La chaleur. Dieu que cela pouvait être étouffant de se retrouver sous de telles températures sous cet accoutrement. Cela allait bientôt faire un an et demi qu’il portait le Tengu sur son dos et le fait de porter ce masque rouge et cette peau maquillée tous les jours n’était toujours pas une habitude. Les regards et murmures non plus. Au contraire, ils lui donnaient de la force au début, force qui puisait ses racines dans une colère sourde contre le système des ninjas, de la réputation.
« Alors le Rouge, toujours à se déguiser et à se peindre ? »
Kimiko Buriden.« Tu ferais mieux de rester bricoler dans ton coin avec les civils. »
Azume Kotëi.« Tu salis l’honneur des ninjas. Retournes d’où tu viens ! »
Ren Shirogane, marionnettiste d’un atelier rival.Foutue réputation. A cette époque, elle faisait et défaisait les hommes, les régimes et leurs mondes en moins d’une année, la preuve étant les évènements des années passées. Les guerres de clans, les alliances entre ceux-ci, la formation de l’Empire plus arrière encore… Et cela n’avait pas épargné sa famille. Vingt-trois jours, cela avait pris exactement vingt-trois jours pour que le monde se retourne.
Pendant cette année et demie où il était devenu le Tengu, Wataru ne s’était jamais senti aussi seul. Tous les quolibets que lui lançaient les gens ne l’atteignaient pas en surface. Il se devait de paraître impassible sous le masque. Et même sans ce dernier aujourd’hui.
Il avait été convoqué par quelques Jônins pour discuter de son comportement. En apparence, cette réunion avait tout d’officiel. Il ne manquait que les papiers prouvant de fait la légitimité de celle-ci. Qu’importe… Il avait décidé d’y aller pour confronter ses détracteurs et percer à jour leur bêtise. Afin de crever l’abcès une bonne fois pour toute, il fallait qu’il s’y rende. Jusqu’ici, tous ses efforts en tant que seul shinobi de la famille Toyotomi avaient été de s’appliquer à ne pas céder à toutes ces provocations et à s’acharner à monter dans la hiérarchie. C’était chose faite depuis peu. Il ne lui restait plus qu’à affirmer sa place et démontrer qu’il méritait tout autant qu’eux de faire partie de l’élite ninja de Suna.
Les portes de la salle où devait se tenir leur meeting s’ouvrirent dans un grincement sourd. Un jeune Genin lui signala qu’il était attendu et qu’il pouvait désormais entrer. Ridicule. Il regarda le jeune adolescent s’éloigner d’un air incertain, comme s’il trouvait cela également étrange. Le Shirogane lui fît son plus beau sourire avant de pénétrer dans la pièce. C’était une salle de réunion auxquelles les ninjas de rang supérieur avaient accès pour préparer leurs missions. Par contre, la décoration avait été un peu refaite. La table avait été avancée vers une des parois de la pièce et siégeaient proches de ce mur trois Jônins. Ren Shirogane. Azume Koteï et Kimiko Buriden. Ses plus grands fans en somme. Pénétrant dans la pièce, il jeta un rapide coup d’œil autour de lui pour s’assurer qu’ils étaient bel et bien seuls et s’avança face à eux, le dos bien droit. Ces enfoirés n’avaient même pas pris la peine de lui laisser une chaise à disposition.
Il pût cependant lire un air de curiosité passer sur leur visage quand il avança dans la pièce sans son masque. Aucun d’entre eux ne l’avait vu sans la marionnette depuis son entrée dans les rangs ninjas. Son visage ne dénotait pas particulièrement. De longs cheveux bruns qui s’étalaient en crinière et des yeux noirs et froids. La légère gêne que ressentit Azume Koteï quand leurs regards se croisèrent le fît sourire intérieurement.
« Jônin Shirogane Wataru. Merci d’avoir répondu à notre convocation. Avant d’aller plus loin, nous tenons à vous remercier pour votre présence. La réunion a été organisée dans l’urgence et nous n’avons pas pu passer par les formalités habituelles »
Pfff. Un mensonge éhonté rien de plus. Ren Shirogane. Le cerveau du groupe et son opposant principal. Il l’avait rencontré au début de sa période dans les rangs des ninjas sous l’égide de Kaji et les deux hommes s’étaient immédiatement détestés. Tout d’abord parce qu’ils faisaient partie d’ateliers rivaux et ensuite parce que le talent et la réputation des Toyotomi avaient vite nui à l’atelier de son compère Shirogane. Ren ne lui avait jamais pardonné car c’était à lui que les autres ateliers s’adressaient désormais pour organiser des réunions d’artisans. C’était à l’époque une des prérogatives que son grand-père lui avait attribuées. Depuis, une haine cordiale avait séparé les deux hommes sans que Wataru ne fasse quoi que ce soit pour l’attiser, se contentant de traiter également cette personne qui semblait le détester avec une ardeur peu commune. A l’époque, il n’y avait pas fait attention, se contenant de suivre les enseignements de son bien aimé maître. Il ne s’était décidé à détester réellement Ren qu’à la suite du coma de Kaji, Ren s’étant évertué à précipiter la chute des Toyotomi en prospectant les membres fuyants sous les yeux d’un Wataru dévasté. Il se mordît la langue discrètement en se rappelant ses moments douloureux.
