Kikuchi: Jeune chuunin de 15 ans au service de Suna. Il est le fils d’Emiko, la fille de Kedon. Zakuro est son parrain et il entretient de bonnes relations avec lui même s’il ne le voit pas très souvent. L’adolescent maîtrise le kenjutsu et l’affinité primaire Katon. Débordant de la fougue de la jeunesse, il a coeur de faire ses preuves. Son rêve est de devenir Kazekage.
Kotetsu: Jônin de 29 ans au service de Suna. Il est le fils de Kikon et donc le grand-oncle de Kikuchi. Il connait Zakuro depuis qu’il est enfant et lui voue un profond respect. Son domaine de prédilection est le Raiton, bien qu’il utilise aussi couramment le Bukijutsu. D’un naturel calme, il fait preuve d’un grand sang-froid. Il se moque de l'ascension sociale, seule sa famille compte à ses yeux.
Kedon et Kikon: Frères jumeaux de 65 ans. Membres de la société de transport d’eau d’Haruna, ils ont été les maîtres de Zakuro, ils lui ont appris la majorité de ce qu’il sait. Autrefois ninjas au compte de Suna, ils ont pris leur retraite pour s’occuper des affaires de l’entreprise à l’oasis Shirotsuma.
.........
砂瀑 の 柘榴
∞ Partie Une
Assis derrière son bureau, l’adolescent ouvrit la missive qui lui était adressée. Le Kazekage en personne la lui avait fait envoyé. Il ne comprenait rien de cette histoire. Pourquoi un homme de sa trempe aurait besoin de communiquer ainsi avec un simple chuunin ? Impatient de le découvrir, il déchira le sceau. Malheureusement, il n’apprit rien. Conformément à la volonté de son dirigeant, il devait se rendre au palais sans plus tarder. Nulle explication ne lui fut fournie. Quelque peu décontenancé, Kikuchi relut la lettre plusieurs fois. Une entretien privé avec Serika Senshi ?
« Bon sang... »
Conscient du fait qu’il ne fallait pas faire attendre son chef, il enfila une tenue décente. Ses affaires civiles n’étaient pas convenables pour une telle occasion. Une fois vêtu tel un ninja, il sortit de sa demeure en ne manquant pas de saluer sa mère. Même s’il ne courrait pas, son pas était rapide, bien plus qu’à son habitude. Il était mélangé entre l’inquiétude et l’excitation. Le simple fait de savoir que le Kazekage le demandait en personne était un véritable évènement en soit. Arrivé à destination, il avança vers deux gardes postés à l’entrée.
« Je viens voir maître Serika. Il m’a fait demand... commença-t-il.
- Ouais, c’est bien, monte petit.
- Je... Vous ne savez même pas si je dis la vérité, je pourrai vouloir le tuer.
- T’as pas ce qu’il faut pour ça. Puis de toute façon on a été prévenu de ta venue, petit insolent. Allez, le fais pas attendre ! » aboya le garde en désignant le palais d’un coup de tête.
Conscient du fait qu’il valait mieux ne pas chercher les ennuis, Kikuchi décida de se taire et monter. Deux par deux, il montait les marches du palais en direction du bureau du Kazekage. Son coeur se serrait dans sa poitrine à mesure qu’il avançait. Jamais il n’avait été seul avec maître Serika. Arrivé devant la porte, il ferma les yeux quelques instants avant de frapper. Quand on lui dit d’entrer, il pénétra d’une manière qu’il voulait solennelle. Après s’être mis au garde à vous, il remarqua la présence de deux têtes connues. Son parrain Zakuro et son grand oncle Kotetsu étaient tout deux présents. Avant qu’il n’ait le temps de comprendre quoique ce soit, le jônin quadragénaire alla fermer la porte derrière lui.
« Kikuchi, je t’ai fais convoqué pour te remettre un ordre de mission, annonça le Kazekage en sortant un message d’une pile de documents. La conseillère Haruna, autrement dit la cliente à l’origine de tout ceci, a demandée personnellement à ce que tu sois mis sur l’affaire. »
L’adolescent resta muet quelques instants. Haruna était la femme de Zakuro, il la connaissait bien. Pour autant, jamais auparavant elle n’avait fait appel à lui pour la moindre mission. Pourquoi aujourd’hui en particulier ? Pourquoi lui en particulier ?
« Je ne comprends pas, Kazekage-sama, pourquoi moi ?
- Eh bien... Autant y aller franchement et crever l’abcès d’un coup. Il y a eu une attaque à Shirotsuma visant la succursale de la société Sabaomizu qui s’y trouvait. Nous ignorons encore les détails, mais il semblerait que Kedon et Kikon aient été tués durant l’assaut. Toutes mes condoléances. »
La nouvelle lui fit l’effet d’un choc. Incapable de parler, il chercha du soutien dans le regard de son oncle ou de son parrain. Kotetsu restait tout aussi calme qu’à son habitude, mais une expression sombre semblait brûler dans les yeux de Zakuro. Il avait les traits durs et l’air furieux derrière une tranquillité de façade. Kikuchi ne l’avait jamais vu ainsi auparavant. Il ne savait comment réagir ni quoi répondre. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas revu son grand-père, mais ça n’empêchait pas la nouvelle de sa mort de l’affecter. Il repensait aux bons moments passés à ses côtés. Tout semblait lui revenir en tête, malheureusement ce n’était ni le lieu ni le moment pour se laisser aller à ses émotions. Les larmes aux yeux, il décida de rester professionnel devant son dirigeant.
« Quel est le but de la mission ? demanda-t-il la gorge serrée.
- Vous allez partir tous les trois enquêter sur cette attaque. La cliente exige que justice soit faite. Vous devrez donc trouver l’identité des coupables et les tuer, expliqua calmement le Kazekage. Kikon et Kedon n’étaient plus membre de Suna depuis des années mais j’insiste pour que vous vous assuriez que nulle information confidentielle ne soit tombée entre les mains de l’ennemi, quel qu’il soit.
- À vos ordres. »
La messe étant dite, les trois sunajins s’inclinèrent avec respect avant de quitter le bureau de leur chef. À peine sorti, Kikuchi sentit ses jambes trembler. Son corps lui semblait peser une tonne et ses larmes avaient bien du mal à ne pas sortir. Quand il entendit la porte se refermer derrière eux, une main vint se poser sur son épaule. Zakuro était derrière lui, l’air dévasté par la nouvelle.
« Laisser ses émotions prendre le dessus d’temps en temps n’est pas une faiblesse. N’écoute pas ceux qui t’diront le contraire Kikuchi, ce sont des sots. » dit le jônin avec compassion.
N’écoutant plus que son coeur, l’adolescent laissa éclater sa peine. ses larmes coulèrent alors qu’il se remémorait les souvenirs de son grand-père que plus jamais il n’aurait l’occasion de revoir.
* * *
« Ce... Ce n’est pas vrai... »
Sous le choc de la nouvelle, Emiko commença à se sentir mal. Son fils se dépêcha d’aller à sa rencontre pour ne pas qu’elle tombe malencontreusement. Zakuro en profita pour tirer une chaise de sous la table et y installer la mère de famille.
« Maman, je...
- Comment est-ce arrivé ? balbutia-t-elle.
- De ce que nous savons, il y a eu une attaque à Shirotsuma, intervint Zakuro.
- Pou... Pourquoi eux ? Ils venaient de prendre leur retraite. C’est...
- Pour le moment on ne sait pas ce qui a motivé l’assaut, expliqua Kotetsu à sa cousine. Nous allons nous rendre sur place tous les trois.
- Vous trois ? Avec Kikuchi ?!
- Emmène le petit dans sa chambre pour qu’il prépare ses affaires, ordonna Zakuro. »
Le second jônin hocha la tête avant de s’exécuter. La main sur l’épaule de son jeune neveu, il le guida tandis qu’il regardait vers sa mère avec tristesse. Le quadragénaire posa un genou à terre pour se mettre au niveau d’Emiko. Il lui prit les mains pour la rassurer avant de la regarder droit dans les yeux.
« Tout va bien se passer Emi-chan.
- C’est... C’est mon fils ! Je n’ai plus personne d’autre que lui.
- Je l’sais bien. Je te le redis, tout va bien aller.
- Ces hommes qui ont tué père et oncle Kikon, et s’ils s’en prennent à Kikuchi ?
- Je les tuerai. Qu’ils essayent ou non, j’les ferai payer pour ce qu’ils ont fait. » dit-il en grinçant des dents.
Amenant les mains d’Emiko vers lui, le jônin y déposa un baiser qu’il voulait réconfortant. Après s’être relevé, il lui caressa l’épaule et alla chercher de quoi lui faire un thé. Depuis sa plus tendre enfance, on lui avait toujours appris qu’une boisson chaude ne faisait jamais de mal à une âme en peine. Quelques minutes plus tard, tandis que les deux adultes buvaient leur boisson sans rien dire, l’adolescent et son oncle revinrent. Kikuchi était fin prêt, son baluchon sur le dos et son katana à la ceinture.
« M’man, on va découvrir ce qui s’est passé et venger grand-père ! » dit-il avec une confiance exagérée.
Sans laisser le temps à sa mère de lui répondre, il sortit à vive allure. La réalité était qu’il ne s’en sentait pas assez fort pour faire face à son regard. Il n’arrivait pas à la voir dans cet état et son inquiétude allait vite peser sur lui s’il restait trop longtemps. Kotetsu s’inclina légèrement vers sa cousine avant de prendre congé. Alors que le sunajin allait faire de même, la femme le retint par la manche.
« Promet moi de veiller sur lui. Promet le moi Zakuro.
- Je te le promets. », jura-t-il avec conviction.
Emiko relâcha son étreinte et ils échangèrent un dernier regard. Il n’y avait plus rien à dire, rien qui n’aurait plus de valeur que le silence. Une mission restait à accomplir et le trio était bien décidé à s’en occuper.
Derrière le bruit constant du vent qui sifflait, un petit sifflement se faisait entendre. Virevoltant de manière imprévisible, une mouche se posa sur une montagne blanche. Alors qu’elle se préparait à avaler un véritable festin, la main d’un géant s’approcha dangereusement. Ni une ni deux, elle s’envola pour esquiver. Heureusement que ses réflexes étaient bons, se dit-elle en recommençant à virevolter.
