[Flashback - Solo] Seul, je sens le vide qui m'entoure.

Hauteurs des Montagnes Rocheuses
Abords du désert de Kohan
Sombre nuit sur ciel constellé
An -5

Les étoiles filantes dansaient sur le ciel éteint du Sekai. Fugaces et éphémères existences sublimant les rétines de beauté. Une douce bise frôlait les hères plus bas, dans le désert, se mêlant aux effluves d'encens et aux braises de la fête. Les âmes se réchauffaient et les corps commençaient à s'éveiller les uns aux autres dans une danse sensuelle. Loin, haut, au-dessus de ces lointains bruits virevoltant autour des torches, Yu. Le jeune homme venait de fêter ses vingt ans. L'âge de quoi? De raison? De maturité? Du début de la sagesse? Conneries. Dans un an à compter de ce jour, il serait mort. Enterré. Enseveli sous une tonne de gravats dans une tombe anonyme. Où emmenait-on les Zhao qui n'avaient pas de Jin à protéger? Ah oui... La Vallée de l'Eternelle Nuit. Pfff. Il était las de tout ça. Las des traditions, las des faux-semblants qui entouraient sa famille et celle qu'ils servaient lui et les siens.

Allongé sur le dos en équilibre au bord d'une saillie rocheuse, le jeune homme venait de vider une bouteille entière de saké et tanguait dangereusement, embrassant le vide qui l'appelait. Son père avait disparu il y avait huit ans de cela, échouant au profit de son oncle Gu, un personnage abject que Yu détestait tout autant qu'il le craignait. Son monde s'était éteint. Il avait d'abord nié. S'était enfermé derrière un rempart impassible. Un visage froid, un ton sec, un visage appliqué. Seul son grand-père Fei avait vu le vrai Yu pendant ces huit années. Huit années d'entrainement acharné dans lequel il avait aiguisé ses forces et laissé paraître ses faiblesses. Plus de deux milliers de jours à se lever sans relâche à la même heure, à effectuer les mêmes rituels, les mêmes gestes, jusqu'à ce que tout ne soit plus qu'une routine infinie. Le temps était passé vite, bien trop vite.

Seul, je sens le vide qui m'entoure.

Vingt ans bordel. Son corps avait bien changé depuis ces années de labeur. Ses muscles avaient gonflé, pris forme. Ses os avaient durci, sa barbe poussé. Il était un homme. Criblé de sept cicatrices sur son torse. Faites par sa fratrie. Comme quoi, on ne choisit pas sa famille.
Roulant au bord du vide et penchant sa tête pour avaler un grand bol d'air frais, il vomît. Le jus corporel alla s'étaler quelques centaines de mètres plus bas, vestige d'un repas à peine entamé.

Seul, je sens les bras de la mort m'enserrer.

Des larmes d'amertume roulèrent sur ses joues. Salées. Son masque venait de se fissurer de haut en bas. Jamais au grand jamais il n'avait cédé ainsi mais le poids du monde sur ses épaules le faisait ployer en cette belle nuit d'automne. Posant un regard hagard sur le monde, il tenta de serrer le poing mais son corps était gourd. Putain de malchance. N'aurait-il pas pu naître ailleurs? Dans un petit village de pêcheurs au bord de la mer, aidant ses parents pour vivre une vie simple et heureuse? Peu importe où, mais pas ici. Pas ici.

Mais je ne suis pas seul.

Tendant l'oreille derrière lui, il entendit un craquement de branche. Quelqu'un approchait. Il fallait en finir. Vite. Se redressant sur ses jambes maladroitement, il entreprit de réaliser ce qu'il avait décidé de faire en ce jour funeste. Mourir. Mettre fin à ses jours. Se suicider. En terminer avec cette grande chienne qu'était la vie. Par contre, il n'avait pas prévu d'être pris en défaut par un voyeur quelconque. Il s'était donc résolu à aller plus vite pour ne pas être vu. Les bras en croix, il enserra l'immanent voile d'air tremblant devant lui et se laissa tomber en avant. Le vide lui faisait peur tout à coup. Il ferma les yeux. La chute sembla durer une éternité. Peut-être était-ce à cause de l'adrénaline qu'il n'avait rien senti.

Non. Il n'était pas seul.

Deux puissants bras étaient venus l'entourer, précédés par un souffle de vent chaud et réconfortant sur sa nuque. Zhao Fei. Le vieil homme ne dit rien. Il se contenta de le serrer fort. Très fort.

"Grand-père..."

Yu n'avait pas les mots. Retenu par son aïeul lui même à l'horizontale sur la paroi, il ne sut quoi dire.