« Vous savez pourquoi vous êtes ici j’espère ? »
« Pas du tout. J’espérais que vous alliez me l’apprendre. »
L’interlocuteur de Wataru s’empourpra légèrement. Kimiko, le séide un peu bébête de Ren. C’était un Jônin à ne pas prendre à la légère mais un tantinet soupe au lait. Bien que l’idée de le voir s’agacer mette également en joie le marionnettiste, il décida de garder une mine composée pendant que les trois personnages se préparaient à asséner leurs accusations. Non-fondées au demeurant. Il avait préparé cette scène dans sa tête des dizaines de fois et il savait exactement ce qui allait se passer. Non seulement ces individus avaient osé commettre l’affront de le convoquer sous prétexte d’une réunion officielle mais en plus ils se donnaient des airs supérieurs en organisant cette mascarade. Il allait devoir les battre. Non pas physiquement mais moralement. Jouter avec eux par les mots jusqu’à ce qu’ils comprennent que le mur qu’ils avaient entrepris de démolir avec leur haine est infranchissable pour de si misérables êtres. Misérables. C’était le mot qu’il s’était écrié quand il avait lu la missive le prévenant de cet évènement et il avait même failli aller les confronter un à un. Son petit frère l’en avait empêché. Comment me dîtes-vous ? Il avait simplement posé sa main sur son épaule et prononcé ses mots.
« Grand-frère, une partie de shogi te tente ? »
Un sourire l’avait traversé alors. Rare réminiscence d’un temps où il était plus expressif. Ils avaient ensuite joué et Wataru avait décidé d’une riposte à ce courrier, laissant l’occasion à son frère de lui dérober une victoire unique dont il se vantait encore jusqu’à aujourd’hui.
« Vous êtes une honte au village de Suna. Tout simplement. Votre tenue de cirque et votre sens du spectacle ne font rire personne ici Wataru. »
« Dame Koteï, au risque de vous déplaire, nulle loi n’interdit à un quelconque ninja du village caché de Suna de porter l’accoutrement qu’il lui importe. Je pense que votre jugement personnel vous égare. »
« Cessez insolent. Vous n’avez même pas la moitié de l’âge de l’un d’entre nous et vous pensez pouvoir faire comme bon vous semble ? »
Kimiko encore. Tchak. Le piège de Wataru s’était refermé à cet instant. Utiliser leur séniorité comme argument d’autorité était l’erreur à ne pas commettre et ils l’avaient faite si facilement. Ce simulacre allait-il être si facile à balayer ? Non. Wataru savait que le plus dur ne tarderait pas à venir.
« Veuillez me pardonner vénérables anciens pour mon insolence. Il me semble que vous faîtes cas un peu personnel de ma situation mais il me semble que si j’ai pu atteindre le rang de Jônin, tout comme vous, c’est que les sphères supérieures ont reconnu ma valeur, n’est-ce pas ? »
Retour à l’envoyeur. Par ces quelques mots, il venait d’impliquer leur équivalence de rang. Ren reprît la parole encore plus sèchement.
« Assez Wataru. Il me semble que tu n’as pas ton mot à dire dans cette histoire. Nous te demandons de nous adresser ton départ des rangs shinobis dès que possible faute de quoi nous serons obligés de prendre des sanctions. »
« Allons bon vous autres. Cessons cette mascarade. Vous n’avez rien contre moi. Du vent. N’essayez pas de donner une quelconque solennité à votre pitoyable prestation. Je viens juste vous dire que j’en ai fini avec vous et que cela ne sert à rien de vous acharner. Vous n’obtiendrez rien de moi et feriez mieux de passer à autre chose. Vous entraîner par exemple. »
« Pauvre petit insecte. Tu te crois déjà arrivé alors que tu n’es Jônin que depuis si peu. Tu risques de finir comme ton grand-père Kaji si cela continue… »
Aïe. C’était là que cela risquait d’être difficile. Même s’il venait de leur tourner le dos et de faire mine de partir, les propos à peine voilés concernant son grand-père étaient de loin son point le plus faible. Il réprima un grondement qui montait crescendo dans son ventre difficilement et laissa ses poils se hérisser tandis que son corps secrétait un léger supplément d’adrénaline. Ren sût qu’il venait de toucher une corde sensible et s’empressa d’appuyer plus fort.
« Parce que c’est comme ça que tu risques de finir si tu continues imposteur. Comme ton vieux grand-père quand il est rentré dans la tente en s’écroulant et en bégayant quelques mots comme un fou sénile sur la fin. Remets-nous ta démission et dégages d’ici. »
Il avait senti le bruit de la table qui bouge et le son de la voix se rapprochant. La vision de Wataru se troubla et il dût faire des efforts herculéens pour ne pas se retourner et tenter d’éventrer cette sale engeance jalouse qu’était Ren Shirogane. Ses tempes lui faisaient mal mais il fît quelques pas de plus vers la porte et expira le plus discrètement possible pour essayer de se concentrer.
« N’y comptez pas. Je compte bien vous dépasser rapidement et vous enterrer dans l’oubli »
Encore quelques pas vers la porte. Plus que deux ou trois mètres et il serait libre de se tirer d’ici et d’exploser ailleurs, à l’abri des regards.
« C’est une menace c’est ça ? »
« Non Dame Koteï, une promesse. »
Ses interlocuteurs restèrent surpris de sa réponse pendant quelques instants. Il eût même la force d’accompagner cela d’un dernier regard et d’un sourire sincère vers la moins acharnée de ses adversaires, soucieuse de ne pas perdre la face en s’opposant à un jeune homme de trente ans son cadet. Le soleil frappa son corps de ses rayons lumineux et il était à nouveau dehors derrière la porte close. Il entendît des éclats de voix et ne pût s’empêcher de réprimer quelques tremblements lui aussi. C’était la première fois qu’il s’opposait si fortement à des personnes du même village que lui et il en ressortait troublé.
Cette discussion sonnait sûrement comme une déclaration de guerre aux yeux de ses détracteurs mais Wataru n’en avait que faire. Il avait dit ce qu’il avait à dire et venait de se libérer d’un énorme poids.
Il était désormais temps de passer à autre chose.