« Y’en a partout c’est pas vrai, grommela Kikuchi.
- J’pense pas qu’elles te feront chier dehors.
- Mais on est en plein tempête de sable, rétorqua-t-il avec une grimace.
- À toi de voir ce que tu préfères gamin, s’amusa Zakuro.
- J’suis plus un gamin. »
Quelque peu boudeur, l’adolescent retourna en silence à son repas, simplement constitué de boulettes de riz. Lors des longs voyages dans le désert, cela était largement suffisant tant que l’on pouvait trouver de l’eau. Kikuchi préférait manger à sa faim, mais il fallait bien reconnaitre qu’en mission il était délicat de se promener avec d’importants stocks de nourriture. Mâchant sans conviction, il laissa son regard se poser sur son parrain. Il était taciturne, bien plus que d’habitude. Quant à son oncle, il restait égal à lui même, aussi calme qu’un mort. Pour un jeun chuunin habitué à plus de bonne ambiance, cela changeait radicalement. Qui plus est, le fait de ne pas se changer les esprits ne faisait que lui rappeler toujours plus la mort de son grand-père. Alors qu’il s’entait les larmes lui monter aux yeux, il secoua vivement la tête pour penser à autre chose.
« Zakuro-senpai, pourquoi étaient-ils à Shirotsuma ?
- Kikon et Kedon géraient la succursale de la société Sabaomizu qui s’y trouve.
- Oui, ça je le savais, ce n’est pas ce que je veux dire. Pourquoi là ? Cette ville ne se trouve même pas sur les terres du pays du Vent, expliqua-t-il.
- Les profits ne s’limitent pas à notre contrée. Haruna estime qu’il est nécessaire de continuer à s’étendre dans tout l’désert. Ce sera toujours mieux pour nos conquêtes à v’nir, essaya d’expliquer le parrain.
- Comment ça ?
- C’est assez facile de prendre un territoire par la force, le garder est plus difficile ensuite. Si nous venons à prendre possession de ces terres, le fait que la société Sabaomizu y soit implantée depuis des années aidera certainement à nous faire accepter des locaux.
- Je vois. Je ne pensais pas que votre épouse voyait les choses aussi loin.
- Tu serais étonné, s’amusa-t-il. Puis comme j’te l’ai dis, c’est surtout une question de profits, j’vais pas te mentir. »
Tous les rouages de la politique étaient encore bien difficiles à appréhender pour Kikuchi. Il ne comprenait pas bien toutes ces choses et les laissait pour le moment entre les mains de gens plus qualifiés. Ceci étant, il aimait en apprendre davantage à ce sujet, après tout, le jour où il deviendrait lui même Kazekage, il serait bien contraint de se montrer compétent en la matière. Ceci étant, une question restait en suspens.
« Pourquoi les envoyer eux en particulier ? Ils étaient vieux, et puis le clan Kaigan domine encore largement ces terres. On m’a toujours dit qu’ils étaient sauvages et... Enfin, j’ai entendu parlé du massacre d’Hitomori lors de votre jeunesse. », dit-il à l’attention de Zakuro.
L’intéressé sembla se renfermer quelque peu sur lui même en entendant le nom de son village natal. Kikuchi se sentit instantanément désolé d’avoir mis les pieds dans le plat. Il pouvait parfois se montrer un peu trop direct et manquer de tact. Pourtant, avant qu’il n’ait le temps de s’excuser, son oncle intervint.
« Père et oncle Kedon étaient de puissants shinobis. Même après avoir pris leur retraite et vu leur âge, ils restaient de valeureux combattants. Haruna n’est pas à blâmer si c’est ce que tu veux insinuer.
- No... Non, non, pas du tout. Ce n’est pas ça, s’agita Kikuchi en regardant son parrain. J’voulais dire, y’avait personne de plus qualifié ?
- Mes deux maîtres avaient tout la confiance de mon épouse, affirma Zakuro la gorge serrée. Voilà pourquoi ils se trouvaient là bas à veiller sur ses intérêts.
- Oui, je comprends. Désolé...
- Tu n’as pas d’excuses à m’faire Kikuchi. », conclut-il avant de retourner manger son maigre repas dans son coin.
Le dos tourné aux deux autres, le quadragénaire regardait vers l’extérieur de la grotte dans laquelle ils se trouvaient. Kikuchi se sentait bête, il avait l’impression de ne pas avoir sa place et d’enchainer les bourdes. Pourtant, on lui avait bien demandé de venir en personne, il devait bien y avoir une raison. Sensible à l’état de son neveu, Kotetsu s’avança et sortit un gâteau à la pâte de haricot sucrée qu’il gardait dans son sac. Après l’avoir tendu à l’adolescent, il lui offrit un sourire sincère.
« Arrête de te poser des questions. Tout va bien aller. Zakuro est l’un des ninjas les plus puissants du village, tu ne risques rien en sa présence. Compris ?
- Oui, oncle Kotetsu. Merci...
- C’est normal. Allez, mange la avant que je ne change d’avis. »
Un sourire éclatant aux lèvres, Kikuchi s’empara de la pâtisserie avant de l’avaler goulûment. Son oncle avait raison, il devait cesser de se tourmenter et se consacrer sur la suite des évènements. De toute façon, avec son parrain à ses côtés, qu’est-ce qui pourrait bien lui arriver ?
* * *
Shirotsuma était une grande ville fondée autour d’un important oasis. Perdue en plein désert, elle représentait un point d’intérêt stratégique, qu’il s’agisse de commercer ou de venir se ravitailler. Au vu de son importance et vu ce qu’il voyait, Kikuchi comprenait pourquoi Haruna avait voulu y établir une succursale pour sa société. L’endroit était aisé et très peuplé. Dans les rues se trouvaient des marchands et des locaux. On voyait ici et là de nombreux stands tenus par des hommes qui ne cessaient de hurler les mérites de leurs produits. Au vu de la grande activité qui régnait, l’adolescent avait bien du mal à se dire qu’une attaque venait juste d’avoir lieu une semaine plus tôt. Il se sentait en colère de voir ses gens vaquer à leurs occupations l’air de rien alors que son grand-père venait de mourir. Le trio du sable avançait dans les rues en direction du centre de la ville, là où se trouvait le point d’eau et donc le siège de la société. À leurs côtés se trouvaient deux gardes et un représentant de la cité.
« L’attaque s’est déroulée dans la nuit du dimanche au lundi vers deux heures du matin, expliqua l’homme en kimono. Tout s’est passé assez rapidement, la milice était à peine sur les lieux que les assaillants étaient sur le départ.
- Vos hommes ont-ils une idée de leur identité ? demanda Zakuro.
- De ce que j’ai compris, il s’agissait de ninjas. L’un de mes hommes affirme les avoir vu s’enfuir en se changeant en sable. Il est cependant assez portée sur le boisson... Je ne sais pas si son témoignage vaut vraiment quelque chose.
- Je vois. Autre chose à nous dire ?
- Les cadavres de vos ressortissants ont été placés aux pompes funèbres. Si jamais vous avez besoin de les examiner, libre à vous. Nous avons attendu votre arrivée pour les enterrer mais il serait sage de ne plus trop tarder. Vous savez, rapport à l’odeur... expliqua-t-il en grimaçant.
- Compris. » répondit sèchement le shinobi.
Poings serrés, Kikuchi se retint d’exploser. Il avait envie de faire manger la poussière à ce misérable gratte-papier arrogant mais il savait que ce n’était pas son but. Il était là pour mener une enquête. Sans parler du fait que les sunajins n’étaient pas sur leurs terres, mieux valait donc éviter de causer un incident diplomatique. Dans un silence de mort, les hommes avancèrent en silence jusqu’à leur destination. L’endroit consistait en deux bâtiments, l’un servant à l'administration, l’autre à la mise en fût de l’eau depuis l’oasis. Toute la société était entourée d’une barrière d’un bon mètre de haut. À l’extérieur plusieurs charriots étaient abandonnés. S’il n’y avait plus le moindre corps, Kikuchi comprit vite qu’une bataille avait eu lieu ici. Du sang séché se trouvait un peu partout sur les murs, le sable et les tonneaux. Des armes étaient répandus sur le sol et le bâtiment principal semblait avoir été pris dans une tempête. La gorge serrée, l’adolescent comprit que c’était bien ici que tout s’était déroulé.
« Nous prenons en charge la suite. Merci.
- Si vous avez besoin de quelques chose, vous savez où me trouver messieurs. », dit l’homme en kimono avant de prendre congé.
S’éloignant de son groupe, Kikuchi avança dans l’enceinte. Ses pas foulaient le sable chaud tandis que son regard balayait les alentours. De ce qu’il voyait, la bataille avait en effet été rapide et visiblement unilatérale. Durant le voyage, Zakuro avait expliqué à son filleul qu’en plus des deux retraités, une vingtaine de gardes armés veillaient sur la sécurité de l’entreprise. De ce qu’il voyait, ils avaient été massacrés sans pouvoir faire grand chose.
« Kikuchi, t’éloigne pas, ordonna le vieux jônin.
- Pa...Pardon. Je ne faisais que regarder.
- Patience. Kotetsu, j’vais te laisser inspecter les lieux avec lui. Tout semble indiquer qu’il s’agit d’un coup du clan Kaigan, ou au moins d’nomades issus d’leurs rangs, expliqua-t-il en se frottant le menton. Ce s’rait pas très judicieux de me laisser prendre part au recherche. J’ai un compte à régler avec eux et je s’rai pas objectif, c’est certain.
- Je suis d’accord. J’y pensais à vrai dire. Qu’est-ce tu vas faire ? Examiner les cadavres ?
- C’est préférable, oui. Et puis... J’préfère t’épargner l’autopsie de membres de ta famille.
- Ouais. Merci Zakuro, dit-il à voix basse. Je m’occupe de tout ici. On se retrouve à l’auberge tout à l’heure. »
Mains dans les poches, le vieux shinobi s’écarta. L’ambiance qui régnait était vraiment pensante, bien plus que ce à quoi n’était habitué le jeune homme. Il ne savait même pas par où commencer. Voyant que son oncle se mettaient en route, il le suivit. Ensemble, ils approchèrent du bâtiment administratif, qui servait aussi vraisemblablement de résidence pour les deux vieux ninjas. Il ne fallait donc pas être un génie pour comprendre que c’était certainement là qu’ils avaient perdu la vie.
