Désacralisation [Mission]

Mission :

Quand le saltimbanque eut pointé le bout de son nez au temple de l'Aube Pâle, un religieux vint directement à sa rencontre pour lui confirmer la tâche qu'il se proposait d'effectuer. La Roue du Karma. Tant de jeux de mots se bousculaient dans la tête du jeune Sachi qui imaginait déjà la manière dont il mettrait fin à ce culte d'imposteurs. La routourne du karma allait tourner. L'envoyé de Dainichi serait à leurs yeux l'incarnation du mauvais karma qu'ils s'étaient attirés en défiant le Dieu, mais également toutes les autres formes de spiritualité. Il allait leur mettre des bâtons dans les roues du karma. Il ne parvint pas à retenir son rire et pouffa un bon coup devant le prêtre, qui le regardait, ébahi.

Dainichi lui enseignait d'aimer les autres, qu'il ne fallait point tuer. Pourtant cet être tout puissant avait aussi eu la sagesse d'admettre quelques exceptions à cette règle : tu ne tueras point… d'innocent. En revanche, il n'était guère interdit, c'était même plutôt le contraire, de tuer des hérétiques. Il pouvait tuer, exterminer, annihiler au nom du Dieu éternel. Il le ferait et cette secte vulgaire serait la première victime de sa fureur de masse. Elle serait aussi, il l'espérait, le tremplin à la gloire de Dainichi.

La récompense était alléchante, mais ce n'était pas ce qui le motivait. Il partit dans la direction du nouveau temple de ce culte, où les fidèles s'affairaient à sa construction pour son ouverture prochaine. Quand il arriva devant, il découvrir un bâtiment d'une immonde austérité. Murs blancs, à peine ornés de symboles religieux, seule l'inscription en grosses lettres du nom du culte permettait de deviner l'utilité de ces lieux. En se rapprochant de plus près, il découvrit une inscription fort intéressante, qui l'énerva au plus haut point.

Les dieux sont avec nous et nous demandent de vivre dans la simplicité. Faites vœu de pauvreté et venez rejoindre la Roue du Karma, venez prier en ces murs. Les dieux n'ont nullement besoin de symboles ostentatoires et coûteux.

Vœu de pauvreté ! Il n'y croyait pas une seconde. C'était encore là une manière de récolter l'argent des fidèles pour les distribuer aux plus hauts-gradés, qui ne devaient pas se gêner pour arpenter ce monde habillés de leurs plus belles parures, moquant l'imbécillité de leurs généreux donateurs. La pire chose dans ce culte, c'était la troisième et dernière phrase de cette inscription. "Les dieux n'ont nullement besoin de symboles ostentatoires et coûteux." Cette affirmation résonnait en lui avec tant de force qu'elle vint lui taper les tempes. Il dut se prendre la tête dans ses mains pour s'empêcher de sombrer. "QUELLE IDIOTIE, QUELLE INFAMIE, QUELLE HÉRÉSIE !" hurla-t-il sans se rendre compte qu'il venait d'alerter tous les habitants de ce temple faussement sacré.

Mais il n'en avait cure : ils étaient allés trop loin. Lui qui voulait les châtier avec miséricorde, il dut revoir ses méthodes. Dainichi était un dieu de symboles : sans cesse l'homme devait lui prouver son adoration et répandre son divin message. C'était par les nombreux symboles physiques de sa présence sur terre qu'il fallait distribuer son enseignement. Il songea qu'il utilisera la généreuse bourse qu'il récupèrerait au maigre prix du sang de ces hérétiques pour bâtir son propre sanctuaire, à la gloire de la Grande Illumination.

Le bouffon maquillé retourna près de l'entrée principale, où déjà s'était amassé un petit nombre de fidèles qui étaient à sa recherche. Ils l'accueillirent tous avec calme, un sourire imbécile imprimé sur leur figure. Quelle arrogance ! Ne se rendaient-ils donc pas compte de leur ridicule, de la sottise que représentait leur culte ? Leur bêtise n'avait-elle donc aucune limite ? Sa mission était de leur faire entendre raison avant de les faire disparaître.

"Qui donc pénètre notre demeure ? La Roue du Karma est ouverte à tous les étrangers, même les plus… L'homme qui parlait le toisa quelques instants. Le silence était pesant. Marginaux, dit-il enfin pour désigner celui qui avait déjà l'habitude d'être affublé de cet adjectif et qui avait appris à l'apprécier après toutes ces années. Il était marginal, oui. Mais sa marginalité deviendrait bientôt la norme, quand enfin le monde aura reconnu la toute-puissance de Dainichi et le rôle de prophète de l'eta.

"Au nom de Dainichi, seul dieu tout puissant,
Je vous condamne, vous, faux culte bien-pensant.
Subissez le châtiment qui s'abat sur vous,
Et, dans les grandes flammes sacrées, repentez-vous."

