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Sans Accroc - Feat Fumetsu Kamiko

Kamiko Raion
Kamiko Raion
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Kamiko Raion


 
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Feat Fumetsu-kyun ~

 
Le silence tranquille de Konoha, baigné de la lumière lunaire d’un astre bien installé dans la voûte nocturne. Le délicat murmure bruissant qui sonne aux oreilles comme une symphonie, accompagnée de la fragrance si chaude et si douce de la serre toute proche. Le domaine Kamiko, perle verte au milieu de la ville, inonde la nuit des milles nuances végétales. Les rayons de la lune percent les frondaisons des cerisiers pour se poser tendrement sur les pétales des fleurs qui entourent les sculptures. Paradis des plantes, fastes de la culture, ainsi est l’incarnation du chez soi parfait au sens des tisseurs de chakra. Parfois, cette utopie terrestre est troublée par les étincelles des lampes qui s’échappent des fenêtres des rares âmes encore éveillées du clan. D’autres fois, pour accompagner cette nuisance visuelle, sortent les sons des rires et les vibrations chaleureuses des instruments de musique qui les accompagne.

La faveur de la nuit, telle que Raion la conçoit, ravit son cœur bien plus que la satisfaction des chiffres de vente exaltés par les récents évènements internes. Si elle devait bien savourer une chose de ce changement de Kage, c’était la présence féminine qui avait stimulé l’écoulement des kimonos à ses couleurs. Un phénomène d’autant plus important qu’il avait été aussi marqué par le mariage des Tadake. En un instant, une note rejoint les rapports. Il faut célébrer la nouvelle, comme dise souvent les anciens, et quoi de mieux pour ça qu’un geste commercial ? Oui, c’était décidé, il était temps que quelqu’un se charge d’habiller Yûriko et la si tempétueuse tête du clan avait bien une petite idée de qui. Un sourire narquois se dessine sur le visage de Raion, alors que son esprit file à nouveau par la fenêtre pour profiter du vent frais qui lui parvient de temps à autre.

A cette heure-ci, son père devait déjà être couché mais le nouvel étendard des Kamiko n’avait pas pu trouver le sommeil. La raison gisait dans la corbeille à papier. La liasse, dont la plupart des feuilles avaient été brûlées une à une avec un soin à la limite de la perversion mentale, était dans un état si piteux qu’il était difficile d’en lire plus de quelques mots agencés de façon cohérente pour en faire une phrase intelligible. Seule la première page, frappé des kanjis du mariage, était indemne des intentions pyromanes dont avait souffert ses sœurs. Il n’était pas nécessaire d’être devin pour comprendre la réponse de Raion à cette longue liste de soupirants. Il n’était pas non plus nécessaire de faire preuve de don de claivoyance pour comprendre que les notes qui entouraient les caractères de la première page était une longue suite d’insultes variées et élaborées que la jeune femme avait gribouillé dans la colère. Elle l’avait dit, pourtant. Elle n’épouserait rien d’autre qu’un Senju, si elle en trouvait le besoin et au moment où elle en aurait le besoin. Pourquoi diable les anciens étaient-ils aussi insistant ? Pourquoi diable, devait-elle se définir par le nom d’un homme dont elle ne voulait ni l’aide ni la présence ?

Un long soupir s’échappe des lèvres de la brune. La lassitude de ses nouvelles fonctions la rendait encore plus explosive que d’habitude. Une aubaine pour elle, une malédiction pour d’autre mais si vous connaissiez un tant soit peu la jeune femme, vous sauriez que c’est là un détail indigne de son attention. Repoussant finalement sa chaise, Raion abandonne le bureau et les contrats derrière elle. Sa tasse de thé encore chaude dans les mains, elle se plonge encore une fois dans la contemplation du domaine pour apaiser son lunatisme latent. C’est alors qu’un détail lui saute aux yeux. L’ombre, discrète, se faufile jusqu’à la serre avec le pas de quelqu’un dont l’impatience de rentrer chez soi est indéniable. Une vague clarté de la lune réverbère sur le corps de l’homme albinos et miroite jusqu’à la chef de clan. Ainsi donc, le cousin Fumetsu était encore levé lui aussi. Un air narquois se glisse sur les traits de la jeune femme, alors qu’elle fait tourner sa boisson dans son récipient. Elle savait à quel point il affectionnait la retraite dans ce lieu et, avec tous le soin qu’il avait mis à entretenir la serre, Raion n’avait pas jugé nécessaire de l’en déposséder. Soignez vos soldats, apaisez leur âme et admirez les s’épanouir pour protéger cette paix sur un champ de bataille. Du moins, c’est ce que disait le dicton et la version de la nouvelle chef de clan ne différait que de peu. La brune se lève donc, tranquillement, quittant la lumière qui nait au sein du paradis floral des Kamiko.

Un regard vers le bureau apprend à la jeune femme que, si la théière est vide, il lui reste encore de l’eau à disposition. Quitte à rendre une visite surprise à son cousin, autant y mettre un peu de forme. Les minutes s’écoulent lentement, jusqu’à ce que finalement le bruissement de l’ébullition sonne comme une délivrance. Une feuille quitte le lit rassurant du bois du bureau et glisse dans les vêtements de la couturière avec un murmure inquiet, comme si sa sortie n’annonçait qu’un mauvais présage. En un clin d’œil, la jeune femme prépare une nouvelle tournée de sa boisson préférée et attrape deux tasses. Il ne lui faut pas plus de quelques minutes supplémentaires pour s’extraire du barbant cabinet de chef et à peine quelques pas pour rejoindre l’extérieur. Elle aurait aimé passer par la fenêtre et circuler sur les branches tendres que la vue surplombait, mais Raion avait horreur du gâchis. Encore plus particulièrement quand ça concernait une chose aussi simple que du thé vert au jasmin.

