Si le territoire du Pays du Vent est réputé comme austère, pour ne pas dire hostile, de par delà les contrées, il n’en reste pas moins un endroit où il y fait bon vivre pour ses habitants. Certes, il n’y a pas de forêt luxuriante ou de longues – mais douces – rivières, mais il ne faut pas oublier ses magnifiques oasis. Certaines demeurent secrètes, si ce n’est inventées par quelque conteur notoire, mais il y en a qui sont particulièrement connues. Notamment celle qui se trouve à quelques lieues de la majestueuse Sunagakure. Tantôt décrite comme un mirage, tantôt décrite comme une véritable vision du paradis dans un paysage monotone, force est de constater qu’elle n’en reste pas moins fréquentée. En effet, moult marchands s’aiment à y faire une halte, profitant d’un repos fort mérité. Certains brigands espèrent, en revanche, pouvoir récupérer leurs forces et fomenter leurs prochains méfaits autour de quelques verres. Enfin, les ninjas, qu’importe leur horizon, aiment également s’y prélasser. C’est pour cette dernière raison que j’y suis. J’ai été envoyé, il y a quelques jours, en mission. Pacifier une zone (mal) habitée par quelque groupuscule qui risquait de compromettre le peu de commerce dont nous pouvons jouir. Aussi a-t-il été jugé prioritaire de démanteler toute cette organisation (ce qui ne nous a pas pris énormément de temps au regard de la taille de cette dernière) afin de continuer de profiter de ces quelques maigres avantages.
Mais si la mission a pu sembler courte en tant que telle, elle n’en était pas moins fatigante. C’est d’ailleurs la première fois que je me suis vu remercier une escouade qu’on m’avait forcé de prendre avec moi (dure vie que d’être Haut Conseiller, Intendant de Suna ET affiché dans le Bingo Book…), quand bien même je déteste plus que tout au monde devoir bosser avec des ninjas que je n’ai pas moi-même choisis. Maudit sois-tu Senshi, avec tes caprices. En tous les cas, tout s’était déroulé au mieux et après quelques temps de marche, j’ai fini par repérer le passage menant à cette oasis… Il faut dire que je commence à la connaître, maintenant. Combien de fois m’a-t-elle vu venir m’enivrer, me vanter de mes exploits ou simplement combattre certains de mes détracteurs ? Je ne saurai les compter. Contre toute attente, mes équipiers ont salué l’initiative lorsque j’ai commencé à sillonner entre les dunes. Apparemment, je ne suis pas le seul à apprécier ce petit coin de paradis. Rapidement, nous arrivons devant la porte d’une taverne que je connais que trop bien. Afin d’éviter tout souci, je rabats ma capuche, masquant un minimum mon visage, mais surtout ma longue crinière. C’est souvent ça qui me trahit.
Mon escouade se répartit comme bon lui semble tandis que je choisis une table bien éloignée, dans un coin. J’ai besoin de passer un peu de temps seul, avec mes éventuels démons. Je ne me fais pas d’illusions ; j’ai prévu de boire (j’en ai besoin) et, quand je le fais, ils ont toujours tendance à réapparaître. Aussi si cela me permet de faire le point sur moi et ma propre vie, je ne vais pas m’en priver. Advienne que pourra, de toute façon. Par soucis de précaution (et de prévention), j’ai tout de même informé mon équipe que l’alcool pouvait, parfois, me jouer de mauvais tours. Ainsi, ils ne devraient pas être trop surpris (ou étonnés) de voir un changement de comportement drastique. Instaurer une certaine transparence pour avoir leur confiance, la base. Ainsi, la soirée bat son plein et le soleil ne tarde guère à se toucher. Des heures durant, je m’enfile des verres à mesure que mon gosier se dessèche, n’ayant cure des regards qui peuvent être portés sur moi. Puis j’ai un semblant d’absence… Quelques secondes, quelques minutes au pire. Ma vue est légèrement embrumée et je remarque ma chope vide. Je hèle un des tenanciers afin qu’on la remplisse et papillonne des yeux.
