Main de fer, gant de soie - Kamiko Raion [End]

« Raion. »

Debout dans la pièce, la jeune femme dévisage ses aînés l’air ennuyée. Habituée à être convoquée à cause de son caractère impétueux, son visage ne trahit aucune surprise quant à l’expression sérieuse de ses oncles et de sa tante. Les yeux fixés sur son père, elle semble attendre la raison du courroux de sa famille aussi paisiblement qu’une vache observe le passage des charrettes sur la route. Sa tranquillité trouble même le masque calme de son oncle le plus proche, qui ne peut s’empêcher de montrer son agacement. Peu importe la situation, à chaque fois qu’elle était venue, Raion avait toujours été ainsi et, une fois n’est pas coutume, elle l’était encore aujourd’hui.
La seule nouveauté, à peine visible, tire un sourire à Kenta, son père. Malgré l’attitude je m’en foutiste blasée de sa fille, il reconnait cet éclat dans ses pupilles. Ce mélange, étrange, instable, de nervosité et de curiosité. Inconsciemment, le chef du clan Kamiko se met à respirer plus tranquillement. Il doutait que sa petite tête brune réagisse à la convocation mais, maintenant qu’elle se tient devant lui, il sait qu’il a réussi à fixer son attention. La vraie question, à présent, c’est de savoir combien de temps Kenta parviendra à la retenir au vu de ce qu’il prépare.

« Comment va la vie à Konoha ?
- Venez-en aux faits, Père. »

Dans un coin de son regard, Kenta entraperçoit le réflexe courroucé de son frère. Maintenant debout, Bakko toise sa nièce avec désapprobation. Son élan l’a porté jusqu’à elle, et ils se font tous les deux faces, silencieusement. Il n’est pas difficile de voir que la confrontation ennuie la plus jeune et à quel point sa réaction frustre son oncle. Pire, son animosité augmente quand Raion sourit, narquoise, de le voir pieds et poings liés si proche d’elle.

« Je suis ravie de vous revoir aussi, mon oncle. »

Cette fois, Heiwa éclate de rire. Bonne patte, elle avait pris Raion sous son aile très tôt et malgré le caractère de cochon de la jeune fille, la directrice de la branche créatrice des Kamiko était parvenue, comme par miracle, à transformer le vilain petit canard en cygne. Quand bien même sa nature explosive, elle, n’avait pas changé d’un iota.

« Reviens t’asseoir, Bakko. Tu sais bien que ce n’est pas comme ça que ça marche. » Le grognement de réponse ne fait que renforcer les débuts de sourire qui se peignent sur le visage des chefs de branches. Des sourires qui subsistent discrètement dans les ombres, malgré que Kenta reprenne la parole. « Dis-moi, jeune fille, d’après toi qui devrais être nommé héritier du clan ? »

La question fait disparaitre le sarcasme du visage de Raion pour laisser place à une réflexion intense. Pensivement, elle se met à articuler des prénoms sans les prononcer en comptant sur ses doigts. Peu à peu, le nombre se réduit et, au bout d’une dizaine de minutes de silence concentré, la jeune femme dévisage à son tour les aînés. Le mécontentement commence à apparaitre sur ses traits et transparait jusque dans sa voix.

« Si je suis la logique habituelle, le chef est un polichinelle qu’on agite sous le nez des puissances pour cacher les vrais chefs de branche et protéger nos informations. Tous le monde peut répondre à ce critère. » Alors que Bakko fait mine de vouloir réagir, Raion lève une main pour l’arrêter. « Si je prends en compte le côté technique qui veut que, en nommant l’élément le plus prometteur à la tête du clan, toutes branches et talents confondus, on lui assure un mariage stratégique avantageux. Selon cet aspect ci, on peut compter les candidats sur les doigts d’une main.
- Raisonnement juste, est-ce que tu pourrais déterminer le...
- Moi. » Cinglante, la brune se rapproche de son père vivement. « Et je peux d’ores et déjà vous dire que même si mon talent ne fait aucun doute, c’est hors de question. » Bras croisés, elle dévisage les chefs de branches à tour de rôle. « C’est de la folie. Vous êtes en train de prendre parti dans la guerre encore plus que nous l’avons déjà fait. Vous êtes en train d’offrir le clan à Konoha sur un plateau d’argent ! »  

Pour une fois, Bakko semble approuver sa nièce. Une situation, inédite, qui ne manque pas de faire sourire le chef, tout comme les autres membres du clan. L’envie, irrépressible, de hisser Kensaï à la tête des Kamiko n’avait jamais quitté le frère de Kenta et chacune des personnes présentes en étaient consciente. Au-delà de cette ambition, Raion commence à faire les cents pas dans la pièce. Les lèvres pincées, la mine orageuse, elle semble réfléchir à un moyen de se défaire du traquenard qui se ressert lentement sur sa gorge. Malgré ses réticences, la jeune femme avait été ravie de partir étudier au village caché de la feuille. Séduite par la possibilité de développer son art au-delà de toute restriction, elle avait foncé tête baissée dans l’opportunité et ne l’avait jusqu’à présent pas regretté. Du moins, jusqu’à aujourd’hui.

Son père la mettait dans une situation difficile. A cheval entre son devoir de kunoichi et cette casquette indésirable d’héritière, Raion ne craignait qu’une chose, ou plutôt une seule personne : Ce vieux renard mal fagoté d’Akimichi Chô. Au-delà de l’agression esthétique qu’il représentait pour le monde, la jeune femme devait bien reconnaitre au Hokage une certaine capacité à obtenir ce qu’il souhaitait à coup de conciliation. Une capacité bien heureuse pour le village mais diablement problématique pour un chef de clan qui souhaite conserver son indépendance. Elle avait déjà refusé, au nez et à la barbe de ses supérieurs, les demandes de passage de l’examen des Juunins et devait, maintenant, se préparer mentalement à repousser des offres du Hokage en personne. Quel enfer, pense-t-elle. Un enfer et, encore plus, une perte de temps considérable.

