Lentement, douloureusement, Shishio ouvrit les yeux. Les cernes sous ses yeux trahissaient une fatigue avancée ; le rictus de douleur qui se forma sur son visage alors qu’il prenait une inspiration pour la première fois de la journée en disait plus long encore sur son état physique. Il n’était revenu du tournoi d’Amanogawa que la veille – une suite d’affrontements qui s’était révélée toute à la fois triomphante et douloureuse pour lui. Malgré une nette infériorité vis-à-vis des autres participants à la lutte, il était parvenu à se hisser jusqu’en demi-finale, où il avait connu une défaite écrasante contre l’une de ses compatriotes, Hako du clan Aburame. Son corps était encore couvert d’ecchymoses et perclus de douleur au moindre mouvement, des bandages serrés tentant tant bien que mal d’aider ses os à se remettre en place convenablement. Ses côtes avaient subi une punition comme on en voyait rarement et son crâne avait été tellement secoué que l’infirmerie du tournoi s’était inquiétée de la possibilité de séquelles pour le garçon. Fort heureusement pour lui, il semblait qu’aucun des dommages subis dans ses combats ne subsisteraient, passées les quelques temps de récupération qui lui avaient été imposés. Le jeune Uchiha n’était toujours pas tout à fait en paix avec ce qu’il avait vécu au cours de ce tournoi, avec les conclusions qu’il avait tirées de ses affrontements. Ces souvenirs ressurgis, cette détermination oubliée… Pourquoi tout cela lui était-il revenu alors qu’il arrachait une victoire inespérée contre Yukimura, alors qu’il subissait une défaite sans pareille contre Hako ? Entre tous les moments difficiles, oppressants de sa vie, pourquoi son subconscient avait-il décidé que ces deux combats seraient la clef de son éveil ? Rien de tout cela n’avait de sens évident ; devait-il chercher une signification cachée à ces plaques tournantes, à cette soudaine évolution de sa psyché ? Il sentait déjà la migraine poindre, son crâne encore meurtri assailli de toutes parts par ces questions existentielles.
Levant difficilement des bras encore engourdis par le sommeil, il posa les paumes de ses mains sur son visage, se cachant un instant les yeux. Fine barrière placée entre lui et le monde extérieur, cette cécité artificielle était supposée lui permettre de mieux réfléchir à ce qui s’agitait en lui ; pour autant, rien de notable ne changea. Laissant s’échapper un soupir frustré d’entre ses dents, il se frotta simplement les yeux avant de braver la douleur de son torse pour passer en position assise, s’extirpant petit à petit de son lit. La meilleure échappatoire à tout dilemme interne, ça restait éternellement de faire sa toilette.
L’esprit et le visage rafraîchi, la douleur de son corps devenant de plus en plus supportable au fur et à mesure qu’il chassait l’engourdissement ensommeillé de ses membres, Shishio traîna sa carcasse marche par marche jusque dans la pièce de vie de sa maison. Profitant des quelques jours de congés qui lui avaient été assignés, le temps qu’il se remette de ses blessures, il s’était offert une grasse matinée, s’assurant ainsi qu’aucun de ses parents ne soient encore dans la demeure familiale une fois qu’il se lèverait enfin. Le silence pesant qui recouvrait sa relation avec eux n’était définitivement pas quelque chose dont il avait besoin alors que ses questionnements internes le tourmentaient. Il fit donc son entrée au rez-de-chaussée en s’attendant fermement à ce que la pièce soit vide et qu’il puisse errer librement dans la cuisine pour se nourrir.
« Ah, tu es réveillé. »
Le sursaut qui traversa le corps de Shishio, le faisant bondir sur place alors que cette voix inattendue le prenait par surprise, lui arracha un glapissement de douleur au passage. Même si la convalescence était très supportable, les mouvements brusques restaient… Moins qu’idéaux.
« Qu’est-ce que…
- Tu as bien dormi ? »
Le jeune Uchiha avait l’expression ébahie de quelqu’un qui vient de voir un fantôme. Tournant sur ses talons, il fit lentement volte-face, les yeux écarquillés. Assis sur le canapé de sa maison, un roman aux pages cornées tenu dans la main gauche, les yeux noirs levés vers son fils, se tenait le fier Uchiha Aketora. C’était la première fois en plusieurs années que cette voix rauque s’adressait directement à lui, que l’idéal représentant du clan à l’éventail lui posait une question… Qu’il le traitait comme son fils.
« Je… Euh… Plutôt pas mal, m-merci…
- Tant mieux. J’ai pris quelques jours de congé également. Plutôt que de ne rien faire à la maison pendant ta période de repos, tu vas t’entraîner. Il est temps que je t’apprenne un truc ou deux. »
Presque par réflexe, Shishio porta sa main droite à son poignet gauche, se pinçant vigoureusement là où la peau était la plus fine. Il grimaça de douleur mais, alors qu’il clignait des yeux, l’image impossible de son père qui le fixait et lui parlait ne disparut pas. Il n’était pas en train de rêver.
*Papa veut m’entraîner ?*