Pérégrination (PV Chinoike.)

Du regard, j’embrassais cet horizon, si blanc, si pur.

Comment pouvait-on avoir un monde si beau et le déchirer ainsi ? Je ne me sentais nullement apaisé,  juste vide. Fermant les yeux, je tentais de capter l’âme du lieu. Son odeur, ses bruits, son ambiance, autant d'éléments qui échappaient au regard. Tout était plus calme en haut d’une montagne. Je me sentais comme au-dessus de la mêlée, au-dessus de la ruine et du tracas, pourtant ce n’était nullement le cas. Lentement, je laissais mon oreille vagabonder du côté de petits glapissements. Sans doute un renard ou un écureuil qui nichait par là, une vie si fragile, si vulnérable que les bêtes n’avaient qu’à tendre la patte pour la lui ravir. Mon odorat captait l’odeur de la neige, l’eau cristallisée contenait mille histoires, par son voyage éternel et continu… Je me plaisais, parfois, à me dire qu’un Akuma suivait un trajet similaire.  

Rouvrant les yeux, je pus concevoir plus clairement ce qui se présentait devant moi. Une vallée dotée d’un modeste cours d’eau gelé par endroits.  Un espace de mon enfance qui avait accueilli mes jeux comme mes pleurs. Une partie de moi était convaincue que devant ce spectacle, j’aurais dû ressentir de la nostalgie, peut-être du soulagement, simplement quelque chose, et pourtant, il n’en était rien. Je ne pensais qu’à la suite, qu’au prochain obstacle, au prochain problème, et cela me rendait malade. Prudent, je suivais des yeux le chemin qui serpentait en aval, en restant statique devant cette terre qui traçait une voie dans le manteau blanc.

J’avais déjà marché là, plusieurs fois.

La pente avait été rude à gravir, En grande partie à cause de plaques de glace qui avaient éclos de part et d’autre du chemin. Le clan était las et les quelques glissades n’avaient laissé place qu’aux soupirs et aux grognements agacés de ces gens à bout, brisés par les événements dont le contrôle leur avait échappé. Moi-même j’avais dû me retenir de hurler à chaque chute, ajoutant une goutte d’eau dans le trop plein quotidien de ma vie…

Partir du domaine Onryou, récupérer en urgence les jumelles qui gazouillaient dans l'arrière du convoi. Un air paisible qui sonnait plutôt comme une lointaine brise, maintenant. On avait gouté à un possible futur, pour qu'on nous retire ensuite la paix...

"Tu n'as pas vraiment connu la paix quand tu as battu ce type." Nekomata avide, Taiyo suivait mes pas sans laisser la moindre trace. Une création de mon esprit qui n'interagissait pas avec le réel.

J'avais extirpé les filles, contre la solution pour les Akuma... Durement gagné, je continuais à me dire que c'était la bonne chose à faire, même si la mine de mes camarades montraient que ce n'était pas si clair.

Ignorant sa remarque, bien vrai au demeurant, je me concentrais sur l'étendue gelé qui pointait à l'horizon. Le lac gelé, terre de quelques peuplades isolés par le climat et par l'envie... L'enjeu était le même pour nous, j'avais remarqué durant ma mission à l'autre bout du monde, que la région de la Montagne des Dieux était intéressante. Peu d'habitations à cause du relief et cela m'avait plu. Je ne voulais plus côtoyer de clans ou d'autres gens que les miens... Pour se reconstruire, au final, il fallait se refermer sur soi-même un petit temps.

Prenant une grande respiration, je commençais à descendre pour rejoindre mon destin... Ignorant totalement la nouvelle étape de ma vie, des Akuma, que j'allais engendrer.

Sphinx. Yukio 022

"En tout cas, on a été vite repéré..." Presque désolé de cette observation, je laissais les choses se faire.

Moi qui pensais que la région était peu organisée, presque laissé à la nature, à part quelques villages... Le tableau n’était pas complétement noir, les gens vivaient ici de bien bonne manière en s’accommodant des conditions climatiques : Tradition ? Accoutumance ? Résilience ? C’était chez eux, pourquoi partir ? Des générations entières avaient survécu dans la neige, qu’est-ce qui pouvait changer maintenant ? “Rien, ils ne cherchent pas à améliorer leur niveau de vie. Ils vivent ou survivent. Un mode de vie simple.” J'avais passé ma vie à voyager sans penser une seule seconde à me poser, enfin... Avant l'événement qui m'avait conduit içi.

