mot : { 1993/2000 }Akihiko s'est agenouillé aux pieds de son père, son front contre le plancher et les bras tendus. Il présente le bandeau qu'il a durement gagné, symbole qu'il est enfin l'académie de Suna. Deux longues années ont été nécessaires pour en arriver là, mais pour Eiji, il ne tire aucune satisfaction des prouesses de son fils.
— Tu nous fais honte, gronde-t-il d'un ton sévère.
Akihiko le sait. Ses doigts se crispent autour du bandeau, mais malgré l'inconfort, le genin reste immobile.
— Des enfants bien plus jeunes que toi ont réussi en quelques mois, poursuit le vieux Eiji avec lassitude.
Il sent son cœur se serrer à ses mots, mais il ne laisse pas la déception l'envahir complètement. Il a fait de son mieux, ne mérite-t-il pas un peu de reconnaissance ?
— Je vous prie de m'excuser...
— Je ne t'ai pas donné la permission de parler, réplique-t-il d'un air autoritaire.
Akihiko ferme les yeux un instant, résistant à l'envie de s'excuser à nouveau. La honte l'accable aussitôt, mais il se force à garder la tête haute. Quand Eiji quitte la pièce sans même un regard en arrière, Akihiko se redresse lentement et contemple le symbole de leur village. Ninja de Suna, pourquoi cela sonne-t-il si faux à ses oreilles ? Pourquoi cette impression de n'être qu'un imposteur persiste ?
Les doutes tourbillonnent dans son esprit alors qu'il se dirige vers sa chambre où il n'en sort pas de la journée, bien trop honteux.
*
Akihiko attache fébrilement le bandeau autour de son front, puis quitte sa chambre en hâte pour rejoindre la cuisine, comme il le fait chaque matin. À son arrivée, l'effervescence règne déjà parmi les domestiques qui s'activent pour préparer le petit-déjeuner. Mais alors qu'il s'apprête à revêtir son tablier, Kyoa l'arrête dans ses mouvements.
— Enfin, jeune maître, ce ne sont plus vos tâches.
— Mais…
— Vous êtes un Ninja de Suna à présent.
— Je tiens à vous aider, Kyoa.
Elle pose une main douce sur l'épaule du jeune homme. Kyoa est une femme au caractère bienveillant, mais qui sait se montrer ferme lorsque cela est nécessaire. Depuis qu'Akihiko est sous sa responsabilité, elle a assumé le rôle maternel que Mazako refusait de jouer.
— Vous êtes bien trop gentil, si vous voulez…
— Jeune maître ? appelle une domestique. Votre père vous demande à table.
À cet instant, le cœur d'Akihiko s'emballe. Il a l'étrange sensation qu'on vient de lui annoncer son arrêt de mort.
*
— Viens t'asseoir à côté de Daiki, ordonne Eiji lorsque son quatrième enfant pénètre dans la salle à manger.
Autour de la table, seul le père et les frères sont présents. Les femmes de la famille se trouvent dans l'autre pièce, prenant leur repas à part. Akihiko s’installe à droite de Daiki et juste en face d’eux se trouve Isamu et Kenta. L'aîné de la fratrie observe Akihiko du coin de l'œil, puis le bandeau qu'il porte.
— Tu es enfin bon à autre chose qu'à récurer le sol ?
Les cadets ricanent doucement, tandis qu’Akihiko se retient de répliquer après avoir avisé son père. C’est la première fois qu’il est autorisé à manger à la même table qu’eux, il ne souhaite pas gâcher cette chance. Seulement, Daiki déprécie son silence, si bien qu’il rajoute :
— Ninja de Suna… ah, quand ils se rendront compte que tu n'es qu'un bon à rien, ils te feront récurer le sol de l'académie.
Sa voix dégouline de suffisance et son air hautin pourrait donner des envies de meurtre au plus pacifique des moines. Akihiko froisse du nez, tandis qu’il répond avec amertume :
— Tu crois pouvoir faire mieux ?
Le jeune ninja s’attend à ce que son frère rétorque, mais il fut surpris d’entendre la voix de son père gronder à la place :
— Oui, il aurait fait mieux que toi, mais j'ai d'autres plans pour lui.