La petite lionne se glisse dans le sillage encore récent de Fumetsu. Elle s’arrête même, l’espace d’un instant, pour savourer la fraicheur du vent au milieu des feuilles, avant de pousser les portes décorées de la serre familiale. Embaumée instantanément par le parfum des fleurs, la jeune femme pousse un soupir de satisfaction qui laisse son visage détendu et serein. Elle se félicita d’avoir appuyé la réclamation de la branche Terrain contre la branche Production : le résultat actuel était de toute beauté, au-delà de ses espérances. Le bruissement des feuilles et le bruit délicat de l’eau annonce à Raion qu’elle arrive sans doute pendant l’entretien de certaines plantes. Une curiosité qui la pousse à suivre son ouïe pour finir par surprendre son cousin en plein travail. Un sourire et un sifflement plus tard, la seconde tasse quitte les mains de sa propriétaire pour décoller vers Fumetsu. Il n’y avait aucune animosité dans le lancer, si ce n’est une petite pointe de jeu dont l’ombrageuse Kamiko était coutumière lorsque son humeur était bonne. La satisfaction éclaire encore plus son visage lorsqu’elle observe le jeune homme en face d’elle réagir.

   
   
« Bon réflexes, comme on s’y attendrait d’un chef de branche, juge-t-elle avec un brin d’humour dans la voix. Elle lève la théière à hauteur de son visage, comme pour excuser cette entrée en scène agressive. Qu’est-ce qui amène le si parfait et si discret Fumetsu Kamiko ici à cette heure de la nuit… commence-t-elle en se rapprochant, nonchalamment, de son interlocuteur. Serait-ce peut être les quelques rapports de retard ? Ou peut-être l’insomnie, qui sait ? A moins que … La main libre de Raion fait apparaitre la pauvre petite feuille qu’elle avait glissé dans son haut. Toi aussi, tu ne te mettes à essayer de te débarrasser de moi ? »

   
La photo d’un jeune homme brille au clair de lune et, comme complice, la lumière tombe doucement sur un paragraphe particulier. Souligné comme pour en marquer l’importance, la ligne porte une mention discrète mais pourtant si importante. Parmi toutes les informations d’un CV bien garni et sans doute plus que parfait, la Kamiko n’avait retenu qu’une seule chose : la petite phrase, presque illisible, où se tenait la signature de Fumetsu et l’approbation de celui-ci pour l’énième candidature de mariage qu’elle n’avait pas lu. L’éclat amusé du regard fauve de la jeune femme ne quitte plus son interlocuteur. Elle attend des explications et, peu lui importait l’état de son interlocuteur. Raion n’était pas de ces femmes lascives qu’on faisait attendre. Elle prenait ce qu’elle souhaitait au moment où elle le jugeait opportun. Ce soir, pour le malheur de son cher cousin, c’était tombé sur lui.
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L’artiste, l’esthète Kamiko, ne dormait pas, pas encore, affairé dans son bureau à des recherches privées et dangereuses où seule une unique calbombe éclairait des parchemins usés, vieillots, signe d’une ancestralité toute relative, créant une atmosphère de secret encore plus forte, renforçant, aussi, le caractère noir de telles pratiques. Balayant d’un regard fiévreux les inscriptions et les sino-grammes qui dansaient sur le papier parcheminé, le Kamiko drapé de blanc lisait avec passion. Il poussait parfois quelques borborygmes disgracieux pour manifester son accord – ou son désaccord – avec les observations faîtes par tel ou tel spécialiste. Finalement, l’esprit embué, il remarquait qu’il avait sauté quelques lignes dans sa fatigue, réduisant à néant ses efforts nocturnes. D’un geste rageur il frappait son bureau mais se retint juste avant l’impact, la mâchoire crispée et les yeux embués. Se rencognant alors contre son fauteuil, expirant d’exaspération, il regardait à travers la fenêtre : le parc du domaine n’était éclairé que par quelques lumières malhabiles projetant des ombres inquiétantes – fut-ce un endroit malfamé que des êtres aux odieuses intentions pourraient s’y terrer.

Il ne sut pas pourquoi, ni comment, mais en un clin d’œil, il était sorti, se dirigeant avec fougue et vitesse vers la serre : son repaire, son havre de paix. La serrure ne lui résista pas longtemps puisqu’il en avait les clés, et il pénétra l’antre, la verrière parfaite qui abritait ses secrets, ses pensées, ses expériences (autant florales qu’humaines), ses peurs et ses ambitions : une extension de sa personne toute entière. Démesure, délicatesse, orgueil, tout pouvait s’apercevoir si tant est que le visiteur possédait un œil expérimenté afin de découvrir la symbolique derrière chaque plantes, chaque arbres et plus récemment, chaque espèce d’araignées qui filaient leurs toiles paresseusement. Humant l’air avec contentement, le Kamiko fut apaisé presqu’instantanément et, bien assez tôt, se mit à se promener dans les travées jusqu’à ce qu’il aperçut un banc de fleur nécessitant un entretien immédiat. Etonné par un tel manquement, Fumetsu regardait de plus près les différentes compositions : elles manquaient d’eau. Bouche bée, quelque peu attristé, il se rendait maintenant compte que sa nouvelle obsession le détournait des choses auquel il était le plus attaché. Résolu de se reprendre en main, il alla chercher un arrosoir qu’il remplit d’eau avant de s’atteler à un entretien nocturne, presque secret, presque voulu, de ses chères plantes qui furent, fut un temps (ou peut-être encore aujourd’hui, son esprit désorienté, il ne le savait plus lui-même : s’acharnait-il à combattre une nature différente, aujourd’hui ?), la prunelle de ses yeux. C’est alors, dans un éclair de porcelaine, que sa cousine apparut avec malice, lui projetant une tasse au visage tandis qu’elle se moquait ; il l’avait esquivé dans un recul, ne souhaitant lâcher l’arrosoir afin de ne pas éclabousser d’eau la travée et ses fleurs.

