Le pâle halo d’une douce pleine lune illuminait le petit espace de ta chambre, épousait les reliefs du plancher, les murs droits, ton futon et la petite table où tu travaillais lorsque nécessaire. Ton univers était gris et froid, comme ta chambre mais tu ne voulais pas y mettre davantage de couleur, tu n’en avais que faire de cet endroit qui devait être ton antre, ton jardin secret, ton chez toi, là où tu avais le droit d’être toi, car, tu ne voulais pas t’y attacher. Après tout, tu ne restais jamais bien longtemps sur place. Tu enchaînais mission après mission, avec le strict minimum de repos. Tu ne voulais pas t’en autoriser ne serait-ce qu’un peu plus, de peur d’être bien, de peur de t’enliser parmi tes semblables, de créer des liens, d’exister à l’extérieur de ta quête, d’être, tout simplement.
En cette soirée d’été, ton regard aussi clair que le ciel du midi était tourné vers la voûte étoilée, aussi belle fut elle, tu ne la voyais pas vraiment. Tu ignoras la bourrasque qui vint balayer la pièce, car ce soir-là, tu étais pensive. Dans ta tête, tu n’étais pas ici, tu étais ailleurs, encore là-bas, dans cette auberge peu achalandée, la lame à la main. Tu revoyais le sang qui coulait le long des plis de son lit pour s’écraser sur le sol formant de petites flaques poisseuses à tes pieds. Lorsque tu fermas les yeux quelques secondes, tu vis encore les draps et l’oreiller lentement se teinter de rouge, alors que son visage exprimait encore la surprise, la terreur, la réalisation de son erreur. Tu revoyais le mur que tu avais accidentellement repeint de gouttelettes, d’éclaboussures. Tu n’étais jamais tendre avec tes victimes, surtout lorsque tu avais l’impression qu’elles te faisaient perdre ton temps, c’était une petite satisfaction personnelle que tu t’octroyais.
Il avait été naïf de te faire confiance, de croire au sourire que tu lui avais offert en lui servant une coupe de saké. Il avait plongé son regard gris dans le tien. Alors, tu fis comme on t’avait enseigné, tu posas lentement ta petite main sur son avant-bras, délicatement sans pression réelle, simplement dans le but de créer un contact. Rapidement, tu clignas deux fois des yeux et tu avanças légèrement tes épaules rapprochant ainsi ton visage du sien avant de soutenir son regard, tentant de te montrer intéressée lorsqu’il se mit à complimenter la couleur de tes cheveux et la beauté de ton sourire, ton faux sourire qui résultait de nombreuses heures de pratique, le même sourire de toutes celles qui œuvraient comme toi.
Quelle ironie.
Cet idiot avait sauté à pied joint dans ton piège, piège que tu avais méticuleusement tissé des jours durant, l’étudiant, l’observant, analysant ses moindre faits et gestes. Il s’était jeté sur toi, affamé de te découvrir, empressé de te faire sienne. Il avait délibérément ignoré tous les protocoles de sécurité dans ce simple objectif. Bien que cela te prit un peu de court – tu t’attendais à un plus grand défi – tu exécutas tout de même ton plan à la perfection, lorsqu’à la fin de la soirée, il t’entraîna dans sa chambre.
Quel imbécile ! Lorsqu’il t’avait embrassé, il était loin de se douter qu’il venait tout juste d’embrasser la mort. Tu glissas tes mains sur ses épaules et l’incitas à s’asseoir sur le lit. Ton visage tout près du sien, tu murmuras :
«Franchement … Il faut vraiment plus que quelques compliments pour entraîner une femme dans ton lit … Ne te l’avait-on pas dit avant ?»
C’était à ton tour de le prendre de court. Tu vis son expression se métamorphoser d’une doucereuse ébriété à la surprise d’une trahison inattendue. Ce n’était pas nouveau, ça non plus. Puis tu laissas voler un petit : «Hmpf !» D’un geste précis, tu récupéras la lame que tu cachais dans la manche de ton kimono et tu abattis ta main sans hésitation, encore une fois, un geste répété si souvent que tu ne le comptais plus, qu’il était devenu machinal, automatique. Tu le répétas, encore et encore, alors que son sang venait tâcher le lit, les murs et même le sol. Puis tu entrepris de fouiller la chambre pour retrouver le rouleau qu’on t’avait demandé de récupérer et tu fuis par la fenêtre dans l’obscurité de la nuit.
Tu secouas la tête, afin de chasser ces événements de ton esprit. Cet homme était un idiot, il savait ce qu’il transportait et pourtant, il s'était jeté dans tes bras. Cette mission n’avait pas été à ta hauteur et tu le savais déjà avant même de quitter, pourtant, tu ne sus pas la refuser. Après tout, si elle t’était offerte, il devait bien y avoir une raison et tu n’avais jamais su refuser une mission avant. Tu n’avais jamais désobéi à un ordre, quel qu’il fut. Au sein du clan, tu donnais un parfait exemple de docilité. Tu n’avais jamais argumenté ou contredit tes supérieurs. Tu étais une arme, rien de plus, rien de moins.