« Le mur a été soufflé de l’extérieur vers l’intérieur, expliqua Kotetsu en pointant son doigt devant lui.
- Une explosion ?
- J’en doute. Il n’y a pas de traces de souffre ou de brûlure. On dirait plus qu’un vent violent s’est abattu contre la paroi.
- Du fuuton alors. Ça collerait avec le clan Kaigan, non ?
- Peut-être. Trop tôt pour le dire. »
Enjambant précautionneusement les débris, les sunajins pénétrèrent dans la bâtisse. L’endroit était sans dessus dessous. Des centaines de pages avaient été éparpillées sur le sol, les bureaux étaient retournés et du sang séché tapissait les murs. Après quelques minutes d’exploration, ils trouvèrent la salle principale du bâtiment. Il s’agissait d’une grande pièce où d’innombrables armoires remplies de documents se trouvaient. Contrairement à l’extérieur, il y avait de nombreuses traces de feu.
« Du katon, dit Kikuchi en balayant la pièce du regard.
- Il semblerait. Mon père l’utilisait. »
Interdit, l’adolescent regarda son oncle. Ensemble, ils inspectèrent un peu plus longuement les lieux. Leur attention se porta finalement sur une large tache de sang, qui semblait signifier qu’une personne s’était vidée de son sang à cet endroit précis. Sourcils froncés, Kotetsu posa un genou à sol. De sous un livre, il sortit un tantô à la lame ensanglantée et au manche noir serti d’un rubis. Poussant un large soupir, il porta l’arme à son coeur.
« C’est arrivé ici, dit-il presque pour lui même.
- Cette arme, je la reconnais, c’était celle de... » commença l’adolescent sans finir sa phrase.
Kotetsu resta prostré quelques minutes. Paupières closes, il garda le silence, faisant intérieurement son deuil. Sans rien dire ni montrer sur sa peine, il se releva, nettoya la lame de l’arme et la rangea dans son sac.
« Un violent combat a eu lieu ici. Mon père s’est visiblement bien défendu si on en juge par toutes ces traces de sang, expliqua l’homme en les désignant de la tête. Malheureusement, ils étaient trop nombreux et ont eu raison de lui. Vu cette trace dans le sol, je pense qu’il a péri sous le coup d’une lame.
- Je suis désolé oncle Kotetsu.
- Nous ferons notre deuil plus tard Kikuchi. Continuons je te prie. »
L’inspection du bâtiment ne leur apprit rien de plus intéressant. Quand il passèrent au suivant, ils ne trouvèrent guère rien de plus substantiel, rien que la trace d’autres morts. Revenus à l’entrée, Kikuchi se demandait où pouvait bien avoir été battu son grand-père. Même s’il savait cet espoir vain, il se surprit à espérer que tout cela n’était qu’un malentendu et qu’il avait réussit à s’en sortir. Cela ne dura cependant pas longtemps. Emboitant le pas à son oncle, il avança vers l’étendue d’eau derrière le second bâtiment. C’est alors qu’il comprit que l’espoir était une chose bien dangereuse. L’endroit avait été ravagé de telle sorte que l’on pouvait penser qu’une vague s’était abattue et avait tout balayé sur son passage. Faire le rapprochement avec l’affinité primaire de son grand-père ne fut pas très long. Avant qu’il ne puisse dire quoique ce soit, la main de Kotetsu se posa sur sa nuque.
« Ne restons pas ici, je pense que nous en avons assez vu. »
Tout en se mordant la lèvre inférieure, l’adolescent hocha de la tête avant de suivre son ainé. Ce n’était pas un cauchemar, tout s’était bien effectivement déroulé comme on le lui avait expliqué. Maudits Kaigan se surprit à penser Kikuchi. Il voulait les faire payer et se jura de le faire avant que ne vienne l’heure de sa mort.
* * *
Couvert parle bruit du feu dans l’âtre, l’aubergiste posa une assiette de viande sur la table. Remercié par le trio d’un signe de tête, il ne tarda pas à revenir avec quelques boissons. L’établissement était calme, peu fréquenté et d’un niveau de confort tout juste moyen mais cela convenait parfaitement à nos héros. En tant que ninjas ils avaient l’habitude de vivre dans des conditions bien plus précaires, faire la fine bouche serait particulièrement risible. Les deux jônins ne tardèrent pas se jeter sur le repas, ce ne fut pas le cas de Kikuchi. Après la visite de l’entreprise Sabaomizu, il n’avait pas très faim. Il repensait à son grand-père et à l’oasis où il avait trouvé la mort. Comment cela était-il arrivé ? Avait-il souffert ? Une tonne de questions se bousculaient dans sa tête, résultat il ne sentait même plus la force ou l’envie de manger.
« Il est dur de l’affirmer catégoriquement, mais l’attaque semble bien avoir été perpétrée par des membres du clan Kaigan, annonça Kotetsu.
- C’est bien c’que je pense moi aussi.
- Que disent les corps ?
- De larges coupures, certainement causées par des lames et des techniques à base de fuuton ainsi que de nombreuses contusions, venant sans doute d’un pugilat violent.
- Le mode opératoire concorde, conclut le plus jeune des deux jônins.
- C’est bien ces enfoirés, s’énerva Zakuro en plantant son couteau à travers l’assiette.
- Mais enfin pourquoi ? » demanda Kikuchi.
Les regards des deux adultes ne tardèrent pas à se poser sur l’adolescent. Il avala sa salive comme s’il venait de dire une bêtise. Son parrain, qui semblait furieux une seconde plus tôt, avait maintenant l’air abattu par le remord. Kotetsu croisa les mains devant lui et expira lentement.
« À cause de moi, Kikuchi.
- De vous ? Ça n’a aucun sens.
- Ne sais-tu rien à mon sujet ?
- Eh bien, je... Si, bien sûr, mais je ne comprends pas, bafouilla-t-il.
- Je traque les membres de c’clan nomade d’puis des années. De longues et sanglantes années durant lesquelles j’ai tué bien plus de leurs membres que je ne saurais m’en souvenir.
- Je... Oui, j’en ai entendu parler, mais ça n’explique pas la situation.
- Réfléchis un peu, intervint Kotetsu.
- Mon oncle ?
- Zakuro est marié à Haruna, et cette dernière gère la société Sabaomizu. Si les Kaigan ne peuvent s’en prendre à lui directement, ils n’ont d’autre choix que de l’attaquer sur un autre front.
- C’est dégueulasse...
- La vie n’est pas juste, c’est comme ça, soupira l’oncle.
- Je suis désolé, tout est de ma faute, dit Zakuro en lâchant son couteau. Sans ma quête de vengeance, rien ne serait arrivé. »
Kotetsu garda le silence face à cette annonce. L’adolescent voulut répondre quelque chose, dire que ce n’était pas à lui de s’en vouloir, essayer de rassurer son parrain. Pourtant, il comprit que mieux valait ne rien dire. Quels que soient les mots qu’ils choisissent, jamais ils n’auraient assez de force pour faire taire la culpabilité que ressentait Zakuro. Partant de ce constat, il estima que le silence était préférable. N’ayant toujours aucune envie d’avaler quoique ce soit, il se contenta de boire un grand verre d’eau. Du coin de l’oeil, il vit son oncle retirer la lame enfoncée par le quadragénaire. Il l’observa quelques seconde avant de la poser sur la table. Fouillant dans son sac quelques secondes, il sortit l’arme de son père qu’il tendit à Zakuro. Ce dernier la regarda un instant avant de la reconnaitre. Son regard devint plus triste et il se mordit intérieurement la joue.
« Père aurait souhaité qu’elle te revienne. Il m’en avait déjà parlé de nombreuses fois.
- Kotetsu, c’est trop. Je ne peux pas l’accepter.
- Tu le peux et tu vas le faire. Prend son tantô et jure sur ton sang, jure sur ta vie que tu le vengeras. » ordonna le jônin avec conviction.
Le vieux sunajin observa l’arme quelques secondes avant de retourner au regard de Kotetsu. Sans le quitter des yeux, il posa sa paume contre le tranchant de la lame et la tira vers lui. Ce faisant, il s’ouvrit la main, laissant quelques goutes de son sang tomber sur la table. Il regarda l’arme en détail avant de la poser contre sa cuisse. De sa main blessée, il serra le poing, augmentant l’hémorragie et nimbant son avant-bras de sang.
« Je le promets sur mon honneur. Je tuerai ces chiens et vengerai mes maîtres.
- Franchement, les gars ! » s’agaça Kikuchi.
Laissant de côté son verre d’eau, il se leva pour attraper un chiffon dans son sac. Après s’être mis aux côtés de son parrain, il stoppa le saignement avec le tissu en maugréant dans sa barbe.
« Vous êtes vraiment des vieux croutons séniles ! Ça sert à rien de blesser tout seul pour prouver sa virilité. C’est pas vrai...
- Je rêve ou il est en train d’nous passer un savon ? s’étonna Zakuro.
- Non, tu ne rêves pas, confirma le second jônin avec une pointe d’humour.
- Je... Désolé, c’est pas ce que je voulais dire.
- Allons, c’est rien, cesse de t’excuser tout le temps ! » répondit son parrain en le gratifiant d’une tape dans le dos.
Rassuré de ne pas se faire remettre à sa place, Kikuchi alla s’assoir tandis que le vieux sunajin enserrait le tissu autour de sa main pour en faire un pansement. Visiblement peu dérangé par sa blessure, il attrapa un morceau de vianda et l’avala sans dire mot. Kotetsu l’imita avant de reprendre.
« Avant de quitter la société, j’ai observé les pistes laissées par les assaillants. Tout semble indiquer qu’ils sont partis en direction du nord ouest.
- Qu’est-ce qu’on fait encore ici alors ? Faut les rattrapper ! s’impatienta le chuunin.
- Vu leur avance, nul besoin de se précipiter, nous pouvons passer la nuit ici et nous reposer, expliqua son parrain.
- Mais...
- Je traque les Kaigan depuis des années, je te l’ai déjà dis. Nous retrouverons ces salauds, fais moi confiance.
- D’accord, répondit-il à contrecoeur.