Dans un sourire crispé, il dévisageait d’un regard torve la cheffe des Kamiko se présenter face à lui. Fatigué, il rangeait son fardeau en-dessous d’un atelier, le poussant plus loin avec son pied afin de ne pas le renverser par inadvertance. Jetant un coup d’œil à la photo, il sut de quoi elle voulait parler, un brin de malice dans la voix. Alors, se relevant, il sourit faiblement, les yeux toujours braqués sur l’image. « Mais non, voyons, moi ?, me débarrasser de toi ?! Quelles odieuses calomnies… Je ne souhaite que ton bonheur, et je sais que martyriser un pauvre prétendant te rend heureuse, pourquoi m’en priverais-je, alors ? Puis, non, décidemment, il te convient, non ? Il te ressemble étrangement : un fou furieux. » Il régnait une étrange relation entre les deux cousins, un mélange de respect, de complicité et une pointe de rivalité bégnine. Etrangement, Fumetsu l’appréciait malgré le fait que la prénommée Raion s’amusait inlassablement à le titiller ; elle possédait des qualités indéniables qui faisaient d’elle une alliée, une amie, de choix. Reprenant alors, un sourire moqueur étirant ses lèvres, il taquinait à son tour. « Tu sais qu’au vu de ton caractère, la moitié des prétendants ne souhaitent même pas te rencontrer : ils ont peur de toi et ce malgré mes discours dithyrambiques. Tu n’es d’un bon parti que le nom. » Riant légèrement, il plissait ses yeux avec tendresse, oubliant son malheur un instant.
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Raion regrette, pour l’aspect purement théâtral, de ne pas disposer de Katon. Elle aurait aimé admirer la réaction de ce cousin qu’elle trouvait trop sérieux. Elle aimait, à chaque fois, le pousser dans un nouveau retranchement comme elle savait si bien le faire avec chacune des personnes du clan. Parce que la plus capricieuse des Kamiko jetait tant de chaos dans son sillage, elle savait que personne ne lui en tiendrait rigueur. Il était de notoriété publique, pour ceux qui la cotoyait, que la jolie brune ne regardait pas à la méthode mais plus au résultat. Peut-être était-ce ça, qui en faisait une si bonne candidate pour la succession. Ou peut être pas. Elle se met à rire de bon cœur avec son cousin.

   
« L’amusement ne vaut pas toujours le dérangement, mon chaton. Mais si au moins, les rumeurs te font rire, tout n'est pas perdu.Servant le thé malgré le décès prématuré de la jumelle de porcelaine, Raion choisit de l’offrir à son cousin avec gentillesse. Mon caractère est parfait, vous omettez tous simplement de prendre en compte que je vous ai prévenu. Je n’ai pas besoin d’un parvenu dans les pattes et encore moins en ce moment. »


Le regard de Raion se fait plus insistant. De sa main libre, elle saisit le menton de son interlocuteur avec soin pour lui faire tourner la tête. Le visage de Fumetsu est tiré par un sentiment qu’elle ne saurait interpréter. Si la douceur et la bonne humeur avait très vite caché ce spectre de tension, il ne lui avait pas échappé. Pas plus que les cernes qui tentait de se faire discrète sur ses joues, ni même la réponse étonnamment pacifique de son chef de Branche préférée. La brune avait toujours été comme ça, jaugeant ses cousins par la provocation et l’asticotage en règle. Si l’albinos trouvait encore la force de lui répondre, il semblait pourtant comme guindé, limité par une chaine invisible qui déplaisait à la maitresse du clan. Ils restent donc là, un instant, comme deux faux amoureux au milieu d’une serre démesurément romantique au demeurant. Une situation qui pourrait paraitre au combien ambigue, si on excluait la rumeur persistante, comme le jeune homme en avait déjà fait mention, des légendaires caprices de le Kamiko. Les spéculations allaient bon train, la targuant de frigide colérique ou plus sournoisement de préférer la compagnie de son propre sexe. Certains pouvaient même risquer de lui attribuer un amoureux secret et honteux, dont les diverses identités donnaient toujours lieu à une longue minute de fou rire à la jeune femme. Encore une fois, il était pour elle impensable de céder à un homme. C’était là le début de cet esprit féministe, dont l’ascension de Yuriko confortait dans ses envies d’indépendance. Elle avait d’autre chat à fouetter que de s’occuper d’un parvenu qui tenterait d’accaparer le prestige du clan à son propre avantage.
   
   
« Mais cessons de rire de moi, si tu veux bien. Elle le relâche finalement, insatisfaite par ce qu’elle voit transparaitre dans ce cousin d’ordinaire si solide et serein. Elle lui tourne autour, comme un fauve à l’affut, soudainement inquiétée par ce que son management parfait ne peut contrôler. Depuis combien de temps es-tu comme ça ? Avec un doigt accusateur, elle le pointe. Inconsciemment, son autre main atterrie sur sa hanche, achevant de lui donner l’air autoritaire qu’elle affiche déjà sur son visage la plupart du temps. Et n’ose même pas me mentir, Fume, ou je te jure que je vais faire de ta vie un enfer jusqu’à savoir ce qui ne va pas. »


Raion se penche alors, récupérant d’une main l’arrosoir et de l’autre la théière qu’elle avait abandonnée tantôt. Elle repousse du pied les débris de sa défunte tasse pour les positionner hors de l’allée. Quelqu’un s’en occuperait plus tard, là n’était pas sujet à préoccupation. Faisant signe à Fumetsu de la guider dans son si luxuriant chez lui, elle espère le soulager un peu de son fardeau. Peut-être même pourrait-elle y remédier, s’il daignait lui faire assez confiance pour se confier. Etait-ce la prochaine annonce de l’identité de l’intendant qui le mettait ans un état pareil ? La lionne espérait que non et, si quand bien même cela s’avérait être une concurrence inquiétante, elle était prête à faire campagne si le besoin s’en ressentait. Instantanément, elle commence à chercher par quel moyen amusant elle pourrait pourrir la vie de cette ombre au tableau des ambitions du clan. La diffamation était trop lente et trop couarde à son goût, elle voulait quelque chose de plus proche, de plus théâtral pour Fumetsu. Elle songea alors qu’il est peut-être temps de donner réception. Nouer des contacts, autour de coupe de saké et de dango sonnait rudement bien.
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Kamiko Fumetsu
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Son sourire s’effaça un instant pour refleurir de plus belle, conscient que peu de choses échappaient à sa cousine, cette mégère au jeune âge savait s’y prendre pour comprendre les émotions : une empathie réelle qu’elle cachait derrière une attitude bourrine et agressive. Obéissant à l’ordre, non pas impérieux mais fraternel, Fumetsu joua le guide dans les diverses travées de sa serre, son joyau ultime – délaissé mais toujours autant merveilleux – et tandis qu’il discourait sur les différentes facultés médicinales de telle ou telle plante, les milliers de senteurs différentes et comment les distiller afin d’en faire d’exquis parfums (encore en essai mais il s’en amusait), il sentait l’impatience grandissante de son allocutaire. Son insouciance reprise et son esprit enfin fonctionnant à plein régime, il se retourna théâtralement dans un mouvement de vêtement et répondit, de même manière, aux questionnements de sa très chère cousine.

