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L'Art d'épauler [avec Shin]

Kamiko Fumetsu
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L'Art d'épauler [avec Shin] Dim 28 Mai - 10:11
Kamiko Fumetsu
L’Art d’épauler [avec Shin]

Le matin cachait toujours en son sein des réjouissances particulières pour celui qui osait ne pas flâner, terré dans le creux de son lit ; la beauté pâle d’un soleil rosâtre, l’odeur mouillée de l’herbe, l’âpreté d’un froid éphémère bientôt chassé par le temps. L’esthétisme de cet instant fugace d’un aurore de printemps faisait du Kamiko un être pensif, plongé dans des méditations toutes autant fugaces. Une sorte de ballet immatériel se tenait alors, tourbillon délicat et dynamique de formes et d’idées. Assis sur un de ces bancs de mauvaise facture qui jouxtait le terrain d’entraînement, l’Artiste agitait les doigts de sa dextre, manipulant à sa guise des fils qu’il utilisait pour mettre en place, à moindre effort, les mannequins qui serviront de souffre-douleur. Il ne le faisait pas pour lui mais pour Shin, un enfant d’une neutralité constante. Tellement, par ailleurs, qu’il incarnait la neutralité dans ses traits et dans son esprit – bien qu’il s’exerçait, naturellement, à développer une pensée qui lui fut propre. Fumetsu, patiemment, finit par préparer un simulacre de parcours et de combat depuis son banc et lâcha ses fils qui s’en allèrent dans un reflet bleuté. Sa dextre maintenant reposée sur son corps, il commençait à chercher minutieusement, dans les plis de son vêtement blanc, la trace d’un passé douloureux. Il ne l’entendait plus, à vrai dire, cette voix sépulcrale, son frère. Elles l’avaient remplacé délicatement mais il ne pouvait l’oublier. Ses doigts finirent par la toucher, cette plaie béante, cette laideur infâme qu’il ne pouvait que cacher des yeux indiscrets mais jamais de sa pensée. Un haut-le-cœur le troublait alors mais il répugnait à retirer sa main. « Où es-tu ? Frère, nous avons vaincu… Elles sont à nous désormais. Le monde sera immortel pour toi. »

La température montait doucement. Le soleil grimpait tendrement. L’heure approchait ; le Kamiko avait fait confiance au garçon pour qu’il se levât à l’heure voulue sans qu’il ait à lui envoyer des serviteurs le faire. Un petit rire émergeait, le sourire habituel s’élargissait, Fumetsu s’amusait décidément beaucoup.


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Ce matin-là, je n’avais eu aucune envie de sortir du lit. J’étais resté un long moment allongé, sans bouger, à contempler le plafond de la pièce tandis que la lumière du jour filtrait timidement au travers des shoji. J’étais fatigué, et peut-être un peu triste aussi.

Pourtant, le matin était un moment que j’affectionnais tout particulièrement ; je me levais toujours à l’aube pour profiter de sa fraîcheur – il faisait si chaud en journée, à Konoha ! –, je rangeais mes affaires et faisais mon lit, j’allais aider Sawako dehors tandis que le domaine se réveillait tout doucement, puis souvent je rejoignais la table de la vieille Shizuka – qui refusait toujours que je mette la main à la pâte – avant d’aller enfin m’entraîner ou me rendre utile ailleurs, là où on avait besoin d’un enfant plein d’énergie.

Mais de l’énergie, je n’en avais plus, pensais-je. Je m’en voulais, bien sûr, surtout pour Sawako et Shizuka que je n’avais pas prévenues et qui m’avaient certainement attendu. Mais peut-être avaient-elles compris d’elles-mêmes, car notre retour de mission, avec Fumetsu, était probablement parvenu jusqu’à leurs oreilles, comme il était sûrement parvenu aux oreilles de l’ensemble du clan Kamiko.