Son regard méprisant pèse sur Akihiko qui baisse aussitôt sa tête.
— Il est né chanceux, alors que toi, tu as seulement eut la chance de naître, ajoute le vieil homme. Respect tes aînés.
À contrecoeur, Akihiko se tourne vers son frère et marmonne :
— Excuse-moi de m’être emporté, Daiki…
— Excuse acceptée.
Tout juste après, quelqu’un toque à la porte et une voix s’élève :
— Maître, le petit-déjeuner est prêt.
— Entrez.
La porte s'ouvre sur Kyoa qui se courbe au sol avec d'autres domestiques, avant de se relever et d'entrer, un plateau à la main. En quelques minutes, les plats furent déposés devant les fils Yamato et leur père. Les domestiques quittent la pièces après une dernière courbette, excepté Kyoa qui tend une lettre à Eiji.
— Nous venons de la recevoir, maître, le Kazekage en est le destinataire, annonce-t-ele avant de s'éclipser, laissant la salle à manger dans un silence pesant.
Eiji ouvre la lettre et ses sourcils se froncent à mesure qu'il la parcourt. Il n'aime clairement pas ce qu'il lit
— Akihiko, qu'as-tu fait ? demande-t-il d'un ton sévère.
— Que voulez-vous dire, père ? répond le concerné, légèrement déstabilisé.
— Le Kazekage te convoque dès ce matin.
— Je…
— Ça sent le début de la fin, ça a été plus rapide que je ne l'aurais cru, intervient Daiki avec moquerie. Ils se sont peut-etre rendu compte qu’il y a eu une erreur sur ta remise du diplôme ?
— Si tu rentres sans ton bandeau, tu auras affaire à moi, menace Eiji d'un air implacable. Mange et veille à être présentable.
*
Son cœur s'emballe, pris de tachycardie, alors qu'il avance d'un pas hésitant vers le bureau du Kazekage. Les visages qu'il croise le scrutent de la tête aux pieds, et un court instant, Akihiko se demande s'il n'a pas oublié de mettre ses chaussures. Il monte les escaliers avec l'impression que chacun de ses muscles se tend à mesure qu'il gravit les marches. La peur au ventre, les paroles de Daiki lui reviennent en mémoire : et si sa remise de diplôme n'était qu'une erreur ? Et s'il devait retourner à l'académie, voire pire, être renvoyé ? Cette perspective l'effraie au plus haut point. Il sait que son père le tuerait.
Aussi tremblant qu'une feuille morte, Akihiko longe un couloir dont les murs semblent s'étirer et se refermer sur lui, menaçant de l'écraser, si bien qu'il boucle les derniers mètres avec empressement. Il toque à la porte et entre dans le bureau dès qu'il obtient la permission du Kazekage. Ce dernier le scrute durement et une envie irrépressible de faire demi-tour le saisit. Heureusement - selon le point de vue, l'angoisse le cloue sur place et après un moment de flottement, le jeune ninja s'incline aussi bas qu'il le peut :
— Yamato Akihiko, genin de rang D, vous souhaitiez me voir, Kazekage ?
— En effet, approche.
Akihiko avance d'un pas maladroit, l'estomac noué par l'anxiété. Il craint de vomir son petit déjeuner.
— Je suis ravi de voir de nouveaux ninjas renforcer nos rangs, des ninjas qui ont à cœur la protection de notre village. Te sens-tu prêt à le défendre ?
— Oui, répond Akihiko avec détermination, se forçant à redresser le dos malgré la tension qui l'habite.
— Es-tu prêt à servir ses intérêts ? poursuit le Kazekage, son regard scrutant chaque réaction du jeune ninja.
— Oui, affirme-t-il.
— Es-tu prêt à commettre les pires crimes en son nom ?
Akihiko hésite un bref instant. Est-il prêt à avoir du sang sur les mains ? Honnêtement, il n'en sait rien. Il se rappelle les paroles de Daiki, le regard méprisant de son frère et il refuse de lui donner raison.
