Quadricolor, mais surtout le bleu. Ft Ao

-Putain ! Qu'est-ce que je hais ce genre de trou à humains. La misère pue. Au moins les couillons qui se balladent en kimono de soie n'agressent pas mes narines délicates. Il faut le faire quand même pour créer des endroits qui fouettent la charogne en permanence. À croire que vos maisons carrées ne retiennent pas les odeurs. Bordel, et c'est nous les sauvages !

- Tu sais que je t'écoute pas non ?

- Ta gueule, personne ne t'a demandé de parler.

Maika ne releva pas l'énième provocation de la part de son compagnon à son égard ce jour-là. Il avait tellement l'habitude de supporter cet énergumène recouvert de pics qu'il ne portait plus d'importance à ses insultes maquillées en remarques.

- Regarde-moi donc cette grosse ! Et on dit qu'ils sont pauvres dans la région ! Jte garantis que celle-ci bouffe bien plus que les parties de son mari si tu vois c'que je veux dire... Dit le Hérisson en accompagnant sa diarrhée verbale d'un clin d'œil aussi vulgaire que lui.

L'animal n'était pas très content il faut dire. Le voyage qu'ils avaient entrepris pour rejoindre Sachi dans sa région natale n'avait pas été de tout repos. Les deux comparses avaient le don de s'attirer des ennuis partout où ils passaient. Leurs tempéraments aussi sanguins que violents les menaient souvent dans des problèmes impliquant des gangs de poivrots et autres compagnies de mercenaires et cela n'avait pas fait exception.
Emprisonné quelques semaines à cause d'une bagarre de bars qui avait mal tourné, Doro ne comprenait pas pourquoi Maika était venu s'enfoncer dans un capharnaüm pareil à peine leurs libertés retrouvées. Ici, tout était sale, miséreux. Bien sûr le centre du village offrait une vision bien plus optimiste de l'architecture humaine, mais les parias comme eux étaient souvent bien mieux un plus loin, à la lisère entre les habitations et la nature. Assez près pour pouvoir se donner en spectacle la journée, assez loin pour ne pas être souillé par l'odeur des dominés, ou pire, des dominants.

Loin de leur campement de fortune, Maika et Doro avaient passé leur après-midi sur la place du village, l'un dansant aux rythmes des musiciens et l'autre passant entre les spectateurs avec un petit bol de bois. Voir un hérisson faire l'aumône faisait partie intégrante du spectacle et certaines bonnes âmes consentaient plus à donner pour cette vision insolite que pour la représentation à proprement parlée.

Après avoir compté la maigre recette de la journée, il alla acheter quelques provisions pour le repas du soir. La troupe vivait au jour le jour, sans hiérarchie si chère à l'organisation humaine. Chacun devait ramener quelque chose pour nourrir la troupe, et c'est ainsi qu'ils arrivaient à vivre sans artifice, mais sans se priver beaucoup non plus.

Des lapins dépecées sur son épaule, Maika s'apprêtait à quitter la place principale quand il croisa un nouveau groupe de musiciens de rue. Comme la bienséance le voulaient entre artistes du peuple, il les salua chaleureusement et ne put s'empêcher de s'asseoir une minute pour écouter ce qu'il avait à exprimer en note.

Rien ne le ravissait plus que la musique, pas même le son d'un os de noble qui craque. Pas même l'odeur d'urine qui dégoulinait du corps suintant de peur d'un samouraï avant sa mort. Rien n'égalait la magie de la mélodie et ce qu'elle provoquait en lui.

Dancing Bear:

Une flûte se mit à faire vibrer l'air, une mélodie qui accompagnait parfaitement le coucher de soleil. Bientôt, elle fut rejointe par les autres instruments, avant qu'un chanteur ouvre la bouche pour remplacer la puanteur ambiante par un doux son mélancolique.

Malheureusement, un marchand qui était apparemment en pleine négociation dans l'auberge voisine se précipita vers le groupe, excédé par la fréquence de spectacles qui s'étaient enchaînées toute la journée.

