Dog and Puppy [Flashback - Yamanaka Ao]

La chasse avait été fructueuse. L’enfant Inuzuka accompagné de son fidèle compagnon canin avait attrapé une biche. Armé d’un simple couteau de cuisine, le bambin encore à peine initié aux arts shinobi avait réussi à trouver la piste de sa proie. Déjà grand pour ses maigres 9 ans, il avait été capable de l’attaquer par surprise pour planter la lame mal aiguisée dans le flanc de l’animal.

La biche avait été trop rapide pour le louveteau et son chiot sauvage. D’un violent coup de sabot, l’animal s’était libéré et était partie à la course. Effrayée. Elle n’avait pas anticiper la présence d’un prédateur. Ses instincts l’avaient trahies en ignorant la dangerosité de l’enfant. En croyant que la progéniture Inuzuka était encore sans défense.

La biche était rapide. Faible animal capable uniquement de fuir devant le danger. Le seul et unique moyen de défense qu’il lui restait. Mais il était déjà trop tard. Gokudera avait déjà pris goût à son sang. Le regard doux de l’enfant avait pris une teinte plus inquiétante. Fixé vers l’horizon. Concentré sur un point singulier. Sa vision s’était rétrécie. Les autres odeurs avaient disparues. La biche occupait l’entièreté de son esprit et de ses sens.

D’un même mouvement, Gokudera et Yokei s’élancèrent dans leur chasse. Malgré l’avance de l’herbivore, elle ne faisait pas le poids. Les traces du sang de l’animal étaient visibles à leurs sens exacerbées. Un seul chemin se déroulait devant eux, sans autre préoccupation ou alternative. Avec au bout de ce dernier un seule lueur. Sa proie.

La traque fut longue. Exténuante. Mais ni Gokudera ni Yokei ne ressentaient l’épuisement. Uniquement l’exaltation et l’adrénaline de la chasse occupaient leur corps courant à quatre pattes pour rattraper leur proie. À quatre patters, ils arrivaient aux frontières des terres occupées par leur clan pour être à quelques mètres seulement des terres luxuriantes de leurs voisins. La côte verdoyante des sources chaudes se déroulaient devant lui à quelques mètres de distances.

Et juste aux abords de leurs frontières, les prédateurs rattrapèrent la biche meurtrie. Épuisée par le sang perdu, elle avait perdu de sa vitesse et de grâce jusqu’à s’enfarger dans ses propres pattes. Et alors qu’elle tentait en panique de se relever, il était trop tard. Yokei fut le premier à atteindre la cible. Le chien sauvage attaqua directement la nuque élancée de l’animal, refermant ses crocs sur son cou pour la maintenir au sol. Gokudera eu alors le champ libre pour plonger le couteau effilé dans le poitral de la bête.

Un coup. Deux coups. Trois coups. D’innombrable coups. Le sang giclait sur les deux animaux et éclaboussait la clairière. L’enfant obsédé par son amusement ne laissait échapper que quelques onomatopées plus proche du grognement animal. Avant de détourner son visage taché de sang en direction de l’intrus qui avait osé s'approcher.

De l’autre côté de cette barrière tacite, une petite jeunesse aux cheveux de blé contemplait la sordide affaire; la chaîne alimentaire et la loi de la jungle ont vite fait de lui faire tirer une moue de dédain et  de teinter son regard d’une terreur indélébile. Sa première vue du bas peuple de la Vallée lui laissera donc un goût amer.

Les mots voulaient sortir de sa bouche et se loger dans l’autre garçon aussi violemment que le poignard de fortune s’insinuait dans la chaire de la pauvre bête, mais quelques souvenirs de paroles infâmes ont vite fait de lier la langue du petit. Les ninja restent de marbre devant les actes les plus ignobles, telle est leur condition.

Incapable de réfléchir par lui-même, insipide au possible, le jeune Yamanaka choisit de s’approcher un peu de la limite des deux terrains pour rejoindre le rocher de la côte et s’y asseoir, prêt à regarder le spectacle et à se faire du mal. Le paternel avait décidé qu’il partait avec son enfant pour lui montrer ce que c’était qu’un tour de garde au bas de la montagne, et le petit ne voulait ni déplaire ni faillir à la tâche. «...»