« Bah alors, Akichou, on a du mal à tenir le rythme ? M’interpelle une voix, pleine de malice, que je ne connaissais que trop bien. - Aika, rétorque-je doucement avant de papillonner des yeux. Que… - Tu sais pourtant que tu as tendance à me voir quand l’alcool l’emporte, non ? Me taquine-t-elle après m’avoir coupé. - Tu aurais pu t’abstenir, pour une fois… - Blâme ton esprit, pas une morte. Son regard se fait plus grave, son ton plus sec. Elle marque un point. Mais je ne t’en veux pas… D’un côté, je trouve ça assez mignon que tu penses encore à moi après tout ce temps. Elle se met à glousser. - Ne t’ai-je pourtant jamais dit être totalement incapable de t’oublier ? - Bien sûr que si, grand dadais. Mais franchement, de là à dire à Tomio de veiller sur moi ? Elle roule des yeux. Tu es toujours dans l’exagération, Akichou. Toujours. Et je ne parle pas seulement de… Elle marque une courte pause, posant un doigt sur son menton et regardant légèrement vers le plafond, comme si elle cherchait ses mots. De ta propension à ravager les quartiers dans lesquels tu te bats. Elle se lève et met ses poings sur hanches. Il faudrait penser à faire un peu plus dans la dentelle ! Voilà qu’elle me dispute. - Ce n’était que de la légitime défense. Je hausse les épaules. On m’a attaqué en pleine ville, je n’ai fait que me défendre ! C’est pourtant de notoriété publique que j’excelle dans les attaques de zone, soupire-je avant de reprendre une gorgée de mon verre. Et ils n’avaient qu’à avoir des bâtiments plus solides, pas de pauvres baraques qui s’effondrent à la moindre petite vague ! Ma voix commence à se faire plus forte, alors je me ressaisis. - Kayaba Akihiko ! Elle m’engueule vraiment, le doigt pointé vers moi. Tu crois vraiment que finir dans le Bingo Book est quelque chose que tu voulais ?! - Tout ceci n’est pas de mon fait ! Je me lève à mon tour, plaquant mes mains sur la table branlante. Les regards se braquent sur moi avant de vaquer de nouveau à leurs occupations ; ils me prennent probablement pour un alcoolique notoire qui parle tout seul et ce n’est pas plus mal. De plus, je l’ai fait pour la Sainte Patrie, et si défendre nos défenses requiert d’avoir ma tête mise à prix, alors je l’accepte ! Je me mets à crier à mon tour, retirant ma capuche. Mon faciès est maintenant dévoilé, ma longue chevelure flottant quelques secondes avant de s’abattre pitoyablement sur mon dos. Des murmures semblent s’agiter tout autour de moi mais je les ignore rapidement. Je n’en ai cure. Bien rapidement, mon esprit occulte et altère même la réalité, effaçant toute distraction externe à cette « discussion » ; je ne vois plus qu’Aika, mon verre et la table. Et puis… Je me rassois et sors une cigarette d’un paquet glissé dans une poche intérieure que je m’empresse d’allumer. De ce que j’ai cru comprendre, seuls les indépendants sont éligibles à la prime. Je n’aurai qu’à rester dans ma tour à faire la pute pour les seigneurs quelques temps, voilà tout. Je suis certain que tout le monde y trouvera son compte. Je tire une latte et crache la fumée, soupirant lourdement. - Bah, si tu le dis… Elle soupire à son tour avant de se rasseoir, gardant tout de même l’ascendant sur moi (la faute à être avachi dans ma chaise). Tu es un grand garçon, de toute façon. Têtu, certes, mais un grand garçon quand même. Un léger blanc s’instaure avant qu’elle ne reprenne, tandis que je la dévore amoureusement du regard. Et sinon, Hakaze dans tout ça ? Elle n’a toujours pas pris ma place ? Elle me lance un clin d’oeil narquois. - Bien sûr que non, et tu le sais. Personne, et je dis bien PERSONNE, ne saurait prendre ta place. Je t’ai aimée, Aika. Je t’aime. Et je t’aimerai toujours. Comme je te l’ai toujours dit, d’ailleurs. Alors n’aie crainte, tu seras toujours la personne la plus importante à mes yeux. - C’est bien ça le problème. Tu aimes une morte, Haut Conseiller ! Ses mots me font l’effet d’une pince serrant mon coeur, prête à le briser, à le faire exploser. Je ne pourrai plus jamais être là pour toi, jamais ! Si tu me vois, là, c’est bien parce que ton esprit est perturbé, tant par l’alcool que la fatigue, et ce n’est pas normal ! Nouvelle pause, j’en profite pour boire une gorgée et prendre une nouvelle inspiration de tabac. Tourne la page. Passe à autre chose. Pense à quelqu’un d’autre… Elle gonfle les joues. Vis ta vie, pour une fois ! »
Je n’ai pas les mots. Je ne sais quoi répondre à ça. Mon coeur est officiellement mort et mon visage se décompose. Occultant tout ce qui se passe autour de moi, je ne réprime pas même mes larmes. A cet stade, j’en ai même oublié ma journée et si j’étais accompagné ou non. La seule chose qui m’importe est de prendre Aika dans mes bras, quand bien même mon subconscient sait qu’il m’est impossible de le faire. La prendre dans mes bras, ouais… L’embrasser. Sentir son parfum, ses lèvres… Toutes ces choses auxquels je n’aurai plus jamais accès, à l’instar du bonheur.