« Mes tourments sont nombreux, malheureusement ! La vie m’a offert un océan de possibilités, une vie d’opportunités et je persiste dans un étau sanglant, terrifiant où l’obsession prend possession progressivement de mon âme sans que je puisse en sortir. Cet océan est mon tombeau où je finirai noyé quoi qu’il advienne. Voilà ce qui me tue chaque jour un peu plus : je ne peux combattre ma création et le chemin qui m’est destiné est noir. Etre intendant, un choix logique, couronnerait notre clan d’une nouvelle gloire mais il me manquera toujours quelque chose, et c’est cette chose qui me complétera. Quelle est-il ?, j’anticipe ta question, je n’en sais rien. Ou alors j’en ai trop peur pour l’admettre – voire le savoir. Exubérance, orgueil, pouvoir, puissance ? Qu’en sais-je ? Voilà ta réponse. »

Reprenant son cours improvisé, il repartait de plus belle dans des explications plus ou moins techniques suivant la particularité de la flore intéressée. Consciemment, il l’emmenait vers une nouvelle collection, non pas de flore, mais une faune particulière, hétéroclite en couleurs et en formes. Dans de nombreux terrariums discrets, cachés derrière une rangée de hautes plantes, des centaines d’araignées tissaient leurs toiles suivant un schéma dont le secret n’était connu que d’elles-mêmes. Le Kamiko s’arrêta là, un sourire étirant ses traits fatigués, présentant un visage blafard et terriblement accablé par de si nombreuses émotions que ce fut un miracle qu’il tienne encore debout.

« La voilà, aussi, ma nouvelle obsession, ma nouvelle lubie, ce qui me tient éveillé la nuit. Une telle collection doit être entretenue, tu t’en doute. » Marquant une pause, Fumetsu plongea son regard dans celui de son allocutaire, fouillant, farfouillant, creusant dans un esprit qu’il ne pénétrait guère afin de savoir ce qu’elle pensait : était-elle inquiète, calculatrice, terrifiée, en danger ou autre ? C’est à cet instant qu’il sut que la fatigue l’avait emporté, embrumant un esprit précis, chirurgical d’un brouillard épais et ravageur. Secouant la tête, il s’attendait à de nombreuses réprimandes, peut-être du soutien, il ne savait, à vrai dire, pas quoi espérer de cette discussion. Il ne songeait plus qu’à dormir dans sa toile.
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Lorsque le regard de Raion se pose sur les octopodes, elle ne peut s’empêcher de retenir son souffle. Absorbée, les prunelles grises se baladent d’un coin à un autre alors que la jeune femme s’offre totalement au spectacle complexe qu’on lui offre. Un sourire, discret, retrousse ses lèvres, chassant l’inquiétude pour la remplacer par la fascination. Chaque fil, chaque mouvement de patte, réveille la créatrice prolifique qu’est la chef du clan marchand. Elle reste ainsi, comme envoutée, faisant face à l’immense terrarium à ciel ouvert qu’elle venait de découvrir. Les ombres, projetée par la lune, créait un immense croisillon décoratif sur les deux Kamiko encore debout, puis sur la théière qui rejoint une nouvelle fois le sol de la serre. La brune reste ainsi, pensive, le nez dans les toiles, offerte à l’expansion brutale d’idée qui secoue son esprit fécond et, à mesure que les esquisses de création s’empilent, son sourire timide s’étend et illumine bientôt tous ses traits. Bien que debout au milieu du nid d’araignées dont elle devrait craindre d’être la proie, la jeune femme ne voit, rien de plus, que l’offrande que la nature et que son cher cousin vient de lui faire.

   
« Elles te ressemblent. » Raion laisse planer un silence, puis se corrige en secouant la tête. « Non, cette scène te ressemble. »


La brune tend une main vers l’une des protégées de son cousin et tressaille par réflexe lorsque les pattes velues de la petite créature lui effleurent la main. De la soie d’araignée. Une idée de génie à laquelle elle aurait dû penser bien plus tôt et qui allait bientôt enrichir ses prochaines créations. Ravie, elle fait volteface, surveillant avec prudence sa muse à huit pattes sortie de son terrain de jeu habituel, pour tendre sa main habitée à Fumetsu. Dévisageant l’un de ses cousins les plus éminents, elle ne trouve pourtant qu’un homme las, presque désespéré. Sa mine pâle, dévorée par la fatigue, lui rappelle des souvenirs d’enfance encore frais et, presque aussitôt, la jeune femme réagit. La main qui tenait encore fermement l’arrosoir se libère de son fardeau et, sans prévenir, se pose sur l’épaule de l’albinos. Ainsi épuisé, il lui rappelait son père, quelques années auparavant. Raion n’aurait su dire si c’était l’influence de la lune ou juste un coup de mou, mais son cousin, pourtant peu coloré, lui parut presque totalement blanc, ce qui ne fit que renforcer davantage son élan de familiarité.