Tant mieux si c’était la tâche du jour, il vallait mieux ça que se faire lancer des aiguilles dessus ou se faire défaire à coup de katana. Qu’on joue d’un peu d’honnêteté; le jeune Ao Yamanaka est un esprit vide, un être chétif enfermé dans un carcan de médiocrité parce que la tradition du patriarche ne permettait autre qu’une masculinité toxique. On lui a enlevé son enfance par orgueil, parce qu’on voulait en faire un fier représentant du monde des ombres, et voilà le résultat. Un enfant qui ne vivait que pour s’échapper et qui ne savait pas réagir à la violence naturelle de la vie, alors qu’il le fallait.

Une petite chose, passive au possible. Une existence fade faite de longueurs avec quelques beaux moments disposés avec une très grande parcimonie, histoire de s’assurer que le bonheur d’être humain ne reste pas trop tentant.

Alors il restera là, ne sachant trop que dire et n’osant pas importuner le jeune garçon dans son immonde déversement de rage meurtrière (du moins, c’est ce qu’il comprend du geste). Au mieux, il détaillera le chien sali avec envie et peut-être une touche de jalousie (il avait toujours rêvé d’avoir un petit chien, mais papa dit qu’on n’est pas un de ces tarés d’Inuzuka), et au pire si on se permet de l’approcher il s’effraiera, reculera en questionnant le jeune homme: «mais pourquoi tu fais ça» ou bien même «qu’est-ce que tu fais ici».

L’enfant et son petit chien étaient couverts de sang. La biche était morte. Le cuir de la bête amoché et sa fourrure trouée de part et d’autre. Une carcasse sans outre valeur que sa propre chair. Il ne restait rien d’autre avec lequel s’amuser pour le Inuzuka et il s’en désintéressa aussitôt. La soif de sang étanchée par le linceul de la mort.

Le meurtre accompli, Gokudera se releva sans autre cérémonie pour frotter de sa petite main son visage couvert de sang. Il n’était après tout pas un aimal. Pas comme ce vulgaire chien qui le suivait partout et qui était encore occupé à mâchouiller la carcasse de leur dernière proie. Les hommes et les animaux avaient les mêmes besoins. Les mêmes envies. Mais l’homme était capable de se contrôler. D’où sa supérioité.

Les traces de son méfait maigrement dissimulé, l’aspirant shinobi fixait désormais le nouveau venu. Dès son approche, il avait pu remarquer l’odeur étrange du blondinet. Un mâle. Ou presque. Rien de plus incertain. Étrange, même pour un enfant. Tant qu’il ne s’agissait pas d’une autre idiote comme l’une de ses quatre sœurs. Ou pourquoi pas. Il avait encore assez d’appétit.

“Tu n’as pas participé à la chasse. Tu n’y as pas droit.”

Gokudera s’était prononcé d’une voix ferme bien que toujours enfantine. Comme s’il énonçait une évidence ou qu’il voulait s’assurer que le nouveau venu connaisse les règles de son territoire. Les cheveux blonds et le corps frêle du nouveau venu posté sur le rocher à la limite de la Vallée. Il ne connaissait pas les autres clans. Et ne s’y intéressait pas. Le loi de la jungle était universelle. Le seul règne que reconnaissait l’enfant Inuzuka.

Le nouvel arrivé méritait au moins un avertissement. Mais pas deux.

“Ta tunique…tu n’as pas encore commencé ta chasse?”

L’Inuzuka était peu locace. Peu habitué à s’intéresser à autrui. Mais ce gringalet trop propre sur lui l’intriguait. L’odeur étrange. La tunique soignée. Le visage de porcelaine et ces longs cheveux blonds. Gokudera n’avait jamais rien vu de tel. Il ne savait pas quoi en penser.

Au moins, les appétits sordides de l’enfant avaient-ils été assouvis. Pour le moment.

Autant admettre pour ne pas se compromettre plus tard; le petit Ao aurait bien pu se retirer et ne jamais piper mot de ce qu’il venait de voir, il aurait même pu dire à l’autre gamin que ça ne se faisait pas, de tuer des bêtes pour le plaisir. Tiraillé entre l’agressivité du père, l’ouverture d’esprit de la mère et l’indifférence mesquine du shinobi qu’il n’est pas, il choisit de plier et d’admettre : «je ne chasse pas...»

Bien sûr qu’il ne chasse pas; Ao sait bien qu’il se tient devant un être différent venu d’un monde à l’opposé du sien. Ao lui aurait bien dit que sa tunique s’appelle un kimono, mais il a l’étrange idée que l’autre ne le comprendrait pas. La limite des deux terrains existe pour une raison; l’un ne peut pas saisir l’autre. Il n’y a pas d’écrits, d’interdits visibles qui le forcent à s’éloigner, mais il sait plus ou moins ce qui se trouve en face de lui, à la limite de… la limite.