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Myōshin Junko
Uzushio no Jonin
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« Alors, qu’est-ce que je vous sers, mes braves ? » lançait la serveuse à la cantonade, offrant aux hommes fraichement débarqués un sourire enjôleur. Le teint pâle, le visage fin, elle ne manquait pas de charme – et elle en avait conscience d’ailleurs car, leur commande passée, elle leur offrit un clin d’œil ravageur avant de s’éloigner vers une autre table. Elle paraissait dans son élément, virevoltant d’un client à un autre, avec légèreté et sensualité. C’était son rôle, sa place dans la société : elle offrait un peu de rêve à tous ces hommes que la vie n’épargnait pas ; un sourire, un mot doux, en échange de quoi elle pouvait se nourrir et entretenir sa famille. Cela paraissait un but noble, mais en réalité, elle était surtout là pour les pousser à la consommation. Et ce, toujours avec le sourire. Toujours… En réalité, elle n’en pouvait plus. Elle était à bout de force, et tout ce qui lui restait passait dans ce travail sans aucune reconnaissance. Combien de fois l’avait-on prise pour une autre, combien de fois avait-on voulu abuser d’elle… Elle ne comptait même plus les soirs où elle s’était réfugiée chez elle en pleurs. Plus jeune, elle avait cru que ce ne serait qu’une mauvaise passe, que très vite elle saurait rebondir. Mais les jours s’étaient succédés, puis les mois et les années. Et maintenant, c’était trop tard, elle était condamnée pour le restant de ses jours. Elle rêvait, un jour, de prendre ses affaires et de disparaitre.
Ce soir-là, Junko lui avait offert cette échappatoire. Cela s’était passé très simplement ; elles s’étaient mises d’accord presque silencieusement. Un regard avait suffi à la shinobi pour comprendre la souffrance de cette pauvre femme. Et, l’instant d’après, elle n’était plus. On lui reprocherait certainement son égoïsme : elle abandonnait derrière elle une famille complète. Mais parfois, il valait mieux penser à soi en premier. L’Uzujin s’était débarrassée du corps sans grande difficulté. Et, de toute évidence, il n’y avait pas grand-chose à en tirer. C’était un corps sans visage. Lorsqu’elle passa de nouveau la porte arrière de la taverne, le patron lui fit remarquer que sa pause avait été trop longue. Elle s’excusa platement et, réajustant légèrement son accoutrement, elle pénétra la salle principale. Personne ne lui prêtait attention – aux yeux de tous, elle n’était qu’une serveuse. Elle eut un sourire satisfait : son travail pouvait commencer.
Si la dame prenait autant de précautions, c’est qu’elle se trouvait sur le territoire du Pays du Vent. Elle n’avait pas grand-chose à faire des habitants de ce pays, à vrai dire, et elle n’était clairement pas là pour eux. Cela dit, elle préférait éviter tout conflit alors qu’elle était en mission d’infiltration. Sa cible se trouvait être un client occasionnel de cette taverne, aussi l’idée de prendre la place d’une serveuse lui était venue tout naturellement. En revanche, l’arrivée impromptue de toute une escouade de Sunajins, l’avait quelque peu inquiétée. Le « déguisement » avait beau être impossible à percer à jour visuellement, elle ne pourrait pas dissimuler sa réserve de chakra à un senseur. Mais alors qu’ils s’étaient dispersés, sans paraître dérangé outre mesure, elle poussait un soupir de soulagement. Le jour où elle se ferait pendre haut et court n’était pas encore arrivé. Elle avait donc continué à faire ses affaires dans son coin, sans plus se préoccuper d’eux – sinon pour remplir leurs verres vides quand il le fallait.