Tu décidas de sortir un peu, t’aérer l’esprit, chose que tu n’arrivais pas à faire dans ta demeure. Tu pris soin d’éviter les autres membres du clan qui erraient encore. Tu n’aimais les voir et pourtant tu vouais ta vie à leur bien-être. Pour eux, il n’y avait rien que tu n’avais pas fait. Tu étais pathétique, tu le savais, de nourrir cette ambition, dans les tréfonds de ta personne : celle de réellement appartenir à ton clan. Mais tu étais consciente que peu importe ce que tu ferais, tu ne seras jamais réellement l’une des leurs par ta propre faute. Au fil des années, tu avais érigé autour de ta personne nombre de murs et de défenses pour les garder à distance dans le vain espoir de te donner la chance d’atteindre ton premier objectif.
Malgré toutes tes précautions, tu croisas tout de même un groupe de jeunes. Ils étaient trois, ils parlaient en rigolant, échangeaient des plaisanteries, des conseils. Ils se plaignaient de tout et de rien. Tu décidas de tourner vers la droite, mais ils te suivirent. Le simple son de leur voix t’énervait. Si tu voulais les entendre tu leur aurais adressé la parole, mais tu ne l’avais pas fait. Leurs petites histoires ne t’intéressaient pas. Tu te retournas pour les foudroyer du regard, leur montrer qu’ils te dérangeaient, mais rien à faire, leur voix encore aiguë continua de résonner dans la nuit.
«Hey … Auriez-vous l’amabilité de fermer votre gueule ?»
D’abord, ils furent surpris. Ils te regardèrent comme si tu étais folle. Puis ils rirent, avant de reprendre leur discussion comme si tu n’avais jamais parlé. Tu pinças les lèvres avant d’inspirer un bon coup pour te calmer et tu continuas d’avancer. Tu n’avais l’esprit à gérer le contact humain, donc tu accéléras le pas pour mettre de la distance entre eux et toi.
L’ironie te fis pouffer de rire.
Toi qui voulais tant appartenir à ce clan, tu le fuyais comme la peste.
Sans que tu ne t'en aperçoives, tes pas te guidèrent au lac près du domaine. Réalisant l’endroit où tu étais, tu te laissas tomber au sol, sans grâce. Tu embrassais le décor des yeux. La lueur de lune se reflétait doucement sur l'eau incroyablement calme. Le son des criquets éveillait ta mémoire. Ô combien de fois étais-tu venue ici avec ta mère ? Lorsque ton esprit était accablé, tu finissais toujours sur le rivage à contempler la lune, discutant avec toi-même.
Tu te réconfortas en te disant que tu partais le lendemain, que tu aurais quelque chose d’autre pour occuper ton esprit et tes sens. Quelque chose d’autre où tu pourrais canaliser ton énergie, plutôt que ressasser les mêmes idées noires. Tu espérais par ailleurs pouvoir agir seule. Tu opérais mieux seule, personne ne pouvait te ralentir, t’encombrer, ou faire échouer ta mission dans ces moments-là.
Tu soupiras jouant inconsciemment avec les brins de gazon à ta portée. C’était bientôt l’anniversaire de sa mort. Peut-être était-ce la raison de la nostalgie qui t’enlisait, qui te paralysait l’esprit, qui t’épuisait plus que nécessaire.
Tu ne pus retenir le fil de tes pensées qui remontait tes souvenirs. Jours, mois, années.
Tu repensais à cet entrainement quand tu avais quinze ans. Celui où Ichizo t’avait « enseigné » comment résister à la torture, à ne pas céder, à ne pas craquer. Tu savais qu’en réalité il ne voulait que te punir pour la soirée que tu avais passé au village le plus près, parmi les civils. Tu avais entendu parler d’un vendeur de cithares qui avait piqué ta curiosité. Tu en avais d’ailleurs payer le prix, car il n’y avait pas été de main morte, au moment où il en eut fini avec toi, tu t’étais recroquevillée sur toi-même refusant de bouger. Ton mentor avait ensuite mentionné que ta mère était passée par le même genre d’entraînement et que ce qu’elle en avait tiré lui avait été utile par la suite. Tu ne t’étais plus jamais permise une soirée à l’extérieur par la suite.
Le vieil homme t’avait dit que tout ce qu’il t’enseignait, il l’avait enseigné à ta mère également. Il t’avait également assuré que tu ne connaîtrais pas la même fin, ce à quoi tu avais ri, lui répondant que tu n’en avais rien à faire de comment tu finirais, tant que tu réussissais à venger ta mère.
Tu savais que ton obsession de vengeance était malsaine, mais tu ne savais pas à quoi te raccrocher d’autre. C’était après tout le dernier lien que tu avais avec elle.
Tu t’étendis dans l’herbe, le regard fixé sur les étoiles. Laquelle était-elle ? Tu ne le savais pas. Chercher rassurance dans son regard bienveillant était impossible, te réfugier dans ses bras était également hors de ta portée.
Peut-être un jour, mais pas aujourd’hui.