Graisser la patte [ft. Wei et Chinoike Hitagi]

Isthme du Gel
Périphérie du village de Kobeshiki

La neige tombait à gros flocons sur la caravane marchande. Hommes, femmes, mules, chevaux, tous étaient éprouvés par la rudesse du climat de la région. Cela faisait bien longtemps qu’ils avaient quitté leur point de départ et qu’ils passaient les nuits à la belle étoile. Après avoir quitté le Pic, ils avaient longé la bordure sud de l’Enclave et soigneusement évité les ligne de frontière avec Tetsu. Leur nombre n’était pas très élevé. Vingt personnes tout au plus. Intégralement des marchands. La plupart semblaient un peu las mais aucun ne semblait inquiet. Quand les deux shinobis avaient proposé de se charger de leur escorte, ils n’avaient pas osé car leur réputation officieuse dans le Pic était à craindre. Et puis leur chef, Shan, un homme d’une cinquantaine d’années au coup de buffle, était venu leur parler. Il connaissait le tenancier de l’Auberge de la Grue Noire et sans doute y avait-il été client au vu des tatouages qui dépassaient de ses manches. Après une conversation polie, il avait serré la main de Yu et était revenu vers son groupe d’un air satisfait. Il avait sans doute fait sa meilleure négociation de l’année. Pour deux chevaux et deux mules, il s’offrait une escorte shinobi sans débourser un liard. Un exploit remarquable pour n’importe quel marchand. Bien entendu, il s’était gardé de demander ce qui se trouvait dans les caisses. Il avait plutôt préféré calculer la marge qu’il se ferait en revendant des fourrures achetées dans l’Isthme et en y vendant sa céramique fine.

Yu regardait d’un œil distrait la forteresse qui se dressait non loin du haut de son hongre tacheté de brun. Il caracolait en tête du convoi depuis le début de leur trajet, servant d’avant-garde et surtout profitant du répit que lui offrait ce voyage vers une destination lointaine pour réfléchir un peu. Il savait à peine dans quoi il s’embarquait à vrai dire. Fraîchement rentré de mission, il avait décidé de se lancer à la recherche d’une arme légendaire qui pouvait se trouver dans la région. Sur le papier rien d’incroyable mais il savait au fond de lui que les renseignements liés à cette mission avaient failli lui coûter la vie. Désormais, il était au courant de la qualité des services de contre-espionnage de l’Empire. Alors, flattant l’encolure de sa bête à intervalles réguliers, il songeait à la suite de leur plan. Wei était là aussi. Moins taciturne que son senseï, elle semblait avoir moins de difficulté à échanger avec les marchands. Yu ne s’intéressait pas à eux. Seulement à la raison de leur présence ici. Ils étaient déjà venus ici. Enfin… Il avait surtout mené Wei ici lors de l’un de ses nombreux exercices d’entraînement. Ce simple souvenir le fit sourire. Elle avait bien pesté cette fois-ci.

Les Chinoike hein ? Ils venaient rencontre ce clan shinobi dont Yu avait vaguement entendu parler. De mémoire, ils avaient manqué de se faire terminer par les Uchiha et s’étaient cachés depuis lors. Quelque chose comme ça. En temps normal, il n’aurait jamais prête attention à eux. Sauf que le projet « Dards et Mandibules » avait remué tout cela. Le forgeron de l’arme que le Zhao recherchait semblait avoir appartenu à ce clan avant d’en être banni. Aussi, il avait souhaité les rencontrer avant de se rendre dans le Marais de Kobie. Et comme leur organisation ne faisait pas dans la demi-mesure, ils étaient venus avec des présents. Histoire de marquer le coup et de montrer patte blanche. Le coin ne semblait pas surpeuplé de shinobis mais Yu fut surpris quand ils passèrent les portes de Kobeshiki. Le bourg semblait bel et bien vivant, peuplé de gens aux teints blancs et à l’haleine fumeuse. Plus qu’il ne l’aurait cru. Des rumeurs qu’ils avaient entendu d’autres convois croisés sur le chemin, les Chinoike avaient une enseigne dans ce lieu ou du moins un point de ralliement. Qu’ils se firent vite indiquer par les gens du coin. Les coffres et caisses de la caravane semblaient délirer les langues et Shan, bien que peu familier avec la région, avait le verbe facile et le contact aisé avec la plupart des gens qu’ils rencontraient. Il ne manqua pas de venir voir Yu quand ils arrivèrent sur le forum où faisaient halte la plupart des caravanes.