« Fumetsu. » Mes pensées s’accrochèrent un instant à son image et j’eus l’impression de sentir tout mon corps s’affaisser sous son propre poids. Il était là, le problème. Il s’appelait Fumetsu. Je posai une main sur l’arrière de mon épaule, non loin de l’endroit où il m’avait frappé, et la malaxai machinalement comme pour me débarrasser d’un mauvais souvenir.

La douleur avait été fulgurante, paralysant mon corps sur l’instant. Je me souvenais vaguement de quelques mots, de la voix sifflante du Kamiko, mais la douleur était si insupportable que je m’étais évanoui presque immédiatement. Je ne savais pas exactement ce qu’il s’était passé ensuite, seulement que le jûnin avait dû me ramener à Konoha, car je m’étais réveillé dans ce même lit dont je refusais de sortir à présent. Une question me taraudait l’esprit depuis : des innocents étaient-ils morts par ma faute ? De nouveau, je sentis mon cœur se serrer violemment et quelques larmes m’échappèrent, incontrôlables.

Roulant sur le côté dans un reniflement, à la recherche d’un tissu pour m’essuyer le visage, je m’aperçus que la lumière dans ma chambre n’était plus celle de l’aube mais d’une journée bien entamée. Le Soleil était déjà haut dans le ciel. Combien de temps avais-je passé ainsi à me morfondre ? Je poussai un gémissement avant de rouler hors du lit. J’allais me faire rouster, si j’arrivais en retard.
Alors, deux minutes plus tard, je passai en trombes devant Sawako qui se prélassait doucement, son travail terminé.

Arrivé aux portes des terrains d’entrainement, je ralentis le pas, jusqu’à m’arrêter complètement. Mon cœur battait la chamade, non pas en raison de ma course folle dans Konoha, mais parce que j’avais peur. Il devait déjà être là, en train de m’attendre. Je pouvais encore m’enfuir, partir loin d’ici, loin de Konoha, et ne jamais revenir…

J’inspirai profondément, avant de m’élancer.

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Kamiko Fumetsu
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Kamiko Fumetsu
L’Art d’épauler [avec Shin]

L’attente ne dérangeait nullement Fumetsu qui s’amusait distraitement avec ses fils en dodelinant de la tête, riant intérieurement comme un enfant le ferait. Il se découvrait au fur et à mesure des jours des plaisirs simplistes qui le réjouissaient. Sans nécessairement l’avoir voulu, il s’adoucissait – selon les perceptions extérieures, bien sûr – et se trouvait une nouvelle politique de vie ; une de celles qui l’ouvrait à de hautes perspectives. Après tout, incarnation de l’Art qu’il était, il pouvait se permettre de chercher ailleurs, de chercher plus loin, de transformer le monde dans un souci créatif qui le caractérisait si bien. « Force est de constater que j’ai atteint mes objectifs depuis longtemps et que mes humeurs se sont canalisées au sein d’une force que je sous-estime encore. Il n’y a plus d’amusement dans ce monde ; il me faut le créer, encore. » Le démantèlement de son organisation d’acquisition de sujets expérimentaux, pour ne pas dire macchabés, fit un choc à ses anciens collaborateurs mais l’esthète ne s’embarrassa pas de s’épancher sur les raisons qui l’avait amené à agir ainsi : ils n’auraient de toute façon pas vécu assez longtemps pour le comprendre. Son amusement et sa passion artistique le menait vers un autre sentier, un autre chef d’œuvre : Long She, Shin et Konoha. Il cultivait ainsi son ambiguïté à l’allégeance aisée mais à la fidélité fantomatique. Finalement, sa motivation résidait dans le perfectionnement de cette fine ligne grotesque qui traversait le gouffre des nations : « L’équilibre du Sublime ».

