[Chronologiquement, ce RP se situe dans l'âge des Conquêtes, un mois avant le Festival d'Ombre et de Lumière de Baransu]
Treize années après la fuite piteuse des clans autrefois affiliés à Suna, dix années après la vengeance terrible de Senshi à leur égard ; en un peu plus d'une décennie, bien des choses avaient changée pour le Kazekage. Pourtant, d'autres persistaient : ses douleurs articulaires et son insomnie étaient toujours aussi vives. Afin d'oublier son mal, Senshi avait gardé l'habitude de grimper au sommet des remparts, afin d'apprécier le froid des nuits désertiques. Depuis quelque temps, sa femme l'y accompagnait. Hitotsubashi Fumiko, de son nom de jeune fille, s'était toujours portée garante de la maisonnée, afin de supporter son mari. Leurs enfants grandissaient bien et elle les élevait seule, afin d'en faire de braves citoyens de Suna. Leur garçon le plus âgé, Ganju — nommé après son grand-père — partageait déjà les bancs de l'académie avec sa soeur, Etsuko. Le plus jeune, Raiko, débordait d'énergie et donnait du fil à retordre à ses tuteurs. Senshi ne pouvait que remercier sa femme de son sacrifice. Avec les années, l'entente tacite du couple permettait à Senshi de consacrer tout son temps au village. Ses petites escapades nocturnes avec Fumiko étaient de rares moments passés auprès des siens. Le nuage de sable sur lequel le couple régent avait grimpé les déposa au haut des remparts. Silencieux, ils s'avancèrent jusqu'au bord du précipice et Senshi inspira un grand coup. Fumiko frissonnait et gardait les yeux bas, mais son visage rayonnait de bonté. Près de vingt ans séparaient les époux. Lorsqu'il partageait la couche, s'était généralement sans parole. Parfois, Fumiko laissait sa main se poser sur la joue de son mari ; après un raidissement d'appréhension, Senshi l'embrassait timidement. Ils se connaissaient peu, mais pour survivre ils avaient eu besoin de l'un et l'autre. Senshi ne se l'avouerait cependant jamais.
L'horizon commençait à briller d'un nouveau jour. La douleur au genou du Kage, qui l'irradiait le long de la cuisse, le fit grogner. Sa femme en profita alors pour signifier que les enfants se réveilleraient bientôt et qu'elle devait quitter. Senshi approuva d'une expiration lente et profonde. D'une nouvelle suspension du désert, le Kazekage fit descendre la Mère. Il se retourna ensuite vers l'immensité désertique et en dégusta les premières lueurs. Sous un coup de vent, il referma son grand manteau blanc sur son torse dénudé. Fumiko avait le don d'apaiser ses doutes les plus sincères, de part sa seule présence. Sa tranquillité d'esprit déteignait généralement une heure sur le Kazekage, avant qu'il ne soit pris de nouveau dans ses tumultueuses tâches administratives. Si elle l'apaisait lorsqu'il rentrait chez lui, d'autres alliés possédaient cette propriété d'accalmie. Kabaya Akihiko, son haut conseiller et homme de confiance, était de ceux-là. Jeune et dévoué au village, Senshi voyait en lui un fidèle loyal mais aussi un ami, un élève, voir un fils. Capable, il était un atout indéniable pour le village.
Senshi lui avait d'ailleurs donné rendez-vous au haut des remparts, ayant la flemme de redescendre. Lorsque son Haut-Conseiller arriva, le Kazekage était négligemment assis en tailleur, un coude sur sa cuisse et le menton sur son poing. Son attitude n'avait rien du grand homme de pouvoir qu'il était, mais cela importait peu. D'une main, il invita son ami à le rejoindre, sans toutefois détourner le regard du territoire ensablé baigné d'aube.
« Crois-tu qu'il serait pertinent que j'amène ma fille au festival de Baransu ? Je suis certain qu'Etsuko apprécierait de sortir un peu de ce trou perdu... » dit-il d'une voix lasse, soudainement inhabituelle pour lui ; puis un sourire. « Akihiko, mes enfants se portent-ils bien ? »
Gérer le village d’une main de fer, seul un homme en était capable ici bas, à Sunagakure no Satô. Ayant toujours privilégié sa vie politique et la direction de son village à sa vie clanique, le Serika avait, de fait, également laissé sa famille de côté. Ou plutôt, en partie. Bien sûr qu’il était toujours (du moins, quand il le pouvait) aux côtés de sa douce et heureuse femme. Mais cela n’était pas suffisant, au point qu’il faisait souvent appel à son fidèle bras droit, numéro deux et conseiller en chef pour l’épauler dans l’épanouissement personnel et psychomoteur de ses enfants. En un sens, on pouvait dire que Kayaba Akihiko était l’homme à tout faire du village. De la main de l’ombre qui n’avait pour unique but que de se défaire des oppositions (fussent-elles politiques ou juste physiques) de Suna au chaperon qui s’occupait également des progénitures de l’Or, le blondin touchait à tout, de loin ou de près, dans la vie de Senshi. Il n’était d’ailleurs pas rare que les deux personnalités importantes de la nation ne se rencontrèrent aux premières lueurs de l’aurore, peu de temps avant de rem brayer sur une nouvelle journée sans avoir fermé l’œil de la nuit. Tous les deux aussi dévoués l’un que l’autre pour la Sainte Patrie, il n’était pas étonnant qu’un certain lien ne finît par naître entre eux. Akihiko avait toujours considéré le Shodaime Kazekage comme son illustre mentor, mentor qui lui avait tout appris de la politique et des ficelles à tirer selon telle ou telle situation. Mais plus le temps était passé et plus leur lien s’était resserré. Mentor, c’était une autre chose. Mais le Serika était aussi un de ses rares amis, à un tel point qu’il aurait pu le considérer comme un père si son enfance ne lui avait pas broyé toute envie de retrouver une quelconque figure paternelle digne de ce nom. Aussi sa cantonnait-il à considérer le grisonnant comme son ami le plus proche, mais aussi le plus fidèle… et le plus à même de le comprendre. En partie, tout du moins.
Ce jour-là, le blondin n’était pas de corvée administrative. En effet, son supérieur direct voulait passer un peu de temps avec sa femme, au plus haut des remparts qui dominaient la nation cachée du sable. Aussi avait-il été mandaté pour s’occuper un peu de ses marmots et faire son boulot de père par substitution. Aussi, tout le monde y retrouvait son compte car, par Amaterasu ne savait quel moyen, le Haut Conseiller semblait être (un peu trop) aimé des enfants de son vieil ami. Ils réclamaient souvent après sa présence et avaient même la fâcheuse tendance à l’appeler « tonton »… Ce qui était un poil déstabilisant et gênant pour le bellâtre qui avait tout sauf l’étoffe de prendre des bambins à charge. Il était un de ces hommes de terrain qui n’avaient cure de revenir au lendemain d’une mission. Tout ce qui lui important était l’avenir et la prospérité de Suna (ainsi que les intérêts du dénommé Serika), ni plus ni moins. Alors fonder une famille ou être une figure importante d’une qui n’était présupposément pas la sienne… C’était tout à fait inconcevable à ses yeux. Mais les ordres étaient les ordres, aussi n’avait-il d’autre choix que de s’y plier. Imaginez s’il venait à avoir une fille. Quelle blague. Finalement, les lueurs du soleil vinrent doucement chatouiller les vitres de cette humble demeure (qui aussi était la plus imposante du village ; n’était pas Kazekage qui voulait…). De ce fait, le conseiller savait pertinemment que Fumiko ne tarderait pas à rentrer et prendre le relais. De toute manière, les enfants n’allaient pas non plus à ouvrir les yeux, et Akihiko préférait ne pas être là à leur réveil : ils allaient lui faire sa fête et le harceler pour qu’il jouât de ses jets d’eau pour leur faire plaisir. La fatigue ainsi accumulée risquait bien de le faire pencher du mauvais côté de la balance et, quand bien même avait-il les ressources nécessaires pour se battre dans un tel état, subir les assauts de trois mini-démons n’était pas dans ses compétences. Avec politesse, le blond s’inclina devant la maîtresse de maison, la saluant et lui souhaitant un e bonne journée avant de tourner les talons.
Maintenant libéré, il savait qu’elle était sa prochaine mission : rejoindre son cher et tendre Kazekage au plus haut des forteresses de sable érigées de manière à gentiment chatouiller les nuages (quand il y en avait). Mais hors de question de se pointer les mains vides. Ah ça non ! Aucun des deux n’avait pu se reposer en cette fraîche nuit, aussi le remède était aussitôt indiqué. Quoi de mieux qu’un peu de saké dans une bonne tasse de café pour se réchauffer l’esprit et les sens, et ainsi effacer la moindre trace de fatigue en ces hommes ravagés par le travail et les responsabilités ? Rien. En effet. Peut-être la bouteille de ce bon vieux et vénérable Jii-san mais… Ce n’était certainement pas la meilleure solution pour deux êtres à deux doigts de s’écrouler. Le blond fit alors un (léger) crocher par chez lui. De toute façon, son appartement était littéralement sur la route des remparts donc cela n’allait pas le mettre en retard. Il attrapa sa thermos et prépara le café tant convoité (et on ne parlait pas de bas de gamme ici, bien au contraire), qu’il s’empressa de verser dans le récipient une fois la mixture bien chaude. Dans un panier, celle-ci serait bien hermétiquement cloisonnée par quelques serviettes. Après ça, il attrapa une bouteille de saké importée de l’Enclave. Le meilleur qu’il n’avait goûté jusqu’à présent. Sans oublier les biscuits secs que tous deux appréciaient tant. De quoi se faire un bon petit-déjeuner. Quelques minutes plus tard, voilà que le Sunajin se trouvait aux pieds des remparts. Concentrant son chakra en sa voûte plantaire, il se hissa à la cime de ceux-ci, prenant grand soin de ne pas renverser son panier en osier. Là, il put percevoir un certain relâchement chez Senshi : assis en tailleurs, quasiment torse nu, le menton dans une main dont le coude était sur sa cuisse… Peu de gens pourraient se vanter de l’avoir vu aussi relaxé. Ce dernier invita néanmoins son ami à se joindre à lui d’un geste de la main sans lâcher l’horizon baigné de lumière du regard. Souriant légèrement, l’invité s’exécuta et prit à peu de choses près la même dégaine que son mentor. Il sortit sa thermos et remplit deux tasses avant d’y ajouter un peu d’alcool.