C’était presque admirable leur attitude. De toute façon, je voyais mal la totalité de la démographie du Sekaï se concentrer sur les plaines fertiles ou les côtes. Il fallait bien des malheureux dans le lot… Enfin, ils ne le voyaient pas ça. Les locaux n’avaient qu’assez peu de points de comparaison, ils ne savaient presque jamais qu’à quelques semaines de marche une autre vie s'ouvrait à eux. "Il faut des gens qui perpétuent les traditions."

L'odeur que je sentais en périphérie n'annonçait pas une bonne nouvelle : Du fer, un parfum âpre sans être acéré au nez. Du sang, oui... c'était du sang. La main levée, je regardais le dessus de ma paume comme si c'était un mauvais souvenir. Moi qui n’utilisais que rarement mes griffes pour me battre… Préférant casser plutôt que lacérer, pour ne pas laisser le Yokai félin prendre le contrôle de ma vie. Du rouge, trop de rouge, reliquats de cette nuit cauchemardesque qui pourtant ne cadrait que le reste de mes sensations… Je connaissais le sang, je l'utilisais pour matérialiser mes armes, je le faisais couler par les plaies que je laissais sur mon passage et maintenant je le sentais dans les buissons. Un sentiment violent surgit en moi, me soufflant de foncer dans la végétation pour éventrer ceux qui trainaient leurs yeux trop prés des miens... Cette idée me poursuivait depuis mon départ du domaine Onryou.

"Jette-toi sur eux et dévore-les."

Sauf que je n'étais pas chez moi et que l'infériorité numérique supposé laissait penser qu'ils étaient là pour autre chose que nous attaquer. "Une force politique ? Dans cet endroit ?" Loin de m'inquiéter, je prenais note de la manœuvre pour essayer d'occuper mes méninges sur autre chose que la perspective de saigner d'autres individus... Il fallait sécuriser toujours son territoire. Moi qui n'avais jamais administré plus qu'un convoi hétérogène, je n'avais pratiqué que des excursions pour voir les chemins et les lieux... Je devais apprendre, je devais commencer à organiser dans mon esprit des tours de gardes pour protéger le début de camp que nous allions former. D'un autre côté, il ne fallait pas un vrai système de surveillance pour repérer la procession d'individus fatigués qui marchaient à ma suite.

Les sens en éveil, je cherchais à confirmer ma théorie et la présence d'une jeune fille, sur la route, me fit plisser les yeux... Une embuscade ? Levant le bras, je donnais l'ordre muet d'arrêter l'avancée. Le regard concentré sur la silhouette gracile découpé dans le manteau blanc, je reniflais l'air pour comprendre si mon clan était encerclé ou si j'avais affaire avec une interlocutrice honnête. "Si ça existe." Celle-ci annonça une évidence, observatrice du manque de vêtement vraiment chaud sur des épaules faméliques. Le voyage avait creusé autant nos ventres que nos corps. Pendant qu'elle parlait, je détaillais un peu plus cette femme qui était devant les ruines de notre clan : Gracieuse, les cheveux noirs et la finesse de la féminité qui marquait autant mon esprit que sa distance avec ce que j'imaginais être l'allure des habitants de cette région hostile. Seule caractéristique qui me faisait plisser le nez était le rouge sanguin dans ses yeux... "Le sang, toujours le sang." Était-ce le symptôme d'une maladie ? Son teint, pale, pouvait le laisser entendre, ou bien sa naissance avait été marquée par le sceau affreux de la mort ?

- Nos enfants... les yeux tournés vers l'arrière, je constatai encore une fois l'évidence. Nos quatre enfants, dont Yaban, étaient émacié et autant maladif que la jeune fille... Pour le coup, je connaissais la raison. Je comprenais, en cet instant, la peine qu'on pouvait éprouver à nous voir ainsi déambuler dans la neige. Oui, tout le monde est épuisé...

Tout de suite, elle parla d'un village... pas vraiment proche, mais c'était le plus prés dans le périmètre. Une moue frustrée naquit entre mes lèvres, laissant apparaitre mes dents. Rien envers elle, mais la mention d'une distance me rendait patraque. Je savais que je devais gérer le campement, trouver un endroit où séjourner, mais tout me paraissait lointain. Presque irréel. Je perdais pied, autant par la voix de Taiyo que par le poids des responsabilités. Comme une réponse à mes pensées, elle conseilla de faire une halte sur les berges : Nourritures, protection visuelle... Tout ce qui était nécessaire pour survivre.