Cela aurait pu se terminer ainsi, simplement, si l’un des shinobis n’avait pas décidé d’attirer l’attention sur lui. Son attitude, depuis son entrée dans le bar, avait été assez claire : il était là pour se soûler la gueule. Au bout d’un certain temps à s’enfiler verre sur verre, il s’était mis à parler seul. Mais tant qu’il restait dans son coin, le patron semblait le tolérer. De son côté, Junko avait réussi, non sans mal, à s’attirer les faveurs de sa cible et elle passait le plus clair de son temps à lui tourner autour. Elle était presque parvenue à le convaincre de l’accompagner faire un tour avec elle, lorsque le Sunajin avait décidé de faire des siennes, révélant au grand jour son identité. Pour être tout à fait honnête, la dame ne le reconnut pas, d’abord. Mais comme les clients s’agitaient, la rumeur se propagea rapidement et elle capta quelques brides de leur conversation : il s’agissait du Haut Conseiller de Suna et celui-ci avait sa tête mise à prix. Vraiment ? Son sang ne fit qu’un tour. Elle lança un regard vers le reste de l’escouade – cela expliquait d’ailleurs leur présence, un peu à l’écart ; ils ne semblaient pas inquiétés, comme si le comportement de leur chef était prévisible. Mais, déjà, une idée folle germait dans l’esprit de Junko.
Soudainement, sa mission parut passer au second plan. On pouvait la comprendre, approcher le numéro deux de Suna avait un quelque chose de bien plus excitant que de s’occuper d’un malfrat de bas étage. D’autant plus s’il avait une place de choix dans le Bingo Book. Elle attrapa un pichet et s’avança vers lui, non sans un clin d’œil aguicheur vers ses soldats – ah, si seulement ils savaient. « Eh, il ne faut pas te mettre dans cet état, mon chou… » lui soufflait-elle à l’oreille, tout en lui resservant un verre. Puis, plongeant son regard dans le sien, elle passa tendrement une main sur sa joue, essuyant ses larmes avec douceur. « Qu’est-ce qu’il t’arrive ? » lui demandait-elle avec un sourire compatissant. Mais de la compassion, elle n’en avait pas. Et, lentement, elle faisait sombrer le beau blond dans ses terribles illusions.
Assis dans ma chaise, avachis sur la table, j’alterne entre mes verres et Aika. Que fait-elle ici, déjà ? Non pas que sa présence soit dérangeante. Loin de là. C’est toujours un plaisir que de pouvoir lui faire la conversion, échanger avec elle. Néanmoins, c’est toujours aussi frustrant que d’être incapable de la prendre dans mes bras. Son esprit intangible est toujours à mes côtés. Je le sais. Je le sens. Pourtant, qu’est-ce qui peut me garantir que je ne suis pas en train de délirer ? En un sens, je pense savoir, au plus profond de moi, que c’est effectivement le cas. Qu’il ne s’agit là que d’une simple représentation projetée par mon esprit. Pourtant, je continue d’y croire. Pourtant, je continue de m’y accrocher, de savourer le moindre de ces instants, aussi irréalistes soient-ils. Bah, suis-je vraiment à blâmer ? Ma propre consommation d’alcool n’aide en rien, je le sais. Mais n’avons-nous pas tous un moyen de se raccrocher à la vie, un point d’ancrage pour ne pas (trop) perdre pieds… De quoi se souvenir agréablement, ne pas oublier. Se rappeler ce que cela fait d’être humain, d’avoir des sentiments. Ne pas abandonner son humanité, en somme. Malheureusement, il n’y a bien qu’en ces rares moments que je me sens de la sorte. Le reste du temps, je suis dépeint comme un homme violent, sanguinaire, amoral et à la cruauté inégalée. A tort ou à raison ? Probablement la deuxième option. La Sainte Patrie. Voilà ce qui a toujours justifié mes choix pour les douze dernières années. Si j’ai perdu celle que j’ai toujours aimé et que j’aimerai toujours, je n’en ai pas perdu mon but ultime ; faire perdurer et prospérer Suna la Belle, quitte à sacrifier moult innocents. La fin justifie les moyens.