« De quoi te remonter, Senshi, déclara Akihiko en lui tendant une des tasses. Son interlocuteur lui exposa son envie d’emmener sa fille au festival d’Ombre et de Lumière de Baransu. A cet effet, le blondin posa sa main sur l’épaule du vénérable avant de sortir deux cigarettes. Je ne saurai te conseiller à froid. Il s’agit d’un festival sanglant… Les feux d’artifices ne sont pas vraiment leur spécialité… commença-t-il à expliquer en allumant sa Fleur du Mal. Je comprends néanmoins ta position et ne peux que t’encourager à faire visiter quelques contrées exotiques à Etsuko mais… pas ce festival. Il se racla la gorge. Tu sais, j’y suis moi-même convié. Laisse-moi jauger la température une fois sur place et je t’enverrai mes recommandations par la suite. Sait-on jamais, souffla-t-il, quelque peu méfiant à l’égard de ce qui pourrait se tramer aussi loin du village. Puis Akihiko hocha positivement la tête pour répondre à la question de ses enfants. Ils se portent on ne peut mieux ! Rit-il légèrement. Mais tu devrais faire attention, ils ont une certaine propension à commencer à m’appeler tonton, maintenant… A moins que tu ne veuilles faire de moi de ton frère adoptif, je crains que ça ne soit que trop peu légitime d’être appelé et considéré de la sorte, plaisanta-t-il finalement. »
La tasse de café irradiait de chaleur dans les paumes burinées du Shodaime. Le Kazekage accueillit le cadeau d'un rire goguenard. Parfois, Akihiko se montrait beaucoup trop attentionné ! Toutefois, il appréciait le geste et porta la tasse rapidement à sa bouche, afin de refroidir de son souffle le liquide brûlant. Les effluves alcoolisées lui montèrent bien vite à la tête. « Kanpai! » prononça-t-il, discret, avant de s'humecter les lèvres ; la chaleur chassa aussitôt les quelques frissons qui l'assaillaient.
La main qui se posa ensuite sur son épaule lui fit l'effet d'un calmant puissant — ou peut-être était-ce déjà l'apport du saké. Soudain, il avait la tête lourde et les épaules tombantes ; la douleur dans sa jambe s'était volatilisée. Serein, Senshi ferma les yeux. Il laissa le blond donner son avis et, pris dans un moment d'allégresse, ne fit que murmurer quelques sons pour signifier son écoute. Akihiko, malgré son jeune âge, possédait des capacités étonnantes de projection. Cela plaisait au Kage ; son Haut Conseiller était sans doute le seul homme capable d'exprimer des commentaires contraires aux idéaux de Senshi, sans qu'il ne soit réprimer. À l'odeur du tabac, le Serika rouvrit les yeux et récolta la cigarette que lui tendait son cadet, rieur. Le Maître du Désert ne consommait que très rarement, plus par innocence que par principe. L'alcool et le tabac étaient des matières de luxe dont il n'avait pas pu jouir dans son enfance. Certes, par le passé, les différentes alliances qu'il avait conclus lui avaient permis de partager des coupes à s'en donner mal au crâne... Mais depuis la fondation de Suna, Senshi ne trouvait jamais le temps pour s'asseoir et fêter ses réussites. Parfois, de bien maigres occasions se présentaient — souvent en présence du blondin — et chaque fois, cela le faisait sourire. Malgré la légende, l'homme le plus puissant du désert possédait encore quelques plaisir inassouvis... Le Shodaime était occupé à craquer son allumette lorsque Akihiko mentionna son nouveau titre. Senshi éclata aussitôt d'un rire tonitruant !
« Kayaba Ojisama ! Akihiko Ojisan ! » s'exclamait le Kazekage, de grandes claques dans le dos de son ami. « Mon petit Raiko doit déjà te prendre pour son père ! Attention à ne pas me voler ma femme ! » s'esclaffa-t-il. Puis sa gorge se noua et ses yeux se voilèrent. Il fourra son visage dans sa main pour masquer son remord. Ses épaules sursautaient encore de petits rires nerveux. « Tonton hein... J'en parlerai à Fumiko. »
Senshi se redressa. Dans son visage régnait une amertume profonde, qu'il tenta de chasser en tirant longuement sur sa cigarette. Cela le fit toussoter. S'il évitait le regard du Haut Conseiller, il enserra cependant l'épaule de celui-ci. Par sa poigne, il tentait de traduire toute la reconnaissance qu'il avait pour son ami. Une émotion bien confuse, qu'il ne pouvait exprimer que par des gestes rustres. Le vieil homme n'avait jamais été prompt à ouvrir son coeur. Parfois, il ressentait la peine que cela lui occasionnait. Le fossé qu'il creusait de jour en jour avec ses enfants était un poids qu'il se devait de porter. Une fois, sa femme l'avait surpris à observer sa fille endormie. Dans l'entrebâillement de la porte, les époux avaient partagé la culpabilité du père...
Le Kazekage termina bien vite sa cigarette. Les volutes de fumée se mêlèrent à la vapeur de son café, qu'il but de moitié avant de remplir à nouveau sa tasse. Il resservit également Akihiko, puis ouvrit le panier à la recherche des gâteaux secs — le blond savait comment le réconforter. Senshi grignota en observant l'horizon. Il espérait voir une tempête s'y lever.
« Akihiko... Je sais que je t'en demande beaucoup... Bientôt, nous entrerons dans une nouvelle phase d'expansion. L'esprit de Suna se meurt et nous aurons besoin de mener de nouveaux projets. Les peuples du désert ont longtemps dû se priver afin de survivre. Aujourd'hui, la Nation est enfin consolidée sous mon règne, mais je leur suis redevable. Je souhaite acquérir des sols fertiles où faire pousser des céréales, où faire grandir des élevages. Je souhaite que mon peuple puisse un jour jouir des mêmes bénéfices que ces faibles de Konohajins ou ces lâches d'Uzujins. Nous sommes des combattants, mon ami. Nous avons enduré les pires atrocités et nous avons survécu. Le Sekai nous appartient ! » déclama avec ferveur le Kazekage. « J'aurai besoin de tous mes alliés lors des conquêtes futures alors... Comment te portes-tu ? Dois-je m'inquiéter ? » La question posée avec douceur jurait avec le regard dur que porta le Shodaime à son Haut Conseiller.
Dès lors que le Kazekage eut accepté l’offrande, le cadeau de son fidèle serviteur, il se mit à rire fort et gravement, arrachant un léger sourire à ce dernier. La tasse fut portée au niveau de ses lèvres avant qu’il ne soufflât dessus pour faire refroidir le breuvage inédit. Puis tous deux trinquèrent avant que leurs œsophages distincts ne se réchauffèrent au rythme du liquide descendant inlassablement vers leurs estomacs. A présent, nulle fraîcheur ne pouvait venir à bout des deux hommes… car, oui, le désert jouissait peut-être d’un soleil de plomb et d’une chaleur à en faire s’évanouir les moins préparés, mais les nuits étaient aux exactes antipodes de la journée. De quoi à en faire tomber malade plus d’un ! Mais le duo nocturne était totalement au fait de ces risques, aussi s’étaient-ils toujours préparés à braver ces écarts de températures en toutes circonstances. Néanmoins, quand bien même étaient-ils plus proches que quiconque n’aurait pu l’être, les explications du Haut Conseiller furent seulement gratifiées de quelques onomatopées et différents sons. Au moins, il était écouté. En revanche, cela attestait bien des remords du Serika qui devait sans doute s’en vouloir de ne pas pouvoir être plus présent et à l’écoute de ses propres enfants, de sa propre famille. Akihiko n’avait pas ce soucis et ne l’avait jamais eu. Son père était un bâtard de première classe, en cavale depuis bien des années, tandis que sa mère… Il ne l’avait jamais connue, si ce n’était des cris, des gémissements, des pleurs, et la peau de son claquant contre celle de cette femme pleine d’amour lorsqu’elle se faisait battre et violer. Oui, le Kayaba était le fruit d’une union non consentie ; un fils de viol en bonne et due forme.