« Eh bien ! Je vous remercie de nous avoir accompagné. Qui aurait cru que des gens comme vous seraient de si agréable compagnie.
- Le plaisir fut partagé, déclara Yu sans s’arrêter de regarder les lieux autour d’eux.
- Tant mieux. Si jamais vous cherchez de la compagnie pour le retour, nous logerons à l’auberge au coin de la rue et nous repartons d’ici sept jours.
- C’est entendu.
- A la bonne heure. Je vous souhaite une bonne continuation Yu-dono. »

Il hocha la tête doucement. L’homme savait s’y prendre avec les gens. Pendant tout le trajet, il avait fait en sorte que personne ne vienne les importuner sans pour autant manquer à aucune des règles d’hospitalité entre caravaniers. Un bon commerçant. Et un homme fiable. Il avait même su les guider à travers le blizzard la nuit dernière. S’ils le recroisaient, Yu lui proposerait de boire un verre à l’auberge. Mais pas maintenant. Ils avaient des choses à faire. Sentant une présence qui se rapprochait de lui, il resserra la chaîne de son kusarigama autour de son buste, prenant soin de bien cacher de la vue des passants la lame dans son dos.

« On y va ? Il semblerait que ce soit l’espèce de bâtiment là-bas, désigna-t-il du doigt en prenant les rennes des mules qui leur restaient. »

Leurs pas s’enfoncèrent dans un mélange de boue et de neige fondue en crissant. Une chance qu’ils soient venus préparés. Une fois de l’autre côté de la rue, Yu perçut un changement d’atmosphère. Certes, les gens avaient la gueule de bucherons, de trappeurs et de forestiers des environs mais certains avaient dans le regard une flamme que Yu ne manqua pas de reconnaître, en plus d’avoir un physique bien plus affûté que la plupart de la populace locale. Des shinobis. Ils étaient donc au bon endroit. Attelant leurs mules sur un poteau près de l’entrée, le Hung Kwan de Long She défit la sangle d’une d’entre elles et souleva d’une main le coffre de bois de plus de soixante kilos qu’elle portait depuis des nuits. Le tintement caractéristique du contenu ne manqua pas de faire tiquer les personnes autour d’eux, sans pour autant que quiconque ne les interpelle. Les gens semblaient disciplinés. Bien. Rentrant dans le bâtiment sans plus de cérémonie, il avisa un bonhomme derrière un comptoir semblant s’affairer à négocier quelque chose avec une femme en fourrure portant un large sabre dans le dos. De tous les individus dans la pièce, c’était l’un des plus vieux et sans doute celui qui parlait le plus fort sans se soucier du reste. Etant donné que personne ne lui jetait de regard noir ou de rappel à l’ordre, le Zhao en avait déduit que c’était le responsable du lieu.

Franchissant l’espace qui les séparait, il souleva d’une main le coffre à hauteur de son épaule et, frôlant la femme au sabre, lâcha la lourde masse sur le comptoir dans un claquement sonore. Il était certain d’avoir l’attention de tout le monde dans la pièce et était persuadé que Wei ne perdait pas une miette du spectacle qu’il offrait. Tant qu’elle restait vigilante, tout irait bien. Le fait que la femme au sabre n’ait pas dégainé montrait aussi qu’elle avait peut-être jaugé qu’elle ne serait pas de taille pour rouspéter sur le manque de politesse dont il venait de faire preuve.

« Nous cherchons à rencontrer le chef de votre clan, dit-il en fixant l’homme droit dans les yeux. C’est urgent. Et nous sommes prêts à payer. J’en ai trois autres comme ça devant l’entrée, ajouta-t-il en tapant sur le dessus du dôme boisé. »

De la réponse de cet homme dépendrait la suite. Ils n’étaient pas venus ici pour se faire des ennemis au contraire. Ils voulaient des renseignements et étaient prêts à y mettre le prix. Si d’aventure un quelconque gueux avait l’audace d’aller fureter autour des coffres, il mettrait la réputation des Chinoike en défaut. Yu comptait sur leur réputation pour que tout se passe bien. Auraient-ils accès au chef de clan ? La suite le leur dirait.