Miiru Yuurei

C'est difficile de croire qu'un petit corps comme celui de Miiru peut contenir autant d'émotions à la fois. Et pourtant sa main gauche le montre bien, serrée à en faire blanchir les jointures sur son yoyo qu'il étreint depuis un bon moment. Son visage lui est plutôt calme, trop pour cet enfant. Son regard fixe le sol depuis de longues minutes alors que quelqu'un tente désespérément de le faire réagir en toquant à la porte. Mais qu'est-ce qui peut bien mettre un gamin dans un tel état ? Une simple mauvaise nouvelle. Enfin, c'est ce que tout le monde pourrait penser. Une obligation le forçant à grandir, à s'émanciper et à enfin couper ce lien bien trop fort qu'il possède avec son frère. La source de ces sentiments réside en quelques mots posés par son ancien senseï, celui de l'académie. Une simple annonce d'équipe. Pour tout le monde ce moment était signe d'un nouveau départ, sauf pour les jumeaux. Tsuku lui l'a bien mieux pris, moins accro si on peut dire. Il a toujours été celui à la tête de ce duo, prenant la plupart du temps les décisions ou en tout cas tranchant dans un sens ou l'autre. Miiru est plus celui que l'on pourrait nommer comme le suiveur des jumeaux. Souvent en accord avec son frère, bien que pour une bonne partie ce soit pour lui faire plaisir. Enfin, pas vraiment, plus une habitude. Depuis tout petit, il a occupé cette place sans jamais la remettre en question. C'est quelque chose de naturel pour lui. Bien sûr, cette position n'a pas toujours été possession d'un des deux. Mais Miiru a toujours cherché à avoir l'approbation de Tsuku avant de prendre une décision.

Ça ne fait qu’un jour que la nouvelle est tombée et le voilà déjà seul. C’est la première fois de sa vie qu’il se retrouve dans cette position. C’est nouveau pour lui. Et comme pour beaucoup de gens l'inconnu l’effraye. Jamais il s'est retrouvé séparé  aussi longtemps de celui que l’on pourrait nommer sa moitié. La plus grande peur qui s’est emparée de lui se nourrit de cette idée que ce  n’est pas la dernière fois que ça arrivera.

Ses yeux se posent sur son doudou, celui qui l’accompagne depuis aussi longtemps que Tsuku. Une tortue à moitié humanisée, aux pattes plus grandes qu’elles ne devraient l’être. Même sur ce point ils n’ont pas su se départager. Tous deux possédants une réplique de base exacte. Il n’est cependant pas difficile de les reconnaître aujourd’hui. Celle de Miiru a été rafistolée à de nombreuses reprises. Pour quelle raison ? Tout simplement car la gestion des émotions n’est pas son fort. Pour preuve le voilà se redressant, attrapant la peluche par la tête avant de l’envoyer valser dans la pièce.

C’est pas juste !

Miiru, il serait peut-être temps que tu sortes tu n’as pas encore …

La voix de l’homme se stoppe en sentant dans ses mains parcheminées le choc d’un objet contre l’autre pan de la porte. Un long soupir s’échappe du nez du grand-père. Une question le taraude depuis un moment. Doit-il intervenir maintenant ou non ? C’est toujours délicat avec ce petit-fils. Il n’a jamais été facile à gérer. La seule façon de le faire délicatement est d’attendre le bon moment, celui où il est le plus enclin à écouter mais surtout à prendre en compte ce qui lui est dit. Le seul pouvant le faire sans prendre de pincette est tout bonnement son jumeau. Pourtant cette fois-ci lui aussi a échoué. Une bonne intention de sa part se terminant en dispute le matin même, une incompréhension de la part de Miiru sur la facilité dont il accepte cette nouvelle. Il devrait cependant savoir que ce n’est pas parce que Tsuku ne laisse pas transparaître quelque chose qu’il n’en pense pas moins. Ils agissent comme si à la naissance on leur avait donné à chacun un côté d’une pièce pour répondre aux difficultés de la vie. Pour l’un c’est le fait de garder son calme, bien trop pour son âge, le poussant à parfois se morfondre caché de tous. L’autre est plus explosif comme l’oreiller volant contre un mur le démontre.

Tu devrais venir manger Miiru. Un nouveau bruit contre la porte. Très bien, je repasserais un peu plus tard.