Peut-être avait-il été adopté, mais qui était véritablement au courant de cette histoire, de son histoire ? Senshi devait l’être, vraisemblablement. Si le blondin ne lui en avait pas parlé de lui-même, il ne faisait aucun doute que sa mère adoptive l’avait fait. Après avoir fuit le labo où son père menait quelques funestes expériences, la jeune pousse s’était vue contrainte à tomber d’une haute falaise, à travers une cascade. C’était là son seul salut pour espérer pouvoir survivre aux chiens de combats qui s’étaient élancés à sa poursuite. Fatalement, il avait chuté de haut, très haut et n’était pas le meilleur nageur qui existait. De fait, il avait été retrouvé au bord d’une plage des plaines désertiques, la gueule enfarinée dans le sable, à peine capable de parler. Et encore, parler était un bien grand mot… De ce qu’il se souvenait, il n’avait été capable dire qu’un seul mot, décliné en plusieurs intonations et aux voyelles inlassablement répétées : Hodor. C’était dans ces piètres conditions qu’il avait rencontré son meilleur ami, Fuwa Mahiro, et sa future ex feu fiancée, Fuwa Aika. Avant de crier l’inceste, il fallait savoir que seul Kayaba Akihiko considérait Fuwa Rea comme étant une mère adoptive. Sentiment réciproque, d’ailleurs. Et tout ça… C’était bien avant la construction du village de Suna. Autant dire que le lien entre eux avait été exponentiel et qu’il avait connu moult aventures.
Tous ces événements mis l’un au bout de l’autre faisaient que le conseiller était incapable de comprendre ce que cela faisait de ne pouvoir être présent pour les êtres tant aimés. Bien sûr qu’il aimait celle qui s’était occupée de lui pendant toutes ces années mais… Jamais il n’avait connu d’amour maternel. Pas le vrai en tout cas. C’était bien pour faire office de substitut quelques années mais cela s’était bien vite estompé. A présent, il la considérait comme une personne d’importance, qui avait toujours été là pour lui… Mais cela s’arrêtait malheureusement là, et il le déplorait bien souvent. Le blondin aurait tant aimé pouvoir lui rendre la pareille mais il ne savait tellement pas comment s’y prendre. Peut-être que Senshi saurait le conseiller… Quelle ironie au vu du rôle qui lui incombait. Mais cela pouvait faire du bien à tout le monde de voir les rôles s’inverser, n’aurait-ce été qu’une fois. Timidement, il sourit. Mais ce n’était pas comme d’habitude. Le bel éphèbe était en confiance totale et se sentait on ne peut mieux. Si la situation s’y prêtait, il y avait fort à parier qu’il serait capable de dire la vérité à son alter-ego auprès d’Aika. Mais ça… Il préférait ne pas y penser. Déjà que la seule image de cette dernière avait le pouvoir de lui faire instantanément monter les larmes… Il ne voulait pas se montrer aussi minable et pathétique auprès d’un homme aussi fort que le Shodaime.
Ce dernier le fit sortir de sa torpeur psychologique, ses différentes pensées s’évaporant lorsque sa poigne se referma sur sa frêle épaule. Son sourire se fit un peu plus marquer alors que le plus musclé des deux accepta le deuxième cadeau de l’Ombre de Suna. Cette simple action le confortait dans cette relation de confiance, allez savoir pourquoi. Ce n’était qu’une simple cigarette, au final… Comme le disait l’addage, c’était l’intention qui comptait. D’ailleurs, entre deux taffes, Akihiko avait annoncé comment les enfants du Saint Patron le voyaient… Ce qui provoqua aussitôt un rire tonitruant, perçant le calme absolu qui s’était installé dans le village. Heureusement pour eux, ils se trouvaient au plus haut des remparts, bien loin des premières habitations. Aucun risque que ce tonner de rigolade ne réveillât les pauvres âmes encore endormies ! En revanche, l’émissaire n’avait en rien prévu que ce rire serait ponctué d’énormes claques dans le dos… Dire qu’il avait déjà une faible constitution pour son rang… Mais il était chanceux, Senshi savait mesurer sa force, aussi sa santé ne fut pas mise en danger. Finalement, Akihiko se joint lui et rit de plus belle aux imitations incroyablement réussies. Bah, d’un côté, qui de mieux placé que le père des enfants pour les imiter ?
« Je t’assure que je ne suis qu’un simple tonton, ne t’en fais pas… Bien loin de moi l’idée de te voler ta femme en tous cas ! »
Pour appuyer les dernières paroles du Kazekage, Akihiko opina simplement d’un hochement positif de la tête. Cela valait mieux pour tout le monde, et surtout, il refusait d’être le commanditaire par omission d’un potentiel accident survenant dans la famille Serika. Il ne pourrait jamais se pardonner, à l’instar de ce qui était arrivé à Aika, si quelque chose venait à arriver à un des proches de son mentor. Il soupira doucement et laissa son interlocuteur reprendre la parole de plus belle. Pendant ce temps-là, il lui répondait par des hochements de tête ou de simples « Hm hm », manifestant un intérêt certain, quand bien même était-il de nouveau perdu dans ses pensées. Il aurait tellement de choses à lui demander mais ne se sentait pas de le faire. A la rigueur, concernant Rea, c’était simple. Mais lui parler d’Aika ? Impossible. Seules Nobushi et Hakaze étaient au courant, mais les circonstances étaient de mises. De toute manière, qu’est-ce qui pouvait garantir que Senshi en aurait quelque chose à carrer de ses sentiments ? Rien. Senshi le servit de nouveau, maintenant que les deux tasses avaient été bues. Puis il fut le premier à grignoter les quelques gâteaux apportés par Akihiko. Ce dernier le suivit finalement, avant de reprendre la parole à son tour.
« Nous devrons nous attaquer aux terres fertiles en premier lieu. Tout ce que je peux te dire sur ces dernières, c’est qu’elles appartiennent, ou appartenaient, à un certain Don Geki, et que la mafia y fait sa propre loi. Notamment une certaine Okiko… Mais, si caressée dans le sens du poil, cela ne sera pas un problème. Il marqua une courte pause avant de projeter le plan qu’il avait déjà en tête. Je suggère de nous attaquer à la Côte d’Omui en premier lieu. C’est ce qui nous permettrait de nous approcher des plaines le plus rapidement, et surtout le plus directement. De plus, nous pourrions avoir un accès certain et privilégié au port, de quoi avoir une longueur d’avance sur Uzushio. Sans oublier que nous pourrions peut-être y gagner à avoir la main mise sur les flux maritimes, autant à l’export qu’à l’import… Il se leva et pointa l’horizon du bout de l’index. Le Sekai et l’avenir nous appartiennent, Senshi ! Nous donnerons tout et seule la Mort sera capable de nous en empêcher ! Et voilà, la conquête l’avait de nouveau galvanisé. Il se tourna vers son supérieur et planta son regard océan dans le sien. Tu peux en être certain, Senshi, je serai à tes côtés. Quoi qu’il arrive ! Il s’assit de nouveau alors qu’on venait de lui demander s’il se portait bien. Il soupira longuement et but son café saké d’une traite avant de s’en servir de nouveau. Besoin de courage… grommela-t-il, espérant que le Kage ne l’entendrait pas. Je vais… bien, j’imagine. Il soupira et marqua une longue pause, encore une fois. Cherchant les mots avec parcimonie, il jouait avec sa fumée et créait des formes toutes plus complexes les unes que les autres, jusqu’à ce qu’un coeur n’émanât de sa propre bouche. Contre son gré. A vrai dire, je pense avoir des conseils à te demander… Il replia ses genoux, posa ses coudes sur ces derniers et vint enfouir sa tête entre ses bras, sentant les larmes lui monter. Il y a une femme qui a fait tout ce qu’elle pouvait pour m’élever, tu le sais… Fuwa Rea. Et j’aimerai lui rendre au centuple mais j’en suis incapable. Je ne sais pas comment faire. Je suis incapable de savoir ce qu’est l’amour maternel, Senshi. Il ravala ses sanglots et déglutit, tentant de dégager toute faiblesse et tristesse de sa voix. Quelle ironie. Le Haut-Conseiller, prodiguant des conseils de tous les domaines qui soit à la force armée de son village, réduit à demander des conseils personnels… Il se mit à rire jaune, nerveusement. Bah, je ne t’en voudrai pas si tu ne veux pas me répondre. Après tout, ce sont des soucis qui ne me regardent que moi. »
Senshi avait posé les bonnes questions, mais maintenant il les regrettait. Le marasme qui étreignit son ami fit l’effet d’une douche froide ; la fatigue et l’enivrement disparurent aussitôt. Le fidèle bras droit du Kazekage s’était recroquevillé dans une attitude de petit garçon, qui laissa au café un goût amer. D’un geste lâche, Senshi jeta le reste de sa tasse qui s’éparpilla au vent. Soudain, son regard ne chercha plus la tempête, mais une quelconque surprise afin de lui permettre de s’éclipser. Il ne trouva rien dans l’horizon, autre que la terrible honte d’être pris au dépourvu. Il grinça des dents, alors qu’il se sentait trahis. Un moment de silence pesa sur les deux hommes. Les épaules du vieil homme se raidirent et il plissa du nez, seul signe que son mal de genou était revenu. Il déglutit avec difficulté. Sa salive était acide.
« Quel lâche… » lança un Kazekage décontenancé ; l’insulte, bien que dite franchement, était plus pour lui-même que pour son Haut Conseiller.