Mais pour l’heure, la Grande Nation n’est clairement pas au centre de mes priorités. Ma fiancée. Voilà celle sur qui je me concentre, quand bien même rien de tout cela ne saurait être réel. Inconsciemment, je me suis renfermé sur ce songe, sur cette vision du paradis, me barricadant dans le mensonge et le déni. N’ai-je pas moi aussi le droit de profiter un peu de la vie et des quelques moments de bonheur qu’elle accepte de m’octroyer avec une parcimonie somme toute cupide ? Les dernières paroles de l’auburn n’ont de cesse de résonner et tournoyer dans mon esprit embrumé par toutes ces volutes d’alcool. Ma vue est floue, pourtant je continue de la voir avec une netteté frappante, presque fantasmagorique. Voguant de tribulation en tribulation, je ne semble plus capable de parler, ni même chuchoter. Machinalement, je vide les quelques dernières gouttes du pichet dans mon verre que j’empoigne, tremblant. Non sans difficulté, je l’appose contre mes lèvres alors que des larmes supplémentaires viennent rouler sur mon visage angélique. Et si, finalement, je n’étais qu’un vulgaire déchet, tout juste bon à briser ses soldats pour donne de quoi faire persévérer ses propres aspirations ? Et si j’étais véritablement le monstre assoiffé de sang dépeint dans le Bingo Book ? Et si je n’avais plus rien d’humain, si ce n’était les masques que je revêts en permanence ? Cela ferait sens, après tout. Ne suis-je pas la personne la plut haut placée de Suna, avachie dans une chaise, comme un sac, à m’enfiler verre sur verre tout en conversant avec un vestige du passé ? Comme si je n’avais toujours eu que cet exutoire…
Soudain, la serveuse (de laquelle je n’avais nullement manifesté mon intérêt) s’approcha de moi et remplit de nouveau mon verre. Sans me soucier des pleurs qu’elle peut entendre, je le bois dans son intégralité. La main toujours tremblante, je manque de le lâche à mi-distance entre mes lèvres et la table. Puis, mon regard alterne, cette fois, entre le contenant, la barmaid et celle qui a toujours fait chavirer mon coeur. Celle-ci me taquine, me lançant son clin d’oeil ravageur avant de sortir sa langue, comme elle en a toujours eu l’habitude. Impossible, je ne peux ne serait-ce que relever en roulant des yeux tant le poids du ressenti oppresse mon coeur et mon thorax. Mon rythme s’accélère à mesure que le temps passe, comme si cet organe allait rompre mes os. La tenancière se révèle être une jeune femme blonde. Légèrement plus âgée que moi, mais pas de beaucoup. En un sens, elle me rappelle légèrement Koko. Complètement alcoolisé, je parviens néanmoins à réaliser que c’est impossible ; nous sommes bien trop loin de Karawar et, même si c’était le cas, jamais son père ne l’aurait laissée s’éloigner du cocon et de l’établissement familiaux. Bah, encore le doigt taquin du Destin et du Hasard qui s’amusent à me presser de part et d’autre. Las, je soupire et tente de me redresser sur ma chaise, lentement, difficilement.
« Troublante ressemblance, hm ? Relève Aika. Je hausse sensiblement les épaules, bien au fait qu’il ne s’agit pas de celle que j’aurais pu confondre. Tu noteras quand même que les serveuses ont un faible pour toi, Akichou… Du coup, je vais te laisser, tu as bien mieux à faire que de parler avec une défunte… En espérant qu’il n’y ait pas de prochaine fois. »
Et elle tourne les talons, s’effaçant petit à petit, fantomatiquement. Si, l’espace d’un instant, j’ai réussi à ramener un peu de lumière dans ma vie, tout semble à nouveau s’estomper. Je ne vois plus rien, si ce n’est la serveuse. Vais-je pour autant arrêter l’alcool ? Non, bien sûr que non. A chacun sa faiblesse et son addiction. Son exutoire. Son échappatoire. Là, la jeune femme passe sa main ma joue et, pleine de douceur et de tendresse, se met à effacer les quelques larmes du moment. Son regard plongé dans le mien, sa question mit quelques temps avant de frapper mon esprit. Ce qu’il m’arrive, hein… A nouveau, je m’avachis sur la table et me ressers de moi-même. Sans me soucier de ma nouvelle soi-disant interlocutrice (bah, elle fait probablement ça juste pour espérer plus d’argent venant de moi ; comme si j’avais seulement besoin de ça pour flamber…), je m’enfile ce verre et respire lourdement. Le sentiment d’oppression se veut plus fort, plus véhément, plus puissant. Plus violent. C’est comme si mon torse s’était retrouvé dans un étau.