Une idée égoïste mais ô combien saisissante pour l’esthète qu’un monde sublimé par le transcendantalisme avant-gardiste. « Qu’ils le veuillent ou non, ils seront forcés de constater la puissance de mon Art. J’irai modifier les perceptions, j’irai grandir les peuples : j’irai tisser la grande toile de l’existence. Tel sera mon chef d’œuvre. » Nul besoin de cadavres pour un « progrès » qui ne lui servait qu’à remplir le vide gémellaire alors qu'il l’avait de nouveau absorbé. L’Immortel ne faisait plus qu’Un et il lui avait fallu du temps pour réaliser ceci. Les araignées lui montraient un chemin nouveau, ses fils grouillaient en lui, impatients, son corps ciselé par ses soins relevait de la perfection : il ne lui restait plus qu’à peindre, sculpter, tisser, composer et tailler le monde à son image. Le dernier chef d’œuvre du Kamiko pouvait commencer et si Konoha n’en voulait pas, il saurait être persuasif.

Happé hors de ses tribulations mirifiques où toiles et sculptures s’entremêlaient dans une symphonie exquise  par l’arrivée brusque de son pupille, Fumetsu se relevait et reprit ses esprits. « Tes nuits se rallongent en ce moment et empiètent sur le jour, tu es affligé d’un mal qu’il te faudra surmonter : aujourd’hui je te perfectionnerai afin que tu puisses surmonter les affres qui te stupéfient. Ne fais pas la tête, nous aurons tous le loisir de discuter des précédents désagréments. Je sais à quel point cela peut te sembler terrible mais en l’état actuel des choses tu es trop faible, bien trop faible, pour m’épauler dans la moindre des missions. A moins que tu aies le courage de tenter de me le prouver. » Il interrompit son discours par un rire léger mais moqueur, titillant – il l’espérait – l’orgueil de l’adolescent. « Dirige toi vers ce lac artificiel et essaie d’y marcher sans y sombrer. Glisse une dose de chakra dans les pieds et épouse la forme de l’eau. Tu n’as le droit, pour l’instant, qu’à cette partie de l’information en sanction de ton retard. »

L’esthète attendit alors que l’adolescent se mette en place et tente de marcher sur l’eau avant de lui lancer cailloux et brindilles pour le déstabiliser, riant à gorge déployée et les yeux moqueurs.

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Shin

Pas une once de compassion, pas un semblant de remords. Fumetsu était égal à lui-même, m’accablant de propos blessants, cherchant à exciter un orgueil inexistant, se délectant de mon malheur. Qu’avais-je espéré, honnêtement ? Qu’il me comprenne, ou ne serait-ce que m’écoute ? J’étais meurtri, jusqu’au plus profond de mon être, à tel point que je regrettais mon choix. Être shinobi n’était pas ma voie, peut-être. Je me disais que j’aurais dû rester cet enfant étranger, ce moine orphelin de temple ; au moins, il n’aurait rien attendu de moi et il ne serait pas là à me réprimander. Il ne m’aurait pas considéré et nous aurions pu coexister, tout simplement.

Mais aurais-je été plus heureux pour autant ? Je repensais aux mots que j’avais balancés à mon mentor avant de lui désobéir, lors de notre mission : je serai un bon shinobi. Je le pensais sincèrement, encore maintenant. Je voulais être à la hauteur de l’honneur qui m’avait été fait, lorsque ce Village avait accepté de m’adopter. Je voulais me montrer utile et protéger les miens. C’était ce à quoi j’avais toujours voulu aspirer ; déjà au temple, je me rêvais en gardien protecteur. « Protecteur, pas meurtrier. »

Sans un mot je m’approchai de l’eau lisse que Fumetsu m’avait désigné. Il avait raison, dans le fond. Je n’étais pas assez fort pour épauler qui que ce soit. Mes ambitions n’étaient qu’un rêve. Baissant le regard, je contemplai mon reflet un instant. J’avais besoin des enseignements de mon maître, mais j’étais tétanisé à l’idée de devenir comme lui. Cette facilité à se vendre au plus offrant, à condamner des innocents… Je serrai le poing, me promettant de ne jamais faillir à mes valeurs morales. Tout cela n’était qu’une épreuve de la vie, croyais-je.