On pourrait trouver cette façon d'agir à l'encontre de l'éducation. C'est mal connaître cet enfant, il ne sert à rien de tenter de lui parler quand son humeur n'est pas au beau fixe. Enfin, on pourrait tout de même en tirer quelque chose en temps normal. Mais ici, sous une telle tragédie à ses yeux, c'est peine perdue. Ce serait même contre-productif, l'enfonçant un peu plus dans ses émotions bouillonnantes. La peur et l'injustice ne sont pas les seuls sentiments à se disputer sa conscience. On peut y ajouter, à grosses louches, plusieurs autres. Comme l'incompréhension de cette séparation, mais surtout de l'acceptation de cette nouvelle de la part de Tsuku, qui à ce moment même passe un peu de temps avec sa nouvelle équipe sans son frère. La déception de voir ce qu'il voulait s'échapper entre ses doigts sans pouvoir rien y faire. L'incertitude de pouvoir se débrouiller sans lui. Mais surtout l'abandon, la solitude et la tristesse de se retrouver à partager son jumeau sans pouvoir en profiter. On peut le dire, le lien qui le lie à Tsuku est à la limite du malsain. Jalousant sans limite les coéquipiers de cette équipe dont il voulait faire partie, des camarades qui étaient les siens qu'il envie à présent.

Trois heures et six passages de son grand-père. C’est le temps qu’il lui a fallu pour enfin pointer le bout de son nez dans la cuisine. Les yeux gonflés et rouges à force de pleurer. Le nez de la même couleur suite aux agressions de sa manche pour en évacuer l’écoulement. C’est avec son doudou pendant à sa main qu’il se présente dans la pièce, à un pas de celle-ci, juste avant son seuil.

Que dirais tu d'un bon bol de miso Miiru ? On a aussi des pêches bien sucrées comme tu les aimes. L'enfant plante simplement son regard dans celui de son grand-père. Ne restes pas planté là. Le noirâtre s'installe à sa place, posant sa peluche d'un geste brusque sur la table. Fixant ses genoux tout en se mordant l'intérieur des joues. Dis-moi ... Le vieil homme pose un premier bol empli d'une soupe, suivi rapidement de divers plats contenant tous de petites quantités de divers mets. ... Tu fais équipe avec qui ? Aucune réponse hormis le bruit de la cuillère mélangeant frénétiquement le breuvage pour qu'il refroidisse. Hé bien, on dirait bien que quelqu'un s'est levé du mauvais pied aujourd'hui. Que dirais tu d'en parler avec ton frère à son retour ? Le geste se stoppe durant un instant. Les pupilles de Miiru se jettent de gauche à droite pour éviter de croiser le regard du patriarche. Vous pourriez peut-être trouver une solution avec votre senseï de l'académie.

On a déjà essayé ! Une réponse ? En voilà de l’amélioration.

Je vois, je vois … Ça n’a pas dû être concluant vu ton humeur jeune homme. Vous pourriez peut-être …

Je suis grand maintenant ! L’enfant coupe son aïeul. Je n’ai pas besoin de Tsuku comme lui n’a pas besoin de moi ! Mensonge ! Appuyé par un petit rire de son grand-père frustrant le petit un peu plus.

Combien de fois faudra-t-il que je te le dise ? Ce n’est pas parce que …

Je sais ! Une nouvelle impolitesse de sa part, sans parler de cette façon de s'empiffrer. Un coup de louche de bois sur la table fait sursauter le petiot qui enfonce sa tête dans ses épaules.

Tsss. À se demander si tu as reçu la même éducation que tes soeurs et ton frère. À croire que tu as été visité par un Tengu petit !

C’est faux ! Maman elle dit …

Tsss. C’est à son tour d’être coupé. Ta mauvaise humeur est légendaire quoique dise ta maman.

Miiru mange en serrant les dents face à cette accusation. Son visage s’est adouci au contact du répondant de son grand-père bien que les émotions bouillonnent toujours en lui. Ce silence de parole est bercé par les bruits que l'enfant profitant de son repas.

Pour te faire pardonner tu vas t’occuper du potager cette après-midi. Le petit-fils lève son nez du bol, cette fois-ci c’est un regard étonné qu’il aborde.

Mais … C’est pas juste ! Un nouveau sursaut provoqué par un coup de louche.

Mon dos me fait mal à cause des allers retours que tu m’as forcé à faire. Tu m’aideras pour que je puisse un peu me reposer ! Le ton est sec mais aussi rassurant.

Je dois aider papa.

Kinocho s’en occupe vu que tu as passé tout ton temps à râler. Il fait allusion à la plus grande de ses petites filles.

Désolé …

Mange au lieu de l’être. Ce qui est fait est fait Miiru. Si tu veux te faire pardonner prend des forces pour m’aider au lieu de traîner !

Ça peut paraître un peu brute comme réponse. Ce qui l’est d’ailleurs. Mais c’est l’une des façons de traiter avec ce petit bout de shinobi, mais surtout une manière de lui changer les idées. Tant qu’il sera occupé à aider il n’aura pas vraiment le temps de se morfondre sur ce qui lui arrive, de repenser à ce qu’il ne peut accepter pour le moment. C’est toujours le coeur gros de cette nouvelle qu’il s’empresse de terminer son repas son nez coller dans son bol pour emboîter le pas à son grand-père.