Et là… Tout s’estompe. Je perds totalement pieds avec la réalité. C’est probablement le verre de trop, celui qui me rappelle combien j’ai de remords et de regrets. Combien je suis vulnérable, fragile et brisé. D’un coup, c’est le néant complet. Je ne vois plus rien du tout, pas même la barista. Mon rythme cardiaque s’affole alors que je suis à la recherche d’un semblant de réalité. Mes mains tremblent avec la même intensité que la première fois que j’ai réellement eu peur… il y a plus de vingt ans. Néanmoins, les larmes semblent ne plus rouler sur mon visage. Les yeux secs, je continue de batailler dans le noir, à la recherche de quoi que ce soit pour me ramener sur terre. L’ambiance se veut lourde, malsaine, oppressante, morne. Je suis même incapable de décrire ce que je ressens… si ce n’est le désespoir. Mais si j’y suis d’habitude habitué, le ressenti semble amplifié, décuplé… C’est quelque chose que je n’ai jamais ressenti auparavant, pas même lorsque j’ai voulu attenter à ma propre espérance. Puis j’entends une voix féminine. Une voix que je ne connais que trop bien. Elle scande mon nom, comme à son habitude. Mais tout cela semble si loin, comme inaccessible… Hakase. Serait-ce le rayon de soleil nécessaire pour me faire reprendre le contact ? J’en doute ; je suis toujours incapable de la voir. Le temps passe et me donne l’effet d’être une éternité. Un roulement sempiternel durant lequel je ne ressens rien d’autre que le négatif, l’affliction. Puis j’aperçois une de ses mèches, au loin. Machinalement, et pour obtenir un peu de réconfort, je me lance à sa poursuite. Je n’ai qu’une envie : la prendre dans mes bras. Puis des flammes apparaissent, au loin. Du feu, oui. Et de l’or. De la poussière en masse. Hakase se retourne et je remarque du sang sur son torse et son abdomen. Des larmes coulent sous ses yeux et elle hurle mon nom, encore une fois. A la mort… Elle a été violentée, meurtrie. Mais elle n’est pas seule. Il y a aussi une petite tête blonde à ses côtés… Sena. Que font-elles ici ? Un rire tonitruant m’empêche de penser plus loin. Un rire démoniaque, le même que celui qui avait retenti sur les remparts du village alors que j’avais parlé d’orchestrer une purge pour nous débarrasser des maillons faibles du village… Senshi. Ce dernier s’empare de la longue chevelure de la plus jeune et la jette au loin, comme pris de pitié et incapable de s’en prendre à elle. Las, je tombe à genoux, dans le sable. Incapable de lutter, je rampe jusqu’à arriver à hauteur de la Kusaribe… de celle qui compte le plus pour moi, après Aika. Le constat est effarant, au-delà de nombre de cauchemars. Cette femme, pourtant si aimant et accrochée à la vie… s’est retrouvée poignardée et a plusieurs lames plantées dans le ventre et les flancs. Incrédule, impossible et désabusé, mon regard alterne entre mon supérieur et Hakase. Celui-là forme alors un mudras et l’achève.