Récap :

Ces faux prophètes ne le savaient pas, mais le simple fait d'avoir entendu ces paroles insufflées de chakra les avait condamnés. Tous se bouchèrent soudainement les oreilles, vainement. Sachi n'entendait rien, mais pouvait très bien imaginer ce qu'il devait se passer dans l'esprit de ces pauvres malheureux. Des cris, des insultes, peut-être des blasphèmes. Leurs cerveaux étaient inondés de toute part par ces choses qu'ils redoutaient le plus d'entendre. La plupart tombait à genoux, hurlant pour couvrir le son de ces horribles plaintes, sans succès. Tout cela se passait dans leur tête, aussi personne ne saurait jamais le mal qui les avait frappé. L'artiste de rue avait maîtrisé cette technique à la perfection : grâce à son don auditif, conféré par Dainichi Lui-même, il savait que ces lamentations se faisaient plus violentes, au point d'en devenir réelles.

Enfin, il commença à entendre de l'agitation à l'autre bout du temple. Le bruit de la pierre taillée et des constructions humaines couvrait en partie l'agonie des hommes qui lui faisaient pitoyablement face, mais pas suffisamment. Certains autres étaient alertés et propageaient la menace à qui voulait l'entendre. Bientôt, un flot de religieux viendrait l'atteindre. Il se savait capable de les vaincre mais, pour le bien de la mission, il ne devait pas faire de tâche. On ne devait pas soupçonner la présence d'un shinobi – bien qu'il ne se considérait pas de la sorte – mais on devait au contraire croire à un châtiment divin. Pour cela, il avait déjà son idée toute préparée.

Quel meilleur signe divin, quelle meilleure punition pouvait-il y avoir que la simple disparition, accompagnée de la destruction des quelques symboles présents ? On penserait que les – ou plutôt le, pour Sachi – dieux eux-mêmes auraient tant été offusqués par ce culte barbare qu'ils l'auraient rasé purement et simplement de la surface de la terre. Tabula rasa, comme disaient les anciens.

Le bouffon rouge saisit son kunaï et les poignarda promptement en plein cœur, les uns après les autres. Il essaya de laisser le moins d'effusions de sang possible, car il savait qu'il devrait les nettoyer après, aussi il les déshabilla pour essorer le sang qui s'échappait de leurs artères dans leurs longues tuniques blanches. Cela lui prit du temps, juste assez pour apercevoir les nouveaux fidèles qui se rapprochaient. Il disparut immédiatement derrière l'un des autels annexes au temple principal. Appuyé contre la froide pierre blanche, il passa en mode furtif, et mis en œuvre la seconde partie de son plan. Il observa, à distance raisonnable, les disciples de la Roue du Karma aller et venir auprès des cadavres, affolés. Bientôt, tous furent amoncelés autour de ces corps sanguinolents, dont l'âme avait déjà rejoint les profondeurs de l'enfer.

Enfin, il appliqua la même méthode qu'avec le précédent groupe, tout en souhaitant y ajouter un brin de folie, du spectaculaire qui le caractérisait mais qui le mènerait également jusqu'à sa perte, en temps voulu. A l'aide de la technique de ventriloquie, couplée à ses talents de furtivité, l'illusionniste répandit sa voix – ou plutôt celle qu'il avait empruntée au premier prêtre qui lui avait parlé – vers l'assemblée. Tous furent frappés de terreur en entendant des paroles émaner de toutes part, provenant d'une personne dont le cadavre sauvagement amoché se trouvait à leurs pieds.

"Avec le grand Dieu vous avez osé jouer,
Comme d'infâmes sorciers vous périrez."

Une fois encore, il était trop tard pour ces pauvres hommes. Déjà envoûtés par ses paroles, les mêmes plaintes qui avaient mis leurs compères à terre étaient désormais en train de dévorer le peu de volonté qui leur restait. Le spectacle était jouissif aux yeux de Sachi. Il y voyait la vérité, la révélation : tout homme en ce monde qui refuserait de reconnaître le règne de Dainichi sombrerait dans la folie. Il s'en assurerait lui-même.

Il s'approcha, prêt à infliger à tous le coup de grâce, comme il venait de le faire à la première fournée. Il sautillait de joie, riant aux nez de ces hommes qui ne semblaient plus le voir, perdus dans l'océan de tourments qui ravageait leurs esprits. Il passait entre eux comme un enfant, hurlant de joie et laissant exploser tout son fanatisme à l'air libre. Il se sentait fort : pire, il se sentait l'envoyé de Dieu sur terre. Il était l'élu, celui qui réaliserait à bien la mission divine qui lui avait été attribuée par le régisseur de toutes choses.