"Tue la."

- Je vous remercie pour le conseil, les miens ont besoin de repos. La route a été longue et pénible... Nous ne sommes pas habitués à ce climat, mais nous apprendrons. Une nécessité qui se voyait dans les airs désespérés des femmes et des enfants. Les hommes cherchaient à garder une contenance, mais la flamme de Nibi qui brulait en eux s'étiolait à chaque pas.

Pour toute réponse, la demoiselle proposa de nous guider jusqu'au village et c'est à ce moment-là que mon nez se plissa de nouveau, non pas pour sentir l'ambiance, mais bien car je flairais le piège. Un long silence s'immisça dans le début de conversation, si cela en était une... je n'avais pas vraiment fait d'efforts pour nourrir la discussion alors qu'elle apparaissait accueillante, au demeurant cordiale. Elle se présenta même.

- Je suis Tama, chef et protecteur de mon clan. L'accent fut mis sur le second adjectif, comme une réponse à sa propre présentation. Peu satisfait de la tournure, sous doute influencé par l'air vulnérable et faible de la procession, je mis l'accent sur une tentative de reprendre un peu la main sur la chose : Dois-je vous tenir responsable des personnages qui nous surveillaient ? Tout de suite, les regards se plissèrent derrière moi. Je n'avais pas touché mots à mes suivants et ils apprenaient en même temps que la dénommée Tetsu la nouvelle du repérage... repéré. Cela pouvait leur faire peur, autant que les faire paniquer... Ils avaient connu tant de souffrances, déjà. Ou bien il y a des groupes qui sévissent dans la région ? Une faction qui domine ? Des gens à qui se méfier ? Nous sommes juste de passage... Nous ne voulons pas d'ennuis. Les questions laissaient surgir ma méfiance, autant que mon envie de comprendre.

Je n'avais pas accepté, mais je n'avais pas refusé... Encore. Je discutais, prenais mes marques. Selon toute vraisemblance, quiconque nous avait observé, ils allaient devenir nos voisins.

"Découpe les."

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Un hochement de tête, l'honnêteté de Etsu me parut rassurante mais son mouvement ensuite, découvrant ses camarades autour de nous me fit frissonner dans le dos... J'en avais repéré, mais pas tous. Certains avaient réussi à cacher leur odeur. Entourant mon convoi, je fus pris par une terrible anxiété et automatiquement mes poings se serrèrent, prêt à sortir les griffes et me battre. "C'est la fin ?"

"Déchire les."

Guettant le moindre mouvement, alors que Taiyo me soufflait de me jeter sur le premier venu pour détruire cette attaque. Sauf que rien ne venait : Juste la jeune femme qui continuait à parler, après cette démonstration de force. D'après elle, nous n'étions pas des gens ordinaires, même si les trognes que nous présentions étaient bien triste... Louant ma capacité à repérer les espions, je ne fus pas vraiment rassuré. Aucune réponse, alors que Etsu expliquait qu'elle voulait juste connaitre nos intentions et pour l'instant son attitude démontrait assez bien cette perspective : Pas d'attaque, juste de la discussion.

Je décontractais mes mains, autant que ma machoire, pour ressentir de nouveau de la frustration et un soupçon de peur quand elle enleva son manteau pour s'approcher.

"Elle va attaquer les tiens."

Le Nekomata connaissait mes faiblesses et les exploitait. Jouant sur la mention de chef irresponsable qui, même si ce n'était pas une attaque, sonnait comme un rappel de mon échec à bien gérer le groupe. Serrant les dents, je rongeais mon frein alors qu'elle passait à côté de moi. Suivant sa silhouette des yeux, le nez captant malgré lui une odeur de rose et de... De chocolat ? "Qui peut comporter autant de sucre dans son parfum ?" Un détail amusant qui calma un peu mes ardeurs, alors qu'elle s'offrait au froid en donnant un peu de chaleur aux enfants. Tout ce que je n'avais pas réussi à faire. Ceux-ci regardèrent Etsu comme une sauveuse, jouant encore plus sur mon malaise de ne pas avoir réussi. Une fois de plus. Alors qu'elle se tournait vers moi, elle dispensa une morale qui me fit réagir... Sans doute que ce n'était pas le but.

- Une erreur, c'est quand on a le choix, cela fait des années que je n'ai pas eu le choix pour quelque chose... Pieu mensonge, il y a quelques semaines, j'avais choisi de récupérer les jumelles chez les Onryou, contre la sécurité de leur foyer. "Je me cache derrière une fatalité, ce n'est plus possible."