   
« Fume, depuis combien de temps tu n’as pas eu une vraie nuit de sommeil ? »


Le regard d’acier de la jeune femme transperce son interlocuteur alors que sa main tombe le long de son bras, pour venir le serrer. Les traits, soucieux, contrastait avec l’ordre discret qui brillait dans ses prunelles. Ne me ment pas, soufflait-elle à travers leur voile de peine, pas maintenant. La lionne se glisse à côté de son guide, finissant d’enserrer son membre contre elle pour l’aider à se maintenir debout. L’angle, calculé, lui permit de dissimuler la moue contrariée qui décorait son visage d’ordinaire si calme mais elle ne put retenir la crispation, presque réflexe, de sa main lorsque le Kamiko répondit.

   
« Comment peux-tu espérer tenir en mission dans un état pareil ? »


Cette fois-ci, la douceur si rare de Raion laisse place à une scène au combien familière pour les Kamiko : furibonde, elle semble vouloir empaler le pauvre Fumetsu du regard, les poings sur les hanches et la machoire serrée. Pour tous les dieux, devait-elle, en plus de gérer le clan, créer des emplois du temps strict auquel ces cousins devraient de tenir ? L’agacement se disputait avec l’exaspération. Elle savait que le rôle de tête de branche n’était pas de tout repos. Elle était mieux placée que quiconque pour comprendre à quel point le fardeau du jeune homme pouvait lui peser mais que devait-elle faire ? Le relever de ses fonctions ? Sornettes, il n’y avait pas meilleur que lui. Lui trouver un bras droit ? Stupide, là aussi, parce qu’il ne tiendrait jamais la cadence. Une femme alors ? Un rire mental vient clore le débat. Si Fumetsu était sexué, jamais Raion n’en avait eu vent. Et elle n’était pas sûre de vouloir le savoir, en toute honnêteté. Lui coller au train pour s’assurer qu’il prenait plus de cinq secondes pour vivre ? Impensable, même si l’idée pourrait l’amuser un temps et indigner sa victime. La brune soupire, faute de solution à cette nouvelle énigme. Il était hors de question que l’albinos espère maintenant lui échapper. Pourquoi avait-il tant tarder à s’ouvrir à elle ? En avait-il seulement parlé à quelqu’un ? Crétin. Crétin, crétin, crétin. Bien sûr que non, c’était Fumetsu. La vérité, brut, l’agace un peu plus mais elle ne savait pas comment lui en vouloir. Cependant, elle savait parfaitement comment régler le problème actuel.

   
« Dors à la maison, ce soir. »


L’offre était un étrange mélange de prière et d’impératif que la jeune femme elle-même n’était pas sûre de distinguer. Elle crut d’ailleurs bon d’enchainer, de peur de laisser à l’homme qu’elle considérait comme un égal le temps de débattre de la question. Il ne devait pas s’habituer à des échanges trop affectueux, si Raion voulait conserver sa réputation de prodigieuse et talentueuse enquiquineuse de compétition. Elle savait que son cousin jouerait le jeu, il le jouait toujours, mais aurait-il seulement la force de le faire maintenant ?

   
« Tu n’es pas seul, Fume. Tu ne l’as jamais été. Alors parle, crétin, avant que je perde définitivement patience. »


Lentement mais surement, elle l’entraine avec elle vers la sortie, oubliant presque leur nouvelle amie, toujours présente et qui semblait s’être prise d’intérêt pour l’escalade sur humain. L’araignée trônait maintenant sur le plastron de la grande brune, sans que celle-ci semble s’en offusquer. Sa présence, si discrète et si naturelle, empêche même la jeune femme de finir de se mettre en colère et de malmener le pauvre Fumetsu pour de bon… si on pouvait appeler malmener se faire envoyer au lit, sans sommation.
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Kamiko Fumetsu
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Le partage d’une intimité somme toute relative avec sa cousine apaisait, il fallait l’avouer, l’esthète au sommeil fuyant. Il lui semblait retrouver la paix malgré le tiraillement moral, interne, qui l’aiguillait vers un chemin scabreux. L’étonnante facilité avec laquelle Raion pouvait le diagnostiquer de quelques coups d’yeux l’étonnait toujours mais il pouvait, afin de sauvegarder son orgueil, se rassurer que de nombreux secrets resteraient muets et impénétrables, même pour une femme aussi perspicace. Mais, malgré lui, ses secrets ne souhaitaient que sortir, s’échapper au vent pour le condamner : dernier sursaut d’une âme malade, c’est la conscience du tisserand qui désespérément causait, assauts après assauts, cette gangrène morale. Caché au creux de son inconscient, grandissait une idée monstrueuse qui assouvirait les désirs les plus immondes du Kamiko, mais rien que cette présence, au sein de la susmentionnée conscience, avait provoqué une réaction terrible, un sursaut de dégoût. « Trop tard, les cliquetis de la mandibule chantèrent. Trop tard, la soie soyeuse tissa sa toile. Trop tard, le regard kaléidoscopique de l’araignée m’hypnotisa. Ce poème, elle ne le connaît pas puisque je l’ai écrit. Si elle savait, elle ne me regarderait pas avec ces yeux peinés, purulent d’un chagrin affectueux que je ne mérite pas. » L’œuf pondu dans ses pensées inavouées, la perversion et l’obsession vicieuse de Fumetsu prenait forme petit à petit, comme l’on tisse une toile, comme l’on peint un tableau, comme l’on sculpte un monument, comme l’on dessine une esquisse. Maladie de l’âme, le doute le saisissait pour chasser cette créature, octopode, qui progressivement faisait cheminement dans l’antre sacré de l’acte. Cette discussion, vestige d’un temps passé, chaud et familier, faisait office de barrière, de baroud d’honneur mais à chaque éclaircissement, un souffle, froid et mortel, renvoyait la conscience de l’artiste dans l’obscurité.