- Ce n'est pas possible ! Vous ne pouvez pas vous taire à la fin !

Les musiciens ne répondirent pas, continuant le show comme le préconisait les pratiques. Un véritable artiste ne se faisait pas distraire par le monde quand il était dans le sien.

- Je vais finir par appeler la garde si vous ne vous arrêtez pas ! J'ai des papiers très importants à faire signer avant demain. Certains ici font tourner le monde quand d'autre s'amuse à gratter des cordes et à souffler dans des tubes de bois. Ayez du respect pour les gens réellement nécessaire au moins !

Le sang des deux comparses ne fit qu'un tour. Maika se releva en enlevant le tissu qui recouvrait son bâton de métal. Doro, lui, fonça directement vers le notable agacé et lui arracha les documents des mains avant de s'enfuir dans des ruelles sombres. Paniqués à l'idée de perdre son sésame pour la richesse, le négociateur se précipita à la poursuite du hérisson. Le plan était maintenant rodé et Maika emprunta un chemin détourné, suivant son compagnon à l'odeur.

Doro était maintenant assis au bord d'un lavoir, menaçant de jeter le tas de paperasse en balançant sa patte au-dessus de l'eau tremblotante. Chaque fois que le marchand s'approchait, il faisait le tour du petit bassin pour garder ses distances.

Maika attrapa le marchand par le col et le jeta dans l’eau. Il le maintint un moment, puis, lorsqu’il sentit l’agitation du malheureux s’estomper, le laissa enfin respirer.

- Mais qu'est-ce que vous faite ? Cria-t-il en regardant le danseur horrifié.

- Je te montre que les règles, c’est comme les armures, elles sont faites pour être brisées.

Sans un mot de plus, il replongea la tête du civil sous l’eau, attendant la limite de l’inconscience pour le sortir encore une fois. Une odeur de lavande et de fleur blanche vint emplir les lieux alors qu’il venait de recommencer son geste pour la troisième fois, il vit une étrange silhouette apparaître au bout de la rue.

Si Sachi ne lui avait pas parlé d’un étrange ventriloque qu’il avait croisé avant son arrivée en le décrivant en détail il ne l’aurait jamais reconnu, pourtant, maintenant qu’il l’avait devant les yeux, les descriptions du saltimbanque n’auraient jamais pu être plus vrai. Les cheveux bleus comme Maika en beaucoup moins hirsute, un kimono richement ouvragé sans tomber dans le mauvais goût, un visage fin et presque androgyne souligné par un maquillage sophistiqué venait compléter le tableau qu’avait dépeint son ami et compagnon de route.

- Eh ! C’est pas toi qui as rencontré mon ami ? C’est le drôle de type encore plus maquillé que toi qui fait des spectacles de rue….

- Ouais, mais son maquillage à lui ne fait pas geisha des bas quartier au moins ! Dit Doro.

Heureusement, cela n'était que des cris et des claquements stridents aux oreilles des hommes. Sans relever la remarque du petit animal, Maika continua sur sa lancée.

- Qu'est-ce que tu fous dans ce village ? Tu as pas fini ce que tu avais à faire. Tu viens des côtes verdoyantes non ? Et ouais, les infos vont vite par ici, votre région d'origine comme votre générosité d'ailleurs. Dit-il en s'inclinant de manière assez grotesque.

Avec tout cela, il en avait oublié le marchand, la tête toujours immergé sous la puissance colossale du danseur, celui-ci ne bougeait plus du tout.

- Et merde ! S'écria Maika en jetant le corps inanimé du pauvre bougre au travers du lavoir comme s'il avait été une vulgaire poupée. Je vais encore devoir creuser une tombe. Pas question de passer encore des semaines enfermés dans un cachot ! Tu viens avec moi ? Tu seras mon alibi. Dit le colosse en traînant le corps toujours inanimé de la victime par la cheville.