La suite me surprit complétement.

Demandant si deux hommes valeureux se portaient volontaire, elle expliqua que le froid était le plus grand ennemi... Pas les humains, pas eux. La révélation de la présence de cache de survie et la possibilité de nous donner un peu de leurs ressources réchauffa mon corps autant que mon cœur. Cette fois-ci, je ne réagis pas négativement à l'avancée des deux individus palots. Pourtant, quand Etsu s'approcha, je fus pris de l'envie de reculer : Elle était trop proche et son odeur emplissait mon nez, entêtant et salvateur. Les yeux dans les siens, dorés contre rouge carmin, elle m'obligeait à baisser la tête, pourtant je ne sentais aucune forme de faiblesse dans cette différence de taille. C'était comme ça et sa stature laissait penser qu'elle était plus qu'une habitante, elle était la cheffe de ces gens.

Etsu allait servir de garantie, restant avec nous pour nous montrer le lieu du campement alors que les siens allaient tout préparer et que les volontaires allaient ramener le tout... Il suffisait de savoir qui. Quittant le contact visuel pour tourner la tête, déconnectant autant nos regards que les effluves que je sentais tout mon saoul, je regardais la procession qui attendait ma réponse. Les deux enfants qui avaient profité de la chaleur semblaient heureux et croyaient dans la demoiselle, les autres étaient plus ambivalent : Ils voulaient y croire, que cette région et ses habitants allaient nous aider à nous remettre.

- Nous sommes tous responsables de nos propres vies. Encore une leçon apprise, aujourd'hui. Ceux qui désirent se porter volontaire pour chercher ces ressources, avançaient. J'avais assez commandé, leur initiative allait montrer s'ils voulaient ou non de cette aide qui apparaissait comme miraculeuse.

Parmi la petite vingtaine qui se pressait les uns contre les autres, immobiles dans la neige, un seul bougea illico : Aiko, Akuma valeureux qui connaissaient le poids de la vie et souhaitait devenir utile. Il n'était pas un combattant, mais son manque de dextérité martial soulignait aussi le courage de sa posture. Quelques pas et, à l'image des hommes de Etsu, il attendit les ordres. Derrière lui, tous regardèrent son dos comme s'il était un fou, ou un héros, cela dépendait des personnes. J'accueillis cet homme d'un sourire et sa dynamique inspira un autre individu à s'avancer aussi, plus timidement. Shun, combattant rapide avant le génocide, avait fondu comme neige au soleil après le chaos de la mort... Un traumatisme qui avait durement émacié sa carrure pour ne laisser qu'un fantôme sur les frêles os. Il était volontaire, toujours. Chacun des douze adultes qui composait la procession pouvait se vanter d'être des durs à cuire qui ne lésinaient pas les efforts. Subsistait, pour certains, de terribles cauchemars... Sans doute amené par leur part sauvage, pour chercher à les faire basculer.

J'avais dû éliminer certains, car ils mettaient en danger le groupe. Inconsciemment ou non, chacun devait cacher un dur secret pour éviter que je ne les mette en quarantaine, ou pire. Deux hommes, devant moi, qui répondaient à l'invitation de la jeune femme.

- Suivez les hommes de notre sauveuse, ramenez tout ce que vous pouvez au groupe. Vous rendez un fier service. Me retournant vers Etsu, je pus constater qu'elle avait découvert une main pour me la tendre.

Une poignée de main montrait bien plus si cela me convenait qu'un "oui" passif. Lorgnant sur la paume, éraflée et cicatrisée à plusieurs endroits, la seule pensée qui me vint fut la dureté de la vie içi, aussi.  "Chacun a ses combats." Sans piper mot, je répondais à cette invitation en empoignant la main tendue. Seulement, il fallait bien dire quelque chose :

- Je vous remercie pour le service rendu, j'espère un jour pouvoir vous rendre la pareille, une fois remis sur pied. Soupirant, je cherchais mes mots, équilibrant ma prudence avec l'apaisement d'être bientôt dans une relative sécurité, autant physique qu'alimentaire. Nous cherchons à atteindre le territoire de Hommachi, la montagne des dieux. J'ai déjà traversé ce territoire. Une nouvelle vie nous attend, loin de la civilisation et ses dangers. Tournant la tête vers les hommes qui attendaient les consignes de la petite femme, je remarquais le respect et la diligence de ceux-ci. Pour se remettre et pour grandir. Lâchant la main, je lui fis signe de me montrer le tout... Mes deux ouvriers s'avancèrent sur mon regard pour se mettre sur les talons de leur guide respectif.