- Sur ces bonnes paroles, bonne soirée à vous messieurs. Nous partons demain au lever du soleil. »
Emmenant avec la lui le tantô, un dernier morceau de viande et sa choppe de bière, Zakuro prit congé. Kotetsu avala ce qui restait de son propre verre. Une fois seul avec son neveu, il soupira. Tournant la tête de droite à gauche, il chercha quelque chose qui échappait à la compréhension de Kikuchi.
« Il n’est pas comme d’habitude.
- Comment ça ? s’étonna le jeune.
- Il n’agit pas comme il le fait généralement.
- Ses deux maîtres viennent de mourir, ça se comprend.
- Ce n’est pas ça. Il nous cache quelque chose.
- Mon oncle ?
- Rien, oublie ce que je viens de dire. Va te coucher. On se lève tôt demain. »
Aussi vite qu’elle avait commencé, cette petite discussion venait de prendre fin. Kotetsu se leva, posa quelques pièces sur la table pour payer le repas et partit se coucher. Seul dans la pièce, Kikuchi se sentit plus démuni que jamais. Il ne comprenait vraiment rien à toute cette histoire. Qu’est-ce que Zakuro pouvait bien cacher ? Si tant est qu’il cachait vraiment quelque chose. Fallait-il croire son oncle ou son parrain ? Il n’en savait rien et plus il y pensait, plus il avait mal à la tête. Pour le moment, il avait juste envie de dormir, terriblement envie de dormir.
Le soleil couché, la chaleur était retombée rapidement. Caché derrière son épaisse cape à capuche, Kikuchi grelottait légèrement. Genou à terre, il se trouvait sur une dune surplombant une vallée en compagnie de ses deux supérieurs. Face à eux, à moins d’un kilomètre, se trouvait un campement de fortune. Quelques tentes avaient été dressées et l’on pouvait observer des torches se déplacer ici et là. Après un bref calcul, l’adolescent estimait qu’une dizaine de personnes se trouvaient en contrebas. En d’autres mots, les sunajins étaient en infériorité numérique. La main serrée contre le manche de son arme, il lança un regard vers son parrain. Ce dernier était inexpressif et regardait vers le camp.
Deux semaines s’était passées depuis qu’ils avaient quitté Shirotsuma. La traque des Kaigan ayant attaqué la société avait été plus longue que prévue. Leurs traces n’étaient pas évidentes à suivre et ils avançaient vite. Contrairement à leur habitude, ils ne erraient pas au hasard mais se dirigeaient visiblement quelque part. Par chance, l’expérience de Zakuro en la matière ainsi que les compétences de Kotetsu furent suffisantes pour qu’ils finissent par les rattraper. Les observant de loin pendant la journée, le trio avait ensuite attendu que vienne la nuit pour passer à l’attaque.
Le coeur de Kikuchi battait à cent à l’heure. Il savait que d’ici quelques minutes, son chef d’équipe lancerait l’assaut. Même s’il voulait faire payer ces chiens de nomades sanguinaires, il avait toujours la boule au ventre avant d’aller au combat. Allait-il s’en sortir ? Les ennemis étaient puissants et plus nombreux, ce ne serait pas évident. Quelques gouttes de sueur perlèrent sur son front lorsqu’il s’imagina face contre sol, défait par un des Kaigan.
« Calme toi, chuchota Kotetsu à son encontre.
- Je... Oui, ça va aller.
- La plupart des ennemis sont déjà partis se coucher. Il n’en reste que deux à monter la garde, expliqua Zakuro. Je vais attaquer en premier et faire le plus de dégâts possibles. Une fois que ce sera fait, nous nous engagerons dans la mêlée tous ensemble. Des questions ?
- Aucune, affirma le second jônin en préparant ses armes.
- No...Non, ça va aller. »
Kikuchi ne cessait de le répéter, plus pour se convaincre lui même que ses deux comparses. Il avait vraiment peur de ce qui pourrait arriver d’ici quelques minutes. Alors que son parrain se levait pour avancer vers le camp, il ferma les yeux quelques instants pour respirer profondément. Lorsqu’il les rouvrit, le sol se mit à trembler avec force. Un véritable séisme venait de se produire et il visait le campement. L’onde de choc fit tomber les tentes et les gardes chutèrent immanquablement au sol. Avant que les Kaigan n’aient le temps de comprendre ce qui leur arrivait, une bourrasque de vent tranchante et d’une extrême puissance les balaya. L’assaut venait d’être donné par Zakuro.
Bondissant droit devant lui, Kikuchi se rua vers les ennemis avec son oncle. Arrivant à leur niveau, il dégaina son arme qu’il nimba de flammes. Un premier individu vint croiser le fer avec lui. L’adolescent envoya son arme le perforer au niveau de la poitrine, mais ce dernier se contenta de changer son corps en sable pour esquiver l’attaque. Rompant vite la proximité, le sunajin bondit en arrière avant de cracher une boule de feu. Elle toucha sa cible et il fonça vers elle pour tenter une nouvelle frappe. Bien que blessé, le nomade se débrouilla bien et faisait jeu égal avec Kikuchi.
Après quelques minutes, il parvint finalement à prendre le dessus sur on opposant et la lame de son katana lui entailla profondément la hanche droite. Blessé et épuisé, le Kaigan tomba au sol. Il était hors d’état de nuire mais respirait encore. Kikuchi remarqua alors qu’il avait le même âge que lui, chose dont il ne s’était pas aperçu pendant qu’il l’affrontait. Son arme en main, il l’observa sans rien dire pendant quelques instants. Cet enfoiré avait aidé à tuer son grand-père, il méritait de mourir. Pourtant, cela était-il une bonne chose ? En proie à un grand dilemme, l’adolescent décida d’agir vite pour cesser de gamberger. il leva son katana et l’envoya vers le coeur du blessé. La pointe ne fit pourtant jamais mouche. Au lieu de s’enfoncer dans la chair du nomade, elle se planta dans le sable. Alors que Kikuchi regardait à sa droite, prêt à se défendre contre un nouvel ennemi, il se rendit compte qu’il s’agissait de Zakuro qui venait de dévier sa lame avec un kunai.
« Que... ? tenta de dire le chuunin.
- C’est fini petit. Tous les autres sont morts. On a quelques questions à poser à celui-là.
- Mais, je l’ai... J’ai gagné, il doit mourir.
- Ça viendra. »
Soulagé d’être encore en vie après cet affrontement, Kikuchi se laissa tomber fesses contre sol. Le souffle court, il lâcha le manche de son katana pour éponger la sueur sur son front. Alors que son regard était jusque là braqué sur son ancien opposant, il se surprit à observer le reste du camp. C’était un véritable massacre. En quelques minutes, tout avait été réduit en poussière et les neuf autres Kaigan présents gisaient sans vie dans le sable. La puissance conjointe de son oncle et de son parrain était démesurée. D’un autre côté, si tous les nomades avaient le niveau de son propre adversaire, ce n’était pas étonnant qu’ils aient si vite mordu la poussière.
« T’es pas blessé ? demanda Kotetsu en approchant.
- Non, j’ai rien. Toi par contre...
- Une simple égratignure, rétorqua-t-il en haussant les épaules. Je me suis fait surprendre par la destruction d’une de mes lames.
- Merde, tu devrais aller voir Zakuro, il pourra soigner ça.
- Plus tard, on a d’autres chats à fouetter pour le moment. »
Sa phrase s’était terminée avec un mouvement de la tête en direction du Kaigan blessé. Il n’était pas difficile de comprendre ce qui attendait ce dernier. Kikuchi estimait qu’il le méritait. Ces salauds avaient répandu le sang au sein de sa famille, nul châtiment ne semblait assez sévère pour les punir. Alors pourquoi avait-il tant de mal à accepter le fait de torturer ce jeune homme ? Peut-être se retrouvait-il en lui d’une manière ou d’une autre. Malheureusement, qu’importent ses états d’âme, le sort du nomade était déjà scellé.
Pendant que Kikuchi essuyait tant bien que mal la balafre que son oncle portait à présent sous la joue droite, le chef d’équipe s’occupa de ligoter leur otage avant de le poser dos à un poteau. Après l’y avoir solidement attaché, il évalua rapidement l’état de ses blessures. Au grand étonnement de l’adolescent, il utilisa même ses techniques médicales pour endiguer l’hémorragie de blessure au flanc. Tandis que le quadragénaire se retroussait les manches, ses deux compagnons avancèrent vers lui.
« C’est quoi ton nom, morveux ?
- Takeda, répondit-il sèchement en crachant une gerbe de sang.
- J’vais pas te mentir, ta situation est précaire. On a quelques questions à t’poser. Si t’y réponds, j’te jure de mettre fin à tes jours sans que t’aies besoin de souffrir.
- Trop aimable...
- Bien sûr, je peux aussi te travailler au corps pendant tout le reste de la nuit. Au final j’aurai mes réponses quand même, ce sera plus long et tu auras dégusté sans raison. À toi de voir petit, expliqua le jônin avec un calme terrifiant.
- Très bien, vous voulez savoir quoi bande d’enculés ?!
- Avez-vous bien perpétué l’attaque de la société Sabaomizu à Shirotsuma ?
- Ouais, c’était nous. »
Les poings de l’adolescent se resserrèrent violemment en entendant ces aveux. Cet autre ninja pour qui il avait une certaine compassion venait d’admettre avoir participé au meurtre de son grand-père. Il était furieux, il voulait le rouer de coups, le tuer de ses propres mains. Il voulait le faire souffrir plus que de raison mais il parvint à se contrôler au prix d’un énorme effort.
« Pourquoi les avoir tué ?
- Et pourquoi pas ?
- Joue pas au plus malin avec moi, le menaça Zakuro.
- Tsss... On en avait rien à foutre de ces vieux croutons ou de cette société minable. C’ét... » tenta-t-il de répondre avant d’être violemment interrompu.
Cédant à ses pulsions, Kikuchi fut incapable de se retenir plus longtemps en entendant le nomade insulter des membres de sa famille. Se servant de toute sa force, il venait de mettre une droite surpuissante au Kaigan ligoté. Le choc lui arracha quelques dents et mit la peau de ses phalanges à vif.
« Calme toi ! beugla Kotetsu en écartant son neveu de l’otage.
- J’vais t’buter enfoiré !
- Putain, marmonna le blessé en crachant un nouveau glaire sanguinolent. Sans souffrances tu disais, le vieux ?