« Non… Non… Les larmes refont surface et coulent avec la même violence que mes tsunamis. Hakase… Senshi… Je ne comprends pas… Je… Je tombe et m’étale dans ce qui semble être du sable. Pourquoi ? Je m’empare du corps inerte de la seule à m’avoir jamais compris, de la même manière que lorsque j’avais trouvé Aika, gisant dans son propre sang. Hakase… Hakase… Non, ne meurs pas ! Pas toi !!! »
Un déchirement. Mon coeur saigne abondamment, mon corps tremble de tout son être. Je suis incapable de me contrôler, de me calmer, de ne plus pleurer. Je refuse de croire que j’ai pu perdre les deux seules personnes qui ont toujours compté pour moi. Trop… C’en est définitivement trop…
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Cela avait été si facile qu’elle n’avait même pas eu le temps de trouver cela amusant. Il n’avait pas lutté, certainement trop abruti par l’alcool. Alors elle le regardait sombrer et éprouvait une certaine déception. C’était donc ça le second personnage de Suna ; c’était donc ce petit être fragile et tout tremblotant ? Sa mâchoire se serra avec violence, tandis qu’elle ne parvenait pas à refouler sa frustration. On parlait d’un ennemi ! A côté de cet enfant, même son Kage paraissait plus viril – lui qui était si doux, si soyeux, si… pacifiste. Cherchant à retrouver son calme, la dame inspira profondément avant de soupirer. C’était vrai, après tout, le Pays du Vent avait cette réputation de puissance élitiste et redoutable… Aussi s’était-elle attendue à un peu de résistance, un caractère plus fort et une volonté capable de vaincre l’illusion. C’était, très certainement, ce qui l’avait le plus attirée, sur le moment : l’idée qu’elle prenait un risque, qu’elle allait certainement devoir user de ses talents pour se sortir d’une situation alambiquée. Elle était simplement d’humeur à jouer avec le feu. Mais en avait-elle déjà trop fait ? Elle appuya sa tête sur son bras, regardant le beau blond en proie à ses démons. Non ; la réponse était non. Elle n’avait encore rien fait. Elle connaissait un homme, un Sunajin, qui s’était libéré de toutes les chaînes dont elle avait usé, qui avait défié ses illusions au point de les briser. Un homme qui l’avait détruite, elle aussi, par la même occasion. Comment pareille force de la nature pouvait-elle accepter de servir quelqu’un comme ce Kayaba Akihiko qui, à peine ivre, ne savait plus discerner l’imaginaire de la réalité ? Elle sourit tristement, car elle-même acceptait de suivre les ordres de personnes qui ne partageaient ni sa philosophie, ni son caractère. La vie était faite de mystères… « On a tous nos raisons, certainement. » songeait-elle amèrement, tout en caressant doucement la tête de l’homme, comme le ferait une amante. Il paraissait encore jeune, aussi elle se demanda vaguement ce qu’il pouvait bien avoir vécu pour que le Genjutsu des Mots Prononcés ait un tel impact sur sa psyché. Non pas que cela l’intéresse réellement, elle était simplement un peu curieuse, soudainement. En revanche, ce qui l’intéressait beaucoup plus, c’était tout ce qu’il avait à dire sur son Pays… Mais cela viendrait, elle en était certaine.
Comme il se mettait soudainement à balbutier, parcouru de soubresauts, elle se redressa. Hakase et… qui d’autre ? Il avait prononcé un second nom, mais elle n’avait pas bien réussi à entendre. Elle posa sa main sur son épaule, penchant la tête dans sa direction. Mais il répétait seulement « Hakase », au grand dam de la dame qui le secoua alors légèrement, comme pour lui enjoindre de faire un effort. Puis, d’un coup il se mit à crier et elle recula brusquement. Mourir ? Ah, il parlait d’une donzelle ! Et elle se rassit, soupirante. Évidemment, un jeune comme lui ne pouvait qu’avoir des peines de cœur – à moins qu’il ne s’agisse d’une sœur, mais cela revenait à peu près au même. Cela dit, la scène avait attiré le regard de quelques clients curieux, et les gaillards qui accompagnaient le blondinet avaient, eux aussi, relevé la tête sur le coup. Elle croisa le regard de l’un d’eux et, soudainement, se souvint du rôle qu’elle devait jouer ; femme sulfureuse aux lèvres pulpeuses. Il était vrai que son attitude la trahissait légèrement. Le soldat, visiblement plus inquiet que les autres, s’approcha de la table. Elle lui accorda