Mei Masayuki, tendresse sur l'enclume

Mamoru passe un pied par-dessus les ronces avec précaution car il ne veut pas abîmer son hakama afin de ne pas éveiller les soupçons de ses enfants, sa femme c’est trop tard, elle sait aux mouvements de son mari que la fin approche. Quelques jours plus tôt, des ninjas de konoha s’étaient aventurés par ici, à six kilomètres du domaine plus précisément, au domaine horticole d’Ichiro, un doyen des plaines fertiles. Prudent par nature, ce fin vieillard avait dirigé les étrangers plus loin vers le pays du Vent à la fois pour les éloigner de leur vraie piste, et pour le plaisir de les savoir enfoncés dans ce cloaque sec qu’est le pays du Vent. Il était venu boniment avertir Mamoru, « ils en ont après toi, ça ne tardera plus… » Son alerte fut brève et sans appel. Mamoru crut quelques minutes pouvoir changer le cours des évènements mais il reconnut sa défaite assez vite et décida plutôt de préparer au mieux l’inévitable, peu importe qu’il surviendrait demain ou le mois d’après.

Il observe deux oiseaux traverser les limites de la propriété sous le coucher du soleil et se mord les lèvres nerveusement.
A table ce soir-là, Haruto raconte la dernière course effectuée dans un village à la frontière du pays du Vent.

– L’air est plus sec là-bas, et les gens sont moins aimables que par chez nous.
– Qu’est-ce que tu en sais du comportement des gens ici ? Tu ne les fréquentes jamais de toute façon.
– Plus que vous père, j’ai effectué plus d’une centaine de courses depuis deux ans, même Masayuki a dû s’en apercevoir, pas vrai, hein ? lance-t-il au petit Masayuki à table penché sur son poignet.
– J’ai toujours trouvé les voisins gentils, mais je ne peux pas vraiment comparer avec les gens qu’on a croisés lors des courses. Il lève son regard vers Mamoru et constate son inquiétude, lui aussi est inquiet de la tournure de cette discussion, il aimerait y mettre un terme au plus vite poliment.
– Ton frère a plus de recul que toi Haruto, c’est une honte à ton âge de devoir prendre exemple sur ton cadet.
– Mais enfin Masayuki, toi-même tu me disais …
– Père, puis-je quitter la table ? Je dois me coucher tôt car je me sens fatigué et je préfère être en forme pour notre entraînement…
– L’entraînement ? Si on s’entraîne, d’abord ! Ca fait une semaine que père est absent pour l’entraînement.
– Assez ! Haruto, tu passes ton temps à te plaindre mais tu ne progresses à rien, tu reviens avec une mine affreuse des courses et tu te permets de me contredire devant tes frères et sœurs, assez !

Masayuki profite de l’attention portée à son aîné pour disparaître dans leur chambre. Il pousse la porte en bois dont les joints grincent bruyamment et s’enfonce dans son oreiller, le visage contre le coton, bien enfoncé, comme ça il ne peut presque plus respirer. Il s’ennuie et se retourne sur sa couche, observe la chambre dans l’obscurité auquel ses yeux s’accommodent progressivement.

– Bientôt, je ne dormirai plus jamais ici … c’’était la seule chambre qu’il avait toujours côtoyée.

Dans la pièce principale, Akane et Yuri se regardent pour éviter d’avoir à participer à la démonstration de force entre les deux hommes du foyer. Akane semble toujours sage et indifférente, elle n’intervient pas, c’est son étiquette, ni spectatrice ni actrice de quelconque débat familial, de cela elle s’enorgueillit et de ne pas ennuyer ses parents. Haruto la méprise, la trouve lâche et faible. Il lui adresse un regard ignoré, à quoi s’attendre ?

– Yuri, Akane, laissez-nous.

Yuri pose sa main délicatement sur l’épaule de sa fille à sa droite. – Allez, viens. Elle baisse la tête et sort de table devant le pas de sa mère qui devine qu’une dispute sérieuse s’apprête à érupter sous son toit.

Akane rejoint son petit frère sur sa couche et s’emploie à lui caresser les cheveux machinalement, de temps en temps elle murmure des sons insignifiants et passées dix minutes le petit frère s’endort. Elle continue de passer ses doigts dans les épaisses mèches brunes de Masayuki, comme pour se donner à faire et ne rien penser.

On entend les deux hommes sortir, la porte refermée délicatement derrière eux. Une heure après, Yuri inquiète décide de les rejoindre dehors mais elle ne voit personne aux environs. Le terrain est silencieux, ce soir il n’y a pas de vent et l’air lourd conserve la chaleur de l’après-midi brûlante. Finalement, elle se résigne et va se coucher sans pouvoir fermer l’œil.
Le lendemain matin, Masayuki observe son frère endormi près de lui toujours habillé, cette exception à l’habitude le dérange, l’angoisse même, il aimerait le réveiller et lui demander tout ce qu’il s’est passé, à la place il attend en tailleurs observant les expressions d’un sommeil agité traverser les traits du visage de son aîné.

Finalement, c’est Akane qui l’extirpe de sa méditation, elle aussi a l’air effrayée par quelque chose, elle doit savoir ce qu’il en est. Mais Masayuki sait qu’elle est facilement contrariée, et que l’interroger ne créerait que du désagrément à sa tendre sœur. Elle vient s’asseoir à côté de lui et pose sa joue contre son épaule, il la regarde faire d’un air crédule, ses paupières se ferment, on dirait qu’elle est encore fatiguée, le visage quelque peu tirée, ses lèvres pâles sont tendues, maintenant il a la certitude qu’elle sait ce qui a eu cours hier soir. Il hésite à la questionner, mais avant qu’il ne trouve ses mots, elle s’est endormie sur lui complètement.

Lorsque Haruto se réveille, Masayuki et Akane sont allongés en désordre sur le futon. La chambre sent la sueur renfermée, les rideaux toujours fermées ne laissent passer qu’une portion infime de la lumière régnante du dehors. Il choisit de les laisser et trouve sa mère devant la maison, occupée avec l’arrosage des plants de Shiso et de ciboulettes dont elle se sert pour sa cuisine.

– Mère, avez-vous besoin d’aide pour préparer les affaires ?
– Si tu peux plier tes vêtements et ceux de Masayuki, ce sera bien. Je me chargerai de les ranger quand ce sera fait. Il acquiesce, elle ne lui adresse pas de regard disant cela, sa concentration absurdement fixée sur des pieds qu’elle abandonnera bientôt.

Bon jeu !