« Les jours me fuient autant que les nuits alors je ne m’amuse qu’ici, près de mon œuvre où senteurs, sons et lumières viennent me combler. Je ne suis pas si loin du fonctionnement d’une plante, finalement. » Le trait d’humour visait seulement à calmer les ardeurs de sa cousine qui, furibonde, commençait à ouvertement s’inquiéter de son état de santé. « Mais rassure toi, cousine, j’ai, nous, avons vu pire comme situation. C’est une simple passe difficile où les pensées usuelles ne sont plus les mêmes : tu connais très certainement. Puis, je n’ai de mission que de suivre mon âme, ma destinée aussi funeste soit-elle, réellement. Nous sommes fait pour mourir jeune, regarde les grands de ce monde : ne sont-ils pas tous si adultes, si jeunes ?, ne sont-ils pas tous si morts, ces jeunes ?, des cadavres éveillés, voilà ce qu’ils sont, ce que nous sommes. Alors ne t’inquiète pas, je vis, et c’est ce qui compte. » Il noyait le poisson mais quelques indices de son mal-être fuyaient ses lèvres, réflexe inconscient d’une obsession, justement inconsciente. Sa fièvre passionnelle l’enjoignait à parler de son œuvre, de ses rêves mais il s’y refusait.

Silencieux un temps, acceptant de suivre – puisqu’il n’en avait réellement pas le choix – la Kamiko vers la sortie, vers une nuit de sommeil, il porta son regard sur l’araignée paresseusement nichée sur la poitrine de sa cousine. L’artiste, l’orgueilleux jeune homme, l’esthète talentueux, l’odieux envieux s’imaginait comme tel, pinacle de la beauté achevée. Souriant alors, il sombrait un temps dans des conceptions invisibles, celles-là même qui le maintenait éveillé.

« Voudrais-tu en adopter une, cousine ? J’en possède des milliers, et je pourrais bien t’en trouver une qui correspond à ton tempérament, disons, tempétueux. » Se taisant, il espérait bien ne pas subir un nouveau questionnaire, mais il savait qu’il aurait maille à partir, connaissant la femme qui lui tenait le bras avec plus de force qu’elle ne laissait en paraître.

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« La question n’est pas sur le degré mais sur l’existence de la dite situation. »


Les lèvres pincées, elle le rabroue d’un air véritablement désapprobateur. Il ne peut pas balayer les inquiétudes en les entourant de papier de soie et, aussi joli puisse être le kimono qu’il portait, il fallait être stupide pour ne pas observer au-delà des apparences. L’humour tombe ainsi légèrement à l’eau, si on exclue les recoins de la bouche discrètement relevé. Il n’y avait rien de pire que la minimisation devant l’épuisement et nul besoin d’une expertise en Iroujutsu pour le savoir. Le manque de sommeil altérait l’esprit, réduisant les pensées, favorisant les doutes et les déprimes au mépris du bon sens. Et les doutes, eux-mêmes, causaient les insomnies qui les renforçait, dans un cercle corrompu et malsain. Si Raion avait été moins têtue, plus désintéressée, peut-être aurait-elle été affectée par le fléau silencieux qui étreignant son cousin. Peut-être aurait-elle saisit, senti la voix, pernicieuse, qui glissait dans les pensées de l’homme pour le tourmenter. Mais la marchande était ce qu’elle était : un océan de mégalomanie dont la seule possibilité de tremblement ne tenait qu’à l’écrasement d’un tempérament plus ardent encore que n’importe quel technique de Yoton.

 
« Pas une seconde de répit, pas un instant de repos. Debout, même lorsque le dernier souffle nous quitte. Car tel est le poids des responsabilités, tel est le poids, douloureux, du cadeau des Kamis quand ils nous ont offert la conscience et le choix. »


Les vers étaient sortis si vite que Raion se surprit elle-même de les avoir mémorisés. Elle n’était pas sûre de véritablement comprendre où l’emmenait son cousin, mais la métaphore morbide n’était pas à son goût. Quelque chose n’allait pas, mais quoi ? Comment ? Mieux, pourquoi ? Qu’est-ce qui pouvait bien pousser un grand dadais comme l’albinos à esquiver une question par une autre ? Le visage de la jeune femme s’assombrit, infiniment contrarié par la possibilité qu’on lui refuse une réponse. Pourtant, une lueur d’intérêt s’allume, en écho à la sensation désagréable qui l’étreint. La perspective du défi, de la traque, silencieuse, de la vérité l’émoustille autant qu’il rend la chef de clan irritable en titillant son perfectionnisme. Chassant l’ambiance un brin trop mystique par un claquement de langue, Raion revient à la charge.

 
« La philosophie ne te sauvera pas, Fumetsu. Tu me balades. Je ne sais pas ce que tu essaies de cacher sous le tapis, mais je trouverais. » Vissant son regard aux deux prunelles iceberg de l’albinos, elle reprend sa phrase laissée en suspens dans un murmure. « J’ai tout mon temps. »


La menace, douce, était pourtant aussi réelle que la délicate créature qui avait fait d’elle son nouveau perchoir. Elle n’ajoute rien de plus en l’embarquant avec elle, veillant à ne pas déranger davantage les araignées qui continuent d’évoluer en schéma complexe dans leur nid. N’importe qui, perdu dans les mouvements précis, cycliques, des animaux pourraient y voir la danse d’un prédateur qui s’insinue, doucement mais surement dans les grâces de sa proie, au profit de la lune. C’était peut-être, même, ce que Raion aurait dû sentir en tenant le bras de son cousin. La prudence, balayée par son tempérament explosif, semblait perdre du terrain et les dangers en gagner. Marchant côte à côte avec le responsable de branche, la grande brune n’arrivait pas à démêler l’énigme qu’elle entrainait fermement vers la sortie. Pourquoi la mort ? Pourquoi des cadavres éveillés ? La réflexion se pousse, toujours plus loin, alors que l’observatrice clandestine de leur escapade vient se nicher sur l’épaule de la Kamiko. Elle y reste alors, curieusement, ses huit yeux fixant son maitre puis son abri à tour de rôle, son abdomen arachnide gonflant et dégonflant dans des respirations suaves, discrètes. La sensation des pattes sur sa peau nue tire l’infernale brune de ses pensées, qu’elle recentre aussitôt sur la conversation.