J'avais beaucoup à apprendre d'elle.

Sphinx. Yukio 022

- Parfaitement, j'ai pu voir que c'était un territoire intéressant. De grandes plaines au sein de vallées, encadré par de grandes montagnes. Je désire m'installer là-bas, pour eux... un regard las pour les miens. À l'écart. La réponse ne tarda pas, Etsu contempla les montagnes qui devaient marquer la limite entre l'Isthme du gel et la Vallée des Nuages.

Cette partie du monde était marquée par les montagnes, créant de petits bassins pour la vie... Mais la neige était moins présente, cela m'allait bien de ne pas patauger dans le manteau blanc. La déclaration simple de la demoiselle me fit froid dans le dos : Elle n'y croyait pas ? Suivant l'angle de ses yeux, je regardais également la chaîne de roche qui barraient l'horizon. Du bleu, du blanc, et... Du blanc. "On vient de sortir d'une montagne et on recommence ?" Effectivement, le chemin allait être long et difficile. Etsu en avait conscience et son seul conseil fut de ne pas passer par les montagnes...

- Je... je me doute. Je ne connaissais pourtant pas d'autres moyens, j'étais passé une fois sur ces routes. La région m'était inconnue et je m'étais engagé dans ce périple un peu par défaut, car je ne voyais pas où aller d'autres.

Peu de place pour la discussion car la guide fit un signe pour amener la troupe à la suivre. Rongeant mon frein, réfléchissant à la suite, je mis sur les talons de la demoiselle, aillant son parfum dans son sillage. Silencieux, je me laissais faire... L'envie de bien faire était une chose, mais j'étais dans un territoire inconnue et elle avait l'air bien plus au courant de ce qui se passait et de ce qui devait être fait. "Je ne donne pas pour autant les rennes !" Les gens me suivaient, alors que je suivais moi-même quelqu'un.

Une chaîne de responsabilité.

Dans mon dos, je sentais le regard des miens : Ils n'étaient plus inquiets, mais ils espéraient que la suite des événements soient aussi chargés d'espérance. Les dernières semaines avaient été dures, par le voyage et la déception de quitter les Onryou. Ils avaient trouvé la paix et voilà que tout leur été arraché... "Bientôt, vous aurez cette liberté et cette prospérité..." Mais d'abord, il fallait passer ces montagnes. La solution vient bien vite : Etsu ramena le sujet sur la table. La montagne était dure, même pour des gens en bonnes santés. Ma procession n'était pas dans cette catégorie-là, surtout par la présence de jeunes et de vieillards. L'hiver n'arrangeait rien et la moindre chute pouvait être désastreuse...

- Je vois. Bien évidemment que je suivrai votre conseil, vous connaissez l'Isthme et ces montagnes mieux que moi. Je veux juste la sécurité de mon clan. Pas de mention du nom de celui-ci, le secret restait entier. Il subsistait alors le problème, mais la solution vint d'elle-même : Le bateau. Bordé par l'eau, la Vallée des Nuages et de la Foudre pouvaient être partiellement atteints par les ports, comme le laissait penser le réseau commercial qui profitait aux mines de la région. Réfléchissant à cette voie, une petite seconde, je répondis assez vite : Il y a un port proche ? Pour dix-sept personnes, le prix serait élevé, non ? Le côté pratique, je l'avais... Sinon, je travaillerai pour gagner assez. La solution la plus facile est le bateau, effectivement. Nous ne sommes pl... pas pourchassé. On recherche la tranquillité, c'est pour ça que l'on veut s'écarter du coeur du Sekaï... On a assez voyagé, il faut se poser maintenant. Je parlais pour moi-même, signe d'un début de confiance pour exprimer mes pensées à haute voix. Un regard en arrière, je jaugeais la vitalité de mes troupes. Ils donnaient peine à voir, mais je les savais assez solides pour continuer et subir le bateau. "Ce sera la première fois qu'ils naviguent." Le temps de marcher, j'essayais de mieux connaitre nos hôtes : Vous avez l'air organisé, avec des points communs physiques... Une famille ? Un clan entier ?