un regard faussement indigné. « Bah quoi ? Une femme n’aime pas qu’on oublie son nom, vous savez. » Et, ce disant, elle se leva, posa doucement ses mains sur le torse de l’homme et eut une moue boudeuse. « Même une simple serveuse a le droit d’être jalouse… » Puis, déposant un baiser sur sa joue, elle ajouta : « Vous ne feriez pas ça vous, n’est-ce pas ? Vous avez l’air bien plus gentleman que lui. » Se retirant promptement, alors qu’il allait lui empoigner le bras, elle lui accorda un sourire et désigna le Haut Conseiller, qui sanglotait sur sa chaise. « C’est votre collègue, non ? Vous m’aideriez à le mener à l’étage ? Le patron va pas être très content s’il continue… Mais ça m’embête un peu de le mettre dehors comme ça, vous savez. Je vais lui trouver un coin tranquille. » Il n’y eut pas à discuter beaucoup plus longtemps, le brave garçon semblait lui faire confiance – ou peut-être la boisson et la tenue de la serveuse avaient-elles raison de sa lucidité. Il s’empara d’Akihiko, ignorant les gémissements de ce dernier, et suivit la belle jusqu’à l’escalier. Elle-même fit mine de vouloir l’aider à monter les marches, tout en insistant sur le fait qu’il était vraiment fort – mais bon Dieu, qu’est-ce qu’il ne fallait pas faire pour flatter l’ego de ces hommes ! Mais, plus que tout, elle s’assurait que le jeune homme ne prenne aucun coup malencontreux qui pourrait rompre l’illusion. Toute cette mascarade ne tenait qu’à un fil…
Une fois à l’étage, elle dégota une pièce tranquille à l’allure de cellier, et intima à son porteur improvisé de l’allonger délicatement sur un lit de fortune constitué de caisses de rangement. « T’es un amour ! » chuchota-t-elle au Sunajin, en minaudant. Puis elle prétexta la recherche d’une couverture, pour le chasser soudainement. « Je m’occupe de ça et je te rejoins… » ajouta-t-elle avec un clin d’œil. Oui, tout travail méritait récompense, bien sûr… A ceci près qu’elle ne redescendrait pas, à l’évidence. Effectivement, un tour de clef plus tard, elle s’assurait d’être enfin seule avec le Haut Conseiller. Le cœur battant la chamade, le sang sifflant à ses oreilles, la dame s’autorisait alors un instant de répit. Son rôle était difficile à tenir… Bien sûr, son métier l’avait déjà conduite dans pareils endroits, et elle était parfaitement lucide sur ce qu’il s’y passait et sur la façon dont se comportaient les femmes qui y travaillaient, tout ça pour pousser les hommes à la consommation. Mais elle… Elle était quelqu’un de particulièrement traditionnel, elle détestait le contact avec les étrangers et, plus que tout, elle ne comprenait pas l’intérêt que trouvaient les unes et les uns à flirter et jouer de leurs attributs. S’amuser ainsi avec les hommes était une épreuve, et si les mots qu’elle prononçait paraissaient couler de source, ça n’était que le fruit de son assurance et de sa capacité à faire illusion. Aussi était-elle soulagée et pas mécontente d’en être arrivée là sans trop de mal.
Finalement, elle s’approchait du blondinet. Peut-être n’était-il plus sous l’effet du Genjutsu… Fronçant les sourcils, elle regarda rapidement dans la pièce. Il n’y avait pas grand-chose qui lui permettrait de se défendre et, évidemment, elle n’avait pas son attirail de combat sur elle. Il lui faudrait donc employer les grands moyens, à défaut de trouver du fil suffisamment résistant. Elle eut un sourire ; les désagréments liés à son rôle de serveuse paraissaient soudainement bien loin, l’adrénaline faisait de nouveau effet, et elle s’en mordilla la lèvre inférieure. Doucement, elle s’assit aux côtés de l’homme. « Tu m’entends… ? » Et comme elle ne savait pas trop ce qu’il répondait, elle se risqua à poser une main sur le front du shinobi. « Tu peux m’appeler… Euh, tu peux m’appeler Hakase. Je vais m’occuper de toi, maintenant, d’accord ? » Et de la main de Junko s’échappait une grande quantité de chakra, qui s’infiltrait sournoisement en lui. Un sceau ; il ne se déclencherait pas tout de suite, voire même la dame n’aurait pas besoin d’en faire usage. Mais elle préférait prendre ses précautions. « Je ne suis pas morte. » ajoutait-elle alors. A l’évidence, elle cherchait quelque chose qui déclencherait une réaction, qui le ferait parler, sans vraiment savoir ce qu’elle en tirerait.