 
« Adopter ? » Une moue sidérée répond à son cousin. « J’ai peut-être trop trainé près des Inuwashi mais … N’est-ce pas elles, qui devrait nous choisir ? »


L’évidence, pour elle, sonne presque enfantine dans la bouche d’une si grande femme. Tellement, qu’elle manque d’en rougir et que bien vite, la surprise s’efface au profit de cette bouderie qui la caractérise tant.

 
« Toi qui parlait de suivre ton âme et de compléter ta destinée, pourquoi vouloir dicter la leur ? » Posant sa main libre sur la porte de la serre, elle marque un temps d’arrêt. « Si les gens semblent morts, c’est parce qu’il tente de se mentir à eux-mêmes. Animer un masque qui ne nous sied pas est chronophage, énergivore et souvent une pâle imitation à peine convaincante. » L’araignée se meut, à nouveau, remontant paresseusement vers le cou pâle de la jeune femme, les mandibules ondulant dans une pensée connue d’elle seule. « Ce que tu dis, cousin, ce n’est pas la vie. C’est la survie. Une survie contre quoi ? La peur de la mort ? La peur de vivre ? La peur qu’on ne se souvienne pas de toi ? » Raion secoue la tête de dépit. Elle tentait de suivre le grand gaillard qui se laissait promener par ses caprices, mais elle avait la sensation, insupportable, de donner des coups d’épée dans l’eau. « Je ne comprends pas de quoi tu essaies de te protéger. Qu’est-ce qui peut te faire si peur à toi, pour que tu en deviennes résigné ? Qui a osé faire de toi un vaincu, Fumetsu ? »


La Kamiko s’enflamme, le feu de sa mauvaise humeur à chaque fois un peu plus alimenté à mesure que son interlocuteur essaie de se dérober à elle. Les mâchoires serrées, les jointures de ses doigts blanchissent à vue d’œil. Qui ? C’était sa clé, sa résolution de l’énigme, s’il lui en offrait l’existence. Cent fois, elle avait rêvé d’avoir cette conversation avec Kensai, elle avait rêvé de le tirer de l’abysse dans laquelle il s’était glissé sous la houlette de sa mère démissionnaire et de son père trop ambitieux. En vain. Savoir, ou plutôt sentir Fumetsu se rapprocher d’un tel dilemme la mettait hors d’elle. On lui volait ses cousins, comme si on estimait qu’elle devait, une fois de plus, rester recluse et sans soutien. Etre là, sans pouvoir agir, la torturait aussi surement qu’un tison brulant faisait fondre la chaire. Mais le plus terrible, peut-être, était la conscience, affreuse, qu’elle ne pouvait rien faire s’il ne lui donnait pas, à demi-mot, son accord.

 
« Je ne laisserais pas tomber. Je ne te laisserais pas tomber. »


Le murmure trouve écho jusque dans la position de l’araignée, nichée presque jalousement sur le cou de Raion. Sombre, presque entièrement dissimulée par ses cheveux, elle y reste tapie, sans quitter l’albinos de son octuple regard sans qu’on puisse déterminer si elle partage la conviction solide de la lionne qui lui sert de cachette.
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Les vaines tentatives de Fumetsu pour s’extraire d’une conversation plus qu’inconfortable se multipliaient sous la forme de philosophies, de vers, de dictons et autres manœuvres déçues par la perspicacité effrayante de sa cousine. « Elle fait une étonnante politicienne, pleine de caractère et d’une poigne plus solide que sa constitution laisse deviner. Un jour viendra où elle découvrira certainement tous les secrets qui se terrent sous terre. Non !, elle ne le peut, personne ne le peut. Ils sont bien cachés, toujours, à jamais cachés : oui ! » Alors, la jeune femme ne se laissant pas faire, écartant avec aptitude et expertise les diverses tribulations de son malheureux – puisqu’il était malheureux – allocutaire, le gardait sous son coude, littéralement, le pressant à s’ouvrir comme l’on pouvait ouvrir un fruit. Il écoutait d’une oreille distraite les réponses de sa cousine, écartant par quelques gestes gracieux ses différents arguments animalistes mais l’accusation à demi-mot poussée lui effaça le sourire presque joyeux qui rehaussait son visage d’un éclair avenant. Ouvrant ses yeux cachés derrière ses lourdes paupières, laissant apparaître un éclat affreux de beauté scintillante et brûlante, il se libéra d’un geste sec mais d’une douceur qui ne laissait aucun doute sur son affection pour elle. D’un coup de main vague il accusait la créature lovée dans le cou de la Kamiko et il jugea que cette réponse suffisait.

« Je dicte la destinée d’un être inconscient de sa propre vie, elle ne connaît pas le concept de libre-arbitre, de vie, de mort, de destinée. Entre-elles, elles se jaugent et se tuent : alors l’état de nature existe si bien que par cet état je puis dicter mes volontés sur elles, autant qu’elles le font sur moi. La morale ne s’applique qu’à ceux qui le souhaitent et qui osent l’appliquer à eux-mêmes mais ils ne peuvent blâmer ceux qui ne la possède pas, autant par choix que par méconnaissance de ce système. Un animal est amoral alors je le suis aussi dans mes relations avec ces araignées – et au-delà. » Fumetsu regardait l’octopode frémir et se complaire dans l’espace chaud que sa cousine lui offrait avec un mélange d’admiration et de dégoût : une manifestation consciente et inconsciente, obsessionnelle et raisonnable ; deux facettes étroitement liées qui se faisaient face jusqu’à rupture. Il reprit alors, le regard à demi plongé dans une esquisse que seul lui voyait et à demi-plongé dans la contemplation de l’arachnide.