Une horrible sensation de picotement, puis de brûlure, vint l'arrêter dans sa danse. Il tomba à terre et porta la main à son épaule, qui venait d'être frappée d'un couteau. Le sang coulait. Sans voir d'où venait la menace, il arrachait un pan de la tunique d'un corps sans vie pour l'enrouler autour de sa blessure en vitesse. Il leva enfin les yeux, et vit cette ombre en longue robe brandir à nouveau sa lame en sa direction. Loin de se laisser emporter par la douleur comme son agresseur l'avait espéré, il sourit béatement. On le mettait une nouvelle fois à l'épreuve de la plus belle des manières.

Récap :

Il roula sur le côté pour éviter le coup de poignard suivant. Utilisant ses bras, il se courba puis envoya une impulsion qui, d'un bond, le fit se remettre sur pieds. Il pleurait à chaudes larmes, de joie, à l'idée de compléter ce massacre en affrontant un fier adversaire. Il était de ceux qui n'aimaient pas vaincre sans péril, la gloire seule lui permettant d'atteindre le royaume de Dainichi en grande pompe.

"Qui es-tu ?" gronda la voix grave de l'homme, qui se révélait âgé d'une quarantaine d'années. L'âge de la sagesse la plus pure, songea Sachi. Pourtant, il savait que celui qui lui faisait face était l'exact opposé de la plus grande des vertus, après la foi. C'était précisément pour cela qu'il lui ferait cadeau d'une mort violente.

"Je suis l'envoyé de Dainichi, pour vous punir !" dit-il en riant à nouveau, avalant également par mégardes certaines des larmes qui perlaient le long de ses joues. Il faillit s'étouffer avec et porta la main à sa gorge pour tousser de manière exagérément dramatique.

Il s'élança dans sa direction, un sourire carnassier illuminant son visage dont le maquillage avait été emporté par les larmes. Un affrontement à l'arme blanche s'en suivit : le saltimbanque avait en tout point le dessus, mais laissa durer le plaisir. Il l'entaillait le long des bras, des jambes et du torse, déchirant en même temps la tunique du vieil homme qui devait sans doute être le gourou de cette secte. Quand tout le tissu fut déchiré et qu'il fut enfin nu comme un ver, le marginal pouffa à nouveau.

"Vieil homme, rougis de ton outrageuse impudeur !
Et enfin, meurs.

- Tu n'es qu'image du malheur !"

Sachi n'eut pas besoin de répondre à cette ultime insulte, il savait que sa répartie ne serait de toute façon pas entendue. Le guide mystique était maintenant plongé dans la plus féroce des illusions de l'eta, qui s'écroula de fatigue tout en contemplant son œuvre. En guise d'ultime offrande, il avait offert la vérité à l'homme : il entendait la voix même de Dainichi, ou du moins celle que le fanatique imaginait dans ses rêves. Il subissait en direct son jugement sacré, jugement dont Sachi savait que seule une coquille vide ressortirait.

Enfin, prit de miséricorde et voyant le frêle corps nu se débattre inutilement, il se releva pour venir lui trancher la gorge et nettoyer son sang avec les vêtements des autres. Il n'y avait plus âme qui vivait en ce temple et le culte de la Roue du Karma était officiellement disparu.

Exténué par toute cette agitation, l'errant se laissa à nouveau tomber sur les pavés et s'endormit au milieu des cadavres, s'accordant un repos qu'il avait mérité plus que quiconque. Pendant deux heures, il régna un silence de mort en ce lieu qui fut pourtant le théâtre de tant de cris et d'atrocités.

A son réveil, Sachi prit le temps de s'étirer, puis contempla à nouveau le bain de sang qu'il venait d'offrir à son dieu. Il savait qu'il serait récompensé pour cela, non pas en monnaie, mais en grâce divine. Il prit le temps de visiter ces lieux, pourtant en cours de construction. Il détruisit leurs prétendues reliques ainsi que toute inscription faisant référence à leur culte, les laissant fendues sur le pavé, à l'abandon pour tout jamais.

Il emprunta ensuite l'un des charriots utilisé pour transporter des pierres, qu'il remplit des cadavres froids des anciens fidèles. Il leur ferma à tous les yeux avant de les lancer dans l'outil qui les transporterait jusqu'au lieu de leur repos éternel. Il les amena à une décharge qui se trouvait à quatre cents mètres du temple. Il y fit le nombre d'aller-retours nécessaire pour construire une pyramide de corps avec la vingtaine de prêtres qu'il venait d'exécuter. Il y mit le feu et regarda pendant presque une heure cet immense tas de chair brûler, jusqu'à l'extinction. La croyance qu'ils portaient venait de disparaître dans cette opaque fumée qui devait également avoir alerté les villages voisins. Bientôt, on viendra contempler le juste châtiment infligé à la Roue du Karma.

Enfin, il retourna une dernière fois sur les lieux du massacre, au temple. A l'aide des dernières gouttes de sang qui n'avaient pas encore été nettoyées, il écrivit sur son sol l'inscription suivante :

Il n'est qu'un seul : Il s'appelle Dainichi.

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