- Presque. Oublions ça. S’ils ne vous intéressaient pas, pourquoi les tuer ?
- Allez vous faire foutre. Vous avez tué toute ma bande et vous me tabassez sans que je puisse me défendre ? J’vous dirais plus rien !
- Oh si, tu me diras tout ce que je veux savoir. Compte là dessus. »
Un sourire malsain lui déformant le visage, Kikuchi s’apprêtait à regarder cette scène sans en laisser une miette. Il voulait voir ce déchet humain souffrir entre les mains expertes de son parrain. Pourtant, au moment où le spectacle allait commencer, les mains puissantes de son oncle l’obligèrent à se retourner. Un premier cri retentit derrière lui, il voulut se retourner mais l’emprise de Kotetsu était plus forte.
« Laisse moi voir ça !
- Non, hors de question.
- J’suis pas un gamin. Ces enfoirés ont buté grand-père, laisse moi voir !
- J’ai dis non ! répéta Kotetsu avec détermination. À quoi ça va t’avancer ?
- Je... J’en sais rien, mais fous moi la paix.
- Tu veux vraiment suivre le même chemin que Zakuro ? La haine et la vengeance sont les pires des amantes. Elles te prendront tout ce qu’il y’a de meilleur pour ne plus laisser de toi qu’une coquille vide.
- C’est pas... Il a pas l’air triste du tout. Tu dis n’importe quoi... tenta-t-il de se convaincre.
- Je dis n’importe quoi ? Ne sois pas si aveuglé par l’admiration que tu lui portes. Il est plus humain que tu ne crois, et sa vendetta sanglante personnelle lui a déjà coûté plus que tu ne saurais l’imaginer.
- Mais... Ils les ont tué...
- Et nous les avons mis hors d’état de nuire à notre tour. La justice n'appelle pas en elle même un sentiment d’accomplissement. Nous faisons ce qui doit être fait, conformément aux ordres que l’on nous a donné. C’est à toi de combler le trou laissé par leur perte, mais je t’en conjure ne le fais pas avec de la haine, lui conseilla son oncle avant de le lâcher. Si tu veux vraiment te laisser pervertir et détruire ta vie, je ne t’en empêcherai pas. Comme tu l’as dis tu n’es plus un enfant. À toi de faire tes propres choix. »
Les mots durs mais justes de Kotetsu ébranlèrent l’adolescent. Il voulut se retourner, voir la souffrance sur le visage du nomade, mettre une image sur les cris qu’il entendait. Pourtant, il ne parvenait pas à le faire. Le simple fait de se tourner semblait être devenu un effort inimaginable. Jamais il n’avait vu les choses sous l’angle que lui présentait son ainé. Il avait toujours pensé que Zakuro était un ninja d’élite, une figure parmi les jônin du village. Peut-être n’était-il pourtant en effet qu’un homme comme les autres, avec ses doutes et ses failles. Juste un homme perdu dans la noirceur d’un monde qui lui avait trop prit. Desserrant lentement les poings, Kikuchi laissa quelques larmes couler sur ses joues. Il savait qu’il pouvait faire confiance en Kotetsu, aussi difficile que soit le fait de renoncer à l'apparente douceur de la vengeance. Il resta donc ainsi, le dos tourné à ce qui se passait du côté de son parrain.
« Arr...Arrête ! Arrête, c’est bon j’en peux plus ! implora le Kaigan après une demie-heure.
- Prêt à te mettre à table ?
- Ou...Oui... »
Voyant que l’adolescent lui demandait implicitement son accord, Kotetsu lui fit un signe de tête. Suivant les pas de ce dernier, il avança de quelques pas vers l’otage. Il faisait peine à voir à présent. Un oeil lui manquait, son visage était déjà largement tuméfié et l’état de ses mains indiquait qu’il n’en aurait plus jamais l’usage. Le trentenaire se contenta de croiser les bras pendant que son neveu regardait de droite à gauche entre Zakuro et Takeda.
« Bien. Je te demandais donc: pourquoi ? Pourquoi les avoir tué ?
- C’était un contrat... répondit-il avec difficulté.
- Un contrat ?
- Un type nous a payé une fortune pour faire ça. La moitié avant et le reste après.
- Son nom ?
- Je sais pas...
- Faut que je m’énerve ?! s’agaça Zakuro.
- Non ! J’dis la vérité je le jure !
- Soit. À quoi il ressemblait cet inconnu ?
- Il portait une grande cape brune à capuche.
- C’est tout ? soupira le sunajin.
- Non, il avait un masque.
- Un masque ?
- Un truc noir avec deux trous pour les yeux et le kanji du sang écrit dessus en doré. C’était bizarre... Je sais rien de plus sur lui, promis !
- Que... Qu’est-ce que tu dis ?
- Zakuro, c’est quoi le soucis ? intervint Kotetsu.
- C’est... Attends, je termine avec lui. Gamin, tu disais que vous deviez recevoir la seconde partie du paiement plus tard. Quand et où ?
- Dans une semaine, aux sources chaudes de Nagachiro. Y’a un temple hors de la ville, c’est là qu’on devait le retrouver. C’est tout ce que je sais. Finissons en maintenant. » demanda le nomade avec dépit.
Alors qu’il baissait la tête pour se reposer, Zakuro vint fracasser le manche de son kunai contre sa tempe. Le choc lui fit perdre connaissance et son corps tomba mollement sur le côté. En accord avec ce qu’il avait promit, il lui trancha la gorge tandis qu’il était inconscient. Une fin sans plus de peine après un tête à tête des plus désagréable. L’homme se vida rapidement de son sang dans l’indifférence la plus totale. Visiblement perturbé, le jônin laissa l’arme tomber au sol avant de s’écarter.
« C’est quoi ces histoires ?
- Kotetsu...
- Essaie pas de noyer le poisson avec moi, Zakuro. Tu le connais ce type, c’est ça ?
- Oui.
- Tu pouvais pas nous en parler plus tôt ?!
- J’pensais pas que... Enfin, ça n’a pas de sens.
- Qui est-il vraiment ?
- Hisashi Mitsui, un ninja errant, expliqua le quadragénaire à demi-mots.
- Le rapport avec toi ? s’impatienta Kotetsu
- On a traqué les Kaigan ensemble pendant toute une année. À la fin, j’ai commencé à remettre en question ses méthodes et on s’est affronté avant d’partir chacun d’notre côté. Jamais j’aurai pensé qu’il puisse faire une telle chose, avoua-t-il en baissa les yeux. J’te le jure, je ne comprends rien.
- Tu ne me dis pas tout.
- Écoute moi bien maintenant, ça n’a pas d’importance. On va le retrouver et nous débarrasser de lui. Fin de la discussion, c’est un ordre.
- Bien, chef. » répondit le jônin avec amertume.
Pour ne rien changer, Kikuchi était perdu une fois encore. Il se rappelait des craintes de son oncle vis à vis du comportement de Zakuro. Cachait-il réellement quelque chose ? Que voulait vraiment cet Hisashi ? Cette affaire était bien plus compliquée qu’elle n’y paraissait. N’ayant aucune idée de quoi rajouter, l’adolescent se contenta de garder le silence. Que pouvait-il dire de plus après tout ?
Le voyage jusqu’à Nagachiro s’était déroulé dans une ambiance particulièrement pesante. Suite à leur dernière altercation, les deux jônins ne s’adressaient quasiment plus la parole. Kikuchi était bien ennuyé par la situation, ne sachant pas vers qui se tourner et préférant donc rester lui aussi dans son coin. Une fois arrivés à destination, les hommes découvrirent une petite bourgade sans grande ambition. Seules les sources chaudes représentaient un point d’intérêt et toute l’économie locale tournait autour de ces dernières. Le trio ayant atteint sa destination avec deux jours d’avance décida de prendre un peu la température. Se faisant aussi petits que possible, ils prirent des chambres dans trois auberges différentes.
Pendant la première journée, les sunajins errèrent dans la cité, tentant de glaner ici et là des informations sur le ninja errant au masque noir. Malheureusement, leurs recherches s’avérèrent tout sauf fructueuses. Le soir venu, les hommes décidèrent de partager un repas ensemble dans un établissement qui se payait à la fois le luxe de faire dans la restauration et de permettre aux clients de prendre un bain chaud ensuite. L’ambiance ne s’améliora pas particulièrement et un silence général domina ce moment. Très peu à l’aise avec la situation, Kikuchi décida de prendre congé avant ses ainés. Seul, il se rendit aux sources. Une fois nu comme un ver et préalablement lavé, il se plongea jusqu’au cou dans l’eau chaude. Cette petite pause était à la fois apaisante et revigorante pour son corps. Rester ainsi immergé lui faisait un bien fou. Ses problèmes semblaient perdre de leur importance et il arrivait mieux à faire le point sur la situation. Sa serviette sur la tête, il gardait les yeux fermés en respirant lentement.
« Bon sang, ça fait un bien fou. »
Tout semblait allait pour le mieux, il se sentait bien. Pourtant, quelque chose le tracassa. Kikuchi crut entendre un bruit et ouvrit les paupières. Balayant l’endroit du regard, il ne vit personne. Malgré cela, il se sentait épié. Il avait cette désagréable sensation qu’il n’était pas seul. Levant lentement la tête, il vit avec stupeur qu’une personne était présente. Debout en équilibre sur un des poteaux qui formaient la barrière des sources, l’inconnu tenait une lame à la main. Au moment où la lumière se refléta sur le métal dans un scintillement, il bondit vers Kikuchi. Pointe en avant, il tenta de lui perforer le torse. Plus par réflexe qu’autre chose, l’adolescent se jeta sur sa droite. Ses mouvements ralentis du fait qu’il se trouve dans l’eau, il fut bien incapable d’esquiver le second assaut. Debout sur la surface, son ennemi lui frappa le visage du pied. Le choc lui fit quitter le bain et il tomba durement contre le sol de pierre.
« Putain t’es qui to... ? commença-t-il en se relevant.