Le Shodaime souleva sa carcasse et s’avança devant le précipice, à quelques pas seulement de tomber. Il inspira un grand coup, chassant le mal et accueillant le jour. Non, il ne pouvait éternellement fuir. Il fit volte-face. Akihiko sembla soudain minuscule, telle une fleur fragile que l’on devait traiter avec soin. Les traits durs du Shodaime ne trahir point l’image difficile qui lui vint ; devant lui, un jeune Senshi pleurait le sacrifice de Ganji, le héros et le père. Sa main s’avança alors et se posa brusquement sur la tête blonde. Le Kage n’avait que des mots durs à prononcer, mais il se racla la gorge afin de les chasser. Une nouvelle vague de douleur remonta de sa jambe et le fit trembler ; les mots s’expulsèrent d’eux-mêmes.
« Suna. Donne-lui Suna. »
Sa main se détacha du Jōnin et Senshi marcha vers le village qui lui faisait désormais face. Il passa Akihiko, traversa la distance qui le séparait du bord et se planta, immobile, en sentinelle au devoir indéfectible. Son regard portait loin et il voyait sans voir réellement les passants, les commerçants, les shinobis qui s’éveillaient alors. Soudain, il fut plongé dans ses souvenirs, à la fondation de Suna ; puis encore plus loin, à l’unification des Serika. Senshi observait des silhouettes sans-visage, des corps sans habits. Il observait des ombres, de vives lumières. Son regard s’éclaira et il tendit les bras. Il voyait un mouvement, une onde, un but. Dans son esprit, se dessina le sigle du village caché. Dans son esprit, se matérialisa…
« Suna ! » cria un Senshi ému. Après un moment, ses bras retombèrent et sa mine perdit de son éclat. Pourtant, sa voix était encore chaude d’émotions : « Un rêve… Akihiko, pour Fuwa Rea, offre-lui son rêve. Je porte au-devant le rêve de Serika Ganji. Je porte avec moi sa dernière passion. Lorsque je vous ai recueilli, tu te présentais à moi plein de promesse. Dans ton regard brûlait la volonté que je recherchais. » dit-il, d’un sourire. « Je t’ai entraîné, je t’ai vu grandir. Tu n’es plus le jeune homme d’autrefois… Tu… » Senshi s’interrompit, un nouveau voile venait de masquer ses traits. « Pour Suna, tu as souffert. Pour Suna, tu as versé sang et larmes. Pour Suna, toujours. « Mais pour une mère, aussi forte puisse-t-elle être, survivre à la mort de ses enfants est impossible. Akihiko… Rends hommage à cette femme, rends-lui justice. »
Le ton était dur, le ton était droit. Senshi avait cette voix du Père, cette voix qui commandait. Il laissa échapper un soupir sec. Il avait besoin de son Haut Conseiller. Il avait besoin du Patriote. Le garçon qui pleurnichait dans son dos, il se devait de mourir. Senshi l’étoufferait de ses propres mains. L’Ondoyante de Suna reprendrait de sa splendeur !
Je m'excuse d'avance pour le changement radical de style d'écriture!!!
my demons
Senshi & Akihiko
Si avoir un moment de faiblesse et vouloir succomber à ses sentiments, ne plus être capable de les supporter et vouloir les laisser filer au gré du vent est un crime, alors je plaide coupable. Coupable de mes propres démons qui n’ont de cesse de me han ter, coupable de l’amour qu’éprouvait Aika envers moi et de celui que j’éprouve encore pour elle. Coupable de penser éperdument à elle, coupable d’avoir été incapable de la protéger. Coupable de tout. Coupable de rien. Je ne suis que confusion à ce sujet, à peine capable de regarder sa mère – et donc ma mère adoptive – dans les yeux depuis cet événement. Neuf ans que je n’ai pas partagé un repas avec elle. Neuf ans que je n’ai pas été capable de lui dire plus que « Bonjour ». Neuf années durant lesquelles je n’ai pas été capable de lui apporter le réconfort dont elle a tant besoin. Je ne suis qu’un lâche. Senshi a dit juste. Je ne suis qu’un lâche. Mais un bon lâche : je ne fuis pas le combat. Je ne fuis pas les responsabilités liées au village. Je fuis ma vie. Mes sentiments. Les devoirs que m’incombent mes relations, mes proches. Je n’ai jamais été doté de cette capacité à subvenir aux besoins de quiconque, quand j’y réfléchis. Mon père m’a privé de cette volonté dès ma naissance et a, à s’y méprendre, coupé une partie de moi-même. Une de ces onces qui pouvaient faire de moi un homme accompli, il me les a enlevées.
La tête enfouie dans mes bras et genoux, je ne peux pas voir ce que fait Senshi, ni même lire les macro-expressions de son visage. Je ne peux donc savoir s’il est déçu de moi présentement ou s’il me comprend. Mais à en croire ce qu’il vient de me dire, je me doute que je suis effectivement bien au-dessous de ses exigences et… J’en suis navré. Je ne devais pas craquer de la sorte en sa présence. Non… Je me dois d’être indéfectible, vaillant et toujours combatif. Certainement pas une loque dévorée par ses sentiments, remords, regrets et démons. Pas devant celui qui se donne tant de mal pour maintenir le bateau à flots. Je ne le vois pas bouger, je ne vois pas son visage. Mes yeux sont masqués. Mais mes oreilles, elles, sont toujours actives, à l’écoute. Aussi je l’entends déglutir. Cela lui semble compliqué, comme s’il y était rebuté. Comme si cette salive était acide au point de contenir toute son aigreur du moment, de sa vie. Un signe qui en annonçait beaucoup d’autres… Puis le craquement de ses os, notamment de sa jambe, sonna comme le glas mortuaire et sempiternel qui nous attendait tous. Le Kazekage se lève et ses pas retentissent sur les tuiles, sur le haut de ces remparts. Il avance jusqu’au précipice qui s’offre à lui et semble se raviser avant de revenir vers moi après avoir inspiré longuement. Lourdement. Comme s’il tentait de chasser un quelconque mal qui sommeillait en lui. Quelque chose s’agrippe à mes cheveux. Une poigne aussi puissante et violente, comme viscérale. Même si nous avions été plus de deux, je l’aurais reconnue avec la même aisance. Celle du Shodaime. Sa jambe le fait souffrir, je le sens ; il tremble de tout son être alors qu’il vient de se racler la gorge.
Il s’apprête à parler.
Suis-je prêt à entendre ce qu’il a à me dire ? Bah, si je me suis confié, c’est que je le suis, j’imagine. Peut-être que je suis prêt à entendre les paroles les plus cinglantes et dures qui soient. Peut-être que je peux les encaisser, même les prendre avec le sourire. Mais… Suna ? La lui donner ? Je ne comprends pas. Alors je relève la tête et chasse mes larmes d’un revers de la main. Mon regard océan est plongé dans le sien. J’essaye de l’analyser et de comprendre où il veut en venir, mais rien ne me vient. Tout est flou – tout comme ma vision. Quel est donc le message caché derrière ses paroles ? Que je lui donne tout ce dont je suis capable ? Car c’est ce que je fais pour Suna. Serait-ce donc le message caché de mon mentor et père ? Sa main s’éloigne de ma chevelure dorée alors qu’il marche de nouveau vers le village, observant les quelques ombres et silhouettes matinales qui se lèvent en même temps que le soleil commence à nous baigner de sa chaleur.
« Suna… Je marmonne. Lui donner Suna, je répète encore, presque sempiternellement. »
Puis je me tourne vers le vénérable. Je le vois tendre les bras. Je vois un être fort, indéfectible, infaillible, galvanisé par l’amour seul qu’il peut porter à sa nation. Un amour si pur et profond… Bien plus que celui qu’il peut porter à sa propre famille, à son propre clan… Aux fruits de ses entrailles… Puis je réalise. Je n’ai pas à me morfondre dans mes soucis. Je dois aller de l’avant, les mettre de côté. Ne plus me préoccuper de ce que je peux ressentir et mettre toute cette énergie inutilement gaspillée au service de Suna. Non pas que je ne le fais pas, mais maintenant, je me dis que ce n’est pas suffisamment. Je suis capable de tellement plus. De voir plus loin , de porter mes projets et efforts plus loin, d’être tellement plus fort… Je me dois de prendre exemple sur Senshi. Mais en ai-je seulement les épaules, la carrure, la force ? J’en doute, parfois. Non… Souvent. Depuis la mort d’Aika, j’ai perdu toute confiance en mes capacités à oeuvrer pour le bien de ceux qui comptent pour moi et que j’aime – Suna en fait bien évidemment partie. Vais-je y parvenir ? Seul l’homme qui se dresse dos à moi serait capable de me le dire mais je ne veux plus l’importuner avec mes états d’âme, mes coups de mou. Mes instants de faiblesse. Je me lève et le Serika reprend la parole, la vue toujours tournée vers le village qui reprend, petit à petit, vie. Offrir son rêve à Rea, hein…
« Senshi… Je me relève et souris. Faiblement, mais je souris. Huit ans durant, j’ai cherché le moindre indice pouvant me mener à la pièce manquante du puzzle. Pendant toutes ces années où tu m’as laissé carte blanche pour le retrouver, je n’ai cessé de chercher de quoi expliquer cette disparition. Sa disparition. Je sors une nouvelle cigarette et l’allume, puis je reprends une tasse de café au saké que je m’empresse de boire d’une traite. J’ai infiltré nombre de groupuscules, en ai démantelés d’autres. J’ai même réussi à m’approcher du Lycoris et m’obtenir leurs faveurs. Je me suis affranchi de la plupart des contraintes liées à mon rang, fût-il politique ou de Shinobi. Et pourtant, je suis revenu les mains vides. Bredouilles. Penses-tu que je sois encore capable de mettre le doigt dessus et que Rea puisse encore vouloir entendre ce que je pourrai avoir à lui dire ? Je m’approche de lui, la fumée qui sort de ma bouche s’amuse d’elle-même et prend quelques formes toutes plus complexes les unes que les autres. Est-ce que je commence à désespérer ? Je hoche la tête, de haut en bas. Oui. Probablement. Mais vais-je abandonner pour autant ? Pas le moins du monde. Je reste et resterai toujours à l’affût du moindre indice, de la moindre piste. Tu sais aussi bien que moi que lorsque j’ai une idée en tête, je ne l’ai pas ailleurs. Je souris jusqu’aux oreilles, ma détermination revenant, et m’approche de cette Force même. Je lui enserre l’épaule, à mon tour. Je vais te chanter une chanson. Une chanson en laquelle je puise quotidiennement ma force et ma détermination. J’espère que cela sera suffisamment bien pour toi. »
Je m’écarte de lui et prends place sur un de ces remparts qui surplombent les autres. D’un mudra, je fais apparaître ma parfaite copie, cet Akihiko bis chantera les choeurs. Puis, à l’unisson, nous nous raclons la gorge. Poing refermé sur le torse, l’autre dans le dos, je ferme les yeux et m’apprête à chanter ceci pour toi, Aika.