Pendant la question, je lorgnai sur les environs en essayant de retenir la trajectoire : Connaitre la région, connaitre les chemins et les recoins. De ce que j'avais vu, l'Isthme ressemblait à la montagne des dieux, mais avec plus de neige... Les arbres étaient dépouillés, Yaban allait apprécier monter dessus.

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- Notre premier devoir... Répétant les dernières paroles de Etsu, je pensais l'idée comme une révélation. Je me doutais bien de ma mission principale, mais je ne savais pas si mes actes allaient vraiment dans ce sens. J'étais maladroit, pensant bien faire, mais la finalité était que mon clan grelottait dans une région inconnue pour suivre mon fantasme de foyer. Une certitude du bien fondé des choses, que la jeune femme, en réponse à mes propos, remettaient en cause sur un autre sujet : On ne peut qu'essayer de bien faire avec les informations et les croyances qu'on a. Une sentence qui marchait mieux pour moi que pour les dires de la belle.

Un peu penaud, je démêlais ces pensées qui comme une mélasse remplissait ma tête, déjà bien engourdie par la voix de Taiyo qui susurrait de lui planter mes griffes dans le dos. Il n'avait pas cessé, répondant à l'inconnu par une agressivité rare chez lui. Il réagissait au blanc si pur par une envie de corrompre le cadre par un rouge sanguin, un peu comme celui des yeux de ma compagne du jour. Les yeux à mes pieds, j'essayais de calmer un peu les choses quand un bras vola devant moi. Par réflexe, je levais le regard automatiquement, peut-être un peu trop vite, mais je pus percevoir l'objectif : Me montrer une direction. Celle du port où je pouvais prendre le bateau. Le petit village d'Ominichi, où avec un peu de chance et en négociant par le travail, j'allais pouvoir faire embarquer mon convoi dramatique. Hochant la tête, acceptant de toute façon toute option qui nous empêchait de perdre des membres dans les montagnes, je ne perçus pas tout de suite la moue de Etsu, pour autant je ne pus esquiver son discours sur la méfiance des gens de la région :

- Je ne voudrais pas trop monopoliser votre temps, vous faites déjà beaucoup pour nous... Si les miens peuvent dormir au chaud et avec le ventre moins vide, ce sera grâce à vous. Je saurai sans doute négocier, au risque de passer quelques jours à faire mes preuves... Peu de gens résistent à la bonne volonté et au service. Un petit sourire, avant d'enfin percevoir le visage de mon interlocutrice. La confiance est une ressource rare de nos jours... Pour des gens rompus à la survie, dans votre climat, cela ne sonne pas de trop. Les Akuma ne s'étaient pas méfié du Daimyo, mais une nuit cela avait été une erreur. Il faut gagner les choses, sinon cela n'a aucune valeur.

À ma question sur la possibilité d'être un clan, eux-mêmes, par les similarités physiques, la petite dame se retourna, les mains sur les hanches, arrêtant ainsi la procession, pour poser une simple question... La regardant, je jetais directement mes yeux ailleurs pour ne pas révéler la moindre gène devant sa question. Je voulais dire "un peu", mais cela sonnait inconvenant dans cette situation. "Et puis cela serait mal interprété."

- Po... Pourquoi je serais intrigué ? Elle rejeta la sentence pour me dire qu'elle pouvait me renvoyer la même question, chose sencé vu mes propos et le petit nombre... Ce changement de discussion me permit de reprendre contenance.

On pouvait être une famille, certes, mais les miens aimaient la mixité pour ne pas tomber dans l'inceste. Nos migrations nous permettaient d'avoir un peu de tout... Ce qui était pas mal pour un clan voyageur. L'exemple le plus efficace était la grande différence entre la petite rousse de Yaban et l'oiseau de nuit que j'étais. Un point commun était le physique assez fin, puisque notre mode de combat, notre mode de vie et nos appétences pour la danse et les jeux du cirque ne permettaient pas trop les écarts de poids. "Il faut aussi dire que les dernières semaines, on a tous bien maigris..." Etsu répondit tout de même : Un clan, avec ce teint si blanc qui venait du climat de la région... "Logique." Elle continua en louant l'organisation dans un environnement pareil, c'était nécessaire pour survivre et je la comprenais parfaitement sur ce point... La fin de sa phrase me fit un drôle d'effet, comme si elle était triste par un souvenir, ou par la perspective d'un futur peu glorieux. Je ne connaissais rien d'elle et des siens, mais sans doute que devant eux, autant que nous, il y avait des difficultés.

