Sortie du ventre de ma mère une arme à la main, je criais très fort. De toutes ces bougresses qui venaient vider leur engrossement, ma bougresse avait touché le gros lot; elle est tombée sur la chose la plus agitée que la clinique n’ait jamais vu.
Quand je suis née, le village était un petit Rien. C’était tranquille, chez nous.
Avant que j’apprenne à parler. Avant que j’apprenne à mordre et grafigner. Mon frère, deux ans plus vieux, était la cible de mon trop plein d’énergie. Du plus loin que je me rappelle, j’ai toujours eu un mauvais tempérament, et c’est le frère qui en a le plus payé le prix. On jouait au “ninjitzu” (impossible à prononcer et à comprendre, ce machin) quand j’avais environ cinq ans. Lui, il a eu la chance d’être ninja en bas âge. Moi, par contre...
«Non Otohime, pas de ninja maintenant. Toi, tu dois apprendre à rester calme; apprends à danser, tu as besoin de discipline!» . . . Si j’avais su répondre à cet âge-là, j’aurais probablement - Fuck you papa t’es pas ma mère!
Au moins, j’avais déjà des notions de base pour différencier papa de maman, hein. Un bon début. La seule chose que je ne pouvais pas comprendre, à l’école, c’est ce que la maîtresse voulait dire par “IPÉRAKTIV”... Si ça se trouve, cette conne m’insultait dans ma face et je ne le savais pas.
J’ai eu beau faire de la danse pendant des années, et finir par aimer ça, je n’ai jamais réussi à canaliser mon agressivité et toute mon énergie. Et la discipline, «c’est pour les morveux de bacs à sable (Suna.) et pas pour les ninjitzu.»
J’avais huit ans, je regardais mon frère lancer des shuriken sur une cible en bois (comme une grosse lopette; ça, je lui ai déjà dit. Pas foutu de frapper une cible immobile à courte portée avec le vent dans le dos.), et je voulais vraiment essayer. Je ne lui aurais pas demandé, mais il y avait quelques étoiles de ninjitzu à côté de moi, alors j’en ai profité.
J’ai lancé. Je visais les yeux de l’homme en bois.
J’ai frappé le nez de l’homme en bois. De plus loin que lui.
Mon frère n’était pas content; c’est dangereux, c’est pas pour les filles, c’est -- «VA CHIER J’AI FAIT MIEUX QUE TOI». Après une grosse crise, Maman est arrivée. Je criais que je voulais lui montrer que j’étais meilleure que lui, que je voulais qu’on essaie de lancer les étoiles ninjitzu encore. J’ai hurlé assez fort pour prouver mon point et avoir ce que je veux; comme d’habitude. Maman était fâchée, elle avait une face à claque quand elle était agaçée.
Il a lancé; il a raté.
J’ai lancé; j’ai gagné.
Oh, et à côté, il y avait ma soeur, trois ans plus jeune que moi. Elle regardait la scène et elle était cool. Elle me trouvait cool. On était cool.
***
Douze ans. «Eh gros con, regarde-moi ce bandeau, moi aussi j’suis Ninja! Je te l’avais dit que j’allais l’avoir REGARDE LE BANDEAU OKAY REGARDE.» ... Le début d’une rivalité malsaine entre moi et le fraternel. Jouer au Ninjutsu, c’était fini depuis longtemps. D’ailleurs, l’humiliation que j’ai eu à l’académie quand j’ai appris que je ne savais pas bien parler...
N’empèche, je suis devenue Genin plus rapidement que mon frère. C’était ça, l’important.
À l’académie, les simulations de combat se finissaient souvent comme mes sacs de croustilles; extra salées avec les larmes de mes ennemis. J’avais beaucoup de réussites, mais peu d’amis avec qui les célébrer; on m’a souvent dit que j’étais forte, mais que je ne suis pas la plus gentille. C’est vrai, je ne suis pas gentille. J’étais contente d’en finir avec l’académie et de pouvoir partir en mission; je ne perdais pas de vue le peu d’amis que j’avais, mais au moins, j’étais débarassée de ceux qui pleurnichent que “Madame! Otohime m’a frappé!”
«Peut-être que s’il ne me riait pas à la gueule parce que “les filles c’est faible et c’est nul”, j’aurais pas à lui coller mon pied au cul!» Je veux bien essayer de me retenir, mais s’ils ne sont pas foutus d’apprendre à respecter les autres, pourquoi est-ce que moi j’aurais à me priver.
C’était pareil avec mes parents; ils ne sont pas méchants, et j’étais coincée dans l’enfer de la puberté. On dira que ça n’aide pas, mais j’ai souvent été critiqué parce que je parle trop, j’ai une grande gueule, je suis langue de vipère, je ne sais pas me comporter...
Pourtant, je fais des efforts. J’essaie de changer, mais ça ne marche pas. Ma relation avec mon frère est mauvaise parce qu’il n’aime pas ce que je suis, et que moi je n’aime pas qu’il ne puisse pas être ce que je suis. On est toujours en confrontation, et c’est à chaque fois pour des broutilles parce que je suis trop bruyante, je ne fais pas attention aux autres.
Au fond de moi, ça me blesse de ne pas être capable; c’est plus fort que moi, soit je me la ferme et je me détache pour ne pas me faire remettre sur le nez que j’ai un problème face à l’autorité, un problème face aux critiques, un problème de prétention... pourtant, pour moi ce ne sont pas ça, mes problèmes. Mon problème, c’est que je réagis au quart de tour, et que je ne sais pas m’arrêter.
J’ai quatorze ans, et la seule personne qui ne me critique pas, c’est ma petite soeur de onze ans. Tu parles de normalité. «T’es pas si méchante, tu sais. Si les autres te comprennent pas, moi je suis fière de toi!» J’adore ma soeur, mais il y a une partie de moi qui a peur. J’espère sincèrement qu’elle ne va pas me ressembler quand elle sera plus grande. Plus elle grandit, plus je me vois en elle, et plus j’en ai peur.
***
Quinze ans; je deviens Chuunin, et mes relations à la maison sont au point mort; ma soeur est malade, mes parents carburent au stress, et mon frère est un con jaloux qui n’arrive pas à obtenir le grade que moi j’ai obtenu. C’est tendu, c’est toxique. Ma soeur, ça passe toujours; elle ne va pas mourir, mais ça n’aide pas au moral. Mes parents, ça passe mal; très traditionnels, ils essaient de comprendre que “je suis jeune, je ne vis pas la même réalité que vous avez vécu à mon âge, c’est pas pareil”. Je sais qu’ils veulent bien faire, mais je sens qu’on n’apprécie pas que je sois aussi énervée. Mon frère, ça ne passe pas; on essaie de ne pas se croiser, il n’accepte pas que “quelqu’un d’aussi irresponsable que moi soit passée Chuunin.” ... Pas mon problème. Dans le domaine du clan, on me connaît bien; une belle jeune femme, très forte de caractère, mais pas spécialement méchante.
Durant les deux dernières années, j’ai essayé de me calmer, en m’occupant de ma soeur et en faisant mon devoir de ninja. Je n’ai pas progressé comme je le voulais, et je compte bien me reprendre maintenant que l’état de ma soeur est stable. Ce que je veux, c’est aider Uzu à prospérer, assurer à ma famille une situation stable, et surtout apprendre à me connaître moi-même; ce n’est pas en restant assise que je vais me croiser.