« Mayday ! Mayday ! The ship is slowly sinking They think I'm crazy but they don't know the feeling They're all around me, Circling like vultures They wanna break me and wash away my colors Wash away my colors
Take me high and I'll sing Oh you make everything okay (okay, okay) 'Kay (Okay, Okay) We are one in the same Oh you take all of the pain away (away, away) 'Way (away, away) Save me if I become My demons
I cannot stop this sickness taking over It takes control and drags me into nowhere I need your help, I can't fight this forever I know you're watching, I can feel you out there
Take me high and I'll sing Oh you make everything okay (okay, okay) 'Kay (Okay, Okay) We are one in the same Oh you take all of the pain away (away, away) 'Way (away, away) Save me if I become My demons
Take me over the walls below Fly forever Don't let me go I need a savior to heal my pain When I become my worst enemy The enemy
Take me high and I'll sing Oh you make everything okay We are one in the same Oh you take all of the pain away
Take me high and I'll sing Oh you make everything okay (okay, okay) 'Kay (Okay, Okay) We are one in the same Oh you take all of the pain away (away, away) 'Way (away, away) Save me if I become My demons
Take me high and I'll sing Oh you make everything okay (okay, okay) 'Kay (Okay, Okay) We are one in the same Oh you take all of the pain away (away, away) 'Way (away, away) Save me if I become My demons... »
Akihiko l'avait rejoint au bord du rempart et ils observèrent, côte à côte, l'éveil du village, alors que son Haut Conseiller lui rappelait la sordide affaire de la jeune Aika. Une enquête irrésolue dont huit ans n'avaient pas suffis au blond pour retrouver les assassins de la jeune femme. Le remord qu'exprima son élève avait réveillé une sourde colère, qui monta des tripes du Shodaime pour lui serrer la gorge. Sa mâchoire se crispa et ses sourcils s'abaissèrent. Pour Senshi, aussi pragmatique que pessimiste, les assassins étaient depuis longtemps partis. Le Kazekage n'avait cependant jamais eu le courage d'avouer sa plus profonde pensée à son ami. Il avait cru bon, plutôt, de lui laisser le temps d'accepter la fatalité ; certes, Senshi lui avait donné carte blanche, mais il n'aurait jamais cru la douleur encore vive, après tant d'années. De par sa grande expérience, le vieil homme avait rencontré bien des hommes aveuglés par des désirs inavouables, emprunter des chemins qui menaient dans des abîmes insondables. Akihiko était désormais l'un d'eux. Senshi regrettait toujours de les voir partir à la dérive ; lui-même, dans son idéalisme le plus absolu, courrait encore dans les traces de l'immuable Ganji. Parfois, la honte et la crainte l'assaillaient, l'étouffaient et il s'éveillait en sursaut la nuit, à combattre des ennemis du passé. Fumiko lui disait d'ailleurs, dans ces moments de torture, qu'il vieillissait soudainement et devenait un homme mauvais. La colère, celle-là même qui mouillait sa couche de sueur, chassait ses mauvais rêves et allégeait ses doutes, mais lorsque présente, les traits du Shodaime devenaient ceux d'un démon. L'ire protectrice était née le jour du sacrifice de son père adoptif. Encore immature, elle avait, tout comme Senshi, enlaidie avec les années. À la fondation de Suna, elle avait volé le panache des cheveux du Shodaime ; à la trahison des clans, elle avait ridée son visage. En quinze ans, l'ire avait complètement clôturé le cœur du vieil homme dans une cage de granit. Aussi, lors du discours du blond, le Kazekage eut ce tremblement dans son genou, ce pincement à l'estomac, ce mal aux tempes qui caractérisaient sa colère. Soudain, il sentit le remord le peser : Suna, aussi idéale puisse-t-elle être, n'était pas parfaite. Bien des défauts l'accablaient, dont cette pègre qui, à la fondation, s'était immiscée en son sein. Désormais, les corps policiers chassaient avec brio les différents groupuscules criminels qui tentaient de s'enraciner dans le village... Toutefois, ces failles dans la sécurité du village teintaient le Rêve de Senshi et l'ire, de plus en plus méfiante, bâtissait une forteresse impénétrable en retour.
Le Shodaime s'était perdu dans ses fabulations. Il revint tranquillement à lui alors que les deux Akihiko chantèrent les derniers couplets. Son esprit était encore embrumé, mais sa colère s'était endormie. Senshi inspira un grand coup, alors que la chanson du blond se terminait. Les mains dans le dos, le soleil plombait désormais le haut des remparts et le froid n'était plus qu'un vieux souvenir. Le vieil homme se sentit habité d'une force nouvelle.
« Ta voix est belle, Akihiko, mais tu ne pourras pas éternellement chanter pour chasser tes peines... Lorsque viendra la dure vérité, lorsque tu comprendras enfin la raison du meurtre d'Aika, chanteras-tu ou crieras-tu ? » Le regard du Shodaime brillait d'une lueur lugubre. « Toi qui partage bon nombre de mes angoisses, tu es sans doute le seul à comprendre mon sentiment et mes remords face au village. Pour construire Suna, j'ai fait bien des sacrifices Akihiko. Un jour, il faut abandonner une chose pour en retrouver une autre... » Dans sa voix régnait un malaise, comme toujours lorsque Senshi tentait d'exprimer ses pensées les plus intimes. Il cherchait ses mots. Akihiko parviendrait-il tout de même à comprendre ? « Tu ne pourras pas toujours te permettre de quitter le village... »
Senshi se tourna vers le jeune homme. Sa vision de lui avait changé. Il faisait de nouveau face à son Haut Conseiller ; le garçon pleurnichard était parti. Ainsi, la chanson chassait bel et bien les remords.
« Bientôt, nous partirons en guerre, Akihiko. Tu es trop jeune pour comprendre, mais tu verras que si l'ombre d'Aika t'y accompagne, Fuwa Rea devra pleurer la mort d'un autre de ses enfants. Nous ne sommes pas éternels. Seule Suna l'est. Lorsque le Sekai nous appartiendra, je serai sans doute très vieux... Ma postérité pourra alors jouir d'un monde sans faim, d'un monde sans guerre. Aucun assassin ne viendra enlever des petites filles. C'est ma promesse. Mon seul objectif. Personne ne pourra m'arrêter. Pas même toi. Pas même moi. »
Je chante la majeure partie de cette chanson tandis que mon clone n’intervient que sur les choeurs et pendant le refrain. J’ai les yeux fermés et me concentre pleinement, ne faisant même plus qu’un avec la nature qui m’entoure. Le froid, le vent qui fouette mon visage, ma crinière qui s’emmêle au gré des hululements du Divin… Je ressens la moindre intervention, comme si une transe s’était emparée de tout mon être. Une fois la chanson finie, je pousse un long soupire. Je ne suis pas blasé. Je ne suis pas désespéré. Je ne suis pas las. Je suis juste soulagé. Soulagé d’avoir pu éconduire mes craintes les plus profondes, d’avoir pu, même si cela n’avait duré qu’un temps, être moi-même en la présence mon ami. De mon père. De mon mentor. De cette figure d’autorité qui représente le giron paternel idéal. Je ne puis me permettre de le décevoir à nouveau. Je me dois d’atteindre la moindre de ses espérances, d’être à la hauteur de ses exigences. De faire tout ce dont je suis capable pour satisfaire ses idéologies et me montrer digne de la confiance dont il m’accable, digne de tout ce qu’il a pu faire pour moi. Digne de Suna.