La fin de de sa phrase ne sortit pas de sa bouche. L’inconnu n’en était pas un et l’adolescent comprit ce qui se passait. L’homme qui lui faisait face portait le fameux masque noir et or décrit par le Kaigan. En d’autres termes, il s’agissait à n’en pas douter d’Hisashi Mitsui, le commanditaire de l’attaque. C’était cet homme qui avait fait tué des membres de sa famille, tout était de sa faute. Fou de rage, le sunajin essuya le sang qui coulait de sa bouche avec désinvolture. Ne prêtant nul attention à sa nudité, il concentra du chakra dans la plante de ses pieds pour ne pas glisser inopinément sur le sol mouillé. Lancé à vive allure, il forme une couche de flammes autour de son poing et l’envoya en direction du masque de l’ennemi. Malheureusement, ce dernier était plus rapide et agile. Il se contenta de dévier l’attaque avant de venir frapper le plexus du sunajin. Alors qu’il perdait son souffle, Kikuchi n’eut pas l’occasion d’esquiver la suite. Le ninja masqué lui balaya les jambes et tandis qu’il tombait envoya son kunai avec précision. Ne devant sa survie qu’à une chance insolente, l’adolescent effectua une roulade pour terminer sa course quelques mètres plus loin. Essayant de se relever avec peine, il remarqua avec douleur que l’arme de l’ennemi était plantée dans son bras gauche.
« Qu’est-ce que tu nous veux enfoiré ?! », lui hurla Kikuchi en se relevant tant bien que mal.
L’homme ne répondit pas, au lieu de ça, il sortit méthodiquement une nouvelle arme de sa poche à kunais. Le chuunin était désemparé, il voyait bien que son adversaire lui était supérieur. Il était à la fois plus puissant, plus rapide et plus expérimenté. Des sueurs froides dans le dos, il ne voyait pas comment gagner cet affrontement. Faisant fi de la douleur, il effectua une série de signes et cracha une boule de feu gorgée d’huile. L’attaque fonça vers l’ennemi, mais il esquiva sans grand mal et se retrouva en une seconde au corps à corps. Kikuchi se défendit tant bien que mal, mais une fois encore, il ne fit pas le poids. Terminant dos au sol, il ne pouvait rien faire d’autre qu’observer le ninja masqué sur le point de le tuer.
Pourtant, au moment où l’arme venait à lui, une ombre fit son apparition et vint percuter le shinobi errant. Dans un tintement métallique, les deux hommes se repoussèrent. Se redressant sur ses coudes, Kikuchi comprit que son parrain était arrivé à temps. Sans un mot, il échangea quelques coups avec son adversaire avant qu’ils ne se séparent.
« Ça faisait longtemps, Mitsui. J’sais pas c’que tu me veux à moi et les miens, mais ça s’arrête ici. », dit-il avec colère.
Ne laissant pas le temps à son adversaire de réagir, il forma une lame de vent entre ses mains. À grande vitesse, il fonça pour découper son ancien camarade en deux. Ce dernier, voyant le danger venir à lui, sauta en arrière pour retourner sur l’arrière d’où il était apparut. Sans dire un mot, il toisa les sunajins un instant avant de commencer une série de mudras. Il fut cependant interrompu par l’explosion proche d’un kunai explosif. En se retournant, Kikuchi vit que son oncle était présent lui aussi. En infériorité numérique, le ninja masqué décida de fuir.
« Sale lâche, cracha Zakuro.
- On s’occupera de son cas plus tard. Tu vas bien Kikuchi ?
- J’ai... J’ai connu mieux les gars...
- Tu m’étonnes. Reste tranquille, on va s’occuper de toi. Zakuro, viens l’examiner.
- J’arrive. »
Cessant d’accorder son attention à la fuite de Mitsui, le jônin se retourna pour avancer vers son filleul. Sur son chemin, il s’empara de sa serviette et la lui tendit. Malgré ses blessures, Kikuchi balbutia quelques mots incompréhensibles en se rendant compte qu’il était toujours nu et cacha ses parties intimes. N’y faisant aucunement attention, Zakuro se mit à genou et commença son auscultation. Il ne disait rien, se contentant de quelques brèves intonations pour lui même. Son attention s’attarda un peu plus longtemps sur l’arme toujours fichée dans le bras du chuunin.
« Rien de bien grave. Tu vas juste t’en tirer avec une belle série de bleus et une belle blessure à l’ego, ironisa-t-il.
- Je... Ouais. il était vraiment fort.
- Si tu veux mon avis c’est un miracle que tu sois toujours en vie. J’pense qu’il ne voulait pas vraiment t’tuer.
- Comment ça ?
- Tu serais déjà mort s’il l’avait voulu. J’pense qu’il voulait s’annoncer poliment à nous, expliqua Zakuro. C’est bien son genre.
- Et pour l’arme ? intervint Kotetsu
- Je vais la retirer, tiens le. »
S’exécutant sans discuter, l’oncle resserra son emprise sur son neveu. Avec application, le quadragénaire retira la lame d’un geste vif et précis. Laissant l’arme tomber au sol, il se servit de ses compétences médicales pour former une aura régénératrices et stopper l’hémorragie. Comme la blessure n’était pas importante, il ne lui fallut que quelques minutes pour la refermer.
« Ça va aller, t’en fais pas.
- Emmenons le ailleurs, proposa Kotetsu.
- T’as raison, on lui fout des fringues sur le dos et on part d’ici. »
Ensemble, les deux jônins relevèrent l’adolescent avant de le guider vers la sortie. Rien ne leur disait que le ninja masqué ne reviendrait pas les attaquer d’ici quelques minutes. Mieux valait donc prendre le temps de se replier avant de songer à la façon de procéder par la suite. Un bras sur les épaules de chacun de ses ainés, Kikuchi se laissa porter en maudissant son impuissance.
* * *
Depuis la visite de Shirotsuma, Kikuchi avait récupéré son appétit. Après la raclée qu’il venait d’essuyer, il voulait vite reprendre du poil de la bête, aussi, piochait-t-il généreusement dans les brochettes qui se trouvaient face à lui. Les deux jônins étaient plus mesurés, comme si les rôles étaient inversés à présent. Après l’incident aux sources chaudes, le trio avait décidé de prendre une chambre dans la dernière auberge de la cité. Mieux valait brouiller leurs pistes dans l’hypothèse où le ninja errant décidait de venir à eux. Au sein de la pièce principale, le bruit ambiant étouffait la conversation des sunajins.
« On fait quoi maintenant ? demanda Kotetsu.
- Il faut régler son compte à Mitsui.
- Comment on va le trouver ? s’interrogea le chuunin.
- Le temple hors d’la ville, répondit simplement Zakuro. Il avait rendez-vous avec les Kaigan là bas.
- Rien ne nous dit qu’il y sera. Il peut très bien avoir déjà quitté la ville, répliqua le second jônin.
- J’le connais. Son attaque n’était qu’une façon d’nous faire comprendre qu’il nous avait repéré. Il va nous attendre.
- Ça ressemble à un piège.
- Je sais, mais on a pas le choix. On va pas l’laisser s’en tirer comme ça.
- Bien. Je te suis sur ce coup-là. »
Kotetsu était plus perturbé qu’à l’accoutumée. Cette histoire ne lui plaisait pas et son neveu s’en rendait bien compte. Le ninja masqué semblait redoutable et le chuunin sentait son coeur accélérer en s'imaginant l’affrontement à venir. Après une quinzaine de minutes à satisfaire leur faim, les shinobis prirent la direction de la chambre qu’il avaient loué pour la nuit. Les deux jônins commencèrent à préparer leurs affaires. Kikuchi ne mit pas longtemps à les imiter. Pourtant, alors qu’il mit la main sur son katana, Zakuro le lui arracha brusquement.
« Tu restes ici.
- Quoi ?! Mais c’est hors de question enfin !
- J’te demande pas ton avis.
- Ce type est puissant, vous aurez besoin de moi.
- Non, c’est bien parce qu’il est si fort qu’on ne peut pas t’emmener avec nous, intervint Kotetsu les bras croisés.
- Mais, mon oncle...
- On ne pourra pas se battre l’esprit tranquille si on doit te protéger. Tu comprends ?
- Je... Oui, mais... Je suis un ninja, je dois faire mon devoir.
- Tu DOIS surtout obéir aux ordres, répliqua Zakuro. Les miens sont clairs, tu restes ici. »
Kikuchi était hors de lui. Pourquoi n’avaient-ils pas un peu plus confiance en lui ? La dernière fois il avait été attaqué par surprise. Les choses seraient différentes cette fois-ci, il en était persuadé. Il devait y aller, il devait les accompagner. Cherchant du soutien dans le regard de son oncle, il ne le trouva pas et décida de ne compter que sur lui-même.
« Quand un ordre est insensé, c’est un devoir d’aller à son encontre. Vous ne pouvez pas cracher sur une paire de bras en plus.
- Quelle tête de mule, ironisa Zakuro.
- Il ne nous lâchera pas avec ça tu sais.
- Je sais... Tu es bien comme ta mère petit.
- Laissez moi venir, implora-t-il.
- Bien, répondit son parrain après quelques secondes de silence. Je comprends ton point de vue. Je comprends... Désolé petit. » conclut-il en faisant un léger signe de la tête à l’attention de Kotetsu.
Avant qu’il n’ait le temps de réagir, Kikuchi ressentit une vive douleur à l’arrière du crâne. Sa vue se troubla, il perdit l’équilibre et chuta au sol. Le jônin porta son neveu jusqu’à un des lits et l’y allongea. Sans plus de cérémonie, les deux hommes partirent sans se retourner.
* * *
Le corps lourd et l’esprit embourbé, l’adolescent émergea lentement. L’arrière de son crâne le faisait souffrir. Alors qu’il se redressait, il laissa son regard balayer la pièce. Les rayons du soleil commençaient à passer entre les interstices des volets. Avec horreur, il se rappela la situation. Ses deux compagnons s’étaient débarrassé de lui pour aller combattre le ninja masqué. Avec difficulté, il se leva pour se ruer vers son arme. Sans perdre de temps, il sortit de la chambre à la recherche de ses alliés. La pièce à vivre de l’auberge était presque vide et ni son oncle ni son parrain n’étaient présents.
« Où sont les deux hommes qui m’accompagnaient ? hurla-t-il à l’attention du tenancier.
- Oh ! Du calme gamin, t’as vu l’heure ? Y’en a qui dorment encore.
- Répondez bordel !