« Tu pourras peut-être écarter ce discours en me reprochant de te faire tourner en bourrique mais tout cela est vrai. Lorsque je te parlais de destinée, je ne te parlais pas d’un concept divin et invisible mais d’un pourrissement de l’âme, bien quantifiable, intrinsèquement lié à notre vie futile : la recherche d’un but, d’une preuve, d’un accomplissement dérisoire nécessaire à l’ego pour se sentir étrangement complet. Chacun possède cet engouement, cette étrange faculté de croire qu’il existe une raison à notre existence et chacun le pourchasse avec une si grande avidité, une si grande cupidité que je les plains ; c’est lorsque l’âme se meurt que l’on découvre sa raison d’exister. Mais qui ?, qui a jamais osé accomplir pleinement son existence ? Personne !, personne n’a jamais osé, mais j’oserai. Je le sais. Voilà ta vérité. »

Refermant ses paupières, il croisa ses mains dans les manches de son blanc vêtement et sourit d’un sourire moqueur, presque joueur. A l’intérieur de lui il n’y avait plus que paix : il avait choisi.

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Amoral. Le mot, simple, était pourtant lourd de sens et, à mesure que chacune de ses syllabes se répètent jusqu’à ce que le son en soit déformé. Immobile, Raion contemple son cousin qui semble s’éveiller de sa longue agonie silencieuse, interdite. Une foule d’émotion contradictoire illumine ses prunelles, les faisant briller comme un véritable feu d’artifice sans réussir à prendre le pas les unes sur les autres. Privée du contact chaud du bras de Fumetsu, la chef de clan ne peut alors se reposer que sur elle-même pour réordonner son cœur alors qu’elle constate la vérité affolante qu’il cachait en surface. Partout où il se mouvait, la lionne ne voyait que le corps d’un être cher, dont les yeux fixes et obsessionnel posés sur son cou lui donnait tour à tour désarroi et chair de poule, rendant le contact de l’araignée jusqu’alors agréable, dangereusement inquiétant. La pensée, douloureuse, que son cousin lui avait été volé sous ses yeux la poignarde férocement et, presque pas réflexe, la jeune femme tend une main affectueuse, déplacée, vers celui qu’elle espère encore là, quelque part dans cet écho inconnu de mauvais augure.
« Qu’as-tu fais, Fumetsu ? »

Aucun reproche ne flottait dans ses mots, juste une inquiétude profonde, viscérale, alors qu’elle voyait l’homme fatigué qu’il était redevenir celui qu’elle avait toujours connu. Préférait-elle ce masque-ci à la vérité tranchante qu’il lui dévoilait petite à petit, à demi-mots ? Etait-elle seulement prête pour la réponse à sa propre question ? La brune, pourtant toujours volcanique, perdait de sa superbe, le doute peint sur son visage comme un maquillage épais et mal exécuté. Peut-être s’en faisait-elle trop ? Peut-être n’était-il question que de choses triviales et qu’elle dramatisait la situation inutilement ? Pourtant, les mots de Fumetsu n’avaient que peu de contresens possible. Je le suis aussi et au-delà. Le cœur de Raion se sert, en écho aux jointures de sa main libre qui blanchissent sous la pression d’une poigne encouragée par la contradiction interne à laquelle elle faisait face. Femme de parole, elle pensait chaque mot de ce qu’elle lui avait dit mais elle ne pouvait nier l’envie, interne, de fuir face à cette vérité peut être trop lourde à porter. Elle ne pouvait non plus nier la tristesse, infinie, qui grossissait à vue d’œil dans le fond de ses iris, alors que le contact de sa paume contre la joue de son cousin portait les stigmates, doux-amer, d’une familiarité teintée d’une ombre, abyssale et inconnue.

C’était toujours Fumetsu qui la regardait fièrement, de ce regard glacial narquois qu’elle aimait tant, mais ce n’était plus seulement lui. A moins que ça l’ait toujours été et que, là encore, elle ait échoué à s’en apercevoir avant qu’il ne mette le pied sur le chemin ténébreux qu’il lui peignait doucereusement, avec la lenteur calculée de quelqu’un qui retardait l’inévitable. Face à face, dans cette intimité étrange, les deux Kamiko s’observe dans un étrange tableau à l’allure dichotomique, dont la lueur de la lune et leur monochrome contraire ne faisait que renforcer l’écart qui les sépare déjà. Cette impression, vive, ne fait que renforcer la douleur qu’éprouvait Raion à voir à nouveau l’un de ses proches s’éloigner, sans même l’occasion d’y remédier. Et, quand bien même elle s’y essaierait, la laisserait-il seulement faire ?

Naturellement, les dents de la chef de clan viennent s‘enfoncer dans sa lèvre, écho à la frustration qui l’encourage à enfoncer ses ongles dans la paume de poing pour ne pas hurler. Les émotions se mélangent une à une, dans un tourbillon négatif si puissant que la douleur parvient à peine à lui faire garder pied. Voulait-elle savoir ? Pourrait-elle l’assumer ? N’était-ce pas revenir sur sa parole, que de même se poser la question ? Si une partie, profonde, de la jeune femme aurait préféré se recroqueviller dans un coin pour lécher les blessures sur lesquelles Fumetsu venait, inconsciemment, de rajouter un soupçon de sel, mais sa fierté le lui interdisait. Jamais elle ne pourrait tourner le dos aux siens et, finalement, peu importait la raison, son pragmatisme lui intimait de faire face à ses responsabilités plutôt que de les fuir. Mais qu’en était-il de son cœur, mâché, éclaté devant cette pleine conscience que tout ne serait peut-être plus jamais comme avant ? Raion aurait aimé pleurer mais elle en était incapable. Son cousin était vivant, devant elle, sa peau chaude dans la paume de sa main en preuve irréfutable, aussi n’avait-elle aucun droit de le regretter. Pourtant, l’éclat de paix qu’elle lisait dans son regard et ses paroles lui faisait douter jusqu’à ses sens. Aussi restait-elle silencieuse, dans l’expectative qu’il finisse de lui avouer ses secrets. Amoral, disait-il. Pourquoi ? Osé, oui, mais quoi ? Comment ? Inconsciemment, la lionne tentait de rassembler des preuves contre l’inévitable, confortant la petite fille qu’elle était encore vaguement dans l’espoir que peut-être, elle trouverait un moyen de le sauver de lui-même.
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