Puis j’ouvris les yeux. Quelle vue magnifique que de voir le soleil se lever, gratifiant les premiers remparts de ses rayons immuables, caressant chaque silhouette de sa resplendissante chaleur, un peu à la manière que nous avons de caresser le moindre fantasme, le moindre espoir, le moindre rêve, la moindre envie, le moindre désir. La vague de froid qui s’était installée durant la nuit se voit être chassée. La lueur commence à nous baigner tous les trois alors que Senshi revient vers moi. A son regarde et la lueur dans ses yeux, je peux voir qu’une nouvelle force l’habite. De nouvelles convictions, de nouveaux projets. Un Serika renaît et tente de laisser son spectre au creux des mains de ses propres démons, s’en débarrassant l’espace de quelques temps. Ma voix est belle, dit-il. Loin de moi l’idée de m’en vanter, mais il s’agit là de quelque chose que l’on me dit souvent. Véritables compliments ou villes flagorneries ? Il devait y avoir un peu des deux. Bah, l’hypocrisie était une qualité intrinsèque de l’être humain. Que celui qui n’en a jamais usé me jette la première pierre ! Mais fort heureusement, nombre d’Hommes foulant cette terre ont des valeurs qui ne sauraient être ébranlées par de simples accès de vilenies. A la manière du Shodaime, personne ne saurait être capable de les ébranler ou de ne serait-ce que faire flancher la volonté de ces personnes. Aussi mon interlocuteur vient de me dire que je ne pourrai éternellement chanter pour chasser mes peines. Je souris et m’approche de lui à mon tour, deux cigarettes entre les doigts. Je lui en tends une puis allume la mienne avant de lui faire passer le briquet. La question qui est posée est intéressante et je déplore un certain manque de réponse. Crierai-je ou pleurerai-je à l’écoute de cette noire vérité ? Je hausse les épaules et m’assois de nouveau. Je tends le bras et parviens à attraper la thermos. Je nous sers de nouvelles tasses et n’oublie pas l’accompagnement qui a tendance à nous désinhiber.
« Je ne chasse pas mes peines, Senshi, lui apprends-je. Je les calme, les endors. Je les anesthésie pour mieux me concentrer sur les tâches qui me sont confiées. La prospérité de la Sainte Nation est entre nos mains, et jamais elles ne passeront après mes états d’âmes. Tu en as ma parole, le rassure-je. Mais… je marque une courte pause. Je crierai de haine. De tristesse. Et enfin, je crierai de victoire et de vengeance. Alors oui, si crier est un crime, je plaide coupable. Et pour seule pénitence, je m’octroierai le supplice de chanter ses louanges, de chanter sa vie. Pour SA vie. Aika restera à jamais dans nos coeurs. Je me mets à chuchoter. Dans MON coeur… Je reprends un ton de voix normal. Nous nous devons de vivre pour les âmes tombées pour nous, n’est-ce pas ? En un sens, elles se sont également sacrifiées pour le village. Certaines plus que d’autres. Certaines ne s’y attendaient probablement pas et la jeunesse actuelle n’y songe pas le moins du monde. C’est à nous de leur inculquer le sens du devoir, de l’abnégation et du don de soi. Pour la nation. Pour le Pays. Je marque une pause plus longue, jouant avec la fumée qui caresse mes lèvres. POUR SUNA ! Je lorgne vers mon Kazekage et plante mes yeux océans dans les siens. Senshi, penses-tu qu’abandonner une vie soit juste ? Penses-tu qu’abandonner sa propre vie au détriments de tout ce qui peut nous faire plaisir ou envie soit ce que l’on mérite ? Penses-tu que jouer le script de notre vie, celui qu’on s’efforce de réinventer chaque jour soit une mesure viable pour nous, en tant qu’êtres humains ? »
La sempiternelle question de ma propre vie. Je suis conscient de ce que cela implique et des risques sur le long terme. L’intériorisation pour s’empêcher de souffrir… Quelle calinotade ! Cela ne fonctionne que sur le court terme. Mais une fois accoutumé, c’est un mécanisme plus autodestructeur qu’auto défensif. Et je parle en connaissance de cause, sachant que j’en fais les frais quotidiennement, si ce n’est pas à chaque instant de ma vie.
« Je suis conscient de mes tâches, devoirs et obligations, Senshi… Mais n’est-il pas important de devoir aussi veiller à ce que l’ordre soit rétabli, trouvant ainsi qui a osé toucher à un seul de ses cheveux ? Je ne cesse de le regarder. Notre époque est détraquée. Maudite fatalité. Que je ne sois jamais né pour la remettre en ordre ! Puis je détache un peu mes iris et souris de nouveau. A moins que tu n’aies un message plus insidieux à me transmettre… Je ris légèrement. Tu insinuerais que je me dois d’être présent en permanence pour m’occuper de mes nièces et neveux ? »
Bientôt, nous nous ouvrirons au terme. Bientôt, la guerre nous embrassera de toute sa fougue. Bientôt, nous gouvernerons sur le Sekai. Je suis très clairement au fait de tout ceci. Mais est-ce que cela m’empêcherai véritablement de céder à mes rêve fantasques ? Je ne pense pas. Rien ne pourra m’arracher l’envie de venger ma douce. Ma belle. Pas même la vie. Pas même le monde. Pas même Senshi.
« Le fantôme d’Aika est ma cape. Mon tout. Ma raison de me battre : pour plus jamais que cela n’arrive. Je refuse de laisser un tel être fouler encore une fois nos terres. Je refuse d’imaginer que cela pourrait de nouveau arriver. Cette sous-espèce doit s’éteindre. Aussi, ce voile fantasmagorique m’accompagnera éternellement. Dans la vie comme dans la mort. En conquête comme dans l’administratif. Au final, je ne suis jamais seul, et c’est exactement ce qui fait de moi l’homme accompli que je suis aujourd’hui. Je ne lésinerai jamais sur les moyens pour permettre à notre étendard de s’élever, d’être érigé haut vers la plus étroite et humide des terres. Plus jamais une pauvre enfant ne verra sa vie s’ôter dans le sommeil de ses parents. Je suis comme toi, Senshi. Je suis avec toi. Je suis toi. Et à jamais je te suivrai. Je ferme mon poing droit et le mets sur mon torse, tandis que le gauche se retrouve dans mon dos. Et que si je mente, cela fasse de moi un parjure ! Je m’écris. D’ailleurs… Je me rapproche un peu plus de lui. Qui de tes trois enfants se verra prendre le trône à ta place ? »
Akihiko était vaillant dans ses idéaux, toujours à rétorquer ce qu'il fallait pour assoupir les doutes du vieil homme. Lorsqu'il flanchait, un moment seulement lui était nécessaire pour se redresser et prouver sa valeur. À l'attention, tel un soldat bien entraîné, bien modelé, ce poing sur ce coeur et ce poing dans le dos était sans nul doute le salut le plus fier et le plus droit de tous les shinobis de Suna. Du coin de l'oeil, le Shodaime Kazekage apprécia cette posture, avant qu'elle ne s'effrite en un rapprochement plus sournois, dont seul l'Ondoyant de Suna en avait le secret. Une question bien simple, qui trahissait cette jeunesse naïve et nécessaire au Haut Conseiller. Qui de ses trois enfants ? Senshi eut un rire cynique. Sans doute pas Raiko, car trop jeune et beaucoup trop énergique. Lorsqu'il l'observait de loin s'époumoner à table, à fanfaronner sur ses exploits anodins réussis durant la journée, il percevait en son benjamin la fraiche et excitante nervosité qu'ont ces hommes curieux, à toujours dégager des malheurs le positif. Mais il resterait à jamais le plus jeune du trio. Ganju, l'aîné, était sans doute vu comme le prédisposé. Il possédait déjà de nombreuses qualités du leader, capable d'apaiser les propos tumultueux de son frère par son calme rassurant et d'aider sa mère dans les tâches journalières. Toutefois, la plus importante lui serait à jamais absente : l'assurance. Conscient de son rôle dans la famille, la confiance viendrait à lui manquer lorsqu'on commencerait à le comparer au Père. Senshi, pour son premier enfant, avait fondé trop d'espoirs sur sa progéniture. Finalement, sa cadette Etsuko à la bonté infinie. D'un oeil extérieur, elle serait sans doute la plus apte, avec les années, pour gouverner Suna. Pour Senshi, cela était inconcevable. Etsuko était sa fleur délicate au milieu du désert, sa perce-sable fragile. Dans les faits, Etsuko était beaucoup plus forte que ne pouvait l'imaginer le Kazekage. Jamais cependant le vieil homme ne le comprendrait. Ainsi, aucun de ses enfants ne reprendraient le trône après lui. Du moins, pas ceux que Fumiko lui avait donné...
« Aucun. » répondit-il à Akihiko, alors que son sourire s'étirait. « Mais ce ne sont pas les seuls enfants que je possède. » Son oeil brilla. « Es-tu de ceux qui convoite le poste ? » » fit-il, en allumant enfin la cigarette que lui avait donné Akihiko.
La fumée s'envola, enveloppa son faciès et pendant un simple instant, le Shodaime était devenu la silhouette d'un père bienveillant. Il porta sa tasse de caké à ses lèvres, sourcilla en soufflant le breuvage pour le refroidir et le but lentement. Il était particulièrement intéressé par la réponse d'Akihiko, bien qu'il se doutait déjà de l'orientation de son ami. Le blond était loyal, ce qui en faisait un allié remarquable. Toutefois, Senshi souhaitait parfois déceler une certaine dissidence dans ce garçon, pour y trouver un certain challenge.