Konoha avait l’avantage, non négligeable de pouvoir mettre à l’abri le clan politiquement et, déjà implanté dans le village, économiquement parlant les choses étaient déjà lancées mais ça ne convenait pas à Raion. Elle voulait plus. Elle ne voulait pas seulement Konoha. Suna, loin vers l’ouest, lui faisait de l’œil autant pour son aspect exotique que par pure curiosité pour un village réputé pour sa politique raciste. De l’autre côté, Uzu semblait être une place de choix pour son influence maritime mais, au-delà de ça, pour ses nombreuses techniques de Fuinjutsu et d’Iroujutsu jalousement gardées secrètes par les Uzumaki. Autant de clients potentiels, que de possibilité d’échange pour ce don si particulier que les Kamiko possèdent et, en bonne négociante, Raion refusait de renoncer à des idées aussi alléchantes pour les finances.

Au-delà de ça, le talent des Kamiko n’avaient de borne que celle qu’offrait le secret des techniques. Si seulement il était possible d’échanger un peu de savoir contre des tenues du genre de la sienne, Raion est certaine que les avancements dans la guerre serait rapide. Peut être même serait-elle terminée, si l’intégralité du clan avait finalement pris la décision de se rallier à un village et de lui donner ses services à des fins expansionnistes.

Un pouvoir fort pratique pour s’attirer les faveurs de certains clans mais aussi les foudres des autres. Parce qu’à partir de maintenant, la moindre velléité d’effort de guerre pour un des trois camps mettrait une cible sur les Kamiko. Après tous, la meilleure stratégie, lorsqu’il est difficile d’atteindre l’autre armée, est d’en couper les ravitaillements. Le simple fait de la décréter héritière, maintenant, alors qu’elle était sous la « protection » de Konoha était là pour envoyer un message aux autres clans. Mais était-il judicieux de les forcer à la compétition alors que le contexte politique était déjà épineux ? Est-ce que ça ne mettrait pas en péril la négociation d’un commerce général ? Si Raion ne voulait pas tomber aux mains de Konoha, elle devrait assurer son indépendance et sa propre protection sans l’appui du village. Mais pour se protéger, elle devrait obligatoirement passer par des alliances. Pire, elle était dans le besoin de le faire, ce qui rendait un accord délicat tant l’autre partie avait de liberté pour dicter ses conditions. La meilleure façon de contourner le problème, serait de jouer égal à égal avec le clan le plus susceptible de les aider mais pour ça, il faudrait…

Alors qu’elle arpente la pièce en long en large et en travers, Raion est soudainement frappée par une révélation. Elle s’immobilise et, lentement, presque mécaniquement, se retourne vers son paternel. Son esprit, qui vagabondait à diverses stratégies économiques, venait de faire tourner les rouages, bien huilé, de la pensée de Kenta, lorsqu’il l’avait proposé en héritière. Si la jeune femme n’était pas disposée à accepter la proposition par pure agacement, cette fois-ci sa colère est, elle, bien réelle. Son doigt se lève et elle hurle.

« Tu n’as pas le droit de me faire ça. » Son visage est tordu par une douleur profonde qui voile ses yeux d’une tristesse profonde. « Tu ne peux pas me priver du seul souhait que j’ai jamais eu ! »

Les membres du clan assistent, interdit, au ressentiment de Raion. La plupart ne comprennent pas où veut en venir la jeune femme mais l’expression impénétrable du père trahit son calcul. Prometteuse et caractérielle, il savait que jamais elle ne se reconnaitrait de maître. A ce paris osé, Kenta rajoutait une chose essentielle au cœur de sa fille. Le mariage, infiniment politique, serait la pierre angulaire du développement des Kamiko dans le village caché. Il se souvenait, des années plus tôt, de lui avoir promis qu’elle n’aurait pas à faire ce choix mais la réalité l’avait rattrapée. Avec les efforts de la jeune femme pour briller et sa propension naturelle à contrarier ses interlocuteurs, elle représentait actuellement les meilleures chances du clan pour survivre dans ce contexte capricieux où le simple commerce s’avérait complexe.

Raion, elle, continue à fulminer, à repousser les faits de toutes ses forces. Devoir déterminer l’orientation d’un clan entier par un mariage ? Une erreur. La priver de choisir son époux ? Un délire. Evoluer les fesses posées entre deux chaises parce qu’elle pourrait hésiter entre le village et son clan en mission, voire même perdre la tête pour ça ? De la folie furieuse.
Il sait éperdument ce qu’elle va choisir, si la question se pose.
Il sait que son indifférence pour la guerre et ton amour de la couture font de toi la plus ambitieuse des marchandes.
Il sait que son égo ne souffrira pas des tentatives de rabaissement et d’intimidation auxquelles elle pourrait être soumise.
Il savait, depuis le début, ce qui l’attendait et, là où il s’était toujours montré conciliant, aujourd’hui il lui avait fermé toutes les portes. L’autorité des votes étaient absolue.

Les mâchoires serrées, la demoiselle observe son père, blême. Il y a quinze longues années, elle lui avait fait la promesse solennelle qu’elle n’avait pas le droit de lui en vouloir le jour où il devrait lui imposer un choix en son statut de chef de famille. Les années étaient passées, balayant le souvenir de sa mémoire jusqu’à aujourd’hui et, alors que le père et la fille ne se quittent pas des yeux, Raion finit par se taire. Torturée par ce coup du sort, elle saisit la main de son géniteur et baisse la tête, vaincue. Une première, en vingt-cinq ans d’existence.