- Nous sommes un clan assez ouvert, enfin... Nous étions. Des voyageurs, ainsi il n'est pas rare que notre sang se soit mélangé avec celui de locaux dans le Sekaï... Une forme de renouvellement qui empêche d'avoir vraiment des traits physiques propres. "Enfin, à part les griffes..." Je ne parlais pas également de la part sauvage qui était une appétence de notre lien avec Nibi. Le peu qu'il reste nous permet d'avoir des liens fort, mais même quand nous étions des centaines, notre mode de vie nous permettait de nous vanter d'être une grande famille. "Avec la Mère comme gardienne... Qui nous a abandonné." Maintenant, il ne nous reste qu'à survivre et à nous remettre. Une fin amère, alors que Taiyo apparaissait avec ce discours pour gambader entre mes jambes. Il avait grandi depuis le temps, ses pattes s'allongeant pareil à sa queue qu'il s'empressait de nouer autour de ma cheville.

"Oh oui, je grandis." Il en était content, puisque c'était le signe que la folie augmentait... Comme la haine pour le genre humain.

Occupé à fixer le Nekomata qui lui-même orientait sa tête dans un angle impossible pour me fixer lui-même... "Si tu regardes longtemps dans l'abîme, l'abîme regarde aussi en toi." La question de Etsu sur le soleil dans ma région d'origine coupa court à mes observations. Un petit rire du chat, comme un grognement mesquin.

- Ahah, notre mode de vie est très porté sur l'extérieur... Mais nous sommes habitués à déambuler dans des régions plus boisées et ensoleillées. La Voie nous a amené proche du désert du Pays du Vent, mais également sur les rivages de la mer. Un léger sourire, avec les souvenirs qui revenaient. Taiyo, sous mes yeux, semblait diminuer légèrement en taille devant la nostalgie. Je ne crois pas que mon clan ait eu un jour une région où il s'est installé, en tout cas mes parents et mes grand-parents ne l'ont jamais vu. "Tangiro, Sadako..." Le visage de leurs parents, mes ancêtres, apparurent, mais dans un flou artistique. Ils étaient morts durant ma jeunesse, des millions de choses avaient recouvert ce mince filament de mémoire. Je dois mes yeux, et surement mon teint, à mon père... Il se vantait d'être issus d'une branche "pure", sans mixité... On est ce qui est le plus proche de la Mère. Des propos jetés négligemment, l'épuisement et la perspective de l'espérance avaient terrassé la méfiance chez moi. Votre questionnement est légitime, on a connu des moments durs, mais je ne suis pas aussi pâle que certains... Je ne crois pas avoir déjà eu à voyager avec mon clan dans vos terres, la seule fois où j'ai dû arpenter la neige c'était quand j'ai dû rejoindre la Vallée de la foudre pour un travail, c'est à ce moment que j'ai repéré Hommachi. J'étais seul, vous n'avez pas dû repérer mes traces quand j'ai pénétré sur votre territoire... Un convoi est bien plus visible. Moi-même, je n'ai jamais vu de gens comme vous... Des yeux rouges, comme le sang. Un petit frisson, toujours cette pensée autour du liquide carmin. Mes pupilles dorés se posèrent sur la neige devant moi, qui allait être battu et rebattu par une vingtaine de pied avant d'être repris par le vent pour redevenir une couche uniforme.

"Le cycle de la vie." Peut-être que les Akuma devaient être également détruit pour repartir sur de bonnes bases...

- Nous allons être voisin, je crois, Etsu. Il apparait que la montagne sera la frontière entre votre zone et la nôtre. "Comme si cela allait être aussi simple." On devra attendre des années avant d'atteindre votre niveau d'organisation et pour avoir autant de membres. Nous ne sommes que des ruines, mais nous serons tranquilles. Je me rabâchais cette idée, sans doute pour me convaincre du bien fondé de mon voyage. Votre clan a toujours été dans l'Isthme de Gel ou bien les épreuves vous ont amené ici ?

La survie était inhérente à la région, mais quelques kilomètres et un Sekaï plus vert apparaissait... Une prospérité que semblait refuser la jeune fille et je la comprenais. Je fuyais aussi les intrigues et cette richesse qui rendait corrompu les hommes.

Sphinx. Yukio 022

"La tragédie est bien trop facile, si vous voulez mon avis..."

