Quelque part entre l'Isthme du gel et la Vallée des Nuages, dans un un village du nom de Shiroi Houseki, une jeune fermière nommée Rukia rentrait des serres du seigneur. Dans cette région aussi froide que peu fertile, les légumes frais étaient un luxe réservé aux nantis et il était considéré comme un honneur de servir dans ces poches de verdure artificielle.
Par chance, Rukia était née dans les terres personnelles du Seigneur et vivait donc en périphérie de son cheptel, un magnifique château connu avant tout pour son labyrinthe de glace, entretenu par des dizaines de sculpteurs quotidiennement. Situé dans l'immense jardin perché sur une falaise, l'œuvre démesurée était à la hauteur de l'égo de son propriétaire, mais aussi de son créateur, l'architecte du village et le bras droit du seigneur.
Les pas s'enfonçant dans la neige qui ne cessait de tomber depuis des semaines, Rukia avançait péniblement, la journée avait été rude, mais au moins, quand elle était dans les serres du château, elle n'avait pas froid. D'un côté, les remparts du château la dominaient. De l'autre, une forêt brumeuse gigantesque délimitait une frontière naturelle entre les deux régions du Sekai. C'est au détour du chemin mêlant boue et verglas qu'elle aperçut une main. Sortant des feuillages, c'est d'abord la chaire à vif qui la marqua. Sa tête semblait étrangement lisse, les yeux, la bouche et les narines avaient disparus.
Malgré sa répulsion, attirée par une curiosité malsaine et un désir d'assouvir sa curiosité, la jeune fermière s'approcha lentement, ses pas faisant craquer l'herbe gelée sous ses sabots grossièrement taillés. A la vue du corps horriblement dépecé, son cri résonna par delà les murailles et s'enfonça dans la forêt sombre.
Horrifiée, elle venait de découvrir un nouveau cadavre de jeune fille, le septième en quelques semaines.
Les gardes du château furent sur place en quelques minutes. Ils interrogèrent les quelques maisons construites à la lisière de la grande forêt, tentèrent de trouver des traces de pas autour de la victime pour pouvoir remonter une piste, en vain.
Une semaine plus tard, une huitième fille était retrouvée, dépecés et les orifices bouchés comme les autres.
Pour Sona, intendante du seigneur, c'était le cadavre de trop. Avec la ferveur et la pugnacité qui la caractérisait, elle avait enfin pu réunir les conseillers du seigneur pour octroyer des fonds afin de recruter des ninjas.
Dans moins d'un mois, une des plus grandes réceptions des environs allait se passer dans ce jardin, au sein même du labyrinthe de glace. Si les meurtres venaient à s'ébruiter dans la haute société de la Vallée des Nuages, la réputation de son seigneur, mais surtout, de son village allait en souffrir, et ça, elle ne pouvait pas se le permettre.
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Maika ressemblait à une créature mythique locale avec sa grande peau d'ours qui le protégeait des lames acérées que semblaient êtres les rafales de vent dans cette région.
Péniblement, le colosse avançait sur un petit chemin glissant d'à peine cinquante centimètres de large. Les mains sur la paroi, il veillait à ne pas tomber dans la mer de nuage en contrebas.
- J'en ai une autre.
- Bordel Doro, j'ai pas le temps.- Attends putain, tu l'as même pas écoutée.
- Je te dis que je dois me concentrer si tu veux pas me la raconter pendant qu'on chute.
- Vu la hauteur, j'aurais le temps, elle est super courte. La vitamine C..
- Quoi ?
- La vitamine C, mais elle ne dira rien.
Le petit hérisson blotti dans le cou du danseur se mit à pousser des petits cris aigus et stridents, sa façon à lui de rire.
- Nul.