— Oui, répond-il finalement d'une voix ferme, conscient que c'est peut-être ce qu'on attend de lui pour être accepté dans ce monde impitoyable.
Le Kazekage observe longuement Akihiko et malgré les efforts du jeune ninja pour dissimuler ses émotions, la pression qui pèse sur ses épaules est écrasante. Un frisson lui parcourt l'échine alors que le vieil homme se penche légèrement en arrière, savourant l'inconfort du silence qui s'étire, tandis qu’Akihiko se meurt d’inquiétude sous ses yeux.
*C'est fichu, pourquoi ai-je hésité ?*— Ravi de l'entendre, déclare finalement le Kazekage d'un ton grave. Sache que je ne supporte pas le moindre échec.
Une voix intérieure l'accable :
*Putain, je ne suis qu’incapable.*— Sois sans crainte, au vu de ton rang et de ton grade, on ne te confiera pas de missions aussi dangereuses, poursuit le Kazekage. Mais sache que le village compte sur toi malgré tout. Le symbole que tu portes représente tout un peuple sur lequel nous devons veiller. Ces gens ne pourront pas se protéger face à d'autres ninjas, ou que sais-je encore. Alors tâche de ne pas me décevoir ; des vies sont en jeu autant que nos intérêts, ce n’est pas une mince affaire.
La menace est claire et le Kazekage n'a pas besoin d'être plus éloquent pour qu'Akihiko imagine les pires sévices au moindre faux pas.
— Oui, Kazekage, je serai à la hauteur, répond-t-il avec assurance, cherchant à refouler ses doutes.
— J’espère, marmonne l'homme en tendant un parchemin au genin. Voici l'équipe à laquelle tu seras rattaché. Vous commencerez demain à la première heure de la matinée.
*
Dès qu'il quitte le bureau du Kazekage, Akihiko se précipite dans une salle heureusement vide. Son souffle s'accélère, mais cela ne semble pas suffisant pour remplir ses poumons et apaiser son esprit.
*Je ne vais pas y arriver.* Ses doigts se crispent et se serrent automatiquement, tandis qu'un fourmillement parcourt ses bras et ses jambes.
*Je ne vais pas y arriver.* Il a oublié comment respirer, comment apaiser cette angoisse dévorante. Son cœur bat avec force, provoquant un mal de crâne insupportable.
*Incapable.* Akihiko ne se sent pas à la hauteur, il ne croit pas pouvoir assumer une telle responsabilité.
*Tout un village.* Mais à quoi s'attendait-il en fin de compte ? C'est là l'essence même de sa mission ! La question se pose, sans pour autant trouver de réponse. Il n'a pensé qu'à sa famille et à l'honneur qu'il pouvait apporter au nom Yamato.
*Être reconnu, retrouver ma place.* Il se demande dans quelle galère il s'est embarqué. Telle un poison, le doute s'insinue en lui, brouillant ses pensées. Le jeune homme est persuadé qu'il finira par échouer.
*Bon à rien.*Ô, comme il étouffe dans cette pièce. Elle semble rétrécir au fur, prête à l’écraser tel un insecte.
*Je ne peux pas échouer. Pas maintenant.* Des images défilent dans son esprit, des scènes de déshonneur, de rejet et de honte, accentuant sa panique.
*Suis-je à la hauteur ?* Tout son corps lui crie que non, il ne le sera pas et qu’il décevra son père, sa famille et tout un village. Les larmes embuent ses yeux, mais il refuse de les laisser couler.
*Je ne pleurerai pas. Je refuse d’être faible.* Il cède sous le poids des responsabilités, ses genoux claquant douloureusement contre le plancher, alors qu’il craque à la seconde ou cette pensée effleure son esprit. Les larmes coulent finalement.
*Je suis si faible, si insignifiant.* L'angoisse l'engloutit, ne laissant rien dans son sillage si ce n'est ce goût de sel, de jalousie et de peur.
*Je ne suis pas prêt pour tout ça. Pas encore.*Et pourtant, il le sait, à la moindre hésitation, il est un homme mort. Il n'a pas d'autre choix que d'être prêt.