuses résonnaient, semblant presque lointaines : des enfants, heureux et innocents. Les uns semblaient ravis de retrouver leurs amis, les autres paraissaient un peu anxieux – à raison, certainement. C’était la rentrée à l’Académie. Un moment que Junko n’avait jamais vécu mais dont elle saisissait toute la symbolique. Il régnait, du côté des parents présents, une certaine fébrilité. Pour la plupart, ils regardaient leur progéniture s’élancer dans la vie de shinobi avec une fierté indéniable – et un soupçon d’appréhension, pour ceux qui n’étaient pas issus de ce milieu. C’était un sentiment auquel Junko était totalement hermétique cependant. A vrai dire, elle détonnait un peu dans ce paysage ; aux yeux de tout ce beau monde, elle n’était ni professeur, ni parent. Elle paraissait plantée là, à regarder des enfants qui n’étaient pas les siens et à vivre par procuration. Mais ils se méprenaient, ils ne connaissaient pas la vérité.
Quelques instants auparavant, un regard profond, empreint d’inquiétude et de tendresse, avait attiré son attention. Elle avait un peu hésité au départ, mais à présent il lui semblait bien le reconnaître ; c’était le regard de son fils. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, il l’avait toujours regardée ainsi. Ironiquement, elle aurait dû comprendre que son fils avait une certaine crainte à son égard, mais elle n’avait jamais fait, ni voulu faire, le rapprochement. Pour l’heure, elle se contentait de l’observer, mêlée à la masse de parents. Personne ne l’accompagnait. Elle parcourut du regard chaque centimètre du visage blanc de l’enfant, de son menton légèrement pointu jusqu’au bout de ses beaux cheveux bruns. Une bouffée d’émotion la saisit ; il n’avait pas changé.
Elle se souvenait encore du dernier jour où elle l’avait vu. Longtemps son visage était resté gravé dans sa mémoire et elle s’était efforcée de se le remémorer le plus souvent possible, par crainte de l’oublier. Finalement, son esprit avait fini par tordre ses traits sans qu’elle ne s’en rende compte et, pour être tout à fait honnête, elle aurait bien été incapable de le reconnaître 7 ans plus tard. Ce dont elle se souvenait surtout, en réalité, c’était de la souffrance qu’elle s’était infligée des mois durant.
Quand on l’avait mise à la porte du monastère, elle n’était pas partie tout de suite. Elle avait erré comme une âme en peine, désœuvrée et perdue, sans jamais vraiment s’éloigner. Parfois, elle se glissait en haut des murs délimitant le lieu sacré, pour guetter le passage de son fils. Souvent en vain, car elle se faisait chasser par l’un ou l’autre moine bien avant. Elle avait cru devenir folle et avait envisagé de tout détruire. Jamais, cependant, elle n’avait songé à implorer leur pardon. Elle avait peur. Elle s’imaginait qu’ils avaient monté son fils contre elle et qu’une fois qu’elle reviendrait les supplier, ils en profiteraient pour la faire souffrir par son biais. Elle craignait qu’il la toise avec mépris et dégoût – elle savait qu’elle ne s’en remettrait pas.
A ce souvenir, un frisson lui parcourut l’échine et elle sentit son estomac se nouer. Mais pourquoi avoir peur à présent ? Il était là, devant elle, et il soutenait son regard. Elle songea qu’il devait la reconnaître également, aussi lui sourit-elle avec douceur. Cela n’eut pas l’effet escompté. Elle espérait qu’il lui sourirait en retour, mais il détourna le regard vers un autre homme – un professeur, Junko le connaissait vaguement. Rapidement, son esprit fit la connexion – une connexion absurde : le professeur gardait captif son fils. Et tandis que cette pensée lui paraissait de plus en plus probable, elle réalisa que si ce professeur était au courant pour son fils, alors certainement que d’autres l’étaient également. Les parents ici présents, ses collègues Jûnin, le Kage ? Se riait-on d’elle dans son dos ? Lui voulait-on du mal ? Elle fut prise de panique et, sentant un danger imminent, elle bondit en direction de son petit.