- Rho ! Eh, c'est quoi une chauve-souris avec une perruque ?- ...- Une souris.Maika dut supporter les "mots d'esprit" de son ami durant tout le sentier qui le menait à Shiroi Houseki. En voyage dans une bourgade environnante, il avait appris l'existence d'un contrat par une barde envoyée par le seigneur pour recruter directement des ninjas.
Grâce à Danzaemon, le cirque centenaire, la réputation de Maika et des autres membres de la troupe n'étaient plus à faire chez les artistes et c'est contre un bon repas chaud que la messagère avait accepté de lui remettre une des invitations qu'il portait au nom du noble et de son intendante.
Au détour du dernier virage, Maika s'arrêta une seconde pour admirer la vue. Les montagnes enneigées entouraient une cuve tout aussi immaculée. En son centre, des centaines d'habitations étaient bâties autour d'un château monumental.
Aux abords de la forêt nord, et plus généralement dans les premiers cercles, les maisons étaient rustres et percées de nombreux trous. Cependant, plus on s'approchait du château plus les demeures semblaient cosys et de bonnes factures.
Si la richesse n'était pas distribuée avec une équité parfaite, il y avait tout de même un sacré paquet de ryos ici, une bonne chose pour Maika.
Le sentier se fit plus praticable alors qu'il arrivait en bordure des habitations. Les quelques regards qu'ils croisaient lui jetaient des éclairs de suspicion. Les étrangers n'étaient pas les bienvenus dans cette partie reculée du monde, surtout en cette période. Les autochtones ne faisaient plus confiance en leurs voisins, ils n'allaient pas accueillir un intrus les bras ouverts.
- Et toi ? Dit un petit garçon trop légèrement vêtu au vu du temps qu'il faisait.
Tu veux quoi ?Pour seule réponse, Maika brandit l'invitation qui lui avait été remise. Le petit lui fit signe d'attendre et partit en courant en direction du château. Une minute plus tard, il était de retour avec une femme élégante au kimono impeccable.
- Je suis l'intendante de ce domaine, bienvenue dans notre humble village.- J'ai vu plus humble. Rétorqua Maika en pointant du menton l'immense bâtisse derrière Sona.
- Effectivement, le château de Shiroi Houseki est une merveille qui déplace des foules, surtout lors de la fête des Miroirs dans une semaine. Il faut que notre cas soit réglé avant. Imaginez ce qu'il se passerait si des nobles étaient....au sein même de notre domaine. Que les dieux des montagnes nous en préserve.- Calmez-vous, et dites-moi plutôt ce qu'il se passe.Sona commença à marcher après avoir donné deux miches de pain au petit. Tout en remontant la seule rue pavée qui menait au palais, elle expliqua la raison de leur demande.
- Depuis quelques semaines, des corps de jeunes filles sont retrouvés à la lisière de la forêt, au village, et par deux fois, entre les murs du château. En moins de deux mois, huit femmes ont été sauvagement tuées. Malgré nos recherches, nous n'avons aucune piste. Nous avons donc fait le choix risqué et coûteux de faire appel à...vous.- Je serai donc seul.- Non, je parlais de votre...condition. Vos semblables. Nous avons envoyé trois messagers. Nous espérons donc au moins un autre des vôtres pour vous aider.- Des nôtres ? Vous croyez que tous les shinobis du Sekai se connaissent ?- Non, mais je crois que vous êtes réputés pour accomplir les missions pour lesquelles vous êtes grassement payé. J'ai arrangé des chambres dans l'auberge la plus confortable du village. Vous aurez un étage pour vous et votre enquête.Maika acquiesça silencieusement. Tout cela ne lui disait rien qui vaille. Travailler avec des inconnus, sur une sordide histoire de meurtres, le tout, sous un temps de chien. Heureusement que la paye était bonne. Il ne restait plus qu'à supporter ceux qui allaient être attiré comme lui par l'appât du gain.
Et parmi tous les shinobis qu'il avait rencontrés durant sa vie, il ne s'attendait surement pas à croiser les muscles du clan Yamanaka.