« Et je suis encore loin d'abandonner mon poste. »
Si Senshi possède déjà une belle descendance, il n’en reste pas moins le Père de Suna. Non seulement par sa sacro-sainte promulgation au titre de Kazekage, mais parce qu’il est bienveillant envers la moindre âme qui y vive. Derrière ses traits de durs, ses habitudes de forçat et ses enseignements aussi éprouvants que ne peut l’être le Désert à lui seul, se cache un giron paternel implacable. Inébranlable. Indéfectible. Autant de qualificatifs tous plus forts les uns que les autres mais qui ne sauraient pour autant décrire avec précision ce qu’est réellement le Serika. Celui-là même que j’ai accepté comme figure patriarcale. Une des rares personnes en ce monde capables de me dire où aller ou quoi faire sans que je ne m’offusque ou que mon ego ne se retrouve blessé. L’unique personne à même de me comprendre et duquel je ne redoute aucune confrontation. Aussi la question de la succession me semble toutefois légitime. En tant que Haut-Conseiller, mais surtout, fils et ami de la figure de proue, il est de mon devoir de le guider vers l’avenir, vers le futur. Pas seulement pour lui. Pas seulement pour moi. Mais pour La Belle. Pour la Nation. La Sainte Patrie. Une fois Senshi disparu (et cela, hélas, arrivera tôt ou tard), il nous faudra quelqu’un capable de mener ce paquebot à destination, de mener les hommes et femmes d’une main de fer. Quelqu’un possédant les mêmes idéologies que celui-ci. D’aucun penserait que je saurai refuser le poste. Et pourtant… Devenir Kazekage ne m’intéresse pas plus que ça. Au contraire, même. J’aurai presque tendance à dire que je pourrai fuir les responsabilités qui sauraient m’incomber. Ma position actuelle me convient parfaitement ; je jouis d’une influence sans faille, et pas seulement au sein de nos murailles. J’ai pour ainsi dire tous les droits (ou presque) et peux me permettre de partir du village sans avoir de compte à rendre à personne. Ma liberté est immuable, alors pourquoi me cantonner à rester entre quatre murs ? Néanmoins, si vraiment Senshi le voudrait, alors je m’y plierai. Pour honorer sa mémoire et embellir tout ce qu’il a pu faire ces dernières années : il s’agit là de ma vocation.
Contre toute attente, aucun de ses enfants biologiques semblait propice au trône. Pour être honnête, je ne m’y attendais pas du tout. Pas même Etsuko ? Elle qui possédait une bienveillance infinie, et une intelligence au moins égale aux plus grands génies de ce monde (pour son jeune âge, bien évidemment)… Si j’avais dû parier sur quelqu’un, alors j’aurais misé tous mes Ryôs sur cette dernière. Au-delà de ces traits de caractères, la jeune fille était également très douée et bien plus forte que ses camarades du même âge. Sans compter ses aptitudes latentes et autres capacités sous-jacentes. Son père était-il seulement au courant de tout cela ? J’ose imaginer que oui. Néanmoins, il m’arrive parfois de penser que mon mentor ne veut pas voir certains aspects de ses engeances. Après tout, quoi de plus normal pour un père qu’espérer le meilleur pour sa descendance et tout faire pour les empêcher d’être blessés ? Suite à quoi, le dirigeant ajouta qu‘ils n’étaient pas ses seuls enfants. J’en conclus qu’il a déjà son idée pour la relève, celui ou celle qui sera à même de reprendre le flambeau, le gros bébé. Moi ? Bah, je le considère comme un père et lui me considère comme un fils. Cela faisait donc sens. Aussi, je lui souris brièvement, sans pour autant montrer ce que je peux ressentir. En un sens, je suis heureux d’être ainsi privilégié, de l’autre… Ce n’est pas forcément de cette manière que je vois mon évolution ou mon plan de carrière. Mais encore une fois, s’ils ‘agit là du désir ultime de Senshi… Alors je l’accueillerai à bras ouverts.
« Suis-je de ceux qui convoitent le poste… Répète-je doucement, murmurant presque. Je me rapproche de mon supérieur et reprends une posture plus relaxée, allumant une cigarette à mon tour. Si vraiment je me devais de le faire, alors oui. Mais pour l’heure, je suis de ton côté, Senshi, et tu sais que jamais je ne te laisserai prendre une mauvaise décision pour la nation. N’est-ce pas là mon rôle de Haut-Conseiller ? Je ris légèrement. Toujours est-il que tu n’es certainement pas prêt à donner le flambeau à qui que ce soit, et, pour l’heure, je ne vois personne qui soit capable de te succéder pleinement. Peut-être que mon avis est biaisé après t’avoir côtoyé pendant de nombreuses années, mais les faits sont là. Personne ne saurait diriger avec la même force que toi. Personne ne peut se vanter d’avoir le respect de tout un chacun ici bas. Je regarde alors le village qui se réveille un peu plus activement. A part peut-être quelqu’un dont l’abnégation est au moins aussi forte que la tienne, je plaisante d’un clin d’oeil. Je prends une courte pause et boit ma tasse de « caké », qui a maintenant refroidi. Par contre, si je peux me permettre un écart de conversation… Je soupire longuement. Il va VRAIMENT falloir faire quelque chose concernant la nouvelle génération. C’est de pire en pire. Tous plus empotés les uns que les autres. Est-ce vraiment de cela que se verra targuée Suna ? »
La réponse du Haut Conseiller était celle attendue par le Kazekage. Rien ni personne n'était plus prévisible que le blond lorsque venait le moment de parler des instances de Suna. Un peu las, Senshi termina sa cigarette et senti sa gorge s'enrouée. Il fit voler le mégot d'une chiquenaude, l’air enfantin de voir ainsi dégringoler les tisons le long de la muraille. Akihiko s'était rapproché et le sujet de la conversation avait bifurqué. La nouvelle génération et l’ancienne, débat auquel chaque shinobi aimait participer. C'était d'ailleurs dans ce contraste flagrant que puisait le Kazekage la plupart de ses insultes. Pourtant, alors que la lumière du nouveau jour réchauffait son dos, le vieil homme réagit peu. Quelque chose lui déplaisait dans l'affirmation du jônin.
« Lorsque la guerre frappera de nouveau, les jeunes apprendront ce que leurs ancêtres savaient avant même de marcher. » dit-il sur le ton de la confidence, les échos du passé masquant son regard. « Seule la guerre, Akihiko, seule la guerre... » s'interrompit-il, perdu dans ses pensées.
Son sourire s’effaça lentement, pour n'afficher qu'une mine neutre, voir désintéressée. La nouvelle génération était-elle réellement sans avenir ? Tu n'es pourtant pas si différent… pensa Senshi, au souvenir de sa première rencontre avec le garçon. Akihiko avait eu la chance de connaître le désert alors que Suna s’était érigé, en protecteur. Le village représentait alors l’espoir d’un avenir meilleur. Pourtant, un demi-siècle plus tôt, les hommes qui parcouraient le désert n’avaient qu’un seul but : survivre. Seuls les visionnaires – tel fut Serika Ganji et bien d’autres avant lui – pouvaient réellement se plaindre des générations futures, dans les mains desquelles ils confiaient leurs projets. Parfois, il arrivait à l’homme le plus puissant du désert, celui qu’on nommait en héros, le père de l’unique force ninja, de se sentir minuscule face à l’ambition qu’avait démontrée ses prédécesseurs. Cette pensée le taraudait – comme la peur pénètre les faibles – et s’il était rare qu’il remette en doute le chemin parcouru, Senshi doutait régulièrement de l’avenir. Il en revenait donc à cette opposition du passé au futur, de ce sempiternel débat sur la qualité la nouvelle versus l’ancienne. À franchement y penser, peut-être Senshi jalouserait l’espoir des jeunes ninjas, cet espoir qui les accompagnait depuis leur naissance.
Le Kazekage grogna. Cette question resterait, comme bien d’autres, sans réponse. Le brouillard de ses pensées s’éclaircit.
« Ils nous incombent de leur montrer la voie, Akihiko. Par Amaterasu ! s’ils sont aussi empotés que tu le dis, nous devrions faire une purge ! » tonna le Kazekage. « Peut-être devrais-je appointer un de mes conseillers, afin de survoler l’éducation de nos recrues. Ainsi, les résultats lui incomberont. Je saurai quelle tête tranchée s’ils me déplaisent. » siffla-t-il, le regard pernicieux. « Foutre de bijuu ! sommes-nous devenus laxistes au point d’en oublier la seule loi de notre Mère désert ? » criait-il.
La loi du plus fort prédomine. Toujours.
« Que seuls ceux capables de vivre puissent avancer sur le chemin que je tracerai ! Que les autres crèvent tels les chiens qui les ont mis au monde ! Plus aucun écart, plus aucun pardon. Seul Suna ! Seule la guerre ! »
La nuit est maintenant bel et bien terminée. Le firmament commence de plus en plus à nous réchauffer, jouant innocemment avec notre dos qui lui fait face. Aussi, les doses de caké ne semblaient pas nous faire effet jusqu’à ce que je me concentre un peu plus sur le faciès de Senshi. Non pas qu’il est de ceux sur lesquels tout se voit, mais je réalise combien son visage a changé par rapport au début. Enchaîner les tasses de café au saké (saké au café, plutôt) ne semble plus être un sport dont il serait le maître, au regard de son âge somme toute avancé. Aussi je souris légèrement à cette idée, satisfait de voir que j’arrive malgré tout à toujours tenir la cadence. Voilà bien un fait duquel il ne risque pas de se vanter ! Le Kazekage a toujours été une personne dont l’honneur, la guerre et l’ambition sont les principales essences, les principaux moteurs. Même au-delà de ça : il en est galvanisé. Il n’y a rien de tel pour le requinquer ou lui redonner toute sa rage de vaincre. Je m’en aperçois à chaque fois qu’il me parle de la guerre – et Amaterasu sait combien il aime en parler. Une fois n’est pas coutume, le voilà de nouveau lancé sur le sujet. A l’entendre, seule la guerre est capable de motiver les nouvelles troupes, seule cette dernière aura réveiller la prochaine génération. Ce que j’en pense ? J’ai d’énormes doutes, même si je comprends pourquoi il s’entête. Après tout, il a toujours été à la tête du village, aussi voir la seule Loi du Désert violée peut le décevoir, le débecter… quand bien même il ne le montre pas et fait toujours mine de placer un semblant d’espoir en nos petites têtes blondes.