Quelque chose l’arrêta net : le professeur s’était interposé, comme s’il avait lu dans ses pensées. Il l’avait empoignée avec fermeté et lui cachait complètement la vue. Elle se débattit, cherchant du regard son fils, par-dessus l’épaule de l’homme. On l’empêchait de le voir, de le toucher, de le sentir. On voulait les séparer, encore. Elle s’agitait de plus en plus ; mauvais signe. «
Ce n’est pas lui, Junko… » Comme un coup de poignard, cela lui transperça le cœur. Mais c’était lui, elle le voyait bien ; elle l’aurait reconnu entre mille, croyait-elle. C’était lui… Et pourtant, à mesure que la douleur de la révélation dissipait l’illusion, elle pouvait constater qu’il n’était plus vraiment brun et ses yeux plus vraiment noirs. «
C’est mon fils. » asséna-t-elle, convaincue. Peu importe ce que ses yeux lui montraient, elle savait que c’était lui. Elle tenta d’avancer, on l’empoigna plus fermement encore. «
Tu ne peux pas faire ça à chaque fois. Parle-moi, laisse-moi t’aider. » Il mentait, c’était la première fois qu’elle venait, elle en était sûre. Elle ne l’avait jamais vu auparavant. «
C’est mon fils. Je veux juste lui parler… » Sa voix se brisa ; son crâne devenait douloureux tandis que ses yeux s’embrumaient. Alors, il lui sembla que quelqu’un saisit l’enfant par les épaules et l’entraîna vers l’intérieur. Tout ce qu’elle vit, au milieu des larmes lui brouillant la vue, ce fut son regard terrifié. «
Vous lui faites peur. » Il ne voulait pas qu’on l’emmène, il voulait être avec sa mère, pas vrai ? Elle s’échappa sèchement de l’emprise de son interlocuteur, mais celui-ci la rattrapa. «
C’est de toi qu’il a peur. » A ces mots, de la douleur naquit la haine, violente et imprévisible.
Ce soir-là, une grande fête se tint chez Junko. On y célébra les retrouvailles d’une mère et d’un fils, séparés pendant 7 longues années. Tout le monde vint ; ses amis de l’Académie, ses professeurs et même les parents qui l’avaient recueilli et qui s’étaient occupés de lui le temps qu’il retrouve sa mère. On mangea et on but gaiement. On s’échangea des petites anecdotes sur le temps passé loin de l’autre. Même les souffrances les plus terribles semblaient s’être évaporées. Junko était heureuse, si heureuse qu’elle passa une partie de la soirée à pleurer de joie.
Et quand, au petit matin, elle se réveilla seule dans son appartement froid, elle constata une fois de plus que tout ceci n’avait été qu’une fabrication de son esprit – bien que ses larmes aient été réelles. C’était dans ces moments-là où, vidée de son énergie, exténuée par ses frasques, elle était la plus lucide sur sa condition : elle était seule, méfiante – elle avait peur de dire paranoïaque –, meurtrie. Et tout ceci était très certainement de sa faute, même si elle ne voulait pas l’admettre.
La veille, à l’Académie, elle avait usé de ce qui lui restait de clairvoyance pour s’enfuir plutôt que de commettre l’irréparable. On l’avait mise en défaut et elle n’aimait pas ça. Sa souffrance étant cependant bien réelle, il lui avait fallu trouver un remède contre la solitude. Alors, comme à son habitude dans ce genre de situation, elle avait abusé son esprit et ses sens, jusqu’à ne plus pouvoir distinguer le rêve de la réalité. Encore maintenant, elle n’était pas très sûre de savoir où elle se trouvait. Cela finirait par la rendre folle, elle le savait, mais il lui semblait qu’elle n’avait pas d’autre option. Elle refusait catégoriquement de s’ouvrir à ces individus qui se permettaient de la juger et de lui mentir. Elle reconnaissait en eux le propre de la nature humaine et elle savait qu’elle ne pourrait jamais faire confiance qu’à elle-même.
Les Hommes se trahissaient entre eux.
Les Hommes n’étaient pas fiables.
Les Hommes étaient envieux.
Les Hommes lui avaient tout pris et en redemandaient.
Fort heureusement, de tels épisodes – aussi intenses et dramatiques – ne se produisaient qu’à des occasions bien particulières, généralement en lien étroit avec son passé. Elle délirait, tantôt sans conséquences, tantôt devant agressive, puis la vie reprenait son cours. Elle avait bien conscience qu’il arriverait un jour où cela deviendrait un handicap trop important. Elle avait de grands projets, pour elle et pour ce monde, et elle craignait qu’on la rejette au prétexte qu’on la trouve instable.
Pour autant, elle se sentirait un peu honteuse en passant devant l’Académie plus tard dans la journée ; un peu suspicieuse également, sa méfiance habituelle prenant le pas sur le reste de ses émotions. Une part d’elle aurait toujours un doute, en marchant dans la rue, car peut-être était-il quelque part, non loin d’elle, mélangé à la populace. Junko savait que si elle souhaitait vraiment en avoir le cœur net, il lui suffisait de se rendre au Myōshin-ji. Mais cela signifiait se mettre en danger, s’exposer à de nouvelles souffrances. Il y avait trop de questions sans réponses : s’il ne la reconnaissait pas, s’il la haïssait, s’il était parti, s’il était mort... Et s’il vivait une vie heureuse et épanouie, loin d’elle ? Il valait mieux vivre dans l’ignorance ; elle avait fait déjà trop souvent les frais de la connaissance.