[Terminé] (Tadake) Yuri

En 500-2000 mots, raconte comment ton personnage vit cette ambivalence du "il" et du "elle". Tu disposes de deux semaines, bon courage !

Douce odeur que celle du bouillon qui se tenait au chaud dans sa marmite, agrémenté de ses quelques légumes et de miettes de poulet. Meilleure encore quand, enfin, il venait agrémenter un riche plat de nouilles, accompagné de quelques oeufs. L'échalote lui emplissait le nez, accompagnée de ses petits oignons et de cette tige verte que l'on coupait pour mieux décorer les plats. L'odeur était piquante, elle prenait aux tripes. Mais ça n'était pas cela qui avait fait monter les larmes à ses yeux. De véritables perles étincelantes, qui tombaient le long de ses joues, pour enfin finir leur chute dans ce bol abondamment garni. Il jouait avec ses baguettes, ayant du mal à entamer ce plat. Il s'empara vainement de quelques pousses de soja, mêlées à quelques champignons de type Enoki. Il aimait tant ce plat, il l'adorait depuis qu'il était arrivé ici. Cette enseigne méritait le titre de la meilleure enseigne de ramens du village. Ceci n'était qu'à ses yeux - et avait-il la prétention de le faire passer pour une vérité générale ? Absolument pas. Haru ne se donnait pas ce mérite, pas du haut de ses quelques années. Il n'avait jamais connu mieux, à dire vrai. Observant les alentours, il vit le regard attendrissant de la femme qui gérait la boutique ce soir. Cette dernière appartenait à un couple qui intervertissait régulièrement les places, mais quand il venait, c'était souvent elle. Elle vint poser une main sur la sienne, toujours de l'autre côté du comptoir. « Ne sois pas si dur, je sais que ça te touche, mais tu es un beau petit garçon, qu'importe ce qu'ils disent. » "Petit", ressassa-t-il dans sa tête. C'était presque comme s'il n'avait entendu que ce mot. N'était-ce pas l'une des nombreuses raisons qui le faisait paraître pour une adorable-petite-fille aux yeux de certains ? Il était petit, c'était vrai. Il avait les cheveux longs, c'était vrai aussi. Il avait un visage très fin, des traits féminins. Mais ce n'était guère ce qui le caractérisait le plus. Engloutissant ce qu'il avait su saisir grâce à ses baguettes, il commença à mâcher, sans répondre, sans pleurer plus encore. Il lança un bref regard à la femme, qui enchaîna avec une pointe de légèreté dans la voix. « Et cela ne te définit pas, regarde aujourd'hui ! Tu as passé l'examen pour devenir un shinobi, tu seras la fierté du village ! Tu as des ambitions et elles ne te définissent pas d'un sexe ou d'un autre. Par contre, toi, tu sais qui tu es. »

Le bruit qui suivit provoqua un silence total dans l'esprit du jeune garçon. Les baguettes rebondirent sur le comptoir dans un tintement doux, mais qui sembla accentuer son état. Il semblait être plongé dans son propre esprit, les yeux écarquillés, une moue peinée aux lèvres. Il se revoyait face à elle. Il se revoyait face à celle qui l'avait élevé comme une fille, qui avait tenté de lui donner une éducation aux antipodes de ce qu'il était au fond de lui. « Tu sais qui tu es, même si tu ne sais pas d'où tu viens. Quand ils t'ont trouvé, tu étais aux côtés d'une femme qui avait la même chevelure que toi, tu lui ressembles beaucoup de ce que j'ai pu entendre. Même si Haru n'est pas le prénom qu'elle t'a donné, tu es bien son sosie à elle et on ne doute pas que tu étais ton fils. Conserves cet héritage bien précieusement. » Tout en parlant, la femme - d'une quarantaine d'années - vint brosser ses cheveux, du sommet de son crâne jusqu'à leurs pointes, la brosse en crin de cheval venait dessiner leur légère ondulation.

Haru rouvrit les yeux, suffocant presque en essayant de reprendre ses esprits. La femme, qui se tenait de l'autre côté du comptoir à l'origine, avait pris place à ses côtés. Elle avait tenté de le calmer, notamment en venant poser ses mains sur les épaules du jeune garçon. Elle avait fait quelques doux mouvements - typiques d'un massage - tout en lui demandant de respirer. Lorsqu'il sentit les mains de cette dernière sur lui, il se leva brusquement de sa chaise et cria un grand "NON !" qui surprit les autres clients. Haletant, il fit un demi-tour agile sur la pointe des pieds, dans un geste gracieux que sa chevelure d'argent suivie en dessinant ses courbes. Il se mit à courir vite, loin, pour rejoindre les abords d'un terrain d'entraînement où il savait trouver un coin réconfortant. À ses yeux, un terrain d'entraînement ne représentait pas un danger. Il avait connu cela et au contraire, c'était davantage synonyme de bien être, de liberté. Il y voyait quelque chose de rassurant car c'était là-bas, grâce à un entraînement régulier - notamment pour les 400 - qu'il avait enfin vu une perspective plus heureuse pour cet avenir qu'il n'attendait pas, fut un temps. Mais c'était de quelqu'un d'autre que découlait ses ambitions. Elle s'appelait Yume, aussi belle que le clair de lune, la voix chantante comme le sifflement d'une hirondelle.

Les cheveux détachés alors qu'il observait l'eau, Haru se souvenait de quand elle l'avait appelé elle. Cela l'avait tant gêné qu'il en avait répondu qu'il était un "il", marquant par cela son mécontentement en usant d'un ton sec. Alors, pourquoi avait-il répondu sèchement à la jeune femme quand aujourd'hui, il était incapable de se défendre ? Pourquoi conserver une telle chevelure argentée - si belle et synonyme de son lien maternel - pour ne pas être capable de le supporter et de l'assumer par la suite ?

Haru n'avait jamais eu la réponse à ses questions. Trop faible, incapable d'agir quand les choses le nécessitaient (tout du moins, c'était ce qu'il pensait), il vivait encore bien avec le poids de son passé. Pourtant, c'était avec fierté qu'il se considérait parfaitement dans cet entre-deux entre les hommes et les femmes. Si Haru, tout au long de son parcours à l'académie, n'avait pas su répondre, ce n'était que par crainte des conséquences. Ne pas être accepté lui valait une grande angoisse qu'il peinait à faire partir.

Mais aujourd'hui, alors que sa chevelure lui tombait jusqu'aux fesses et qu'il s'apprêtait enfin à rejoindre une équipe, il comptait bien s'en servir et être quelqu'un. Haru l'androgyne, peut-être ? Ce qui pouvait sembler une insulte pour certains, lui, comptait le porter avec fierté.