- Pas rentrés de la nuit. Maintenant boucle là tu veux ? »
Exaspéré par les manières du chuunin, il soupira avant de retourner laver les tables. Kikuchi commença à craindre le pire. Pourquoi n’étaient-ils pas rentrés ? La nuit avait passée et aucun combat ne pouvait durer aussi longtemps. Cela voulait-il dire qu’ils avaient perdu ? Secouant frénétiquement la tête, il tenta de balayer cette idée hors de sa tête. Non, c’était impossible. Le coeur battant la chamade, l’adolescent sortit en trombe de l’auberge. Au pas de course, il déambula dans les rues de la ville à la recherche de ses comparses. Il devait vite se rendre au temple, c’était sa seule piste. Dans sa course, le sunajin ne pensait à rien, il s’y refusait, craignant que le pire ne soit arrivé. Après plus de dix minutes à courir plus vite qu’il ne l’avait jamais fait, il arriva à destination.
La forêt qui jouxtait le temple n’était plus qu’un vague souvenir. À mesure que Kikuchi avançait au travers des arbres déracinés, il se rendit compte que l’édifice était dévasté. Un combat terriblement violent s’était produit, il le savait bien. Durant de longues minutes, il chercha ses alliés. Son arme sortie de son fourreau, il était prêt à s’occuper du ninja masqué s’il tombait dessus. Au lieu de ça, il fit une découverte qui lui glaça le sang. Là où se trouvait le torii du temple avant la bataille gisaient deux corps. S’approchant le souffle court, il reconnut son oncle et son parrain. Zakuro était étendu face contre terre, le dos criblé de plusieurs shurikens et une large blessure ouverte au niveau de la tempe. Pour ne rien arranger, un kunai était planté en plein milieu de ses côtes. Kotetsu était dans un état bien pire encore. Son visage était si tuméfié qu’il en était méconnaissable. Étendu sur le flanc, il avait une partie de la poitrine ouverte et gisait dans une marre de son propre sang.
Dévasté et ne sachant pas quoi faire, Kikuchi se laissa succomber par l’émotion. Ses larmes se mirent à couler en un flot incessant alors qu’il tombait à genoux. Son oncle était mort, il n’y avait aucun doute là dessus. Pourquoi cela était-il arrivé ? Pourquoi cet homme masqué s’en prenait-il ainsi à sa famille ? Il n’en pouvait plus, c’était trop pour lui, trop qu’il ne puisse en supporter. Les yeux rouges et les joues humides, il se tourna vers son parrain. Avec précaution, il le fit basculer sur le côté. Ses paupières étaient closes et il avait perdu beaucoup de sang. Lui aussi était mort. L’adolescent ferma les yeux et continua de se morfondre. Soudain, il entendit quelqu’un tousser. Le quadragénaire cracha un glaire de sang avant de bouger légèrement.
« Zakuro ?! Tu... tu es en vie...
- Ou... Ouais. Pas... Pas top... », bafouilla-t-il difficilement.
Se précipitant vers son ainé, le chuunin l’aida à se redresser. Sortant maladroitement un morceau de tissu de son sac, il le pressa contre sa tempe. Il devait le sauver à tout prix, en aucun cas il ne pouvait se permettre de le voir mourir lui aussi.
« Utilisez vos techniques médicales !
- Ca...Calme toi p’tit. Ko... Kotetsu ?
- Il est... tenta-t-il de répondre sans pouvoir conclure sa phrase.
- J’ai p... Pas réussi. Je l’ai pas sau... sauvé.
- Où est Mitsui ? Je ne le vois pas, s’inquiéta le chuunin.
- On l’a b... bien amoché. C’lâche a fui mais j’ai... j’perdu connaissance avant d’sauver Kot... Kotetsu. »
Sous le coup de l’effort, Zakuro épuisa ses maigres ressources et tourna à nouveau de l’oeil. Seul avec les deux corps, Kikuchi ne pouvait pas se permettre de rester ici. Il fit apparaître un clone et s’en servit pour les porter. Ne regardant pas derrière lui un instant, il se dépêcha de revenir en ville.
Allongé dans un des lits de la chambre, Zakuro ne cessait de perdre et reprendre connaissance. Chaque fois, il essayait de sortir pour s’inquiéter de l’état de Kotetsu. L’adolescent parvint finalement à le raisonner après quelques heures. Même s’il n’était pas un expert en la matière, il lui prodigua les premiers soins et banda ses blessures. Quant à son oncle, il posa une couverture sur son corps par respect pour son cadavre. Grâce à l’aide du chuunin, le quadragénaire se servit de ses compétences médicales pour résorber ses entailles les plus graves, notamment celle qu’il avait au flanc.
« Merci, dit-il simplement.
- C’est normal. »
Kikuchi délaissa l’attention qu’il portait à son parrain pour scruter quelques instants la forme couverte du corps de son oncle. Son coeur se serra et il tape du poing contre sa cuisse.
« J’aurai dû être présent...
- Arrête. Tu te fais du mal.
- Peut-être que si j’avais été là, il... commença-t-il.
- Arrête j’ai dis ! Te torturer ne servira à rien bordel. On a pris la décision d’y aller seuls lui et moi. y’a rien que tu pouvais faire contre ça.
- Je... Oui, mais...
- Y’a pas de mais. Si tu étais venu tu s’rais mort, c’est tout c’que ça aurait changé. Kotetsu était conscient des risques et il s’est battu comme un forçat jusqu’au bout. Tu n’es responsable de rien, Kikuchi. »
Au fond de lui, le chuunin savait bien que son parrain avait raison. Il savait qu’il n’aurait rien pu faire contre Mitsui. Cela ne l’empêchait pas de penser qu’un miracle aurait pu se produire. Avec un peu de chance et une bonne dose de culot, peut-être aurait-il réussi à faire quelque chose. Il voulait y croire plus que tout.
« On fait quoi maintenant ? Si la cible est blessée, on doit la neutraliser.
- Non. Poursuivre la mission est devenu trop dangereux à présent, avoua Zakuro. Nous allons rentrer à Suna et mettre le Kazekage au courant de la situation.
- Mais enfin il va s’enfuir ! On peut pas le laisser s’en tirer comme ça. Pas après tout ce qu’il a fait !
- Kikuchi... Je ne suis plus en état de combattre et tu n’as pas le niveau pour le battre, même maintenant qu’il est diminué. Nos chances de victoire sont nulles.
- Non... Non ! Je refuse d’y croire. Hors de question que tous ces gens soient morts pour rien.
- Écoute moi à la fin ! Qu’est-ce que ta mort changera ? Nous devons aller chercher du renfort. Parfois, c’est plus sage d’savoir battre en retraite pour revenir en force.
- C’est... »
Kikuchi ne voulait pas entendre raison. Il savait bien que son ainé avait raison. Il doutait de ses chances de survie, il n’était même pas sûr de retrouver la trace du ninja masqué. Pourtant, malgré tout cela, il n’était pas prêt à abandonner. C’était tout simplement plus fort que lui. Comprenant qu’il ne ferait pas entendre raison au jônin, il décida de jouer la comédie. L’air faussement résigné, il frappa du poing contre le mur.
« D’accord ! cracha-t-il.
- Bien. Tu fais l’bon choix, petit. Fais moi confiance, on l’aura. Je te le promets.
- Tu avais juré que tout se passerait bien, rappela le chuunin. Regarde où on en est.
- Kikuchi...
- C’est bon, repose toi. Je reviendrai plus tard. »
Pour la première fois, il se permettait de le tutoyer. Cet homme était au final bien différent de ce qu’il pensait. Lui qui l’avait toujours vu comme un véritable modèle, un ninja d’exception, il se rendait compte qu’il était humain comme tous les autres. Refermant la porte derrière lui, il sortit de la chambre. Son arme toujours à la ceinture, il descendit les escaliers avant de quitter l’auberge. Le regard pointé en direction du temple dévasté, il se mit en route. C’était la fin pour le ninja errant, il s’en fit la promesse.
* * *
Revenir là où Kotetsu avait perdu la vie était douloureux pour l’adolescent. Sans comprendre pourquoi, il éprouva le besoin de revenir là où il avait trouvé son corps. La tache de sang qu’il avait formé en périssant étant toujours bien visible. Le sunajin prit quelques minutes pour se recueillir intérieurement. Une fois prêt, il se mit à la recherche d’indices pour retrouver la trace du ninja masqué. Il n’était pas expert en pistage mais il avait reçut une formation approfondie de la part de son parrain en la matière. Cela lui permis donc naturellement de discerner les différentes traces de sang. Certaines étaient à son oncle, d’autres à son parrain et les dernières à l’ennemi. Ce fut ces dernières qu’il décida de suivre.
Sa traque commença ainsi et dura plus d’une heure. Il avait parfois beaucoup de mal à trouver les prochaines traces et devait sans cesse revenir sur ses pas. Pourtant, à force de persévérance, il atteint un endroit qui attira son attention. La terre y était retournée et recouverte maladroitement d’une épaisse couche de feuilles. L’adolescent posa le genou à terre et tâta le sol de la main. Bien vite, il se rendit compte que derrière le camouflage se trouvait une petite trappe en bois. Sans trop de mal, il l’ouvrit et tomba sur échelle qui descendait quelques mètres plus bas. Sur les barreaux, il vit une trace de sang en forme de main. Mitsui devait se trouver ici, c’était son repaire, il en était persuadé. Prudemment, il descendit pour découvrir l’entrée d’un tunnel. L’endroit était bas de plafond et stabilisé par des planches en bois. Ce n’était visiblement qu’un abri de fortune. Comme il n’avait pas la place de dégainer son arme en milieu aussi clos, le chuunin sortit un kunai et commença à avancer. Après une dizaine de mètres, il arriva au niveau d’une porte. Sa poignée était couverte de sang elle aussi. N’écoutant que son courage, il la défonça d’un coup d’épaule et pénétra en trombe dans la pièce.
Il s’agissait d’une grotte creusée à la main et grande d’environ huit mètres de large. Tout y était précaire, signifiant effectivement qu’il ne s’agissait que d’un repaire de fortune et en rien une véritable base secrète. Kikuchi délaissa cependant vite la visite des lieux. Devant lui, assis misérablement contre une chaise et face à la porte, se trouvait l’homme qu’il recherchait. Il était en piteux état et ses vêtements bruns étaient recouvert de sang séché. Sa main plaqué poumon gauche, il leva lentement la tête en voyant l'intrus pénétrer dans son repaire.