Faisant un nouveau pas jusqu’à toucher du bout du pied la surface liquide, je m’attelai alors à ma nouvelle tâche : apprendre à marcher sur l’eau. C’était quelque chose d’inimaginable, d’inatteignable à mes yeux. L’eau n’était pas dure comme le sol. Comment faire ? Fumetsu m’avait donné pour seule consigne de glisser du chakra sous mes pieds et je sentais l’entourloupe. Mais cette consigne, aussi maigre soit-elle, n’était pas sans me rappeler la marche sur les arbres ou sur les murs que j’avais appris au cours de mon rattrapage scolaire.

Je me doutais bien que cela ne devait pas fonctionner exactement de la même façon, mais tant pis, je n’avais que ça pour commencer, de toute façon. Joignant les mains pour former le mudra consacré, j’injectai mon chakra juste sous la plante de mes pieds comme pour gravir rapidement les surfaces verticales. Puis, non sans appréhension, je me décidai à poser le pied sur l’eau.

Au premier caillou qui toucha le sommet de mon crâne, je crus m’être pris une fiente d’oiseau. Levant immédiatement le visage vers le ciel, je me grattai la tête de l’autre main. A l’évidence, cette intervention céleste m’avait fait perdre tout semblant de concentration et déjà l’eau s’engouffrait entre mes orteils.
Et puis, malgré tout, je me réessayai à la technique. Et, de nouveau, je sentis quelque chose me percuter l’arrière du crâne. Cette fois, je l’entendis ; Fumetsu riait.

Je sentis le désespoir m’envahir. Mes épaules s’affaissèrent. Je savais que cela aurait dû m’agacer, mais ça n’était tout simplement pas dans mon caractère. Tout ce à quoi je pensais, c’était de prendre sur moi, de montrer que j’étais plus grand par ma force d’esprit et ma concentration. « Ne pas céder. » me répétai-je alors, silencieusement.

Ne pas céder et avancer. Je me concentrai alors sur le chakra sous mes pieds. Je ne comprenais pas comment faire pour marcher sur l’eau ; chaque tentative semblait vaine. N’était-ce pas la bonne quantité ? Et Fumetsu, lui, continuait à me lancer des trucs. Les larmes me montèrent aux yeux. « Je n’abandonnerai pas ! »

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Kamiko Fumetsu
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Kamiko Fumetsu
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L’adolescent ne prenait guère bien ces taquineries enfantines. Il ne comprenait sans doute pas l’intérêt de tels gestes : l’acquisition d’une intelligence à l’environnement et, simplement, la faculté de concentration nécessaire que se devait d’avoir n’importe quel shinobi. Shin ne voyait probablement que les moqueries d’un maître cruel dans la continuité de ses actions lors de la fameuse mission du pont. Tout ceci, Fumetsu n’en avait cure, à vrai dire. Phénomène rare, le Kamiko ne s’intéressait que peu aux infimes considérations de son étudiant pour sa personne. Toutefois, alors qu’un cri s’élevait démontrant par la même que l’esthète eut tort de sous-estimer l’enfant. « Bien ! Il démontre ses ressources et sa résilience. Une bonne chose de faite… » Amusé, il s’arrêta de lui jeter racines, cailloux et brindilles trouvés ici et là pour s’asseoir à ses côtés.

« Tu n’abandonneras pas, cette fois-ci ? Intéressant. Alors allons-y, prouve-moi ta force de caractère et marche sur l’eau. Comprends son mouvement, dompte ses caprices : grimper à un arbre docile est plus simple n’est-ce-pas ? Mais affronter le danger d’un tumulte, cela, est plus complexe, plus pernicieux. La vie est un torrent dans lequel les noyés font grand nombre. Utilise ta tête : si le mouvement d’une surface fluctue, il faut y joindre son propre mouvement, ici, son chakra. Sinon, autant avoir des patins en place et lieu des pieds. »

Afin de démontrer ses propos, il se mit à marcher aisément sur l’eau et se tournai vers son apprenti, souriant, goguenard.

« Avance. Rends-moi fier, Shin. Tu n’es pas un inconnu. Tu es un Kamiko. Plus tu grandiras, plus tu auras la force de museler les Hommes pour un rêve qui, je ne te le cache pas, nous est commun : la paix. »


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