« Je l’espère, Senshi, je l’espère… souffle-je en même temps que la fumée qui était coincée entre mes lèvres. Mais il faut aussi arrêter de nous voiler la face : regarde Senri, lui qui est tout de même supposé être la relève de la magnificence même du désert. De quoi est-il seulement capable ? Même son grand-père l’a renié ! »
Non pas que je suis dépité, je ne comprends juste pas les éats d’âmes de nos descendants. J’ai moi-même eu leur âge, je ne l’oublie pas. Néanmoins, je pense qu’avoir vécu hors des immuables murailles de Suna m’a apporté un bienfait considérable, quand bien même mon enfance est loin d’être la plus adaptée. Après tout, qui rêve d’être un fils de viol, de n’avoir jamais vu sa mère, de n’avoir entendu d’elle que les cris, gémissements et pleurs lorsque le paternel la battait ? Je ne sais pas même ce qu’elle est devenue, aujourd’hui. De plus, qui pense réellement que se faire enfermer dans un laboratoire, à voir des enfants crever à la pelle est mélioratif, tant sur le plan psychologique que physionomique ? Tous se sont sacrifiés pour moi, même s’ils étaient déjà condamnés du fait du cancer ainsi développé. Jamais je ne pourrai oublier cette instance de ma vie. Jamais je ne pourrai être heureux ou satisfait de les avoir laissés à leur triste sort tandis que moi je semblais avoir une chance de vivre heureux et bien. Mais j’ai réussi à fuir. Guère longtemps, mais j’y étais parvenu. Coursé par les gardes et chiens de traques, je suis finalement tombé nez à nez sur Don Geki qui me semblait être mon seul salut à l’époque. L’a-t-il été ? Je le laisse seul juge. En tous les cas, c’est lui qui m’a permis de pouvoir m’échapper de ces terres après avoir voulu me venger. C’est lui qui m’a pris sous son aile l’espace d’une soirée, c’est lui qui, cela vous déplaise, m’a fait commettre mon premier meurtre. De sang froid. Alors que je n’avais que six ans. Alors oui, j’estime que la relève se doit d’être un peu plus dure, de ne pas se reposer sur ses acquis ni de penser qu’il est normal de passer sa vie bien au calme dans son habitation !
En revanche, j’ai réussi à trouver une famille aimante. Ah ça oui. Un meilleur ami en or (quand bien même je regrette de ne pas passer plus de temps avec lui). C’est d’ailleurs cette famille adoptive qui m’a permis d’arriver à Suna et de gravir les échelons pour faire de moi l’homme qui se tient actuellement face au maître Serika. Alors, certes, je me suis bien débrouillé. Mais cela a également ses inconvénients et rares sont ceux à être au courant de mon histoire. J’ai eu une relation interdite avec Aika, la fille de ma mère adoptive (non, pas d’inceste, on se calme), qui ne m’a d’ailleurs jamais considéré comme son frère. J’avais réussis à la demander en mariage e à faire des fiançailles, juste entre nous deux. Mais plus tard, cette même fiancée s’est faite violer par mon géniteur, tout simplement, qui avait réussi à nous capturer dans la nuit. Sans oublier qu’il y a huit ans, elle a été retrouvée morte, gisant dans son propre sang, dans ses appartements. De ça, jamais je ne me remettrai. Surtout si je ne parviens pas à retrouver le moindre indice, même après tant d’années… L’espoir ? Je n’y crois plus du tout. Heureusement, Hakaze est tout de même présente pour m’empêcher de sombrer dans une sempiternelle folie, dans la démence. Mais cela ne suffit pas à me faire totalement garder pieds avec la réalité.
Finalement, mon ami, mentor et père spirituel me sort de mes pensées macabres, de mes démons à la simple mention d’une purge… qu’il me confie. Comme ça, au pied levé. J’arque un sourcil. Sérieusement ? Non pas que cela me déplaise, au contraire même. Je ne m’attendais simplement pas à ce que cela soit mentionné en de pareilles circonstances. Aussi je mets ça sur le compte de l’alcool ingurgité depuis quelques heures.
« A cet effet, je te rappelle que je m’occupe déjà de quelques nouvelles recrues. Ageha, notamment. Je souris et termine ma boisson chaude. Quant à la purge… J’ai peut-être une idée, plutôt que de simplement tuer pour le plaisir d’éliminer les faibles. Je m’approche de lui et appose ma main sur son épaule, fier et déterminé. Organisons un examen Chûnin dans les règles de l’art, où seuls les plus forts et méritants seront promus. Les autres resteront soit Genin, voire mourront. La Loi du plus fort l'emporte toujours. Qu’en dis-tu ? Propose-je alors avant de lui tourner le dos et de me rendre vers le précipice qui s’offre à moi. Je te laisse y réfléchir, Senshi. Le soleil se lève à l’instar du village et tes enfants ne tarderont pas à réclamer leur père, à défaut de voir leur oncle. Ta dulcinée doit aussi avoir envie de passer quelques instants avec toi, je lui glisse en guise de conclusion, préparant mon retour à la maison… afin de dormir quelques heures. »
Son discours fait, le Kazekage s'était lentement recroquevillé dans une léthargie digne de ceux qui buvaient trop. Il s'était immobilisé, la silhouette légèrement dansante au-dessus du précipice, l'oeil hagard et l'esprit embrumé ; l'alcool, le tabac et finalement le sommeil commençaient à vaincre l'homme le plus puissant du désert. Akihiko en profita pour s'avancer et proposer son objectif de former la jeunesse, ce que le vieil homme accueillit d'un sourire rêveur. Ah ! ce blondin était réellement un atout au dirigeant de Suna ; sans lui pour le réfréner dans ses ardeurs, la mort aurait plané sur Suna ! Bien qu'il maugréait quelque peu à l'idée de laisser vivre les faibles, le bougon Senshi décelait dans les paroles de son fils d'esprit une vérité qui le laissa pantois : il ne répondit point. Alors qu'Akihiko invitait le Shodaime à rejoindre les siens, Senshi porta un regard vers sa demeure sous des sourcils froncés. Le blond avait tord de penser que ses enfants le réclameraient, car depuis qu'ils pouvaient discerner la réalité, ils avaient compris que le Kazekage n'était pas bon père. Au rappel du titre que donnait Raiko au Haut-Conseiller — un oncle pour remplacer un parent absent — Senshi eut un serrement au coeur... Comme il aurait apprécié pouvoir couler sous les draps, serein, au côté de cette femme trop douce pour lui ! Comme il aurait aimé pouvoir pousser un soupir, une fois rentré, sous le poids des trois gamins à son cou ! Des fabulations indignes pour une Ombre, qui l'assaillaient dans ce moment de grande fatigue ! Soudain, l'idée de retourner dans sa demeure se reposer lui apparue, aussi claire que le nouveau jour dans son dos. Son genou frissonna de désir et Senshi retint un bâillement sous l'impulsion de son corps soudainement las, en réaction à cette pensée.
« Fumiko aura peu dormi cette nuit. Je devrais effectivement l'aider... » avoua le mari, la honte en fond ; puis un bruit venu de la rue détourna son regard. Aussitôt, le sourire discret de sa femme s'évanouissait de son esprit et son corps engourdi sursautait. « Un nouveau jour se lève pour Suna, Akihiko. Va, nous avons encore tant à faire ! Je te promets de réfléchir à ta proposition... Avec le Festival de Baransu qui approche, je risque d'être occupé, mais à notre retour, nous rediscuterons sérieusement de cette avenue. »
Les bras le long du corps, le vieil homme se retourna vers Akihiko pour s'incliner à peine, signe du grand respect qu'il éprouvait envers son jeune ami. Peut-être était-ce dû à cette fatigue qui lui courbait déjà le dos, mais cette sobre révérence était démonstration rare qui n'était accordée qu'à quelques élus.
« Je te remercie sincèrement pour ce petit-déjeuner. Repose-toi, je ferai appel à toi bientôt. »
Lorsqu'il se redressa, des marques sombres entouraient ses yeux, telles les cernes du Tanuki. La poussière souleva le Maître du Désert et le projeta en bas des remparts, réceptionné par un nuage que certains villageois observèrent, fascinés par le passage de leur mystérieux protecteur. Quant au bras-droit du Shodaime, il remarquerait bien vite que contrairement à son conseil, Senshi se faufilait vers sa Tour pour y retrouver son fauteuil royal... et donner plus de travail au déjà surmené Akihiko, qui rattraperait la paperasse pendant que le chef cuverait sa matinée alcoolisée.