« Je t’ai retrouvé, sale enfoiré. »
Sans rien dire, l’homme se contenta de l’observer. Finalement, il sembla sur le point de se lever. Kikuchi décida de ne pas lui en laisser le temps. Se ruant à pleine vitesse vers lui, il envoya la lame de son kunai droit vers sa gorge. À son grand étonnement, l’homme ne fut pas en mesure d’esquiver. Le métal s’enfonça en lui et le plaqua contre la chaise.
« Crève !!! », hurla l’adolescent à pleins poumons.
Il avait un large sourire aux lèvres. Il l’avait fait, il avait réussi à venger son oncle et son grand-père. Il avait fait ce que Zakuro s’était révélé incapable de faire. Lui seul avait tué Hisashi Mitsui, le ninja masqué. Alors qu’il célébrait sa victoire en riant nerveusement, il sentit que quelque chose clochait. Alors qu’il voulut retirer son arme, celle-ci resta bloquée. Avec stupeur, il vit la gorge de l’ennemi se changer en boue et commencer à couler pour lui recouvrir la main. Alors qu’il était sur le point de battre en retraite, il sentit une vive douleur dans la poitrine. Le temps sembla ralentir étrangement et il baissa les yeux pour constater avec horreur qu’une arme y était plantée. Son corps s’agita et il cracha une gerbe de sang. Par réflexe, il voulut saisir son katana, malheureusement, une main empoigna fermement la sienne. Les deux bras prisonniers, il ne put rien faire pour se dégager. Alors que se souffrance s’accentuait, il observa plus en détail la lame qui lui tiraillait le torse. Sur le manche de l’arme se trouvait un rubis. Kikuchi ne comprenait rien, cette arme lui était si familière. Délaissant l’attention qu’il portait à l’arme, il détailla la main de son assaillant. C’est alors qu’il se rendit compte qu’elle lui semblait elle aussi connue. Recouverte d’un bandage, il ne put s’empêcher de paniquer en comprenant à qui elle appartenait.
Les forces de l’adolescent le quittaient. Il sentait ses jambes fléchir sous son poids et sa vue se troubler. La perte de son sang le plongeait rapidement dans le néant. Il allait mourir, il en avait conscience et cela le terrifiait. Son coeur battait à en rompre sa cage thoracique. Il ne voulait pas finir comme ça, pas ici, pas maintenant. Le ninja masqué disparut en une coulée de boue et l’homme qui le tenait le relâcha. À bout de forces, Kikuchi tomba avec fracas contre le sol. Sa gorge se remplissait de son propre sang, le faisant rapidement suffoquer. Paniqué et désespéré, il se tourna sur le flanc pour lever les yeux vers son tueur. Il découvrit alors le visage de Zakuro. Complètement perdu, il ne parvint pas à lui demander pourquoi. Les mots se perdirent dans sa gorge. Alors que ses paupières se fermaient lentement, il eut l’impression de voir des larmes couler sur les joues de son parrain. Avant qu’il ne puisse comprendre s’il hallucinait ou non, les ténèbres le recouvrirent. Dans un dernier tressaillement, il s’éteignit en silence.
* * *
Une faible brise soufflait sur le village en cette triste matinée. Dans une ambiance austère et solennelle, la cérémonie avait été effectuée. Une cinquantaine de personnes répondirent présentes. Des amis proches de Kikuchi, les anciens camarades de son équipe lorsqu’il n’était encore que genin et des membres de sa famille. Du côté de Kotetsu, sa femme et ses enfants ainsi que des connaissances avec qui il était plus ou moins proche. Perdre deux shinobis en mission était toujours un moment difficile à passer. En tant que chef d’équipe lors de l’incident, ce fut à Zakuro de présider l’enterrement. Malheureusement pour les proches des défunts, et conformément aux coutumes ninjas, les cercueils étaient vides. Après leur mort, le jônin avait prit soin de détruire les corps pour qu’aucun secret du village ne puisse fuiter inopinément. Silencieux, le quadragénaire observa la scène aux côtés de sa femme. Son oeil gauche, encore injecté de sang, semblait dépourvu de toute forme de vie. Le visage partiellement couvert de bandages, il était le symbole de la violence de la mission.
Quand l’office fut terminée, l’assemblée commença peu à peu à se disperser. Quelques mètres plus loin, l’épouse de Kotetsu tentait vainement de calmer le chagrin de ses enfants. Elle jeta un regard lourd de sens vers Zakuro mais ne vint pas lui dire un mot. Ce dernier se contenta de serrer le poing, la gorge nouée. Quand tout le monde quitta le cimetière, une femme resta. L’air furieuse, elle avait les yeux rouges d’avoir pleuré des heures durant. À présent, plus une larme ne coulait mais son visage témoignait de toute sa douleur. Déterminée, elle se rua vers le jônin et lui mit une gifle terrible qui lui fit siffler l’oreille.
« Tu m’avais juré de le protéger. Tu avais juré... Maudis sois-tu, je ne veux plus jamais te voir ! »
L’homme ne répondit pas. Il se contenta de regarder la mère éplorée lui tourner le dos et retourner au village. Que pouvait-il bien ajouter après ce qui venait de se passer ? Il avait trahi sa promesse, il n’y avait pas le moindre doute à ce sujet. Une fois que les deux époux se retrouvèrent totalement seuls, Haruna, qui jusque là affichait son visage le plus compatissant, redevint aussi froide qu’elle l’était véritablement au fond d’elle. De sa main droite, elle caressa le bras de son mari.
« Tout s’est déroulé parfaitement. Tu es vraiment le meilleur. »
Lentement et avec une rare douceur la concernant, elle s’approcha pour poser un baiser sur ses lèvres. Zakuro y répondit sans rien dire. Sa femme voyait bien qu’il n’était pas bien, aussi se mit-elle face à lui avant de prendre ses mains dans les siennes.
« Nous avons fait ce qui était nécessaire. Ces deux vieux fous détournaient les fonds de l’entreprise depuis trop longtemps déjà, dit-elle avec mépris. Si nous les avions laissé faire ils auraient pu tout nous prendre d’ici quelques années. Je sais que tu le comprends.
- C’est... Oui, c’est pas ça...
- Kotetsu et Kikuchi je suppose ?
- Ouais... Pourquoi eux ?
- Chéri, quand on arrache la partie pourrie d’un fruit, il faut s’assurer que les asticots s’en aillent aussi. Si on les laisse à leur place, ils ont tôt fait de souiller ce qu’il reste, expliqua Haruna avec conviction.
- Mais Kikuchi n’était encore qu’un gamin. C’est pas bien... répondit le jônin en baissant les yeux.
- Quelle différence cela peut faire ? Tu massacres des Kaigans depuis des années et quand ça les concerne tu ne fais pas grand état de leur âge.
- Que... Comment tu oses me dire ça ?!
- Ne hausse pas le ton avec moi ! le sanctionna-t-elle en accompagnant sa remontrance d’une gifle. Tu sais bien que j’ai eu raison de te le demander. Qui sait ce qu’ils auraient fait s’ils avaient découvert la vérité. Le risque était trop grand, j’ai décidé pour nous de ne pas le prendre.
- Tu... T’as raison, admit-il pitoyablement.
- Tout s’est bien passé. Ta réputation va certes pâtir de cet incident mais malgré tout la mission a été officiellement accomplie. Personne ne découvrira la vérité et vu tes états de service, qui remettra ta parole en doute ? De toute façon, aucune preuve ne pourrait être utilisée contre toi, s’amusa-t-elle. Tout est pour le mieux. Nous sommes une équipe et grâce à toi la société Sabaomizu a été débarrassée des traitres qui lui voulaient du mal.
- Ouais. T’as raison, c’est toi qui a raison mon coeur.
- Je vais te laisser seul. Prend le temps de te recueillir, fais ton deuil et oublie ce qui vient de se passer. La vie continue. », conclut-elle avec un sourire.
Zakuro ne répondit pas, se contentant de hocher la tête. Son épouse tourna les talons et retourna à Suna. Seul dans ce cimetière, il avait une irrépressible envie de vomir. Comment avait-il pu faire cela ? Jusqu’où irait-il pour satisfaire les lubies de sa femme ? À cause d’elle, il avait été contraint de mettre de côté sa haine viscérale des Kaigan et en payer tout un groupe pour assassiner ses propres maîtres. Toujours par amour pour elle, il avait tué et Kotetsu et maquillé sa mort. Il s’était servi d’un clone pour jouer le rôle d’Hisashi Mitsui, le faux ninja masqué dont il s’était servi pour tous les berner. Parce qu’il ne savait pas lui dire non, il avait entaché à jamais son âme en prenant la vie d’un gamin qui n’avait pour lui que respect et admiration. Il se donnait envie de vomir, il maudissait sa faiblesse, celle-là même qui l’empêchait de se dresser contre Haruna.
Pourtant, il avait voulu résister. Il avait hésité à tuer Kikuchi jusqu’à la fin, pourtant cet idiot avait persisté à ne pas l’écouter. Si seulement il était resté dans cette auberge et avait oublié sa vengeance, s’il n’avait pas cherché à retrouver le ninja masqué, il aurait pu ne pas le tuer. Malheureusement, il était trop tard pour y penser maintenant. Lentement, il sortit le tantô accroché à sa ceinture. Il ne méritait pas cette arme. Un genou à terre, il la déposa sur la pierre tombale de Kotetsu. En se relevant, il porta son attention sur le pansement qu’il portait à la main. Avec précaution, il le retira pour laisser la cicatrice de sa paume apparaître au grand jour. Son coeur se souleva en la voyant. Elle était le symbole de sa traîtrise. Il avait juré sur son propre sang que tout irait bien, il avait juré de venger la mort de ses maîtres. Comment pourrait-il continuer à se regarder dans le miroir après cela ? Après avoir effectué quelques pas sur le côté, le jônin observa la seconde tombe, celle de son filleul.
« Je suis désolé... »
Tombant sous son propre poids, il posa la tête contre la pierre. Incapable de contenir plus longtemps ses sentiments, il laissa ses larmes couler. Pourquoi n’avait-il pas la force de dire non à Haruna ? Combien de temps pourrait-il encore supporter de mener cette vie ? Plus seul que jamais, Zakuro laissa toute sa peine exploser dans ce cimetière désolé.