Le petit peut sentir l’énergie du grand garçon devant lui suinter par tous ses pores. Loin de se douter qu’il deviendra un jour l’un des meilleurs limiers de sa famille, Ao n’ose pas se vanter de ce talent mystérieux; pour son père, cette affinité n’est qu’une distraction. Ainsi, il se met à chercher sur lui ce qui peut bien intéresser l’autre garçon, se disant qu’il devait probablement avoir faim s’il chassait du gibier.

Caché dans les pans de son kimono, des petits biscuits au miel et une gourde de thé froid; de quoi accompagner le jeunot dans sa première ronde. «C’est ça que tu sens? Tu en veux un peu?» Il avait bien vu qu’on le reniflait, même de loin; de quoi se douter de l’appartenance du grand garçon. Accompagné d’un chien, assez rapide pour rattraper une biche… Un Inuzuka?

C’est une méthode comme une autre que de faire offrande pour limiter le danger encouru quand on fait face à un prédateur. Puis sa maman en fait toujours trop pour compenser les manquements du père, jamais il ne pourrait passer au travers sa collation. En posant deux ou trois galettes sur un linge au bout du rocher, Ao fait signe à l’autre de s’approcher en reculant du même coup. «Tiens, tu peux les prendre si tu veux. Tu peux prendre le linge pour te débarbouiller aussi, c’est pas bon le sang...»

Visiblement, il tente de se montrer courtois et invitant tout en gardant ses distances. Il ne sait pas jauger les risques, alors il fait au mieux pour se montrer accueillant tout en essayant de se préserver. Pourtant, le jeune chasseur ne semble plus faire autant peur au petit.

L’enfant avait froncé les sourcils aux paroles de l’autre gamin. Déconcerté par cette affirmation incongrue. Incapable de véritablement comprendre le sens de ces paroles. Tout le monde chassait. Pour se nourrir. Pour le sport. Pour le plaisir. La raison n’avait aucune importance. Mais il s’agissait d’un impératif.

Le Inuzuka incapable de saisir une autre réalité que la sienne. Aussi, préféra-t-il comprendre des dires du blondinet que ce dernier ne chassait pas présentement. Certainement repu de sa dernière chasse. Comme il se devait. Au moins savait-il que son trophée n’était pas menacé.

La tenure du Yamanaka et la propreté de sa personne suffisait à Gokudera pour lui indiquer qu’il n’était pas une menace. Ou du moins, pas de celles qu’il savait percevoir. Aussi décida-t-il de ne pas le défier pour affirmer sa dominance. Elle lui semblait assez évidente…l’enfant déjà qualifié comme un colosse par son clan adepte des combats physiques en imposait certainement à un étranger.

Un reniflement suffi à lui laisser goûter le goût sucré du biscuit. Une gâterie délicate au miel comme on en faisait peu chez les Inuzuka. Les membres du clan manquant souvent de la délicatesse nécessaire pour s’adonner à la pâtisserie. Un instant, il regarda incrédule son interlocuteur, mais finit par prendre galettes enrobées dans le tissu. Inconscient des risques d’accepter tel cadeau d’un inconnu.

“Oui...j’en veux.”

L’appétit féroce de l’enfant remplacé par une envie plus curieuse. Plus délicate. Il en oublia même sa première proie. Ses attentions déviées pour un court moment en direction d’autre chose. Gokudera développa les galettes pour les renifler une nouvelle fois. Il les tâta de ses doigts curieux avant d’en saisir un et d’y goûter d’une petite bouchée…les yeux de l’enfant s’agrandirent alors qu’il enfourna dans sa bouche le reste du biscuit presque intact.

“C’est bon.”

La réflexion avait été formulée dans les airs, sans qu’il ne regarde directement son bénéfacteur. Mais il s’agissait visiblement d’un remerciement avant d’engloutir les autres biscuits d’une traite.

Les biscuits terminés, il releva le regard vers le second enfant, son visage taché de sang maintenant couvert de miettes de biscuit.

“Merci. Je suis Inuzuka Gokudera. Et toi?”

De bonne foi, il suivit son conseil et s’essuya la bouche avec le linge pour retirer les miettes (et un peu de sang), avant de lui tendre le linge. Ils étaient amis maintenant.