Un regard morne vers la surface pure et blanche du sol. Une nuit, quelques sabres et de belles armures pour bloquer les griffes et voilà un Daimyo heureux d'avoir neutralisé un clan pourtant pacifique, sur la base d'une mauvaise réputation. Méritée ou non. Chassant ces mauvaises pensées, je continuais le flot banal de la conversation pour découvrir autant que je me découvrais. Sur ces yeux, Etsu ne parut pas gênée de parler : Rare, ils étaient discrets sur le sujet et sur leur disponibilité dans le Sekaï. Un curieux dialogue qui me fit lever les sourcils. Un pouvoir secret ? La jeune femme chassa vite la chose pour expliquer que, malgré leur isolement, son objectif n'était pas de mourir ici... Une ambition cachée ? "Intéressant." Continuant le tout, je saisis un soupir à l'énonciation de la "tranquillité" voulue.

Je le pris d'abord pour moi, comme un signe de contrariété devant une possible vision de moi comme un mollasson, mais elle expliqua bien vite ce qu'elle illustrait : La tranquillité n'était jamais gratuite, il fallait la mériter et travailler pour elle... "Comme toujours."

- Cela me semble être une bonne chose, je travaillerai pour la tranquillité. Je pense que tout le monde veut travailler pour elle. La paix, un début de prospérité, c'étaient des objectifs commun à l'humanité... Même un homme chat comme moi pouvait le penser. Très vite, elle raconta son histoire : Très proche, trop proche de la mienne et celle des Akuma. Le caractère amer du discours faisait tache avec l'odeur sucrée qu'elle laissait sur son sillage. Chassé, trahi... Ils s'étaient rapatriés dans l'Isthme du gel à partir de la Vallée de la Foudre. Un événement passé, lointain, qui ne laissait qu'un regard vite sur la neige. Je suis désolé pour vos pertes, pour ce que ça vaut. Une finalité taiseuse, qui ne laissait que les bruits de nos pas dans la masse molle. Elle coupa vite le malaise en répliquant que c'était une bonne chose de nous rencontrer, si l'on devenait voisin dans peu de temps. Il faudra du temps : Construire, nouer, se développer... Des mois, sans doute des années. On va avoir beaucoup de travail, surtout si on est si peu nombreux. Des alliés, ce n'est jamais de trop.   Un léger sourire, sans sournoiserie.

Les pieds dans la neige, je me trainais jusqu'aux berges du lac. Je ne pus retenir mon ravissement devant l'étendue qui s’étendait devant moi, distinguant sans mal une petite bâtisse sur les bords. Un lieu de bivouac rêvé qui allait donner de l'espoir aux miens... Sur les côtés de la piste, nous pouvions voir sans mal des traces d'animaux qui cheminaient vers l'eau, symbole de vie. Je ne pouvais pas mentir en disant que je n'avais pas soif... Les derniers jours avaient été durs, notamment dans l'ascension. Refaire des réserves n'était pas une mauvaise chose.

- C'est un endroit sublime, isolé, mais donc sauvegardé. Caressant du regard l'eau, je calculai l'aire du cercle pour approcher, même un peu, de la réponse sur la taille du terrain. J'espère que la Montagne des Dieux sera aussi belle, vous avez beaucoup de chance. Très sensible à la nature, je me laissais perdre dans les contours des arbres. La beauté me sonnait un peu et, tapant dans une racine, je finis la tête dans la neige.

Très tôt sur mon parcours, alors que je progressais vers le nord de mon monde, j’avais aperçu, se rapprochant, les sommets blancs et majestueux. Cet objectif devant moi, j’avais marché tout en contemplant ces gardes du territoire du gel. Blanc, c’était blanc. J'avais admiré le tout sans jamais penser que j'allais rentrer en contact aussi violemment avec. C’était moins froid que ce qu’on m’avait dit et ce que j'avais pensé ! La bouche pleine de neige, je me relevais péniblement sous les rires de mes compatriotes et sans doute un peu de nos hôtes, consterné par la bêtise de la chose. Enlevant le matériau de mes trous, je me mis à rire moi aussi devant le ridicule de la situation.

C'était peut-être le début d'un peu de bonheur.

- La Voie semble s'arranger, mes amis ! Crachant un reste de cristal fondu par la chaleur de mon souffle, je levais le poing pour motiver mes troupes alors qu'une fine couche de neige était encore sur mon visage et mes cheveux. La fatigue restait, mais une nouvelle force semblait animer les miens... Ou alors j'avais encore des trucs qui bouchaient mes yeux.

Sphinx. Yukio 022